Il n’aura fallu qu’une épidémie un poil plus précoce pour faire s’écrouler l’ensemble des services de pédiatrie, qui ne tenaient déjà plus qu’à un fil.

Pédiatrie : François Braun installe le comité préparant les assises d’un secteur en « hypercrise »

L’inauguration du comité, qui durant un trimestre va plancher sur six axes de travail, a été accueillie avec prudence par les professionnels de santé sur le terrain alors qu’une « triple épidémie » vient mettre à mal un système déjà « à bout de souffle ». 

Par Mattea BattagliaPublié le 08 décembre 2022 à 09h18, mis à jour le 08 décembre 2022 à 09h18 https://www.lemonde.fr/societe/article/2022/12/08/pediatrie-francois-braun-installe-le-comite-preparant-les-assises-d-un-secteur-en-hypercrise_6153476_3224.html

Temps de Lecture 2 min. 

Des assises de la pédiatrie peuvent-elles permettre de répondre à l’« hypercrise » que traverse le secteur ? Le mot était dans toutes les bouches, ce mercredi 7 septembre, jour de l’installation du comité d’orientation chargé de préparer ces futures assises, programmées au printemps. « Hypercrise », donc, mais aussi « ultracrise », « crise historique », « crise sans précédent »… : ces expressions ont résonné, dans l’entourage du ministre de la santé, François Braun, qui présidait à l’inauguration dudit comité, comme dans les interventions devant la presse de ses deux coprésidents nouvellement nommés.

Lire aussi :    Des urgences à l’urgence politique : l’épreuve du feu de François Braun

L’épidémie de bronchiolite, d’un niveau inégalé depuis dix ans, a mis en lumière des « failles, difficultés et faiblesses » face auxquelles les mesures d’urgence ne suffisent plus, a expliqué la professeure et pédiatre Christèle Gras-Le Guen, présidente de la Société française de pédiatrie, en plaidant pour une « réforme en profondeur ». La rejoignant sur le constat et l’objectif, l’ancien secrétaire d’Etat chargé de l’enfance et des familles, Adrien Taquet, a défendu une« opportunité historique » d’améliorer le système de santé.

Le binôme a devant lui un trimestre et six axes de travail – sur le parcours de soins des enfants, la prise en charge des plus fragiles, la santé mentale, la prévention, la formation et l’innovation – pour faire émerger, en collaboration avec de multiples acteurs (médecins, élus, associations, parents…), une « feuille de route », selon la formule un peu galvaudée, qui devra être détaillée lors des assises. Mais un trimestre, et une énième concertation, n’est-ce pas déjà trop attendre, alors que les soignants, particulièrement à l’hôpital, prennent de plein fouet non plus une seule épidémie mais trois – de bronchiolite, de Covid-19 et de grippe ? Et que cette « triple vague » vient percuter un système de santé déjà à « bout de souffle », selon les propres mots de M. Braun ?

Lire aussi :    Covid-19, bronchiolite et grippe : la triple épidémie de virus respiratoires qui menace la France cet hiver

En plein emballement des indicateurs épidémiques, et à la veille d’un déplacement, jeudi 8 décembre dans la Vienne, du président de la République et du ministre de la santé, consacré à un Conseil de la refondation-santé, à l’accès aux soins et à la prévention des jeunes générations, l’installation du comité ad hoc a suscité, sur le terrain, de premières réactions mesurées.

« Situation intenable »

« Nous attendons beaucoup de ces travaux préparatoires et de ces assises, concède Julie Starck, pédiatre réanimatrice à l’hôpital Trousseau, en espérant qu’ils n’aboutissent pas, comme on l’a déjà vu, à un énième rapport avec des propositions qui ne seront pas mises en œuvre. » « Ce rendez-vous est une opportunité, à condition qu’il soit suivi d’engagements immédiats », réagit, dans la même veine, Mélodie Aubart, neuropédiatre à l’hôpital Necker. Les deux médecins, animatrices du collectif pédiatrie, plaident pour que des « engagements forts » soient pris, avant même les assises, afin de freiner l’hémorragie de soignants.

Sur le terrain, dans les services hospitaliers, saturés, comme dans les cabinets de pédiatres, les alertes se sont multipliées ces dernières semaines. Le 21 octobre, quelque 4 000 soignants interpellaient le chef de l’Etat dans une lettre publiée par Le Parisien, où ils dénonçaient une « situation intenable » et des « enfants quotidiennement en danger ». Le 30 novembre, dans les colonnes du Monde, leur nombre était passé à 10 000 avec, parmi les signataires, 400 chefs de service et toutes les sociétés savantes de pédiatrie. Dont la professeure Gras-Le Guen. « Votre gouvernement empile les enveloppes et les mesures d’urgence temporaires au fil de la catastrophe », s’y indignaient les signataires, alors que l’exécutif a promis 400 millions d’euros pour les services en tension.

Lire la tribune :    Crise de la pédiatrie : « Monsieur le président, votre silence est assourdissant », la lettre de 10 000 soignants à Emmanuel Macron

Ce ne sont pas, tant s’en faut, les premières alarmes : un rapport de l’Inspection générale des affaires sociales remis en mai 2021 dressait, déjà, un « panorama préoccupant » des professions en charge de la santé des enfants.

Dans ses deux interpellations récentes, le collectif pédiatrie a mis sur la table une série de mesures énoncées comme « urgentes » et « indispensables » pour surmonter les difficultés mais aussi pour aborder, en confiance, l’échéance des assises : reconnaissance de la spécificité de la pédiatrie, plafond du nombre de patients par infirmière et infirmier, respect des temps de repos et de formation, meilleure indemnisation du travail de nuit et de week-end… Intervenant devant la presse, mercredi, la professeure Gras-Le Guen a voulu donner de premiers gages : « Tous les avis seront pris en compte, toutes les propositions vont être précieuses pour animer les discussions. On ne part pas de zéro… »

Mattea Battaglia

SANTÉ 

Crise de la pédiatrie : l’accès aux soins en péril

LE 30 NOVEMBRE 20229 min

Mise à mal par une épidémie de bronchiolite plus précoce cette année, la pédiatrie révèle au grand jour toutes ses défaillances, entre pénurie critique de professionnels et manque criant de moyens.

Par Chloé Rabs

« La bronchiolite c’est juste la cerise sur ce qui ne peut malheureusement pas être appelé un gâteau », résume Pascal Le Roux, pédiatre au Groupe hospitalier du Havre et secrétaire général du Conseil national professionnel de pédiatrie (CNP). Il n’aura fallu qu’une épidémie un poil plus précoce pour faire s’écrouler l’ensemble des services de pédiatrie, qui ne tenaient déjà plus qu’à un fil.

Depuis deux mois, les enfants, bébés, et nouveau-nés s’agglutinent dans les services d’urgences qui ne parviennent plus à remplir leur principale mission : les soigner. Une épidémie pourtant tout à fait prévisible en cette saison, mais qui cette année met à nu les difficultés et le manque de moyens de la pédiatrie en France…(Suite abonnés)

Les départements en grande souffrance: l’Indre (aucun pédiatre), Mayotte, la Manche, l’Eure, la Vendée, la Creuse, la Haute-Saône et la Haute-Loire

Publié le 08/12/2022

Des Assises pour sauver la pédiatrie ! 

Paris, le jeudi 8 décembre 2022

https://www.jim.fr/medecin/actualites/pro_societe/e-docs/des_assises_pour_sauver_la_pediatrie__195199/document_actu_pro.phtml

– Le ministre de la Santé, François Braun a inauguré hier le comité d’orientation et de préparation des Assises de la pédiatrie et de la santé de l’enfant qui doivent se dérouler au printemps prochain. Le Professeur Christèle Gras le Guen (CHU de Nantes), présidente de la Société Française de Pédiatrie, qui a été signataire de l’appel à Emmanuel Macron publié dans le Monde la semaine dernière et approuvé par 10 000 soignants et Adrien Taquet, ancien secrétaire d’état chargé de l’enfance et des familles animeront ce comité d’orientation.

Ce dernier « réunira des représentants de l’ensemble des parties prenantes concernées, et notamment : pédiatres hospitaliers et libéraux, médecins généralistes, pédopsychiatres, sages-femmes, infirmiers puériculteurs et professionnels paramédicaux, usagers et familles, collectivités territoriales, médecine scolaire, Protection Maternelle et Infantile (PMI). Il associera les administrations du ministère de la Santé et de la Prévention, l’Assurance maladie et les autres ministères concernés par les travaux des assises » énumère le ministère de la Santé.

Une épidémie qui n’est qu’un symptôme d’un mal plus profond

Les cris d’alarme lancés par la profession désemparée par la violence de l’épidémie de bronchiolite actuelle ont fini de créer un déclic au sein des pouvoirs publics. Cependant, même si cette épidémie est d’une ampleur inégalée depuis dix ans, tous les pédiatres et soignants en pédiatrie rappellent qu’elle n’est qu’un symptôme supplémentaire.

En effet, c’est l’état de la pédiatrie ambulatoire et hospitalière qui favorise les engorgements, les transferts de patients à des centaines de kilomètres de chez eux et la prise en charge dégradée que déplore toute la profession. C’est notamment la pénurie de praticiens et plus encore d’infirmiers qui a empêché dans plusieurs services la mise en place des unités spéciales qui chaque année sont destinées à accueillir les enfants touchés par les épidémies hivernales.

Catastrophe en ville et chez les infirmiers, perte de vitesse pour la pédiatrie hospitalière

Les difficultés de la pédiatrie sont connues et sont l’objet de diagnostics depuis plusieurs années. Dans un rapport publié l’année dernière, l’Inspection générale des affaires sociales (IGAS) rappelait ainsi qu’en 2006 « le Pr Sommelet, dans son rapport de référence sur la santé de l’enfant et de l’adolescent, soulignait l’importance des problématiques démographiques en matière de médecine de ville de l’enfant ».

Le premier mal est en effet le manque d’effectifs et c’est en ville qu’il est le plus criant. « Actuellement, 8 départements connaissent une densité inférieure à un pédiatre pour 100 000 habitants et l’âge moyen des pédiatres libéraux laisse présager une aggravation de la situation puisque 44 % d’entre eux ont plus de 60 ans. Cette situation pose une question majeure d’accès aux soins pédiatriques pour certaines populations » écrivait l’IGAS. A l’hôpital, l’état des lieux est un peu moins critique en ce qui concerne les médecins (si l’on excepte le cas extrêmement préoccupant de la pédopsychiatrie).

Cependant, le déclin de la pédiatrie libérale rejaillit sur les établissements de santé, dégradant les conditions de travail, et favorisant les départs. Au-delà, l’IGAS notait : « La pédiatrie hospitalière reste globalement attractive, mais, d’après les interlocuteurs de la mission, cette attractivité diminue. Ainsi, le taux de vacance statutaire des praticiens hospitaliers en pédiatrie a progressé de 5 points entre 2009 et 2021, passant de 20 % à 25 %, même s’il reste inférieur à la moyenne des spécialités médicales (…). Selon un rapport récent sur la permanence des soins en établissement de santé, la pédiatrie est l’une des trois activités sous tension en la matière (avec l’anesthésie-réanimation et l’imagerie) ».

Concernant les infirmières, la situation est plus complexe encore. Le diplôme d’infirmière puéricultrice n’a connu aucune évolution depuis 1983, tandis que depuis 2009, la formation initiale des infirmières généralistes ne suppose plus de stage obligatoire en pédiatrie. « Cette perte de compétences aurait pu conduire à une meilleure reconnaissance des infirmières puéricultrices à l’hôpital, mais les acteurs ont témoigné du mouvement inverse. Les compétences des infirmières puéricultrices, notamment en termes d’accompagnement et de prévention, sont sous-utilisées, en particulier en secteur ambulatoire, puisque leur exercice est limité aux PMI, en raison de l’absence de financement de leurs actes en ville » relève l’IGAS.

Les enfants sont moins rentables

Ces problèmes d’effectifs sont intrinsèquement liés à des défauts de financement, défauts de financement qui concourent à la dégradation des conditions de travail et donc à la fuite des personnels. En ville, tout d’abord, on sait que la pédiatrie est la spécialité la moins lucrative de toutes, ce qui ne peut qu’ajouter à son manque d’attractivité. A l’hôpital, le fonctionnement de la tarification à l’activité est défavorable à la pédiatrie. Si quelques « adaptations tarifaires ont été mises en place pour intégrer le surcoût lié à l’âge des enfants » une sous valorisation des actes continue à exister tandis que la réforme de financement des urgences entrée en vigueur en janvier 2022 a accru la différence de « rentabilité » entre un passage aux urgences d’un enfant de moins de 15 ans et celui d’un adulte.

Eviter un énième rapport ?

Ainsi, on le voit le diagnostic est déjà parfaitement connu. Aussi, beaucoup de pédiatres espèrent que cette nouvelle commission fera l’impasse sur ce travail et se concentrera sur les solutions. Beaucoup d’ailleurs estiment qu’il ne faut pas attendre le printemps pour prendre les premières mesures, afin de stopper le plus possible le mouvement de départ des soignants. « Nous attendons beaucoup de ces travaux préparatoires et de ces assises, en espérant qu’ils n’aboutissent pas, comme on l’a déjà vu, à un énième rapport avec des propositions qui ne seront pas mises en œuvre », témoigne dans les colonnes du quotidien Le Monde, Julie Starck, pédiatre réanimatrice à l’hôpital Trousseau.

A.H.

Publié le 30/11/2022

Les pédiatres attendent que Macron reconnaisse que « Nous sommes en guerre »

Paris, le mercredi 30 novembre 2022

https://www.jim.fr/e-docs/les_pediatres_attendent_que_macron_reconnaisse_que_nous_sommes_en_guerre__195089/document_actu_pro.phtml

– C’est une phrase dont une grande partie des Français se souvient. « Nous sommes en guerre » avait déclaré Emmanuel Macron le soir du 16 mars 2020 alors que débutait l’épidémie de Covid dans notre pays. La formule avait été beaucoup commentée (parfois ironiquement) : d’aucuns avaient regretté ce rapprochement avec des combats encore plus douloureux. Pour beaucoup de professionnels de santé, si la petite phrase avait parfois pu irriter parce qu’elle semblait méconnaître que la préparation à la guerre avait fait défaut, elle avait cependant été perçue comme la manifestation de l’engagement entier de la nation derrière eux.

Combat de tous les jours dans les services de pédiatrie français

Ce qu’il y a de pire qu’une formule un peu emphatique, c’est l’absence de formule, c’est le silence. Nous sommes toujours en guerre, décrivent les pédiatres hospitaliers. La guerre, c’est quand dans un pays riche et un pays en paix, des enfants sont hospitalisés sur les genoux de leurs parents. La guerre, c’est quand on renvoie chez eux des enfants qui avaient manifestement besoin d’une surveillance médicale constante.

La guerre, c’est quand les services adultes doivent prendre en charge de très jeunes enfants… tout comme au printemps 2020 les services pédiatriques avaient ouvert leurs portes aux adultes malades. Et pourtant, aucun mot sur cette désorganisation, sur cette situation de crise, aucune assurance de la solidarité de la nation.

Silence assourdissant

Ce n’est pas faute d’avoir été alerté : plusieurs centaines de soignants en pédiatrie ont signé en octobre une lettre ouverte au Président de la République dans le Parisien espérant de lui qu’il accepte de reconnaître la responsabilité de l’Etat dans les difficultés actuelles de la pédiatrie. Depuis, des annonces ont été faites quant au déblocage d’enveloppes budgétaires pour les services en crise (ce qui ne concerne pas uniquement la pédiatrie) et sur des revalorisations de primes et de gardes.

Cependant, parallèlement, le ministre de la Santé se montrait très sévère sur les messages de plusieurs praticiens affirmant l’existence de procédures de tri dans les services de pédiatrie. Tant l’insuffisance de ces mesures que ces réactions politiques sont aujourd’hui considérées comme insupportables par les professionnels. Aussi, dans le Monde, ce mercredi, un collectif comptant 10 000 soignants, dont 400 chefs de service et l’ensemble des sociétés savantes de pédiatrie, écrivent au Président de la République.

Dénonçant son « silence assourdissant », ils décrivent : « Tout au long de ce mois, nous avons été confrontés à ce que nous n’osions imaginer : quotidiennement, des enfants hospitalisés sur des brancards ou sur les genoux de leurs parents aux urgences, dans un bureau réaménagé pour l’occasion, des enfants intubés et hospitalisés sans chambre dans le couloir de la réanimation, des prises en charge trop tardives et des soins précaires, des retours prématurés à domicile et des retours en catastrophe d’enfants renvoyés chez eux faute de place, des transferts hors secteur par dizaines en réanimation, mais aussi en hospitalisation classique. Nous pensions que transférer des enfants à 300 kilomètres de chez eux était une dégradation majeure des soins, nous constatons désormais qu’il pouvait y avoir pire : ne plus pouvoir transférer car l’épidémie a déferlé partout, saturant l’ensemble des services de pédiatrie français. Nous culpabilisions d’envoyer des adolescents au sein de services adultes, ce sont désormais des enfants âgés de 3 ans que nous envoyons. Et encore, toujours, les annulations de soins, les reports de chirurgie comme unique réponse de nos tutelles à l’urgence, au détriment des enfants porteurs de handicap, de maladie chronique et pédo-psychiatriques, soupape désormais permanente de l’hôpital, éternelle variable d’ajustement ».

Prévention

C’est dans ce contexte que le ministre de la Santé a annoncé l’installation le 7 décembre prochain d’un comité destiné à préparer les assises de la pédiatrie qui doivent se dérouler au printemps. Ce comité d’orientation sera coprésidé par Adrien Taquet, ancien secrétaire d’État chargé de l’Enfance et des Familles sous le précédent quinquennat et par le Pr Christèle Gras Le Guen, chef du service de pédiatrie générale et des urgences pédiatriques au CHU de Nantes et présidente de la Société Française de Pédiatrie.

Le ministre de la Santé a énoncé plusieurs des grands axes qui devront être abordés par le comité et par les assises : « le renforcement de la prévention dans le quotidien des enfants et des familles notamment à l’école, le rôle du pédiatre en ville et à l’hôpital, celui du médecin généraliste dans la prise en charge des enfants, la gestion des pathologies aiguës en urgence, celle des maladies chroniques, la formation initiale et continue des professionnels aux besoins de santé de l’enfant, l’évolution des métiers médicaux et paramédicaux, le renforcement de la pédopsychiatrie et de la santé mentale des enfants, la lutte contre les inégalités sociales au plus jeune âge de la vie, etc».

Pas sûr que les pédiatres hospitaliers qui crient aujourd’hui leur désarroi et leur colère voient dans ce programme une réponse à leur situation actuelle.

A.H.

Publié le 14/11/2022

Tri des enfants, dette immunitaire : quand la communication des ministres ulcère spécialistes et pédiatres

Paris, le lundi 14 novembre 2022

https://www.jim.fr/e-docs/tri_des_enfants_dette_immunitaire_quand_la_communication_des_ministres_ulcere_specialistes_et_pediatres_194838/document_actu_pro.phtml

– Le long week-end qui vient de s’achever a encore été très éprouvant dans les services de pédiatrie de la France entière, confrontés à une intense épidémie de bronchiolite (le niveau d’hospitalisation n’a jamais été aussi haut depuis 10 ans) à laquelle il leur est très difficile de faire face compte tenu de moyens toujours plus faibles et de pénuries de personnels toujours plus criantes.

Tri en pédiatrie : une réalité niée par les pouvoirs publics

Occupés à prendre en charge leurs jeunes patients dans des conditions souvent très dégradées (transferts à plusieurs centaines de kilomètres de leur domicile, oxygénation réalisée dans les box des urgences, choix de l’oxygénothérapie à domicile pour des malades qui auraient été hospitalisés en des temps différents…), les pédiatres et les infirmiers ont vu s’accroître leur colère en percevant les échos des controverses médiatiques et ministérielles. Jeudi, jour de grève nationale dans les transports (ce qui ne peut qu’augmenter les difficultés des équipes) sur les ondes de RTL, Julie Starck, pédiatre réanimatrice à l’hôpital Trousseau à Paris se désespère.

« Actuellement, on soigne mal nos enfants. On ne peut pas tous les hospitaliser. On est obligés de trier nos enfants. On est contraint de prendre un surnombre dans le couloir »décrit-elle. Le médecin ne se faisait alors que le relais d’un constat répété non pas seulement depuis quelques semaines, mais depuis plusieurs années.

Le Collectif pédiatrie égrenait ainsi hier soir dans un nouveau communiqué une longue liste des alertes lancés par les pédiatres de France, qui débute le 13 novembre 2019 avec une tribune signée par de nombreux médecins dans le Parisien qui écrivaient : « Cette situation de crise est vécue désormais quotidiennement par les équipes comme une médecine de guerre : choisir quel enfant hospitaliser en priorité, différer des chirurgies indispensables à ces enfants (fractures, appendicite, traumatisme crânien voire parfois greffe d’organes ou chirurgie cardiaque), transférer des enfants instables dans des réanimations à plus de 200 Km de leur

domicile, garder des enfants dans des services non spécialisés et sous pression, faute de place dans un service adapté, avec une réelle perte de chance voire un risque vital pour le patient ».

Depuis comme une litanie, les descriptions de ce type se sont multipliées, sans parler de celles établies par les pédopsychiatres ou encore des témoignages quasi quotidiens sur les réseaux sociaux et dans la presse de médecins désespérés. Pourtant, les Drs Olivier Véran, porte-parole du gouvernement et François Braun ministre de la santé s’insurgent contre ce terme de « tri ».

Ce dernier dans le Parisien répondait samedi au docteur Julie Starck : « Je suis choqué par cette formule, c’est inadmissible. Je ne nie aucunement les difficultés que génère cet épisode exceptionnel par son ampleur de bronchiolite, mais je ne peux pas accepter de tels propos qui déforment la réalité. Je ne m’interdis d’ailleurs pas une enquête. Et si jamais de telles pratiques déviantes étaient avérées, des conclusions en seraient tirées »a-t-il menacé, poursuivant : « Je ne laisserai pas dire qu’on décide de qui on laisse vivre ou mourir à l’Hôpital et nos soignants sont admirables dans leur engagement ».

Cette réaction du ministre de la Santé n’a pu qu’ulcérer les pédiatres qui y voient une nouvelle façon de détourner l’attention du véritable abyme dans lequel se trouve la pédiatrie française, une nouvelle façon de se dédouaner de toute responsabilité si un drame, lié aux conditions actuelles de la pédiatrie française, survenait.

Quand les pays pauvres nous envient notre dette immunitaire

Une autre façon de mettre à distance la gravité de la crise est d’invoquer le caractère exceptionnel de l’épidémie, en utilisant la notion de « dette immunitaire ». Tel a ainsi été l’exposé ce week-end d’Olivier Véran : « On portait le masque pendant deux ans, on avait une protection, il y a eu une épidémie très faible et moins d’immunisation des petits ».

L’explication est très loin de satisfaire les pédiatres et les spécialistes. D’abord, nous l’avons déjà évoqué, comme en ont témoigné les alertes précédentes, il n’est pas besoin que la crise soit d’une gravité inédite pour déstabiliser les hôpitaux. Par ailleurs, si l’épidémie de 2020 a effectivement été très faible, celle de 2021 a été aussi importante que les années précédant la pandémie et avait même frappé par sa précocité.

Aussi, peut-on difficilement considérer que les enfants aujourd’hui âgés de plus d’un an n’ont été que peu nombreux avoir été exposés au VRS l’année dernière. D’une manière générale, beaucoup de scientifiques invitent à garder les plus grandes distances avec cette notion de « dette immunitaire ».

« Le concept de dette immunitaire est l’illustration de notre grande ignorance en matière d’immunologie. Au lieu de dire « Je ne sais pas pourquoi ce niveau de bronchiolites » certains scientifique, surtout des médecins, notamment des pédiatres, s’y engouffrent sans retenue. Nous avons considérablement assaini – sur le plan microbiologique – nos modes de vie depuis un siècle. Au lieu de payer notre « dette immunitaire » digestive, cutanée, génitale, respiratoire, nous avons vu fondre les maladies infectieuses et plus que doubler l’espérance de vie. Là où l’on paie encore comptant la charge infectieuse, en Afrique subsaharienne, dans certains pays d’Amérique Latine et d’Asie, la mortalité infantile y demeure un fléau et une profonde injustice. La « dette immunitaire » accumulée par les petits enfants riches y fait envie. C’est par paresse intellectuelle que l’on saute sur la première hypothèse » critique ainsi le Pr Antoine Flahaut sur Twitter. L’épidémiologiste Mahmoud Zureik lui fait écho : « Le concept de la dette immunitaire (…) ne repose sur aucun argument scientifique à ce stade. Ce concept adopté trop rapidement par certains scientifiques (minoritaires) et des politiques pourraient avoir des conséquences dangereuses en termes de santé publique et sur la vie des gens »prévient-il.

Par ailleurs, d’un point de vue de la communication beaucoup redoutent que cette mise en avant de la notion de « dette immunitaire » soit une autre façon de minimiser l’ampleur des problèmes de la pédiatrie hospitalière. Le malaise ne fait donc que se renforcer dans un grand nombre de service et au-delà même de la pédiatrie.

Aurélie Haroche

Voir aussi:

Commentaire Dr Jean SCHEFFER

Le défilé des spécialités en détresse se poursuit. Chacun voit midi à sa porte. Ce sont toutes les spécialités hospitalières et ambulatoires, à commencer par la médecine générale qui sont en détresse. Il faut une solution globale  et une vision globale comme j’essaye de le faire comprendre depuis plus de 10 ans. La solution c’est un « Clinicat-Assistanat pour tous », de 3 ans obligatoire pour tous les futurs spécialistes et généralistes: « Vision Globale -Solution globale »: https://1drv.ms/w/s!Amn0e5Q-5Qu_sAoKetf_T8OKk2Io?e=GfjeRj?e=4YzGt2

Voir aussi:

* https://environnementsantepolitique.fr/2022/11/30/un-appel-de-10-000-soignants-en-pediatrie-au-president/

https://environnementsantepolitique.fr/2022/11/25/nen-deplaise-a-mr-veran-le-tri-en-pediatrie-existe-bien-en-seine-saint-denis-et-certainement-dans-de-nombreux-departements/

https://environnementsantepolitique.fr/2022/11/19/le-tri-en-pediatrie-et-en-reanimation-neo-natale-la-langue-de-bois-a-encore-de-beaux-jours/

https://environnementsantepolitique.fr/2022/11/17/les-pediatres-liberaux-sont-aussi-inondes-de-bronchioles/

https://environnementsantepolitique.fr/2022/11/14/la-negligence-de-la-sante-de-lenfant-dans-les-politiques-de-sante-publique-depuis-plus-de-trente-ans/

https://environnementsantepolitique.fr/2022/11/06/on-en-arrive-a-soigner-dans-lurgence-et-donc-a-soigner-mal-lassociation-maladie-foie-enfants/

https://environnementsantepolitique.fr/2022/11/05/une-consternante-langue-de-bois-de-la-ministre-agnes-firmin-le-bodo-a-propos-de-lenveloppe-financiere-qui-serait-devolue-a-la-pediatrie-hospitaliere-sur-les-400-millions-proposes-le-3-novembre-pr/

https://environnementsantepolitique.fr/2022/11/03/au-moins-trente-quatre-enfants-ont-du-etre-transferes-hors-dile-de-france-depuis-la-fin-septembre-en-raison-du-manque-de-lits-de-reanimation-neo-natale/

150 millions pour les hôpitaux: une mesure qui doit absolument s’accompagner d’une réforme de la pédiatrie sur le long terme, alerte Christèle Gras le Guen, présidente de la Société française de pédiatrie.

https://environnementsantepolitique.fr/2022/10/25/37046/

https://environnementsantepolitique.fr/2022/10/24/la-deprogrammation-des-interventions-non-urgentes-les-transferts-des-enfants-dans-des-regions-eloignees-de-leur-domicile-les-heures-dattente-pour-les-nourrissons-et-leurs-familles-c/

https://environnementsantepolitique.fr/2022/10/22/les-reanimations-pediatriques-deja-saturees/

https://environnementsantepolitique.fr/2022/10/15/la-crise-que-traverse-le-service-de-pediatrie-de-lhopital-jacques-coeur-de-bourges/

https://environnementsantepolitique.fr/2022/09/29/les-soignants-de-reanimation-pediatrique-alertent-a-nouveau/

Publié par jscheffer81

Cardiologue ancien chef de service au CH d'Albi et ancien administrateur Ancien membre de Conseil de Faculté Toulouse-Purpan et du bureau de la fédération des internes de région sanitaire Cofondateur de syndicats de praticiens hospitaliers et d'associations sur l'hôpital public et l'accès au soins - Comité de Défense de l'Hopital et de la Santé d'Albi Auteur du pacte écologique pour l'Albigeois en 2007 Candidat aux municipales sur les listes des verts et d'EELV avant 2020 Membre du Collectif Citoyen Albi

Laisser un commentaire