« Nos cabinets pédiatriques sont aussi en situation de saturation »
Brigitte Virey, présidente du Syndicat national des pédiatres français, est pédiatre en libéral, à Dijon. Elle alerte sur l’augmentation du nombre d’enfants touchés par la bronchiolite.
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La saturation des services pédiatriques, en pleine épidémie de bronchiolite, est au cœur du débat public. Qu’en est-il des cabinets de pédiatres ? Comment gèrent-ils l’épidémie ?
Nos cabinets pédiatriques sont aussi en situation de saturation. Depuis près d’un mois, la demande de consultations non programmées a fortement augmenté. J’ai donné un coup de sonde auprès de collègues il y a quinze jours, et bon nombre d’entre eux évoquaient, déjà, une dizaine de consultations de ce type venant s’ajouter, quotidiennement, à leur planning. C’est comme ça chaque jour. Et la tendance devrait augmenter encore jusqu’en décembre.
On parle, à l’hôpital, d’hospitalisations au plus haut depuis dix ans. Avez-vous le sentiment, en ville, d’être aussi confrontés à une situation inédite ?
C’est la précocité de l’épidémie qui nous a pris de court, et le fait qu’elle touche beaucoup plus de tout-petits, des bébés âgés de moins de 3 mois, qu’habituellement.Lire aussi : Article réservé à nos abonnés Dans les réanimations pédiatriques déjà pleines, une épidémie de bronchiolite plus précoce et intense
Nous ne sommes pas encore arrivés au pic épidémique. Plusieurs virus sont à l’œuvre, les rhinovirus d’abord, classiques de la saison, qui peuvent chez les plus petits donner des bronchiolites. Le Covid-19 ensuite, qui semble cependant, à ce stade, peu en cause. Enfin, le virus respiratoire syncytial qui est, lui, en train de progresser. On risque bien de se retrouver, d’ici quinze jours, dans une situation inégalée.
Vous faites partie des 7 000 signataires d’une lettre ouverte interpellant Emmanuel Macron sur la situation intenable dans les services pédiatriques… Etes-vous, en ville, amenés à faire le tri entre les patients ?
La question de la déprogrammation des soins non urgents est compliquée. Quels soins ne sont pas « urgents » ? Les rendez-vous avec les nourrissons que nous voyons à intervalle régulier pour les vacciner ne peuvent être déprogrammés. Ceux pris avec des enfants de 3-4 ans ne sont peut-être pas à quinze jours près, mais il est risqué de les décaler trop longtemps. Et puis il y a tous les enfants porteurs de maladies chroniques, de troubles du neurodéveloppement, qui sont en souffrance : ces consultations-là, qui sont longues, ne peuvent pas être déplacées non plus.Lire aussi la tribune : Article réservé à nos abonnés « Nous ne pouvons plus exercer notre travail et soigner vos enfants correctement »
Si un tri s’impose, ce sont les enfants plus âgés, au-delà de 6 ans, dont on reporte la venue. Les mêmes qui ont déjà pâti de la crise sanitaire, qui peuvent présenter des troubles anxieux…
Face à l’engorgement des hôpitaux, le gouvernement en appelle à renforcer les services d’accès aux soins et les permanences ambulatoires. Les libéraux peuvent-ils faire plus qu’ils ne font déjà ?
Des réorganisations des consultations et d’accueils pédiatriques sont déjà à l’œuvre, sous des formes très diverses d’un territoire à l’autre. Dans les Pays de la Loire, dans le Centre, en Occitanie, on a des permanences de soins très bien organisées, où des enfants peuvent être orientés directement, via le 15. On voit aussi dans des grandes villes, à Paris, à Strasbourg ou Nantes, des pédiatres qui s’organisent entre eux pour des tours de garde le soir, le week-end… D’autres, dans des territoires plus isolés, sont adossés à des communautés professionnelles ou à des maisons de santé. C’est parfois plus compliqué dans des petites villes où un ou deux pédiatres doivent se partager les patients sept jours sur sept.
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Un peu partout, on voit aussi des collègues allonger leurs plages horaires ou ouvrir sur Doctolib des créneaux le dimanche.
Il y a quelques jours, UFC-Que choisir alertait sur l’ampleur de la désertification médicale, notamment en matière d’accès aux pédiatres. Au-delà de la bronchiolite, c’est à ce défi-là que vous devez répondre…
Bien sûr, et plusieurs leviers existent. On voit par exemple se créer, comme à Bordeaux, des « maisons pédiatriques »regroupant des spécialistes de l’enfant, des pédiatres, donc, mais aussi des infirmières puéricultrices, des psychologues, des kinés… C’est encore balbutiant, les obstacles administratifs à lever sont importants, mais ce peut être une direction à prendre.
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Au syndicat Avenir Spé [dont Mme Virey est vice-présidente], nous défendons aussi le déploiement d’équipes de soins spécialisées – des « ESS » – où les médecins volontaires pourraient se regrouper virtuellement et pallier les manques dans les déserts médicaux. Ce type de réorganisation existe déjà pour la dermatologie, en région parisienne. Pourquoi ne pas l’étendre à d’autres spécialités ?
Cela suffira-t-il, face à l’urgence ?
Le nerf de la guerre reste l’augmentation du nombre de pédiatres en formation, mais, en la matière, on sait qu’il nous faut attendre une dizaine d’années pour que la situation s’améliore vraiment. Entre 320 et 330 jeunes praticiens sortent tous les ans de l’internat de pédiatrie. Du fait du numerus clausus, on était tombés à 250, voire moins. Selon nos calculs, il en faudrait au moins 600 pour répondre aux besoins actuels.
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Mattea Battaglia
Voir aussi:
https://environnementsantepolitique.fr/2022/10/25/37046/
https://environnementsantepolitique.fr/2022/10/22/les-reanimations-pediatriques-deja-saturees/