Crise de l’hôpital public : des associations de patients et des collectifs de soignants attaquent l’État pour « carence fautive » – Revue de presse récente
Trois associations et deux collectifs de soignants exhortent l’Etat à agir face à la situation dégradée de l’hôpital public. « On en arrive à soigner dans l’urgence et donc à soigner mal », alerte l’association « Maladie foie enfants ».Article rédigé par

Radio France
Publié le 03/11/2022 09:15Mis à jour le 03/11/2022 10:40
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« La situation est grave à l’hôpital, nous sommes aujourd’hui obligés de contraindre l’État à nous entendre en passant par une procédure judiciaire », affirme Laure Dorey, déléguée générale de l’association « Maladies foie enfants », jeudi 3 novembre sur France Culture. Son association, deux autres associations de patients, et trois collectifs de soignants ont attaqué l’État français, mercredi 2 novembre, pour « carence fautive », révèle France Culture. Il s’agit d’un recours contentieux auprès du tribunal administratif de Paris.
« Nous entendons envoyer un message fort à l’Etat, lui dire que la situation hospitalière est absolument catastrophique », alerte Laure Dorey, pour qui « les patients ne peuvent plus être correctement pris en charge à l’hôpital ». « On en arrive à soigner dans l’urgence et donc à soigner mal », poursuit-elle.
Des pertes de chances « réelles » pour les patients
La déléguée générale de l’association « Maladies foie enfants » déplore des « pertes de chance réelles » pour les patients dont certains « n’arrivent plus à être pris en charge ».« On a des patients atteints de maladies chroniques qui n’ont plus de suivi, qui ont des complications graves, parfois fatales, et qu’il faut prendre en charge », ajoute-t-elle.
Laure Dorey exhorte l’État à agir et met en garde : « Sans action, sans mesure prise rapidement, l’hôpital ne pourra pas tenir ». « Il faut absolument que l’État comprenne que soigner la population c’est un des devoirs de l’Etat », conclut-elle.
Des carences qui « perdurent »
Dans un communiqué publié ce jeudi matin, les six associations de défense de l’hôpital public dénoncent l’absence de réponse du gouvernement à la requête préalable qu’elles avaient déjà déposée en juillet dernier « pour enjoindre l’État à endosser ses responsabilités ». Elles pointent du doigt les « carences qui perdurent », concernant notamment les droits des patients et des soignants qui « ne sont plus assurés« , et réclament que ces carences soient reconnues. Le collectif exige « en urgence » des « décisions réglementaires » pour « redéfinir le ratio patient-soignant » ainsi qu’un renforcement du nombre d’infirmiers, d’aides-soignants et de tous les professionnels participants aux soins.
Sont à l’origine de cette action, l’association Aide aux jeunes diabétiques (AJD), l’association Laurette-Fugain, l’association Maladie foie enfants (Amfe), le Collectif Inter Hôpitaux (CIH), le Collectif Inter Urgences, la Coordination nationale des comités de défense des hôpitaux et Maternités de proximité.
« En chirurgie pédiatrique, la quasi-totalité des services sont en souffrance »
Tribune
Bruno Dohin chirurgien orthopédique pédiatrique
Dans cette discipline hyperspécialisée qui nécessite une haute technicité, la « paupérisation » des conditions de travail dégrade la qualité de la prise en charge des patients, estime dans une tribune au « Monde » le président de la Société française d’orthopédie pédiatrique, Bruno Dohin.
Publié le 09 novembre 2022 à 12h00 Mis à jour le 09 novembre 2022 à 16h30 Temps de Lecture 3 min. https://www.lemonde.fr/idees/article/2022/11/09/en-chirurgie-pediatrique-la-quasi-totalite-des-services-sont-en-souffrance_6149166_3232.html
La crise des urgences pédiatriques, qui a provoqué une réaction médiatisée de notre ministère de tutelle, n’est que la partie émergée de la montagne de difficultés rencontrées par les différentes spécialités de pédiatrie. La chirurgie pédiatrique, hyperspécialité qui répond à un besoin sanitaire essentiel, n’entend pas être laissée pour compte dans l’alerte qui vient d’être sonnée et doit prendre sa place dans les préoccupations de la tutelle, bien au-delà de la pénurie de paramédicaux et de la crise des urgences.
La chirurgie pédiatrique française – répartie entre la chirurgie viscérale et la chirurgie orthopédique – est l’une des rares spécialités chirurgicales qui soient identifiées comme telles en Europe. Nous avons cette chance historique de services dédiés aux enfants et de praticiens spécialisés. La chirurgie pédiatrique demande en effet une haute technicité. Elle est essentiellement exercée à l’hôpital public et dans très peu d’établissements (50 environ).
Elle est dépendante du système hospitalier et de la qualité de son fonctionnement, et souffre de la situation difficile des hôpitaux en France, mais avec une particularité qui l’expose plus encore : ces services sont le plus souvent de petite taille, à faibles effectifs médicaux et aux résultats financiers bien en deçà des autres spécialités chirurgicales, plus dotées en effectifs et en patients. Pourtant, le service rendu est au premier plan.
Une situation très préoccupante
Cette spécialité peu répandue répond à la prise en charge de la quasi-totalité des traumatismes et pathologies chirurgicales courantes ou rares des enfants. C’est donc une chirurgie de recours, à laquelle font appel les médecins moins spécialisés, pour les 12 millions de Français de moins de 15 ans, alors même que la densité de chirurgiens pédiatres est ridicule : 362 en France pour 100 000 enfants de moins de 15 ans.
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Durant la pandémie récente, les services de chirurgie pédiatrique ont payé leur tribut aux restrictions d’activité. La conséquence en a été l’allongement des listes d’attente et, dans nombre de cas, une perte de chance pour les patients, en raison de la croissance, qui aggrave les pathologies. La crise actuelle impose à son tour de fonctionner dans des conditions de « procédures dégradées », limitant encore les possibilités de chirurgie. Les conséquences sont donc graves.
Si la démographie médicale générale est catastrophique, avec une grave pénurie de médecins attendue pour les quinze années à venir, la situation est plus préoccupante encore en chirurgie pédiatrique. La quasi-totalité des services sont en souffrance en raison de la charge de la permanence des soins et du nombre insuffisant de praticiens. Or il n’y a pas d’alternative, pas de suppléance suffisante à espérer de l’activité privée, qui ne représente que 13 % de l’offre.
La conséquence de la pression budgétaire
La gouvernance hospitalière prétexte la pénurie paramédicale pour expliquer les difficultés. Elle omet qu’elle garde la main sur les investissements susceptibles de maintenir les moyens et les effectifs des spécialités de recours. Et les choix faits sont bien différents de ceux qui sont attendus. Les directions, soumises à la pression budgétaire, favorisent les spécialités rémunératrices pour l’hôpital, qui sont les mêmes que celles du privé.
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Mais est-ce le rôle de l’hôpital public ? L’hôpital, au contraire, ne devrait-il pas s’efforcer de soutenir les activités de recours ? La paupérisation des conditions de travail dégrade la qualité de la prise en charge des patients qui n’ont que l’hôpital public, et diminue l’attractivité de la spécialité pour les jeunes.
Les spécialités de recours sont défavorisées dans la répartition des moyens hospitaliers, car mal représentées dans les institutions, faute d’effectifs et de résultats financiers. En grande difficulté démographique, elles deviennent moins attractives et souffrent du manque de projets innovants, faute de moyens attribués, car peu ou pas rentables. Seulement 23 postes de chirurgien pédiatrique sont ainsi offerts en France chaque année aux jeunes internes, un niveau bien insuffisant actuellement.
Ne pas négliger les services hyperspécialisés
De même, la dégradation des conditions de carrière hospitalo-universitaire est telle que non seulement les effectifs médicaux sont trop réduits, mais les jeunes médecins refusent de s’engager dans cette voie. Dans quelles conditions sera enseignée notre spécialité ? De nombreux services sont concernés par une ou par plusieurs de ces difficultés : faiblesse des effectifs, restrictions d’accès au bloc opératoire, raréfaction des vocations, absence d’attractivité faute de moyens. Les équipes en sont fragilisées et les patients pâtissent de retards accumulés.
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Il est urgent que la tutelle prenne la mesure des difficultés auxquelles sont confrontés les services hyperspécialisés, plus que les autres mis à mal par la crise hospitalière majeure qui ne peut se résumer à la pénurie d’infirmières ou à la crise des urgences. Il s’agit d’une crise profonde de considération pour la mission de l’hôpital, que la gouvernance semble négliger au profit d’une gestion trop financière des établissements. Notre spécialité attend donc des tutelles et des gouvernances hospitalières :
- une réglementation des effectifs minimum par équipe pour des conditions de travail supportables ;
- une sanctuarisation des moyens de fonctionnement et d’équipements spécifiques ;
- une réelle prospective et un soutien au renouvellement des cadres universitaires indispensables à l’enseignement et à la recherche en chirurgie pédiatrique.
Certes, il n’y aura pas d’hôpital du futur sans une gestion raisonnée des budgets et de la carte sanitaire, mais cette gestion ne doit pas se faire au détriment des services hyperspécialisés. La situation de la chirurgie pédiatrique conditionne l’état de santé des enfants d’aujourd’hui, qui sont les adultes de demain.
Bruno Dohin est professeur de médecine au CHU de Saint-Etienne, président de la Société française d’orthopédie pédiatrique et du Collège hospitalo-universitaire de chirurgie pédiatrique.
Bruno Dohin(chirurgien orthopédique pédiatrique)
Voir aussi:
Isabelle Desguerre : « La pédiatrie est la première victime de l’état délabré de l’hôpital public »
150 millions pour les hôpitaux: une mesure qui doit absolument s’accompagner d’une réforme de la pédiatrie sur le long terme, alerte Christèle Gras le Guen, présidente de la Société française de pédiatrie
https://environnementsantepolitique.fr/2022/10/25/37046/
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