Des affaires de corruption ébranlent le gouvernement de Volodymyr Zelensky en Ukraine
Plusieurs hauts responsables impliqués dans des scandales, dont le vice-ministre de la défense, ont démissionné ou ont été limogés. Ces décisions sont scrutées de près par ses alliés, alors que Kiev aspire à rejoindre l’UE.
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Posées par l’ancien régime sous les fondations de l’Etat ukrainien, deux charges ont explosé simultanément à l’arrière du front. Deux accusations de corruption contre de hauts responsables ont provoqué un remaniement ministériel dans l’urgence. Mardi 24 janvier, le chef adjoint du bureau du président, Kyrylo Timochenko, et le vice-ministre de la défense, Viatcheslav Chapovalov, ont démissionné, tandis que le procureur général adjoint Oleksii Simonenko était limogé
La première déflagration au sein du pouvoir s’est produite le 21 janvier, lors de la parution d’une enquête retentissante dans l’hebdomadaire Zerkalo Nedeli, qui révélait la surfacturation massive de produits alimentaires destinés à l’armée à travers une société-écran. L’escroquerie, selon le magazine, atteindrait la somme de 330 millions de dollars (un peu plus de 303 millions d’euros).
Le jour suivant, le vice-ministre des infrastructures Vassyl Lozinsky était arrêté par la police anticorruption, la main dans le sac, alors qu’il empochait un pot-de-vin de 400 000 dollars (367 000 euros). Il a été limogé sur-le-champ du gouvernement.
Dès lundi 23 janvier au soir, le président Volodymyr Zelensky avait tenté d’éteindre l’incendie en annonçant des changements dans les prochaines vingt-quatre heures à de hauts postes du gouvernement et dans les régions. Avant l’invasion russe, le chef de l’Etat avait fait de la lutte contre la corruption son cheval de bataille, prétendant incarner une rupture générationnelle avec l’élite politique au pouvoir depuis l’indépendance du pays en 1991.
Se montrer exemplaire
A Kiev, la première réaction du ministère de la défense fut d’obéir aux vieux canons du genre, en niant les faits, et le SBU (les services de sécurité) a été sommé d’enquêter sur la « publication de fausses informations nuisant aux intérêts de la défense ». Corrigeant le tir deux jours plus tard, le ministre Oleksii Reznikov, un proche de Volodymyr Zelensky, a indiqué sur sa page Facebook que le contrat suspecté comporte une « erreur technique ». Il n’a toutefois pas pu s’empêcher de menacer le lanceur d’alerte à l’origine des fuites dans la presse, qui « devra répondre de ses actes ». Sauf qu’entre-temps, le NABU, l’instance indépendante créée en 2014, coupait l’herbe sous le pied du ministre en révélant qu’une enquête pénale avait été ouverte sur cette affaire de surfacturation, avant même que l’affaire soit éventée.
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La façon dont les autorités de Kiev gèrent ces accusations de corruption est scrutée par les Occidentaux. Plus que jamais, l’Ukraine, qui dépend de l’aide internationale face à la Russie et aspire à rejoindre l’Union européenne (UE), doit se montrer exemplaire. « Si les donateurs commencent à avoir des doutes et à penser qu’elle est corrompue, c’est toxique, personne ne voudra plus rien donner », confirme au Monde Viola von Cramon, députée européenne et vice-présidente de la délégation à la commission parlementaire d’association UE-Ukraine.Lire aussi : Article réservé à nos abonnés A Kiev, la guerre et le rapprochement avec l’Union européenne renforcent l’élan démocratique
Si elle salue la « réaction étonnamment rapide et adéquate » de Kiev face aux accusations visant Vassyl Lozynskiy, l’élue regrette que le ministère ukrainien de la défense ait opposé un simple démenti. « C’est un peu irritant. Pourquoi agir dans un cas et rechigner à le faire dans l’autre ? déplore-t-elle. A chacune de ses interventions, Zelensky présente l’Ukraine comme démocratique, respectueuse de l’Etat de droit et affiche sa détermination à lutter contre la corruption. Il doit désormais montrer que cette présentation coïncide avec la réalité. Le pays a tous les instruments en main pour cela. »
Changement de culture
Selon Tymofiy Mylovanov, président de la Kyiv School of Economics, conseiller du bureau du président et ancien ministre de l’économie, la gestion de ces deux scandales « montre que la corruption est épisodique [dans le pays] mais que le changement de culture pour la combattre est systémique ». « Quand j’étais ministre il y a deux ans, il était facile d’ouvrir une enquête, mais cela n’a jamais abouti à des arrestations. Maintenant, c’est différent », a-t-il écrit sur Twitter. Non seulement le gouvernement est « proactif et répond très rapidement » avec le licenciement immédiat du vice-ministre, mais le « niveau d’attention de la société » est également « sans précédent ».
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L’invasion de février 2022 a compliqué le travail des enquêteurs du Bureau national anticorruption d’Ukraine. Selon la journaliste ukrainienne Kristina Berdynskykh, « 20 % des enquêteurs du NABU ont rejoint l’armée. Sur les quarante procureurs spécialisés dans la lutte contre la corruption, douze sont allés au front ». Malgré ces difficultés, « au cours des six premiers mois de 2022, les agences de lutte contre la corruption ont présenté au tribunal des actes d’accusation contre 61 suspects. C’est 40 % de plus qu’à la même période en 2021 », explique-t-elle dans un article publié le 21 janvier sur le site Le Courrier d’Europe centrale.Testez votre culture générale avec la rédaction du « Monde »Découvrir
L’Ukraine a engagé la lutte contre la corruption après la révolution proeuropéenne de Maïdan en 2014. En 2013, elle était classée 144e sur 180, contre 122e en 2021, selon le classement de l’ONG Transparency International.
Faustine Vincent et Emmanuel Grynszpan
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