Pendant que les gouvernements refusent de prendre les mesures indispensables (régulation des installations, obligation des gardes et Clinicat Assistanat obligatoire pour tous de 3 ans) les déserts médicaux s’aggravent dans toutes les activités et spécialités

Avec la pénurie de généralistes, 11 % de personnes n’ont pas de médecin traitant en France

Un rapport du Sénat*, paru en mars, montre que cette tendance est en hausse depuis 2020. Entre 2017 et 2021, le nombre de médecins généralistes par département, par rapport à la population, a diminué de 1 % par an. 

Par Margo Magny

Publié hier à 10h22, mis à jour hier à 11h25  https://www.lemonde.fr/societe/article/2022/09/30/sante-plus-de-10-des-francais-n-ont-pas-de-medecins-traitants_6143817_3224.html

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« Pour que ma mère ait un rendez-vous avec un médecin généraliste, je suis obligée de mentir. » Joëlle Besnard, qui vit à Mayenne (Mayenne), prend rendez-vous en son propre nom. Depuis le mois de juin, elle est à la recherche, pour sa mère, d’un nouveau médecin traitant, en capacité d’assurer le suivi de la nonagénaire, récemment opérée du cœur : « Elle n’est pas au courant que je dois mentir pour qu’elle ait un rendez-vous, c’est une situation déjà assez angoissante pour elle, à 90 ans. »

Un rapport du Sénat, paru en mars*, montre que 11 % des Français de 17 ans et plus n’ont pas de médecin traitant en 2022. C’est 1 point de plus qu’en 2020. La baisse de la densité en médecins généralistes s’est accélérée entre 2017 et 2021, selon les indicateurs calculés par le géographe de la santé Emmanuel Vigneron**. Sur cette période, le nombre de médecins généralistes par département, par rapport à la population, a diminué de 1 % par an. Une dégradation lente, mais implacable.

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Le 1er septembre, à moins de 30 kilomètres de Mayenne, dans la commune d’Evron, des vidéos tournées par France Bleu montraient une file d’attente de 120 personnes devant la maison de santé. Elles s’étaient rendues sur place dès 9 h 30 – alors que les inscriptions n’ouvraient qu’à 14 heures – pour espérer intégrer la patientèle du nouveau médecin, dont l’arrivée avait été annoncée par une affiche discrète.

Disparités Nord-Sud

« Ça fait vingt ans que la situation se dégrade. Depuis le 1er juillet, le territoire d’Evron est officiellement le territoire le plus faible du département, en matière de démographie médicale. Il dispose de 47 médecins généralistes pour 100 000 habitants », affirme Luc Duquesnel, président des généralistes, au sein de la Confédération des syndicats médicaux français (CSMF), et médecin à Mayenne. Un chiffre bien en deçà de la moyenne nationale, qui s’élève à 339 médecins généralistes pour 100 000 habitants, au 1er janvier 2021.

En Mayenne, la Caisse nationale d’assurance-maladie explique que 10,2 % de la population n’a pas de médecin traitant. Soit un chiffre pas plus élevé qu’ailleurs, et inférieur à celui de départements comme la Charente (13,3 %). « C’est parce qu’ici tous les médecins généralistes prennent énormément de patients : entre 1 500 et 3 000, contre une moyenne nationale de 900 patients pour un généraliste », estime M. Duquesnel.

« La perspective d’une décennie noire en matière de démographie médicale est une réalité », note le dernier rapport d’information du Sénat

Avec la Mayenne, c’est une vingtaine de départements qui ont connu une baisse de densité médicale allant de – 3 % à – 2 % entre 2017 et 2021, selon les calculs d’Emmanuel Vigneron. Et le dernier rapport d’information du Sénat n’est pas optimiste : « En considérant la pyramide des âges des médecins et la restriction du nombre d’étudiants du fait du numerus clausus, si rien n’est fait, le pire est devant nous. La perspective d’une décennie noire en matière de démographie médicale est une réalité. » Les travaux de M. Vigneron, réalisés à partir de données publiques, révèlent également des territoires ruraux et hyper-ruraux en première ligne, comme dans l’Orne ou en Charente. Par ailleurs, le contraste entre un Sud mieux loti et un Nord ainsi qu’un centre de la France sous-dotés en médecins généralistes s’est accentué.

Patrick (il ne souhaite pas donner son nom) réside, lui, en Vendée. Il a été contraint de quitter son médecin traitant avec regret, à la suite d’un déménagement. Lorsqu’il commence ses recherches, il y a un an, le couperet tombe : il faut s’inscrire sur une liste d’attente, et le temps estimé avant d’intégrer la patientèle d’un généraliste est de deux ans. « Comme j’approche 60 ans, j’ai eu beaucoup d’examens de contrôle à faire. Je n’avais aucun médecin pour interpréter les résultats. Alors, je les ai interprétés avec Internet », explique le père de famille.

« Politique restrictive »

« La situation est le fruit d’une politique restrictive d’offres de soins menée dans les années 1980, en rupture avec les besoins réels de la population vieillissante, couplée aux inégalités territoriales qui se sont creusées », analyse Jean-Marcel Mourgues, vice-président de l’ordre des médecins. L’ordre milite alors pour le développement des communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS), permettant le regroupement des praticiens d’un même territoire qui souhaitent s’organiser pour répondre à des problématiques territoriales d’accès au soin. En ce moment, des sessions sont organisées par l’ordre des médecins afin de préciser les réformes nécessaires, selon lui, à l’amélioration de l’accès et du parcours de soins. Le résultat de ces réunions devrait être rendu public début octobre.

Lire l’éditorial du « Monde » :  Les « déserts médicaux », une urgence politique

La question du manque de médecins traitants était déjà sur la table du gouvernement au début du premier quinquennat d’Emmanuel Macron. Le 18 septembre 2018, le chef de l’Etat avait lancé le plan Ma santé 2022. Parmi les cinq actions prioritaires destinées à « garantir à tous les Français une meilleure prévention et un accès à des soins de qualité », le dispositif prévoyait un soutien à la structuration des CPTS. Mais la crise sanitaire a percuté le dispositif : « Avec le Covid, on n’a rien vu du tout », déplore Joël Balandraud, maire d’Evron. Selon lui, une seule chose fera la différence, pour faire face à la pénurie : « Des médecins qui se parlent et qui bossent en collectivité. »

Autre mesure alors lancée : la création de la fonction d’assistant médical. Ces personnels sont destinés à aider les médecins en prenant en charge des actes simples afin de libérer du temps médical. « On sait qu’un médecin qui embauche un assistant médical ou une infirmière prend 20 % de patients en plus, donc il faut y aller », soutient Luc Duquesnel, de la CSMF. Fin mai (derniers chiffres connus), 3 112 contrats d’aide à l’embauche d’assistants médicaux avaient été signés depuis la mise en place du dispositif, en août 2019. L’objectif fixé par le projet de réforme Ma santé 2022 était d’atteindre 4 000 assistants médicaux en exercice cette année.

Pour le syndicat MG France, ces assistants médicaux ne règlent pas le problème. « C’est pour contourner la situation, ça ne règle pas la problématique d’accès direct à un médecin traitant », déplore son secrétaire général adjoint, Jean-Christophe Nogrette. Pour Emanuel Loeb, président du syndicat Jeunes Médecins, l’une des solutions pour renforcer la médecine générale, incitative, serait d’« augmenter le prix des consultations ».

Des médecins retraités en renfort

Cette stratégie de la carotte ne semble pas avoir fait ses preuves. Depuis 2016, le gouvernement aide les médecins à s’installer « en zone fragile », en proposant une aide pouvant aller jusqu’à 50 000 euros. Depuis, à peine plus de 400 praticiens par an ont sollicité cette aide à l’installation. Alors, en attendant des mesures structurelles, face à cette situation d’urgence, des médecins retraités prennent le problème à bras-le-corps et continuent d’exercer sous un statut de « cumul emploi-retraite ». Pour les départements comme la Mayenne, ces retraités sont une « mine d’or », reconnaît M. Duquesnel.

Lire aussi :  « Déserts médicaux » : la piste d’une quatrième année d’internat pour les médecins généralistes fait débat

Jean-Yves Savidan a 70 ans. Lorsqu’il a fermé son cabinet à Evron, en 2017, il a continué son activité en devenant médecin collaborateur dans un nouveau cabinet médical, à seulement 7 kilomètres de son ancien lieu d’exercice. Le retraité actif assurait des consultations deux jours par semaine. « Ça apportait une réponse aux gens qui n’arrivaient pas à avoir de rendez-vous », explique-t-il.

En 2020, il a fini par tout arrêter. Mais, devant les sollicitations du maire d’Evron, il a décidé de reprendre une activité cette année : « J’ai voulu aider en regroupant deux ou trois médecins retraités pour pallier la pénurie de généralistes dans la zone. » Après un an et demi de retraite « le contact avec les gens me manquait », avoue-t-il. Pour le septuagénaire, qui a aimé son métier « passionnément », les politiques sont les seuls responsables de la situation : « On avait tiré la sonnette d’alarme il y a longtemps, mais rien n’a été fait. »

Cet automne, la problématique de l’accès aux soins est au cœur des trois échéances qui jalonnent le calendrier institutionnel : le Conseil national de la refondation, dans son volet consacré à la santé, le budget de la Sécurité sociale et la convention médicale… Pour autant, Jean-Yves Savidan, lui, « n’attend plus rien du gouvernement »

Lire aussi :  Déserts médicaux : l’accès aux spécialistes est de plus en plus difficile

Margo Magny

Déserts médicaux : la situation « s’aggrave de plus en plus vite » en Centre-Val de Loire

Publié le 30/09/2022 à 17h12

Écrit par Perrine Roguet.

https://france3-regions.francetvinfo.fr/centre-val-de-loire/deserts-medicaux-la-situation-s-aggrave-de-plus-en-plus-vite-en-centre-val-de-loire-2625348.html

Faute de médecins, le service pédiatrique de l'hôpital d'Orléans suspendait ses consultations de suivi en février 2021.
Faute de médecins, le service pédiatrique de l’hôpital d’Orléans suspendait ses consultations de suivi en février 2021. • © GAUJARD CHRISTELLE / MAXPPP / PHOTOPQR/REPUBLIQUE DU CENTRE/MA

Généralistes, mais aussi spécialistes, les médecins manquent dans la région. Une étude de l’association des maires ruraux de France dénonce une situation en dégradation, d’après le chercheur Emmanuel Vigneron.

A Châteauroux, impossible de trouver un pédiatre libéral. A Bourges, il manque plus de la moitié des effectifs nécessaires pour les services d’anesthésie et de réanimation. A Blois, difficile de trouver un cardiologue. Selon une étude publiée ce 30 septembre par l’Association des maires ruraux de France (AMRF), il manque des médecins dans tous les départements du Centre-Val de Loire.

La Touraine sauvée par son université

Enfin, presque tous. L’Indre-et-Loire est relativement épargnée par la désertification médicale. Seule discipline en peine en Touraine, la gynécologie, qui est en déficit de 15%. Bien loin de ce qu’il manque ailleurs. Les douze spécialités les plus importantes dans le quotidien d’un patient ont été évaluées.

Qu’est ce qui rend le 37 différent ? Son université de médecine, explique Emmanuel Vigneron, chercheur en géographie responsable de l’étude : « C’est un vecteur d’attractivité important, non seulement parce qu’il y a des étudiants qui sont formés, mais aussi parce que les professeurs sont praticiens. » Des noms parfois reconnus, qui donnent une base de spécialistes compétents, et poussent d’autres à s’installer.

La fac de médecine d’Orléans comme indicateur positif

« Tours est une grande ville qui fait aspirateur et déprime les alentours » insiste le chercheur. La ville étant attractive, elle concentre la majeur partie des volontés d’installation. A Orléans, l’ouverture de la faculté de médecine devrait insuffler une nouvelle dynamique, puisque le Centre Hospitalier Régional devient ainsi Centre Hospitalier Universitaire. Jusqu’ici, il était l’un des seul à ne pas avoir cette compétence. Cent ans en arrière, il n’y avait que trois facultés de médecine en France, aujourd’hui, il y en a trente. 

Le spécialiste en géographie et questions sanitaires n’est pourtant pas très optimiste : « la situation n’est pas enthousiasmante, il est de plus en plus difficile de s’installer« . Le manque de médecins, généralistes ou spécialisés amène les possibles candidats à douter : « Ils ont peur que tout repose sur eux et ne viennent pas« .

Le cercle vicieux commence et s’aggrave d’année en année : « Ça s’étouffe, comme à la fin d’une symphonie« . Nationalement, il manque 6 000 généralistes en zone rurale pour permettre d’atteindre 1 médecin pour 1 000 habitants. Là où chaque praticien couvre un périmètre de 30km², contre 5km² en milieu urbain.

La liberté d’installation à revoir ? 

« Maintenant, il faut que le législateur réfléchisse » souhaite Emmanuel Vigneron « on ne peut plus vivre sur les restes des trente glorieuses et poser des rustines sur ce qui ne va pas en espérant que ça passe, aujourd’hui on est au pied du mur« .

Dans son viseur, la liberté d’installation, règle qui doit permettre aux médecins de choisir leur lieu d’exercice : « la liberté des uns s’arrête où commence celle des autres » rappelle le sexagénaire. « Il n’y a pas de raison que le droit d’avoir accès aux soins soit moins important que le droit des médecins de s’installer« . Une idée contre laquelle se battent déjà les représentants des « jeunes et futurs médecins« . 

*Rapport du Sénat https://www.senat.fr/rap/r21-589/r21-5891.pdf

**Etude pour l’Association des Maires ruraux de france par le géographe Emmanuel Vigneron https://fr.calameo.com/read/005307989239a0f96f4f2

Voir aussi:

https://environnementsantepolitique.fr/2022/09/24/la-regulation-des-installations-fonctionne-bien-en-allemagne-et-autres-pays-limitrophes-mais-celle-des-infirmiers-en-france-aussi/

https://environnementsantepolitique.fr/2022/09/30/nouvel-interview-du-dr-braun-dans-le-monde/

https://environnementsantepolitique.fr/2022/09/27/apres-les-deserts-hospitaliers-les-deserts-en-generalistes-les-deserts-en-specialistes-oublies-et-plus-severes/

https://environnementsantepolitique.fr/2022/09/25/toujours-pas-de-proposition-credible-pour-solutionner-les-deserts-medicaux/

Publié par jscheffer81

Cardiologue ancien chef de service au CH d'Albi et ancien administrateur Ancien membre de Conseil de Faculté Toulouse-Purpan et du bureau de la fédération des internes de région sanitaire Cofondateur de syndicats de praticiens hospitaliers et d'associations sur l'hôpital public et l'accès au soins - Comité de Défense de l'Hopital et de la Santé d'Albi Auteur du pacte écologique pour l'Albigeois en 2007 Candidat aux municipales sur les listes des verts et d'EELV avant 2020 Membre du Collectif Citoyen Albi

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