Pesticides : après la loi Duplomb, nouvelle mobilisation contre le projet omnibus de l’UE
17 décembre 2025 | Par Caroline Coq-Chodorge
Le projet de loi omnibus de la Commission européenne prévoit de simplifier les procédures d’autorisation des pesticides, au profit de l’industrie. Il deviendrait alors très difficile de faire réévaluer des substances à la lumière des données scientifiques.
« C’est un virage à 180 degrés par rapport au Green New Deal européen », estime l’Autrichien Helmut Burtscher-Schaden, membre du Pesticide Action Network (PAN), un réseau européend’ONG qui milite pour une régulation stricte des pesticides. Il réagit à la présentation, mardi 16 décembre, d’un projet de loi visant à la simplification des normes sur la sécurité des aliments pour les humains et les animaux. Il s’intègre dans un paquet législatif dit «omnibus » qui vise à créer un « environnement plus favorable aux entreprises ». La Commission européenne s’est en effet fixé pour objectif de réduire « d’au moins 25 % » leurs charges administratives et « d’au moins 35 % » celles des PME.
Un volet de cet omnibus concerne les pesticides, dont les procédures d’autorisation sont jugées trop complexes et trop lentes par l’industrie et l’agriculture productiviste. Aujourd’hui, les premières autorisations par l’Europe de substances actives de synthèse sont limitées à dix ans, puis leur renouvellement à quinze ans. Ce dispositif permet donc un réexamen périodique de la toxicité de ces produits, à la lumière des dernières données de la science.
La Commission européenne veut supprimer cette obligation de réexamen des autorisations, qui deviendraient dès lors illimitées, à l’exception de celles qui « soulèvent des incertitudes pertinentes », ou encore celles qui peuvent être remplacées par des biopesticides à base de substances naturelles.
Seulement, les substances chimiques candidates à la substitution par des substances naturelles ne représentent « qu’environ 10 % des substances autorisées. Et le principe d’incertitudes pertinentes n’est pas clair, libre d’interprétation », explique Pauline Cervan, de l’ONG Générations futures, membre du PAN.

© Photomontage Mediapart avec l’AFP et Rea
Autre recul : si une substance chimique est interdite au niveau européen, elle pourra bénéficier d’une « période de grâce » de trois ans, au lieu de dix-huit mois aujourd’hui, quand il n’existe pas d’autre solution.
Des autorisations illimitées pour les PFAS ou le glyphosate
Le PAN estime qu’« une minorité seulement des substances chimiques seraient réévaluées ». Le glyphosate par exemple bénéficierait d’une autorisation illimitée, comme de nombreuxPFAS. Pauline Cervan rappelle que « la plupart des néonicotinoïdes ont été interdits après vingt ans de batailles. Cela sera encore plus difficile avec cette nouvelle législation ».
Au contraire, le Commission européenne se réjouit que « les agriculteurs aient un plus grand choix d’intrants » pour accroître leur productivité. Elle estime aussi que les simplifications apportées dans la réglementation des biopesticides les incitent à se tourner vers des « produits plus respectueux de l’environnement ».
Les premières victimes de ce retour en arrière seront les agriculteurs et les communautés rurales.
Martin Dermine, le directeur de Pesticide Action Network (PAN) Europe
L’analyse de PAN Europe est tout autre : « Les biopesticides avaient un avantage par rapport aux pesticides chimiques. Dans ce projet, ils n’en ont plus. L’industrie n’aura donc aucun intérêt à travailler sur des biopesticides », estime Salomé Roynel, chargée de mission à Pan Europe.
Si l’autorisation des substances est européenne, c’est ensuite aux États membres d’autoriser, ou non, les produits commercialisés qui contiennent ces substances. C’est pour cette raison que des produits interdits dans un pays sont autorisés dans un autre. L’autorisation par les États est renouvelée tous les quinze ans. Mais ils ne pourront s’appuyer que sur l’évaluation européenne des substances, plus ou moins anciennes. « Les agences ne pourront pas prendre en compte les dernières données de la science, s’alarme Pauline Cervan. Il va y avoir un décalage total entre la science réglementaire et académique. L’Anses [Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail – ndlr] verra des études alarmantes, et n’aura pas la possibilité de les prendre en compte. »
À lire aussiDOSSIERPesticides et loi Duplomb : le retour en arrière
Cet omnibus reste à l’état de projet, et doit encore être approuvé par le Parlement européen. Une ébauche du texte a fuité fin novembre, ce qui a permis à la société civile de se mobiliser, et d’obtenir un léger infléchissement. Dans la première mouture du texte, 90 % des pesticides obtenaient une autorisation illimitée. Le projet présenté mardi est un peu plus restrictif, estime le PAN.
« La mobilisation a contraint la Commission à reculer par rapport au texte initial. Mais ce n’est clairement pas assez pour assurer une protection contre les pesticides les plus dangereux. Ce projet répond aux demandes de l’industrie chimique des pesticides. Les premières victimes de ce retour en arrière seront les agriculteurs et les communautés rurales », estime Martin Dermine, le directeur dePAN Europe.
En France, des chercheurs et des chercheuses, ainsi que des professionnel·les de santé, se sont mobilisé·es en cosignant une tribune qui appelleau contraire à une « application plus rigoureuse du règlement européen ». Pour eux, les agences d’évaluation des pesticides ne devraient plus être« uniquement dépendantes des données fournies par les industriels ». « La littérature scientifique internationale, indépendante et évaluée par des pairs » doit au contraire être « intégrée dans les dossiers d’autorisation de mise sur le marché ou de renouvellement ».
Voir aussi:
Le risque de dérégulation des pesticides en Europe rappelé par 2 300 médecins, soignants et scientifiques https://environnementsantepolitique.fr/2025/12/10/69734/