Embolie aux urgences psychiatriques : et maintenant, que fait-on ?
PAR Caroline Robin PUBLIÉ LE 28/02/2025 https://www.lequotidiendumedecin.fr/hopital/embolie-aux-urgences-psychiatriques-et-maintenant-que-fait
Les députées Sandrine Rousseau et Nicole Dubré-Chirat constatent dans un vaste rapport un engorgement des urgences pour les patients nécessitant une prise en charge psychiatrique, défaillantes faute de structures ad hoc et de médecins. Les deux élues préconisent de s’appuyer davantage sur le service d’accès aux soins (SAS) et sur la ville.
https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/17/rapports/cion-soc/l17b0714_rapport-information

Pour certains territoires, les urgences hospitalières deviennent la solution faute de mieux
Crédit photo : Stéphane Toubon
Après dix déplacements aux quatre coins de la France et 36 auditions menées pendant près d’un an, les députées Sandrine Rousseau (Écologiste et social) et Nicole Dubré-Chirat (EPR) ont passé au scanner la prise en charge des urgences psychiatriques en France dans un long rapport assorti d’une vingtaine de recommandations. Un travail salué par les professionnels de santé lors d’un colloque organisé mi-février au Palais Bourbon.
Les deux élues observent que les services d’accueil des urgences (SAU) sont la structure d’accès aux soins par défaut pour les patients nécessitant une prise en charge psychiatrique. En 2023, on recense 566 000 passages aux urgences pour motif psychiatrique, soit une hausse de 21 % par rapport à 2019.
Cette hausse résulte pour l’essentiel de l’absence d’un « parcours type de soins » que déplorent les députées. Selon les départements, des patients aux troubles similaires sont accueillis en centre médico-psychologique (CMP) quand d’autres sont envoyés en centre d’accueil de crises (CAC). Pour les territoires qui en sont dépourvus,… (Suite abonnés)
Le recul de l’activité de psychiatrie à temps complet est la conséquence de la baisse de l’hospitalisation à temps plein, avec une diminution de 6,4 % entre 2008 et 2019, ce qui représente une perte de 1,2 million de journées ([80]). Le recul de près de 8 % du nombre de journées de prise en charge à temps complet est cohérent avec la contraction de 7,5 % des capacités de prise en charge à temps complet dans le secteur public et le secteur privé non lucratif sur cette période. La forte baisse du nombre de journées est en effet le fait des établissements publics et privés à but non lucratif, qui représentent ensemble 75 % de l’offre de prise en charge à temps complet, en baisse respectivement de 15,8 % et 15,3 %.
À l’inverse, l’activité des établissements de santé privé à but lucratif, qui comptent pour le quart de l’offre de prise en charge à temps complet, a augmenté de 23,5 % entre 2008 et 2019 ([81]). La Fédération de l’hospitalisation privée Psychiatrie (FHP Psy) indique que les cliniques privées, attendent une augmentation de 4,7 % par an de leur activité d’hospitalisation sur la période 2022-2027.
Psychiatrie : un rapport parlementaire questionne la prise en charge des urgences
Alors que 566 000 passages aux urgences pour motif psychiatrique ont été recensés en 2023, ces services, saturés, sont devenus par défaut le point d’entrée de nombreux patients, alertent deux députées dans un rapport présenté mercredi 11 décembre.
Temps de Lecture 2 min.

Si la crise du secteur de la psychiatrie, où les « bras » et les « lits » manquent depuis des années, a largement été documentée ces dernières décennies, l’enjeu de la prise en charge de l’« urgence psychiatrique » l’est moins. Et quand il l’est, cela se limite souvent au recensement des « patients psy » qui, en situation de crise aiguë, viennent engorger un peu plus des services d’urgences débordés. En consacrant un rapport au sujet, les députées Sandrine Rousseau (Les Ecologistes, Paris) et Nicole Dubré-Chirat (Renaissance, Maine-et-Loire) ont voulu aller au-delà. Au terme de 10 déplacements et de 36 auditions menées durant l’année 2024, elles ont rendu public leurs travaux, mercredi 11 décembre à l’Assemblée nationale, devant la commission des affaires sociales.
A la kyrielle de chiffres déjà connus sur la dégradation de la santé mentale de la population, depuis la crise du Covid-19, elles en ajoutent de nouveaux. Ainsi apprend-on que 566 000 passages aux urgences pour motif psychiatrique ont été recensés en 2023, soit une hausse de 21 % par rapport à 2019. La tendance est, sans surprise, portée par un « taux de recours particulièrement notable pour les adolescents et les jeunes adultes ». Si ces patients psy représentent moins de 3 % des passages aux urgences, les consultations pour ce motif ont augmenté deux fois plus que l’activité globale des urgences sur la période. « L’activité de psychiatrie d’urgence est en forte croissance, plus encore que celle des urgences générales pour d’autres motifs », soulignent ainsi les députées.
Et pourtant, passé le sas des urgences, le système de soins psychiatriques ne suit pas : la part des nouveaux patients pris en charge dans les structures publiques et privées confondues a baissé de 8 % entre 2019 et 2023, selon les chiffres de l’Agence technique de l’information sur l’hospitalisation. Les services d’urgences déjà sous tension sont devenus le « point d’entrée » d’un certain nombre de patients. « Par défaut » : ces services conçus pour répondre à des pathologies somatiques ne sont « pas toujours équipés pour répondre aux crises psychiques », relèvent les rapporteuses.
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Le rôle du secteur hospitalier privé est interrogé, en premier lieu sa moindre participation à l’activité de « permanence des soins » (le soir, la nuit, le week-end) jugée « injustifiable ». Entre autres préconisations, les députées appellent à « garantir un quota de lits » dans les établissements privés afin de « fluidifier la filière d’aval des urgences et d’éviter une concentration excessive des prises en charge dans le public ».
L’« effondrement » de la pédopsychiatrie
Le rapport décrit les différentes trajectoires de patients psy, en soulignant qu’il n’y « a pas de parcours type ». Complexe pour l’usager, l’offre psychiatrique, mêlant différents dispositifs (centres médico-psychologiques, centres d’accueil de crise ou encore centres d’aide thérapeutique à temps partiel…), est organisée en secteurs géographiques, et chaque maillon est en surchauffe, avec pour les patients des mois d’attente, parfois plus, pour être pris en charge.
« Il faut mettre en place des parcours plus lisibles, plus adaptés, qui permettent d’éviter les urgences quand ce n’est pas nécessaire », pointe Nicole Dubré-Chirat. « Il y a une feuille de route mais elle n’est pas tellement connue, il n’y a pas de stratégie claire alors que c’est un enjeu majeur de santé publique », renchérit Sandrine Rousseau.
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Le rapport donne une place à part au secteur de la pédopsychiatrie, pour lequel il évoque un « effondrement », le nombre de pédopsychiatres ayant chuté de 34 % entre 2010 et 2022. « La prise en charge des mineurs est souvent opérée dans des conditions inadaptées, par exemple en unité adultes », lit-on. Un exemple marquant est mis en avant : 123 enfants de moins de 15 ans, qui se sont présentés aux urgences du CHU de Nantes pour des idées suicidaires ou une tentative de suicide, en 2023, n’ont pu être pris en charge. Et ce, alors qu’une « indication formelle » à l’hospitalisation avait été portée par une pédopsychiatre qui les avait évalués.
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Le gouvernement démissionnaire de M. Barnier avait promis d’ériger la santé mentale en « grande cause nationale » pour l’année 2025. « La psychiatrie doit en constituer une dimension essentielle », plaident les autrices du rapport.
Mattea Battaglia et Camille Stromboni
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Extraits du rapport:
https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/17/rapports/cion-soc/l17b0714_rapport-information
Le capacitaire du secteur privé lucratif a augmenté de plus de 30 % entre 2008 et 2022

Parallèlement à la diminution des capacités d’hospitalisation complète en psychiatrie, la part relative du secteur privé à but lucratif a augmenté de 31 %, passant de 18 % à 26 % du capacitaire global entre 2008 et 2022 ([74]). À l’inverse, les capacités d’hospitalisation complète du secteur public ont diminué de 7,5 % sur la période. Alors que 68,2 % des lits d’hospitalisation complète relevaient du secteur public en 2008, cette part ne s’établit plus qu’à 63,1 % en 2019. À la différence de ce qui se produit dans les établissements publics, le nombre de lits d’hospitalisation a tendance à augmenter dans les établissements privés à but lucratif. Dans neuf départements ([75]), l’offre privée est d’ailleurs majoritaire et représente plus de la moitié des capacités d’hospitalisation à temps plein en psychiatrie générale ([76]).
Cette répartition capacitaire est cohérente avec la part relative de chaque secteur dans le nombre de journées d’hospitalisation à temps complet en psychiatrie. En 2022, selon l’Atih ([77]), elles avaient lieu à 60 % dans les établissements publics, à 27 % dans les établissements privés à but lucratif et à 13 % dans le secteur privé non lucratif.
La dynamique d’activité d’hospitalisation complète en psychiatrie reflète l’évolution du capacitaire

Fort logiquement, la dynamique de réduction du capacitaire influence celle de l’activité réalisée. L’activité d’hospitalisation en psychiatrie, pour des prises en charge à temps complet comme à temps partiel, a connu une baisse entre 2008 et 2023. Le nombre de journées de prise en charge à temps complet a alors diminué de 7,9 %, passant de 21,0 millions à 17,3 millions, soit 81 % des journées, une part stable depuis 2017, en dehors de l’année 2020 où l’impact de la crise sanitaire l’a établi à 85 % ([78]). En 2023, près de 408 000 patients ont été pris en charge à temps complet (313 000) ou à temps partiel en psychiatrie, et les soins réalisés ont généré 21,5 millions de journées de présence à temps complet ou à temps partiel. Fait notable, les travaux de l’Atih montrent du reste que la part de femmes hospitalisées à temps complet dans la population française féminine dépasse celle des hommes ([79]), et que la hausse du nombre de femmes prises en charge à temps partiel, particulièrement forte entre 2022 et 2023 (+ 7,5 %) est plus soutenue que celle des hommes (+ 2,8 %).
Le recul de l’activité de psychiatrie à temps complet est la conséquence de la baisse de l’hospitalisation à temps plein, avec une diminution de 6,4 % entre 2008 et 2019, ce qui représente une perte de 1,2 million de journées ([80]). Le recul de près de 8 % du nombre de journées de prise en charge à temps complet est cohérent avec la contraction de 7,5 % des capacités de prise en charge à temps complet dans le secteur public et le secteur privé non lucratif sur cette période. La forte baisse du nombre de journées est en effet le fait des établissements publics et privés à but non lucratif, qui représentent ensemble 75 % de l’offre de prise en charge à temps complet, en baisse respectivement de 15,8 % et 15,3 %.
À l’inverse, l’activité des établissements de santé privé à but lucratif, qui comptent pour le quart de l’offre de prise en charge à temps complet, a augmenté de 23,5 % entre 2008 et 2019 ([81]). La Fédération de l’hospitalisation privée Psychiatrie (FHP Psy) indique que les cliniques privées, attendent une augmentation de 4,7 % par an de leur activité d’hospitalisation sur la période 2022-2027.
La psychiatrie est devenue la discipline la plus rentable du secteur privé lucratif
Le dernier panorama des établissements de santé publié par la Drees montre une situation financière des cliniques privées bien plus favorable que celle des hôpitaux publics ([82]).
Les comptes financiers des hôpitaux publics se sont fortement dégradés en 2022. Leur déficit s’est creusé de 415 millions d’euros en 2021 à 1,3 milliard d’euros en 2022. Toutes les dépenses progressent fortement (+ 5,1 %), sous l’impulsion notamment des charges de personnel résultant du Ségur de la santé ([83])et de la revalorisation du point d’indice des fonctionnaires ([84]), alors que les recettes ont augmenté plus faiblement (+ 4,1 %), ce qui explique l’aggravation des déficits.
À l’inverse, la situation financière des cliniques privées à but lucratif est nettement bénéficiaire. Alors que la progression moyenne était de 1,7 % par an entre 2014 et 2020, les recettes des cliniques privées ont augmenté de 12 % entre 2020 et 2021 et de 7,1 % entre 2021 et 2022. Plusieurs phénomènes y ont contribué, en particulier la garantie de financement qui a assuré, de 2020 à 2022, un financement minimal au moins équivalent à celui observé avant la crise sanitaire. Contrairement aux hôpitaux publics, l’activité des cliniques est très dynamique depuis la crise sanitaire, en hausse de 8,3 % par rapport à 2019 ce qui leur a permis d’ajouter, aux recettes tirées de la garantie de financement, celles liées au supplément d’actes accomplis. En effet, les cliniques privées ont su tirer profit des déprogrammations massives liées à la gestion de la crise sanitaire par les hôpitaux publics pour conquérir des parts de marché en proposant aux patients reportés une prise en charge rapide.

Au sein des cliniques privées, les établissements spécialisés en psychiatrie se distinguent par un niveau exceptionnel de résultat net rapporté aux recettes. En effet, il y est en moyenne trois fois supérieur à celui des cliniques spécialisées en médecine, chirurgie et obstétrique. Les travaux de la Drees montrent la psychiatrie, malgré un léger recul par rapport à 2021, comme la discipline la plus rentable du secteur privé lucratif ([85]). Ainsi, les cliniques psychiatriques ont dégagé en 2022 un résultat net rapporté aux recettes de 8,7 % (après 9,1 % en 2021), contre 2,8 % en clinique de médecine, chirurgie et obstétrique, et 4,8 % en clinique de soins de suite et réadaptation.
L’essor du secteur privé lucratif ne compense pas la réduction de l’offre de service public
En 2022, 60 % des prises en charge psychiatriques dans les établissements de santé étaient effectuées dans les hôpitaux publics. Les prises en charge dans les établissements du secteur privé lucratif représentaient moins de 30 % des journées, et 13 % pour le secteur privé à but non lucratif ([86]). Alors que l’activité d’hospitalisation complète baisse de manière continue dans le secteur public et augmente de manière tout aussi continue dans le secteur privé, une part croissante de patients se tournent vers les urgences ou les CAC, laissant penser que la baisse globale des capacités d’hospitalisation se répercute sur ces structures.
Cette hypothèse, formulée à de nombreuses reprises par les personnes que la mission d’information a entendues, est corroborée par l’analyse des journées d’hospitalisation classées selon le diagnostic principal de chaque séjour ([87]) au sein des établissements publics et privés à but non lucratif d’une part, et au sein des établissements privés à but lucratif d’autre part ([88]).
● Certains paramètres de l’organisation des soins peuvent avoir un impact sur l’adressage préférentiel des patients vers le secteur public ou vers le secteur privé à but lucratif.
Premièrement, les situations d’urgence psychiatrique sont prises en charge quasi exclusivement dans le secteur public. Ensuite, les soins sans consentement doivent être prodigués dans des structures autorisées qui relèvent historiquement du secteur public ou privé d’intérêt collectif ([89]). Entre 2018 et 2022, 234 établissements du secteur public ou du secteur privé à but non lucratif ont déclaré des soins sans consentement en hospitalisation et seulement 10 établissements du secteur privé à but lucratif. L’isolement et la contention, qui doivent avoir lieu dans le cadre de soins sans consentement si elles dépassent une certaine durée, sont également mis en œuvre historiquement et quasi exclusivement par des établissements du secteur public ou privé d’intérêt collectif.
Par ailleurs, l’analyse faite par l’Atih des données d’activité 2022, regroupées selon le diagnostic principal de chaque séjour, révèle un adressage préférentiel des patients les plus sévères vers le secteur public ou le privé à but non lucratif. Ainsi, les diagnostics de schizophrénie, troubles schizotypiques et troubles délirants sont largement dominants dans les établissements publics et privés non lucratifs dont ils représentent 35 % à 40 % des prises en charge en 2022. À l’inverse, dans les établissements privés lucratifs, plus de la moitié des prises en charge (52 %) concernait alors les troubles de l’humeur. En outre, certaines familles de diagnostics ne se retrouvent pas ou très peu dans les établissements privés lucratifs, ce qui signifie qu’ils ne sont pas ou très rarement pris en charge en dehors du secteur public. Il s’agit notamment des troubles du développement psychologique, des syndromes comportementaux associés à des perturbations physiologiques et à des facteurs physiques ainsi que du retard mental.
B. EN AMONT, L’OFFRE DE SOINS PSYCHIATRIQUES EST INSUFFISANTE ET TROP COMPLEXE, CE QUI INCITE LES PATIENTS À SE TOURNER VERS LES URGENCES
L’organisation complexe des soins psychiatriques en amont engendre un renoncement aux soins et un report vers les urgences
Le manque d’accessibilité tient beaucoup à la complexité de l’organisation des soins psychiatriques et à la difficulté pour les patients de se repérer dans un environnement peu lisible. Le baromètre 2023 de l’Unafam montre à cet égard que l’orientation pour la prise en charge d’une urgence psychiatrique requiert des aidants des malades entre deux et cinq appels à différentes structures.
L’application dévoyée de la sectorisation, notamment par une « lecture cadastrale » ([90]), que les rapporteures ont pu observer dans certaines grandes métropoles, peut également constituer un frein à l’accès aux soins et favoriser la saturation des services de soins psychiatriques…
Cette lecture cadastrale empêche l’accès aux soins de secteur pour certaines catégories de patients précaires ou amenés à changer de lieu résidence régulièrement, qui se trouvent particulièrement exposés à la souffrance psychique. Il s’agit en particulier d’étudiants qui poursuivent leurs études loin du domicile parental, de personnes immigrées ([92]) et de personnes sans abri…
Les enjeux d’accessibilité horaire des CMP ont régulièrement été évoqués par les équipes rencontrées par la mission d’information. Les jours et heures d’ouverture des CMP, l’absence d’astreinte les soirs et fins de semaine, la fermeture pendant les vacances scolaires, la réservation des créneaux de consultations sans rendez-vous à des patients souvent déjà suivis, constituent autant de freins. L’offre peut parfois apparaître inadaptée aux besoins de la population.
« Le SAS psychiatrique est une bonne chose, mais comment garantir un suivi psychiatrique satisfaisant avec des CMP qui ferment à 17 heures ? Quatre ans après la covid, malgré de grosses alertes sur la santé mentale des jeunes notamment, nous constatons que rien ne s’est passé pour adapter le fonctionnement du secteur à ces enjeux. »
Audition du syndicat CFDT.
L’accessibilité géographique n’est pas non plus garantie dans certains territoires, notamment ruraux. Le maillage territorial des soins psychiatriques est réputé couvrir une population de 67 000 habitants par secteur, ce qui signifie que les secteurs les moins densément peuplés couvrent une aire géographique plus étendue. La distance entre le domicile et les lieux de soins peut dès lors constituer une limite particulièrement forte à l’accès aux soins et entraîner des reports vers les urgences, à défaut de suivi psychiatrique au long cours.
« Dans l’Aveyron, cinquième plus grand département de France, assez rural, il y avait auparavant un bus pour aller jusqu’à l’hôpital. Ce n’est désormais plus le cas et, en conséquence, les patients ont beaucoup plus de difficultés pour venir nous voir et attendent les situations d’urgence. »
Audition de Mme Magali Brougnounesque, directrice du centre hospitalier Sainte-Marie de Rodez.
Bien plus, certaines personnes requièrent des soins spécialisés qui ne sont pas proposés dans chaque secteur. Ils s’organisent dans le cadre des inter-secteurs, c’est‑à‑dire d’unités de prise en charge spécialisées couvrant plusieurs secteurs, comme c’est parfois le cas en ce qui concerne l’offre de soins en psychiatrie du sujet âgé ou en périnatalité.
Les inter-secteurs proposant une offre de soins en psychiatrie du sujet âgé ne sont pas répartis équitablement sur le territoire, ce qui limite les possibilités de soins ambulatoires et renforce la nécessité des unités d’hospitalisation ou d’hébergement spécialisées dans les territoires ruraux à la population vieillissante. En Martinique, l’établissement public de santé mentale (EPSM) Maurice Despinoy de Fort‑de‑France est en passe de devenir le seul établissement psychiatrique. Alors que la Martinique est depuis 2022 la région française dans laquelle la part des 60 ans et plus est la plus élevée ([100]), l’offre de soins en psychiatrie du sujet âgé y repose sur une équipe mobile et sur un établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad) à orientation psychiatrique de 34 places avec un projet d’extension à 86 places. Tandis que l’établissement psychiatrique projette une forte augmentation des capacités d’accueil de l’Ehpad psychiatrique, la disparition de l’équipe mobile est programmée en application d’un plan de retour à l’équilibre ([101]) décidé en 2016.
« Il est compliqué d’avoir une organisation homogène sur le territoire parce qu’à Rennes, il n’y a qu’un seul service de psychiatrie du sujet âgé. Ce service comprend 15 lits pour une dizaine de secteurs, complété par un hôpital de jour évaluatif et deux unités cognitivo-comportementales de 10 lits mais qui sont spécialisés dans la prise en charge des symptômes psycho‑comportementaux liés aux démences. »
Audition du Dr Tristan Mahouet, psychiatre au sein de l’équipe mobile d’appui et d’évaluation en psychiatrie de la personne âgée au centre hospitalier Guillaume Régnier de Rennes.
L’accessibilité financière est un problème pour la consultation de nombreux professionnels libéraux, ce qui écarte les patients les moins aisés. En effet, selon les données transmises par la Caisse nationale de l’assurance maladie (Cnam), en 2023, le tarif conventionnel d’une consultation de psychiatrie par un médecin libéral s’élève à 42 euros, auquel s’ajoute un dépassement d’honoraires pour les psychiatres installés en secteur 2. En 2023, le montant moyen de dépassement d’honoraires facturé par un psychiatre installé en secteur 2 était de 32 euros ([105]). Cela signifie en pratique que pour un suivi psychiatrique par un psychiatre libéral installé en secteur 2, à raison d’une consultation par mois, le reste à charge moyen pour le patient avoisine les 400 euros par an, ce qui exclut de fait les personnes les moins aisées, en particulier les jeunes gens et les étudiants.
À défaut d’accès à des soins psychiques adaptés, de nombreux patients font le choix de consulter leur médecin généraliste. Malheureusement, faute de temps et de formation adaptés au suivi psychologique ou psychiatrique, la prise en charge par les médecins généralistes repose le plus souvent sur un adressage vers un spécialiste sous réserve des difficultés d’accès qui viennent d’être évoquées, ainsi que sur des prescriptions de médicaments psychotropes – anxiolytiques, antidépresseurs, somnifères.
Au cours d’une table ronde organisée avec les syndicats nationaux, la CFDT a ainsi souligné que, si un tiers des patients des médecins généralistes consultent pour des problèmes psychiatriques, certains praticiens ne sont pas formés. Ceci peut conduire à des prescriptions inadéquates. Plus globalement, de nombreuses personnes ont alerté les rapporteures quant à des prescriptions inadaptées par les médecins généralistes, ordonnées sans suivi psychiatrique adéquat.
« Il y a clairement un déficit de formation des médecins traitants en pédopsychiatrie et malgré les enjeux majeurs à l’ordre du jour, il y a des lacunes graves et pas résorbées. On traite les symptômes par des médicaments à l’encontre des recommandations. Les prescriptions de psychotropes ont explosé de + 200 % chez les jeunes : neuroleptiques, hypnotiques, antidépresseurs, anxiolytiques à des enfants. Le traitement ne soigne pas. La majorité des enfants qui arrivent aux urgences pédopsychiatriques ont déjà un traitement prescrit hors recommandation et hors AMM par leur médecin traitant. »
Audition du Pr Philippe Duverger, chef de service au CHU d’Angers.
Ce constat est d’ailleurs à mettre en relation avec le manque persistant de médecins traitants, qui touche particulièrement les personnes souffrant de troubles psychiques. Dans son rapport public thématique de mai 2024 sur l’organisation territoriale des soins de premiers recours, la Cour des comptes montre à cet égard que « 120 000 patients atteints d’une affection de longue durée (ALD) pour troubles psychiatriques n’avaient pas de médecin traitant en 2022, soit 17 % du total des patients en ALD sans médecin traitant, alors qu’ils ne représentent que 12,4 % du nombre total de patients en ALD » ([106]).
Des délais excessifs d’accès aux soins de ville en amont
● Les difficultés d’accès à une offre de soins en psychiatrie en amont des urgences tiennent aussi aux délais de prise de rendez-vous en CMP, qui sont anormalement longs et empêchent la gradation des soins en favorisant un report de l’activité vers les urgences.
Ces délais excessifs, souvent constatés par les rapporteures au cours de leurs travaux, sont bien documentés. En 2011, la Cour des comptes évoquait ainsi une attente supérieure à un mois pour une première consultation dans 20 % des secteurs de psychiatrie adulte et dans 60 % des secteurs de psychiatrie infanto-juvénile ([108]). En 2017, l’Inspection générale des affaires sociales (Igas) a constaté un délai moyen de trois mois entre la prise de contact et le premier rendez-vous avec un psychiatre de CMP adulte ([109]). Dans une enquête récente ([110]), la Fédération hospitalière de France (FHF) montre que beaucoup d’établissements sont caractérisés par de telles latences, pour les consultations en ambulatoire comme pour les hospitalisations :
– près de 90 % des établissements considèrent que les délais d’attente pour une prise en charge en hospitalisation et en ambulatoire, en psychiatrie adulte comme en psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent, se sont dégradés après la crise sanitaire ;
– pour plus de la moitié des établissements (53 %), le délai moyen d’accès aux consultations en psychiatrie adulte est d’un à quatre mois. Une part légèrement inférieure (45 %) constate des délais d’accès aux consultations en psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent compris entre cinq mois et plus d’un an. Ces délais sont compris entre un et quatre mois pour 20 % des établissements répondants ;
– aux importants délais d’accès à l’ambulatoire s’ajoutent souvent ceux précédant l’hospitalisation, qui peuvent conduire à différer une hospitalisation médicalement pertinente. Ces derniers sont particulièrement longs et vont de cinq mois à un an pour 13 % des établissements.
Dans les secteurs visités par la mission d’information, les délais d’attente pour une première consultation en CMP oscillaient entre deux et quatre mois pour les secteurs de psychiatrie de l’adulte, et entre huit mois et un an pour les secteurs de psychiatrie infanto-juvénile, ce qui est unanimement pointé comme très excessif pour des patients de cet âge. La mission d’information a également constaté des fermetures de CMP dans de nombreux territoires, liées au manque de psychiatres disponibles. Lors de son audition, l’union syndicale départementale CGT du Nord a indiqué que, dans certains secteurs du département, les délais de rendez-vous en CMP infanto-juvénile atteignaient 18 à 24 mois. Alors que des recrutements sont attendus d’ici la fin de l’année 2024, l’inter-secteur roubaisien visité par la mission d’information est dépourvu de pédopsychiatre. Les psychiatres d’autres secteurs de la région se relaient pour y assurer tant bien que mal une maigre continuité des soins. En pratique, les patients se trouvent privés d’une offre de secteur, ce qui les contraint à se tourner vers l’offre privée ou, le plus souvent en l’espèce, à renoncer aux soins.
● Les délais d’attente pour un rendez-vous avec un psychiatre libéral s’allongent également. Les personnes entendues par la mission d’information l’estiment en moyenne à deux mois en psychiatrie adulte. La pénurie de pédopsychiatres, y compris en libéral, prive de nombreux patients de cette alternative dans les faits. Selon le baromètre 2023 de l’Unafam ([111]), 64 % des aidants indiquent que l’accès à un psychiatre ou à un psychologue est difficile, et 50 % des répondants jugent difficile d’accéder aux soins d’urgence.
En conséquence, les urgences deviennent le point d’entrée dans les soins psychiatriques
Il résulte de ces nombreuses difficultés d’accès aux soins de ville, malgré des disparités entre les territoires, une prise en charge souvent tardive, dans un état de santé dégradé, au moyen d’un report sur les urgences, lesquelles deviennent un point d’entrée majeur dans le système de soins psychiatriques.
« Il faut un an pour avoir un rendez-vous en ville et si on passe par les urgences on a un rendez-vous dans les 12 heures ; parfois même en pleine nuit et avec le professeur chef de service. »
Audition du Pr Philippe Duverger, chef de service au CHU d’Angers.
Ainsi, l’Unafam, au cours de son audition, a souligné que l’urgence psychiatrique est généralement précédée d’une longue période de plusieurs semaines, voire de plusieurs mois, de dégradation progressive de la santé mentale, conduisant à la crise psychiatrique. Lorsqu’elle n’est pas soignée, celle-ci aboutit à l’urgence.
Les témoignages recueillis par la mission d’information indiquent qu’une part croissante des patients se présentant aux urgences n’avaient jamais consulté de psychiatre auparavant. Cela concerne en particulier le risque suicidaire au sujet duquel les travaux de la Commission nationale de la psychiatrie rappellent ([112]) que 80 % des premiers passages à l’acte ont eu lieu sans consultation psychiatrique préalable ([113]). Les SAU généralistes sont dès lors le point d’entrée dans les soins pour la grande majorité des auteurs.
« L’orientation spontanée et adressée par les généralistes des patients vers les urgences tient au manque d’accès aux soins. C’est le cas partout et en conséquence les urgences psychiatriques des SAU débordent, alors que 20 % des consultations pourraient être différées de quelques jours. Les urgences deviennent un guichet d’orientation et d’adressage pour les soins psychiatriques ; or ce n’est pas leur vocation : il faut absolument disjoindre l’accès aux soins et le passage aux urgences. »
Dr Ève Bécache, cheffe de service au centre hospitalier Le Vinatier (Bron).
● Le baromètre 2023 de l’Unafam corrobore d’ailleurs l’idée selon laquelle la carence de l’offre induit des ruptures dans le suivi des patients et génère des passages répétés aux urgences. En effet, ses répondants ont en moyenne consulté aux urgences 2,5 fois au cours de l’année ; un tiers s’y sont rendus une seule fois au cours des cinq dernières années, 31 % deux fois et 18 % trois fois. L’association déplore ainsi que l’entrée dans les soins résulte souvent d’une situation d’urgence, liée à un défaut de prise en charge des situations de crise qui précèdent les urgences, et qui empêche de surcroît un suivi de qualité une fois l’urgence passée. Ce constat est corroboré par la Cnam, qui indique dans un rapport récent que : « parmi les personnes ayant des passages très fréquents aux urgences (plus de cinq fois dans l’année), 22,9 % présentent une maladie psychiatrique, 20,5 % une maladie cardio-neurovasculaire et 17,3 % une maladie respiratoire chronique. Ainsi, pour les pathologies respiratoires chroniques, les passages fréquents aux urgences concernent principalement les moins de 15 ans, alors que pour les pathologies psychiatriques, les passages fréquents aux urgences concernent principalement les 15-54 ans. » ([114])
« Nous sommes la dernière roue du carrosse, la dernière lumière allumée de la société vers laquelle les patients peuvent se tourner. »
Audition du syndicat Samu-Urgences de France.
C. EN AVAL, LE MANQUE DE LITS RETARDE LES TRANSFERTS DE PATIENTS, CE QUI EMBOLISE LES URGENCES
Les fermetures de lits d’hospitalisation complète en psychiatrie étaient déjà importantes. Elles se sont accélérées après la crise sanitaire, souvent en raison du manque de personnel. Cette situation accentue le manque de solutions d’aval pour la sortie des patients, et contribue à l’embolisation des services d’urgences.
● Selon la Fédération hospitalière de France (FHF) ([115]), au 31 décembre 2022, près de 60 % des établissements avaient été contraints de fermer des lits, à hauteur de 10 % à 30 % de leur capacité pour près d’un quart des établissements (24 %). Avant la crise sanitaire, 80 % des établissements n’avaient pourtant fermé aucun lit et seuls 5 % avaient dû renoncer à 10 % à 30 % des leurs. Plus de la moitié d’entre eux (55 %) n’ont aucune perspective de réouverture de lits.
Le manque de personnel médical ou paramédical est identifié par la FHF comme le facteur principal de près de 90 % des fermetures de lits en 2022. Le nombre de postes médicaux vacants est particulièrement important, bien que les situations soient contrastées selon les établissements. Dans 40 % d’entre eux, les postes vacants de psychiatres oscillent entre 25 % et 75 %, tandis que plus de la moitié des effectifs ne sont pas pourvus dans 8 % des établissements. Ce phénomène est moins marqué dans les CHU que dans les centres hospitaliers, ces derniers représentant la majorité des établissements déplorant un quart à trois quarts de leurs postes de médecins vacants.

Dans ce contexte, les conditions de prise en charge aux urgences ne sont plus toujours garanties. Des patients nécessitant une hospitalisation y demeurent souvent plusieurs jours…
L’accès aux structures médico-sociales est lui aussi affecté par d’importants retards, allant parfois jusqu’à plusieurs années, ce qui fragilise les personnes les plus vulnérables et favorise les décompensations.
À cet égard, plus de 90 % des établissements répondants à l’enquête précitée de la FHF considèrent l’accès aux structures médico-sociales dégradé après la crise sanitaire. Seuls 2 % des répondants – soit deux établissements – déclarent un délai d’accès aux structures médico-sociales inférieur ou égal à un mois. À l’inverse, près de 60 % des répondants déplorent plusieurs années de délai d’accès, voire une dizaine d’années pour 3 % d’entre eux.


Cette fragilité, soulignée dans un récent rapport de l’Igas ([155]), tient notamment à ce que la psychiatrie n’entre pas formellement dans le champ des activités couvertes par l’obligation de permanence des soins pour les établissements de santé (PDSES)
La permanence des soins en psychiatrie se confond dès lors avec la prise en charge des urgences et repose quasi exclusivement sur le secteur public, ce qui n’est pas sans entraîner de difficultés…
La venue aux urgences ne garantit pas l’entrée dans un parcours de soins psychiques
La forte croissance du recours aux urgences pour motif psychiatrique et la chronicisation des consultations qui y sont dispensées pour les patients de psychiatrie est d’autant plus préjudiciable qu’elle ne garantit pas l’accès à des soins psychiques en urgence…
III. LA CRISE ACTUELLE INVITE À RECONSIDÉRER L’ÉVOLUTION DES MOYENS FINANCIERS ET HUMAINS DÉVOLUS À LA PSYCHIATRIE
A. LES EFFETS DE LA RÉFORME DU FINANCEMENT DE LA PSYCHIATRIE COMME DE LA HAUSSE DES DÉPENSES SONT À RELATIVISER
1. Le mode de financement historique de la psychiatrie, qui entretenait des inégalités de prise en charge, a fait l’objet d’une réforme pleinement effective en 2026…
L’entrée en vigueur pleine et entière de la réforme suscite pourtant des appréhensions. Le nouveau modèle de financement incite les établissements à augmenter le nombre de patients accueillis, à développer des prises en charge ambulatoires et à limiter les durées de séjour, faisant redouter à certains acteurs de terrain rencontrés par la mission d’information que l’efficience des soins et leur rentabilité économique soit priorisée au détriment d’un suivi au long cours menant éventuellement à des hospitalisations temps plein prolongées. Quant à l’abandon du prix de journée, il pourrait induire des pertes de recettes importantes pour les établissements du secteur privé lucratif, sans adaptation de leurs modes de prise en charge. Le fléchage des crédits alloués à la psychiatrie au sein des établissements publics non spécialisés sera en revanche garanti avec l’entrée en vigueur de la réforme qui rompt avec la logique d’enveloppe globale au profit d’un financement spécifique par compartiments, gage d’une utilisation plus lisible des crédits…
2. La hausse des dépenses d’assurance maladie liées à la prise en charge des maladies psychiatriques est toutefois à relativiser
La croissance en apparence forte des dépenses remboursées de soins pour des pathologies psychiatriques est donc à relativiser. Elle concerne un nombre de personnes atteintes d’une maladie psychiatrique significativement plus élevé en 2022 qu’en 2016 (+ 16,2 %). Ainsi, la dépense moyenne de soins remboursés rapportée au nombre de malades n’augmente que de 5,7 % alors que l’inflation cumulée sur la période atteint 11,8 %. La dépense moyenne de soins remboursés par malade corrigée de l’inflation a donc baissé de 6,1 % sur la période…
B. UN LIEN MANIFESTE ENTRE LES DIFFICULTÉS D’ACCÈS AUX SOINS ET L’ÉVOLUTION EN TROMPE-L’ŒIL DE LA DÉMOGRAPHIE MÉDICALE
1. La croissance en trompe-l’œil du nombre de psychiatres en activité entre 2010 et 2023

Au regard du faible nombre de psychiatres intermittents (542 en 2023), il apparaît que la croissance des effectifs correspond principalement à celle du nombre de retraités actifs
Cette évolution soulève des difficultés concernant le suivi au long cours des personnes atteintes d’une maladie psychiatrique tout au long de leur vie. En effet, si un psychiatre sur sept est aujourd’hui retraité en poursuite d’activité, cela signifie probablement qu’une part proche ne prend pas de nouveaux patients et que ces psychiatres n’ont pas le même niveau d’activité que les actifs réguliers. Si l’on considère que ce moindre niveau d’activité concerne la catégorie des retraités actifs (13,6 % des effectifs) et des intermittents (3,6 % des effectifs), cela signifie que plus de 17 % de l’effectif total déploie un moindre niveau d’activité et que cette part s’accroît. En somme, parmi les 2 647 psychiatres supplémentaires entre 2010 et 2023, 2 061 d’entre eux, soit la grande majorité de l’augmentation des effectifs, ont un niveau d’activité réduit, et une durée d’exercice restreinte.
2. Les psychiatres libéraux, de moins en moins nombreux, voient davantage de patients en consultation
● Les données transmises à la mission par la Drees montrent que l’effectif des psychiatres libéraux se distingue par une situation plus défavorable que pour l’ensemble des psychiatres, et a diminué de 2 % entre 2012 et 2022. Derrière une baisse en apparence modérée se cache toutefois une évolution des modes d’exercice : l’exercice exclusivement libéral a pour sa part baissé de 14 % sur la même période. Cette baisse est significativement plus élevée pour les plus jeunes professionnels : les effectifs de psychiatres libéraux de moins de 65 ans ont diminué de 36 % entre 2012 et 2022. Ce phénomène n’est pas propre à la psychiatrie mais il concerne également d’autres spécialités telles que la gynécologie, la dermatologie, l’oto-rhino-laryngologie, la pédiatrie ou encore l’ophtalmologie. Une proportion plus importante de psychiatres libéraux opte désormais pour l’exercice mixte, et s’agissant des libéraux exclusifs, leur niveau d’activité libérale est plus faible.
3. Des inégalités de répartition persistantes expliquent les difficultés d’accès aux soins dans certains territoires
● La démographie des psychiatres libéraux connaît des disparités territoriales. Elle semble particulièrement alarmante dans certains espaces.
Près de vingt départements français disposent de moins de huit psychiatres libéraux pour couvrir les besoins de leur population. Il n’y a qu’un psychiatre libéral pour toute la Guyane et un seul également à Mayotte. Le Cantal, la Lozère et la Meuse en recensent trois. La Creuse n’en compte que cinq ([225]). L’observation des densités départementales, c’est-à-dire du nombre de psychiatres en activité régulière pour 100 000 habitants au sein de chaque département, met en exergue les disparités persistantes dans la répartition des praticiens. Par opposition à la faible dotation des espaces ruraux, on dénombre 69,8 psychiatres en activité régulière pour 100 000 habitants à Paris.
● Ces disparités se sont accentuées au fil des ans. En 2010, les 10 % des départements les mieux dotés présentaient une densité d’actifs réguliers 2,3 fois supérieure à celle des 10 % des départements les moins bien dotés. Celle-ci est trois fois supérieure en 2023 ([226]). Les départements d’outre-mer, littoraux, frontaliers, et ceux qui abritent de grandes villes ont bénéficié d’une augmentation de la densité de psychiatres en activité pour 100 000 habitants pendant la période. Les hausses les plus significatives ont concerné les départements de La Réunion (+ 76 %), de l’Eure (+ 57,5 %), et de la Haute-Loire (+ 57,3 %). Inversement, la densité a chuté dans certains départements ruraux : de 45 % en Creuse, de 44 % dans la Meuse et de près de 40 % dans le Cher ([227]).
● L’évolution de la densité de psychiatres par département n’est pas toujours corrélée au niveau d’activité médicale de chaque département. Il semblerait que les fortes variations, à la hausse comme à la baisse, ne soient pas toujours liées aux besoins de la population. Certains départements, comme la Haute-Vienne, le Puy-de-Dôme, les Landes, les Hautes-Pyrénées et la Haute‑Corse, témoignent d’une dynamique cohérente entre un nombre important de patients pris en charge en psychiatrie et une augmentation significative de la densité de psychiatres. D’autres présentent à la fois un important niveau d’activité de soins psychiatriques, traduit dans le nombre de patients ayant bénéficié d’une prise en charge à temps partiel ou à temps plein en psychiatrie dans l’année, et une baisse significative de la densité de psychiatres : il s’agit de l’Ariège, des Pyrénées-Orientales ou du Tarn. Cet écart entre haut niveau d’activité et baisse de la densité de psychiatres est particulièrement marqué dans la Meuse, la Lozère, la Creuse et l’Indre.


La pédopsychiatrie, qui supporte à la fois les difficultés de la psychiatrie et celles qui sont propres au secteur de l’enfance, apparaît particulièrement sinistrée et en crise. Comme le soulignait la HAS en 2021 ([229]), ce secteur se trouve particulièrement affecté par des difficultés d’accès aux soins, un manque de moyens ou encore des disparités territoriales importantes dans le contexte d’une demande exponentielle.
Aussi les rapporteures ne peuvent-elles que reprendre à leur compte et relayer fortement les multiples alertes quant à la pédopsychiatrie. Cette discipline a déjà fait l’objet de nombreux travaux, tels que des États généraux en avril 2014, une mission sénatoriale en 2017 ([230]), un rapport du Défenseur des droits en 2021 ([231]) ou encore un rapport du Haut Conseil de la famille, de l’enfance et de l’âge (HCFEA) ([232]) et une communication de la Cour des comptes en 2023 ([233]).
UNE OFFRE DE SOINS TRÈS INSUFFISANTE, AFFECTÉE PAR DES INÉGALITÉS ENTRE LES TERRITOIRES
La Cour des comptes, dans sa communication précitée à la commission des affaires sociales de l’Assemblée nationale publiée en mars 2023, faisait état d’une offre de soins de pédopsychiatrie marquée par de fortes inégalités territoriales et mal adaptée aux besoins.
La baisse de ces capacités de prise en charge engendre un recul de l’activité en hospitalisation de jour et une augmentation d’activité pour le temps plein…
Si les disparités territoriales de densités de lits tendent à se réduire, certains départements demeurent dépourvus de capacité d’accueil à temps complet...
2. Des effectifs de pédopsychiatre en forte diminution
● Les psychiatres infanto-juvéniles en activité sont de moins en moins nombreux, vieillissants et mal répartis sur le territoire. Comme l’ont constaté les rapporteures à de nombreuses reprises à travers leurs auditions et leurs déplacements, la crise de la démographie médicale est particulièrement aiguë et préoccupante dans ce secteur…
Si les effectifs de psychiatres augmentent en apparence, ceux des pédopsychiatres diminuent fortement. Leur nombre a chuté de 34 % entre 2010 et 2022.
Les mineurs pris en charge par l’aide sociale à l’enfance ([249]) et les mineurs non accompagnés (MNA) sont des populations particulièrement vulnérables et exposées à des risques psychiatriques. Ils sont souvent mal pris en charge…
2. Un secteur dans une situation de crise majeure aux implications durables
La conjugaison des difficultés précitées place le secteur de la pédopsychiatrie en situation de crise. Comme le soulignait le HCFEA dans son rapport de 2023 précité, « l’effet ciseaux » entre l’offre et la demande de soins se produit au détriment de l’enfant et de sa famille. Les rapporteures ont pu constater que l’accès aux soins ne peut parfois plus être assuré dans de bonnes conditions :
– le déficit chronique de l’offre de soins psychiatriques pour les mineurs, insuffisante et saturée, conduit souvent à leur hospitalisation dans des services de psychiatrie adulte, ce qui peut aboutir à une qualité de prise en charge dégradée. Lors de la visite des rapporteures au CHU de Nantes, vingt-cinq mineurs étaient ainsi hospitalisés en psychiatrie adulte contre dix en pédopsychiatrie.
– le manque de pédopsychiatres et de personnels dédiés peut provoquer un report vers d’autres professionnels moins formés aux spécificités de la pédopsychiatrie, ainsi qu’une consommation importante de médicaments, comme effet miroir de la difficulté de suivi.
Pire, les défaillances de l’offre de soins peuvent parfois conduire à renoncer à toute prise en charge, remettant en cause l’accès aux soins pédopsychiatriques et entraînant des pertes de chances pour les patients ainsi qu’un coût social majeur pour la société. Les principes d’égalité d’accès, de qualité des soins et de solidarité, pourtant au cœur de notre modèle social et garantis par la Constitution, se trouvent dès lors mis en péril.
Face aux l’ensemble des constats établis précédemment, les rapporteures alertent quant à la crise du secteur pédopsychiatrique. L’état des lieux est d’autant plus alarmant que les défaillances actuelles de prise en charge des enfants se traduiront en toute probabilité par une augmentation des troubles psychiatriques, et donc des besoins de prise en charge, à l’âge adulte...
Recommandation n° 1 : Donner un nouveau souffle à la feuille de route santé mentale et psychiatrie permettant de répondre efficacement au triple enjeu de dégradation de la santé mentale des Français et de hausse des besoins de soins psychiatriques, à la saturation du système de soins psychiatrique et à l’embolisation des services d’urgences dans un cadre budgétaire contraint.
Renforcer l’offre de soins de premier niveau pour garantir une prise en charge précoce, graduée et homogène sur le territoire et pour prévenir les urgences psychiatriques
Recommandation n° 2 : Mieux outiller les médecins généralistes, qui sont souvent le premier recours pour les troubles psychiques, par des formations et par des outils d’aide à la prise en charge de la souffrance psychique.
Recommandation n° 3 : Renforcer les moyens humains et financiers des centres médico-psychologiques (CMP), afin qu’ils puissent assurer des soins ambulatoires de proximité et la coordination des parcours de soins.
Recommandation n° 4 : Développer une offre spécifique au traitement des troubles psychiques associés à l’addiction, renforçant le lien entre les structures d’addictologie et les structures de soins psychiatriques.
Recommandation n° 5 : Simplifier l’organisation territoriale des soins psychiatriques de secteur et les dispositifs de coordination existants, en concentrant et en pérennisant les moyens sur les structures garantissant un accès effectif aux soins pour la population.
Recommandation n° 6 : Se donner les moyens d’accompagner durablement les personnes les plus vulnérables, notamment en généralisant les équipes mobiles et en impliquant davantage les acteurs de proximité.
Structurer un parcours de prise en charge d’urgence qui soit clair et accessible
Recommandation n° 7 : Limiter les passages non pertinents aux urgences en augmentant l’offre de consultations non programmées (centres d’accueil et de crise, plages de consultations en soins non programmés, etc.).
Recommandation n° 8 : Formaliser au niveau national un parcours de prise en charge des urgences psychiatriques, commun à tous les territoires, clair et gradué impliquant la généralisation de la compétence psychiatrique à l’ensemble des services d’accès aux soins (SAS).
Recommandation n° 9 : Améliorer les conditions de prise en charge par les services d’urgences : conditions d’accueil et de transport adaptées et contenantes, présence de personnels expérimentés et formés à la psychiatrie, meilleure prise en compte de la volonté du patient pour limiter le recours à la contention dans les urgences, etc.
Recommandation n° 10 : Limiter la durée de séjour des patients en attente d’hospitalisation aux urgences en garantissant un accès suffisant à des lits d’hospitalisation psychiatrique en aval des urgences, y compris à travers la création de lits dédiés au sein des unités d’hospitalisation de courte durée (UHCD), en particulier pour les patients mineurs, pour lesquels il importe de renforcer les capacités d’accueil et de prise en charge de la crise suicidaire.
Recommandation n° 11 : Systématiser le suivi post-urgences des patients et suivre cet indicateur dans le cadre de la démarche qualité.
Mobiliser davantage le secteur privé pour mieux prendre en charge les patients et pour une équité accrue entre établissements et professionnels de santé
Recommandation n° 12 : Garantir un quota de lits de service public en psychiatrie dans les établissements privés afin de fluidifier la filière d’aval des urgences et d’éviter une concentration excessive des prises en charge dans le secteur public.
Recommandation n° 13 : Modifier les dispositions réglementaires relatives à la permanence des soins des établissements de santé (PDSES) et au nouveau régime des autorisations en psychiatrie, pour favoriser une participation plus équitable à la prise en charge des patients.
Soutenir particulièrement la pédopsychiatrie et la santé mentale des jeunes
Recommandation n° 14 : Mettre en œuvre les recommandations issues des Assises de la pédiatrie et de la santé de l’enfant de 2024.
Recommandation n° 15 : Renforcer sensiblement les moyens de la médecine scolaire et associer les établissements scolaires à une politique de prévention et de repérage précoce des troubles psychiques et réinterroger le rattachement de la médecine scolaire au ministère de l’éducation nationale.
Recommandation n° 16 : Garantir une offre de soins pédopsychiatriques homogène et adaptée aux besoins sur tout le territoire, comprenant des possibilités d’évaluation en urgence ou en soins non programmés, et mener un diagnostic approfondi et partagé sur l’usage croissant des psychotropes.
Recommandation n° 17 : Développer et pérenniser les mesures ciblées sur les enfants protégés.
Recommandation n° 18 : Faire de la santé mentale et de la psychiatrie périnatales un axe de la grande cause nationale.
Améliorer la formation et l’attractivité des métiers de la psychiatrie
Recommandation n° 19 : Adapter rapidement l’offre de formation à la pénurie de professionnels constatée sur le terrain : qu’il s’agisse des psychiatres comme des autres professionnels de la santé mentale, par une augmentation des effectifs en formation initiale et continue, un développement de passerelles, la hausse du nombre d’infirmiers en pratique avancée et création de nouvelles mentions etc. Pour la rapporteure Sandrine Rousseau, cet objectif impose, concernant les infirmiers, d’expérimenter un accès dérogatoire aux instituts de formation en soins infirmiers (Ifsi).
Recommandation n° 20 : Déstigmatiser les métiers de la psychiatrie et renforcer leur attractivité au moyen d’une campagne de communication, de stages obligatoires et de la création d’un institut hospitalo-universitaire (IHU) en psychiatrie.
Recommandation n° 21 : Commanditer un audit sur les conditions de travail en psychiatrie et, dans le même temps, améliorer celles-ci par des rémunérations revalorisées, par une simplification administrative des hospitalisations sous contrainte ou encore par une meilleure appréhension des situations de violence et d’agressivité.
Documents:









Voir aussi:
La psychiatrie publique en France, un système à bout de souffle https://environnementsantepolitique.fr/2025/01/11/57510/