Fin de vie : Agnès Firmin Le Bodo tente de rassurer sur un futur projet de loi
Dans un entretien au « Journal du dimanche », la ministre déléguée à la santé assure que le texte « comprendra trois blocs : aide active à mourir, soins palliatifs et droits des patients ». Un chiffon rouge pour la Société française d’accompagnement et de soins palliatifs.
Par Béatrice JérômePublié le 22 mai 2023 à 10h26, modifié le 22 mai 2023 à 10h34
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Début avril, Brigitte Macron a appelé Line Renaud. La chanteuse vient de lire l’interview du ministre de la santé, François Braun, parue dans Le Monde le 8 avril. « Accompagner la mort, ce n’est pas donner la mort », affirme alors l’ex-urgentiste, qui livre ses réserves à l’idée de légaliser une aide active à mourir surtout si elle devait ouvrir un droit à demander l’euthanasie. Line Renaud a écrit à Emmanuel Macron pour lui rappeler son engagement. Le 3 avril, le chef de l’Etat venait d’annoncer « un projet de loi » sur la fin de vie d’ici « à la fin de l’été » devant les membres de la convention citoyenne sur la fin de vie. Il fallait que Mme Macron appelle Line Renaud pour la rassurer : la promesse présidentielle serait bien honorée.
Les propos du ministre de la santé dans Le Monde lui ont valu des soutiens discrets au sein de la majorité. Mais ils ont alarmé bien des partisans de l’évolution de la loi. « Le gouvernement donne l’impression d’une pétaudière, confiait Olivier Falorni, député (MoDem) de la Charente-Maritime, peu après l’interview de François Braun. Il n’y a aucun interlocuteur identifié sur le dossier et l’on assiste à une étrange polyphonie dans l’exécutif. » Partisan de l’aide active à mourir, le député interpelle le chef de l’Etat, en visite à Saintes, non loin de sa circonscription, le 4 mai : « Il faut une loi courageuse pour disposer de sa mort, lorsque nous sommes condamnés », lui lance-t-il. Sans obtenir de réponse.
Dimanche 21 mai, la distribution des rôles s’est clarifiée. Un nom, un seul, est associé au futur projet de loi, celui d’Agnès Firmin Le Bodo. « La fin de vie est, depuis ma nomination au gouvernement, au cœur des missions qui m’ont été confiées », assume, dans un entretien au Journal du dimanche, et pour la première fois, la ministre déléguée chargée de l’organisation territoriale et des professions de santé dont le ministre de tutelle est M. Braun.
Officiellement en première ligne
Dès son entrée au gouvernement en juillet 2022, sa feuille de route ministérielle indiquait qu’elle aurait à mener les travaux préalables « à une éventuelle évolution législative » sur la fin de vie, dont il lui « appartiendra de mettre en œuvre les conclusions ». Son portefeuille comprend aussi « le renforcement de l’accès aux soins palliatifs » qui visent à soulager les douleurs et les souffrances des personnes atteintes de maladies incurables.
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Cette proche d’Edouard Philippe ne s’est pourtant pas prévalue de ses prérogatives. Le dossier était aussi convoité par Olivier Véran, ministre délégué chargé du renouveau démocratique. Lequel a copiloté les groupes de travail de soignants et de parlementaires sur le sujet et s’est rendu, comme elle, à l’étranger afin de comparer les législations en la matière. Mais, depuis la fin de la convention citoyenne sur la fin de vie, le 2 avril, M. Véran s’est fait discret. Quant à M. Braun, il a choisi de laisser sa ministre déléguée mener les préparatifs de la loi, mobilisé, par ailleurs, sur des dossiers plus urgents à ses yeux.
Mme Firmin Le Bodo est désormais officiellement en première ligne. Et sa première tâche est de rassurer ceux qui s’inquiètent du contenu du futur projet de loi. Interrogée sur ce que serait le « modèle français » de la fin de vie, la ministre répond qu’« il reste à définir ». Mais « le président de la République a déjà fixé des lignes rouges, dit-elle. Les mineurs en seront exclus ; le pronostic vital du patient devra être engagé à moyen terme. » Sans définir ce qu’est le « moyen terme », elle rappelle que la loi, dans l’Oregon, peut autoriser le suicide assisté pour des malades dont l’espérance de vie estimée par les médecins est de « six mois ».
« Les patients souffrant de maladies psychiques » n’auront pas accès à l’aide active à mourir, poursuit la ministre. En outre, « il faudra s’assurer que le patient s’est bien vu proposer une prise en charge palliative. Car la plupart, rappelle-t-elle, ne souhaitent plus mourir quand ils bénéficient de ces soins ».
« Clause de conscience » pour les soignants
Mme Firmin Le Bodo ne prononce pas le mot « euthanasie ». « S’agissant des techniques [de l’aide active à mourir], il est trop tôt pour dire quelles seront celles qui figureront dans le projet de loi, explique son cabinet. Les modalités – assistance au suicide, suicide assisté, euthanasie – doivent faire l’objet de discussions. » La ministre souhaite que chaque mot de la fin de vie soit défini dans la future loi. « A titre personnel, déclare-t-elle, je préfère l’appellation “mort choisie” à celle de “suicide assisté”, qui évacue la mort. Je suis persuadée qu’il faut justement la remettre au cœur de notre société. »
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Mme Firmin Le Bodo souhaite que les soignants opposés à l’aide active à mourir puissent « faire jouer une clause de conscience dès la première étape du processus, quand ils doivent se prononcer sur un pronostic vital engagé à moyen terme ». Cet engagement ne désarme pas pour autant les craintes de la Société française d’accompagnement et de soins palliatifs (SFAP). « Proposer aux médecins de faire jouer la clause de conscience, c’est les mettre face à la décision de devoir renoncer à la promesse de non-abandon d’un malade. Or, ce non-abandon est la seule promesse tenable quand on pratique une médecine sans espoir de guérison », déplore la docteure Claire Fourcade, présidente de la SFAP.
La docteure Fourcade a proposé à la ministre que le médecin ou l’équipe soignante qui accompagnent un patient en soins palliatifs soient systématiquement tenus à l’écart de la décision d’accéder à une demande d’aide active à mourir. « Pourquoi ne pas prévoir un dispositif qui intègre des médecins extérieurs, voire un juge, comme pour la décision de mise sous tutelle ? », demande-t-elle.
« Donner la mort n’est pas un soin »
Aux yeux de la SFAP, une autre annonce de la ministre est un chiffon rouge. « Le projet de loi comprendra trois blocs : aide active à mourir, soins palliatifs et droits des patients », explique Mme Firmin Le Bodo. L’idée « d’un texte unique qui mélange aide active à mourir et soins palliatifs » est inacceptable pour la docteure Fourcade. « Donner la mort n’est pas un soin, s’indigne-t-elle. Et comment les députés qui ne veulent pas de l’aide active à mourir pourront s’opposer à un projet de loi qui développe des soins palliatifs ? », redoute-t-elle.
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Outre la loi, la ministre confirme dans Le Journal du dimanche qu’une « instruction » ministérielle, qui sera publiée « dans les prochains jours », va réorganiser l’offre de soins palliatifs. Le cancérologue Franck Chauvin sera chargé de définir, d’ici à décembre, un « plan décennal » de développement des soins palliatifs. La ministre annonce, par ailleurs, qu’une « filière médicale » sera créée afin de former des spécialistes de cette médecine.
Pour rédiger le projet de loi, des discussions vont s’ouvrir avec un groupe de professionnels de santé déjà constitué sur le sujet et plusieurs parlementaires dont la liste n’est pas définitive. « Son vœu est d’aller le plus loin possible dans la concertation. Mais ce n’est pas une proposition de loi. C’est un projet de loi. Il y a un moment où le gouvernement devra arrêter une présentation », rappelle le cabinet de Mme Firmin Le Bodo. Sans ignorer que le débat parlementaire pourra amender la copie.
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Fin de vie : la future loi devra assurer « une traçabilité de A à Z », selon la ministre Agnès Firmin Le Bodo
La ministre déléguée aux professions de santé va piloter la réforme qui doit, selon le souhait d’Emmanuel Macron, voir le jour d’ici à la fin de l’été. Elle a présenté, dans le « JDD », le cadre de cette aide active à mourir.
Le Monde avec AFPPublié le 21 mai 2023 à 03h53, modifié le 21 mai 2023 à 09h23 https://www.lemonde.fr/politique/article/2023/05/21/fin-de-vie-la-future-loi-devra-assurer-une-tracabilite-de-a-a-z-selon-la-ministre-agnes-firmin-le-bodo_6174173_823448.html
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« Pour l’aide active à mourir, il me semble essentiel de pouvoir suivre tout le processus », a affirmé la ministre déléguée auprès du ministre de la santé et de la prévention, chargée de l’organisation territoriale et des professions de santé, Agnès Firmin Le Bodo, dimanche 21 mai, dans un entretien au Journal du Dimanche (JDD). Pharmacienne de formation, elle va piloter le futur projet de loi ouvrant la voie au modèle français de fin de vie, qui devra assurer « une traçabilité de A à Z » pour un contrôle a priori et a posteriori.
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Le texte « comprendra trois blocs : aide active à mourir, soins palliatifs et droits des patients », a décrit la ministre, qui ne tranche pas sur ce que serait le modèle français entre aide active à mourir et euthanasie. « Il reste à définir. Ce qui importe, c’est que la possibilité encadrée de bénéficier d’une aide active à mourir devienne effective, comme le réclament 75 % de nos concitoyens », a exposé Agnès Firmin Le Bodo, qui s’impose donc comme la pilote de la réforme aux dépens du ministre de la santé, François Braun, plus réservé sur le sujet.
Le président de la République, Emmanuel Macron, souhaite une nouvelle loi sur la fin de vie « d’ici à la fin de l’été », a-t-il déclaré en avril après avoir réuni pendant plusieurs mois des Français tirés au sort ; cette convention citoyenne s’est majoritairement prononcée pour ouvrir une « aide active à mourir ».
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La délicate notion de « moyen terme »
Dans son entretien au JDD, Agnès Firmin Le Bodo rappelle les « lignes rouges » fixées par Emmanuel Macron en la matière : « Les mineurs en seront exclus ; le pronostic vital du patient devra être engagé à moyen terme ; sa volonté recueillie à plusieurs reprises ; son discernement, intact. » La notion de moyen terme est « au cœur du travail en cours », a-t-elle complété.
« D’autres points ne sont pas tranchés : quel délai pour réitérer la demande ? L’équipe pluridisciplinaire examinera-t-elle la première ou la deuxième requête ? Prévoit-on une consultation psychologique entre les deux ? », a-t-elle mis en avant.
Agnès Firmin Le Bodo exclut que les patients souffrant de maladies psychiques puissent y avoir accès. « Plutôt que de figer une liste de maladies ouvrant l’accès à l’aide active à mourir, il faudrait plutôt qualifier l’impact des pathologies concernées », a avancé la ministre.
Celle-ci voit cependant deux « garde-fous » : « Les médecins et les soignants qui ne souhaitent pas participer à l’aide active à mourir devront pouvoir faire jouer une clause de conscience dès la première étape du processus, quand ils doivent se prononcer sur un pronostic vital engagé à moyen terme. Ensuite, il faudra s’assurer que le patient se soit bien vu proposer une prise en charge palliative », a expliqué la ministre. Celle-ci promet que le « gouvernement souhaite que le projet de loi soit coconstruit avec les parlementaires ».
Voir aussi:
Le débat sur les deux formes d’aides actives à mourir, euthanasie et aide au suicide. https://environnementsantepolitique.fr/2023/03/10/42024/
Euthanasie: certains songent à la Belgique, où l’euthanasie est dépénalisée depuis 2002. https://environnementsantepolitique.fr/2022/12/11/38751/
Nous sommes en plein débat sur la fin de vie (Dossier) https://environnementsantepolitique.fr/2022/12/09/38679/