En Espagne, l’ambitieux plan de santé mentale lancé par Barcelone fait des émules
La cité catalane, gouvernée depuis 2015 par la gauche alternative, a fait du bien-être de sa population, en particulier des plus jeunes, une de ses priorités. Administrations et tissu associatif sont mobilisés pour recréer du lien communautaire.
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Sur le parvis du « centre civique municipal » du quartier barcelonais de Gracia – mélange de maison des associations, des adolescents et de la culture –, Maryam Fuentes, éducatrice sociale de 30 ans, et Julia Arias, psychologue de 29 ans, se fondent parmi les jeunes qui jouent au ballon, papotent ou prennent des cours de dessin. Les deux femmes à l’allure juvénile, souriantes et avenantes, tiennent la permanence d’un service pionnier offert par la cité catalane dans treize centres civiques de la ville, baptisé Konsulta’m.
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Depuis mars 2021, ces deux professionnelles, qui travaillent d’ordinaire dans un centre de santé mentale infantile et juvénile (CSMIJ), public, sont détachées tous les mardis et jeudis après-midi dans cet espace informel et familier des adolescents. Au deuxième étage du bâtiment, elles reçoivent de manière anonyme et gratuite, sans rendez-vous, sans blouse blanche et sans que les parents en soient nécessairement informés, les jeunes âgés de 12 à 22 ans qui auraient besoin de parler de leurs problèmes.
« Lors de la première visite, nous essayons d’évaluer leur mal-être et de les conseiller. Si nous voyons qu’ils présentent un symptôme clinique, nous les réorientons vers un CSMIJ, mais notre mission est surtout portée sur la prévention, explique Julia Arias. Lorsqu’un problème est détecté à temps, nous évitons qu’il devienne chronique ou pathologique et dérive sur des troubles mentaux plus graves. Et, d’une certaine manière, nous aidons à désengorger les services de santé mentale, qui sont saturés. »
« Trouver ma place »
Antonio (qui n’a pas souhaité donner son nom), grand brun aux yeux noirs de 22 ans, est déjà venu deux fois depuis septembre. « Je ne me voyais pas dans un fauteuil à raconter mes problèmes à un médecin âgé. Mais, ici, c’est comme parler à des copains, confie-t-il avec un sourire timide. J’ai pu dire à haute voix ce que je ressens, la sensation de ne pas trouver ma place et, en même temps, de ne pas avoir le droit d’être triste parce qu’un homme doit être fort. » Lucia Salazar, 18 ans, elle, n’a plus senti le besoin de revenir au Konsulta’m après sa cinquième séance. « Julia et Maryam m’ont donné des conseils pour ne pas me détester et apprendre à socialiser. Sans elles, je pense que je me serais enfoncée dans mon mal-être… »
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Depuis le début de l’année, les treize Konsulta’m, disséminés dans les différents districts de Barcelone, ont ainsi reçu près de 2 300 jeunes, soit 700 de plus qu’en 2021. Et moins de 7 % ont dû être réorientés vers un centre de santé mentale. Forte de ce succès, la mairie a ouvert huit autres Konsulta’m pour les plus de 22 ans. Et elle poursuit le déploiement d’autres outils d’aide psychologique, dans le cadre du plan de santé mentale 2016-2022, déployé dès l’arrivée au pouvoir de la formation de la gauche alternative Barcelone en commun, portée par la militante du droit au logement Ada Colau.
Ligne téléphonique de prévention du suicide
Si les villes n’ont en théorie que très peu de pouvoir en matière de santé publique en Espagne – un domaine géré par les régions autonomes, fortement décentralisées –, la mairie de Barcelone n’en a pas moins décidé de prendre le taureau par les cornes et a signé des accords avec le gouvernement catalan pour qu’il lui cède, quelques heures par semaine, les professionnels dont elle a besoin pour ses Konsulta’m. Son plan de santé mentale a été élaboré en impliquant plus de 380 agents locaux du tissu associatif, de l’administration locale et régionale, du monde médical, éducatif ou du travail. Il compte près de 170 initiatives. Et certaines mesures ont fait des émules, comme le numéro de téléphone de prévention du suicide, lancé en août 2020, que le gouvernement espagnol a répliqué à l’échelle nationale en mai.
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La mairie de la capitale catalane a aussi paraphé un protocole avec le patronat et les syndicats pour améliorer la prévention dans les lieux de travail. Elle a développé un programme pour que les enfants de 3 à 5 ans développent leur « musculature émotionnelle » dans les écoles. Elle a également fait ouvrir des crèches entre 16 h 30 et 20 heures pour que les grands-parents qui s’occupent de leurs petits-enfants s’y retrouvent et s’entraident…
« Notre objectif est d’avoir le plus de capteurs possibles dans la ville, pour déceler tous les besoins, résume la conseillère municipale chargée de la santé, Gemma Tarafa. Le rythme des grandes villes est effréné, et il est essentiel de les rendre plus humaines, de travailler le lien social, d’accompagner les habitants. »
Cet article fait partie d’un dossier réalisé dans le cadre d’un partenariat avec le colloque international « Villes et santé mentale », organisé par la ville de Nantes et Nantes Métropole, les 1er et 2 décembre 2022. Renseignements : Villes-et-sante-mentale.com
Sandrine Morel(Barcelone (Espagne), envoyée spéciale)