Fin de vie : dans une décision qui fera jurisprudence, le Conseil constitutionnel se prononce sur le respect des directives anticipées par les médecins
La famille d’un patient, qui avait exprimé le souhait d’être maintenu en vie, même artificiellement, contestait un choix médical de l’hôpital de Valenciennes qui prévoit un arrêt des traitements en raison d’une « obstination déraisonnable ».
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La Constitution n’oblige pas les médecins à respecter la volonté d’une personne exprimée dans ses directives anticipées, fût-ce son souhait d’être maintenue en vie coûte que coûte : le Conseil constitutionnel a rendu, jeudi 10 novembre, une décision qui fera jurisprudence. La loi Claeys-Leonetti de 2016 prévoit en effet que toute personne majeure peut exprimer par écrit la manière dont elle veut être accompagnée par les médecins si sa vie est en danger. Ces volontés doivent être respectées, mais à certaines conditions seulement.
La décision des occupants de la rue de Montpensier visait à trancher une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) posée par la famille d’un homme admis dans le coma en juillet 2022 à l’hôpital de Valenciennes (Nord), après avoir été écrasé par le camion qu’il réparait. Victime de multiples fractures et d’un arrêt cardiorespiratoire, l’homme, alors âgé de 43 ans, avait été pris en charge en réanimation. Les médecins ont considéré qu’il était préférable en juillet 2022 d’arrêter les traitements et les actes prodigués. Ils ont estimé que leur poursuite n’aurait pour effet que de le maintenir en vie artificiellement, en ne lui permettant qu’une « qualité de survie (…) catastrophique ». Ils se sont fondés sur la loi Claeys-Leonetti, qui autorise l’arrêt des traitements « lorsqu’ils résultent d’une obstination déraisonnable ».
Mais ce patient avait rédigé en juin 2020 des directives anticipées demandant à être maintenu en vie « même artificiellement », s’il était plongé dans un coma jugé irréversible. La famille, résolue à s’opposer à l’arrêt des soins, a saisi le juge des référés du tribunal administratif, qui lui a donné tort. Elle a fait alors appel devant le Conseil d’Etat, tout en lui soumettant une QPC transmise au Conseil constitutionnel.
Conformité avec la loi
Juridiquement, la QPC conteste la conformité à la Constitution de l’alinéa 3 de l’article L. 1111-11 du code de la santé publique qui prévoit la possibilité pour un médecin de refuser d’exécuter les directives anticipées s’il estime qu’elles sont « manifestement inappropriées ou non conformes à la situation médicale ».
L’avocat de la famille, Ludwig Prigent, avait plaidé, lors de l’audience du 25 octobre, que ces deux exceptions laissaient au médecin une marge d’appréciation trop importante, qui pouvait déboucher sur une décision contraire aux principes de la dignité de la personne, au respect de la vie humaine, à la liberté personnelle et à la liberté de conscience, tous droits garantis par la Constitution.
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De son côté, l’avocate de l’hôpital, Claire Waquet, avait fait valoir que la décision de l’hôpital de Valenciennes avait été prise en conformité avec la loi qui fait obligation au médecin de refuser toute « obstination déraisonnable ».
Acharnement thérapeutique
Le Conseil constitutionnel a jugé l’article L. 1111-11 conforme à la Constitution, en considérant que les expressions « inappropriées » ou « non conformes à la situation médicale » ne sont ni imprécises ni ambiguës. Elles donnent effectivement au corps médical une marge d’appréciation des directives anticipées.
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Ces exceptions permettent ainsi de refuser des soins ultimes qui pourraient s’assimiler à de l’acharnement thérapeutique. Le Conseil constitutionnel estime que « l’obstination déraisonnable » peut être considérée comme un non-respect de la dignité de la personne au même titre que la non-prise en compte de sa volonté. En cela, l’article offre une fenêtre d’interprétation qui protège les droits des personnes.
Le Conseil rappelle que les conditions prévues par l’article de loi contesté pour s’affranchir des directives anticipées offrent aussi des garanties. Passer outre de telles directives est une décision médicale qui ne peut être prise que de manière « collégiale ». Elle est en outre susceptible d’un recours devant la justice. Le Conseil d’Etat devrait s’appuyer sur cette décision du Conseil constitutionnel pour se prononcer à son tour dans les prochains jours sur le recours de la famille.
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Béatrice Jérôme
Fin de vie : le Conseil constitutionnel réaffirme le droit des médecins à déroger aux directives anticipées d’un patient
Le Conseil était saisi d’une QPC sur le cas d’une équipe médicale souhaitant arrêter les soins d’un patient ayant exprimé au préalable la volonté d’être maintenu en vie, même artificiellement.
Un médecin n’est pas forcément contraint de respecter les « directives anticipées » par lesquelles un patient exprime sa volonté ou non d’être maintenu en vie. Le principe a été confirmé jeudi 10 novembre par le Conseil constitutionnel, qui valide la législation en vigueur. La loi, qui prévoit que le médecin puisse passer outre ces directives si elles sont « inappropriées » à la situation du patient, est conforme à la « sauvegarde de la dignité de la personne » comme à sa « liberté personnelle », estime le Conseil.
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Cette décision est prise au moment où les débats sur la fin de vie reviennent dans le champ public. Le président Emmanuel Macron envisage un changement de législation, mais en renvoie la responsabilité à une convention citoyenne qui doit se réunir à partir de décembre.
Le Conseil constitutionnel avait été saisi par la famille d’un patient, plongé dans le coma depuis mai après un accident et dont les médecins jugent la situation désespérée. L’équipe médicale de l’hôpital de Valenciennes (Nord) souhaite arrêter les soins – nutrition et respiration artificielles –, mais cette décision va à l’encontre les intentions manifestées par le patient dans ses « directives anticipées ». Celles-ci, qui consistent en un document préalablement écrit et signé par le patient, sont censées témoigner de sa volonté au cas où il ne serait plus en mesure d’exprimer un choix.
Dispositions « ni imprécises ni ambiguës »
Mais la loi prévoit que l’équipe médicale, après une procédure collégiale, puisse passer outre si elles apparaissent « non conformes à la situation médicale » du patient. C’est sur la validité de cette loi que devait trancher le Conseil. Celui-ci a estimé que le législateur avait été dans son rôle en prévoyant une telle porte de sortie aux médecins, notamment car le patient ne peut être totalement en mesure d’apprécier sa situation de manière anticipée.
La loi vise ainsi à « assurer la sauvegarde de la dignité des personnes en fin de vie », estime le Conseil constitutionnel, sans aller jusqu’à directement évoquer la notion d’acharnement thérapeutique. Il juge par ailleurs que la loi est suffisamment claire en évoquant le cas de directives « manifestement inappropriées » à la situation médicale du patient, alors que les défenseurs de la famille estimaient ces termes trop flous. « Ces dispositions ne sont ni imprécises ni ambiguës », estime le Conseil.
Rappelant par ailleurs qu’une telle décision n’était prise qu’à l’issue d’une procédure collégiale et qu’elle pouvait faire l’objet d’un « recours en temps utile » de la famille ou de proches, le Conseil a conclu que la législation en vigueur ne méconnaissait « ni le principe de sauvegarde de la dignité de la personne humaine ni la liberté personnelle ».
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Le Monde avec AFP
*Fin de vie : le droit du médecin à passer outre les directives anticipées d’un patient contesté
Le Conseil constitutionnel a été saisi d’une QPC sur le cas d’un patient ayant exprimé le souhait d’être maintenu en vie, même artificiellement. L’équipe médicale souhaite aujourd’hui arrêter les soins dans lesquels elle voit une obstination déraisonnable.
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Au moment où le chef de l’Etat lance un grand débat sur la fin de vie, le Conseil constitutionnel va devoir se prononcer sur la question délicate du caractère impératif des directives anticipées. Le cas de figure plaidé en audience publique, mardi 25 octobre, à l’occasion d’une question prioritaire de constitutionnalité (QPC), est totalement inédit.
Il concerne un homme qui avait rédigé en juin 2020 des directives anticipées précisant souhaiter être maintenu en vie« même artificiellement », s’il venait à être plongé dans un coma prolongé jugé irréversible. En mai, alors âgé de 43 ans, il est écrasé par le camion qu’il réparait. Victime de nombreuses fractures et d’un arrêt cardiorespiratoire, il arrive dans le coma au service de réanimation de l’hôpital de Valenciennes (Nord), avec un pronostic vital engagé.
En juillet, à l’issue d’examens approfondis et de la consultation de réanimateurs extérieurs à l’équipe, conformément à la procédure collégiale prévue par la loi Claeys-Leonetti de 2016, l’hôpital juge « inutile » et même « disproportionné » le maintien des actes et traitements n’ayant d’autre effet que de maintenir artificiellement la vie, sans aucune perspective d’amélioration. La poursuite des soins ne permettrait qu’une « qualité de survie (…) catastrophique ». La loi autorise de suspendre des traitements « lorsqu’ils résultent d’une obstination déraisonnable ».
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La décision d’arrêt des soins, en l’occurrence une ventilation mécanique, et une nutrition et hydratation artificielles, est prise le 15 juillet. Pour passer outre la volonté du patient pourtant clairement portée à la connaissance de l’équipe médicale, l’hôpital se réfère à l’article L. 1111-11 du code de la santé publique, dont l’alinéa 3 prévoit que les directives anticipées s’imposent au médecin sauf lorsqu’elles « apparaissent manifestement inappropriées ou non conformes à la situation médicale ».
Respect du principe de la « liberté de conscience »
Le recours de la famille contre cette décision d’arrêt des soins a été rejeté le 22 juillet par le juge des référés du tribunal administratif de Lille, avant d’être examiné en appel par le Conseil d’Etat. A cette occasion, une QPC a été soulevée et transmise au Conseil constitutionnel. Ce dernier n’a pas à se prononcer sur le cas particulier de cette malheureuse famille, mais sur la conformité ou non à la Constitution de l’exception prévue à cet article L. 1111-11.
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Selon l’avocat de la famille, Ludwig Prigent, cet article de loi qui permet aux médecins de mettre fin à la vie d’un patient contre sa volonté n’est pas conforme à la Constitution. Il viole les principes de sauvegarde de la dignité de la personne humaine, ainsi que la liberté de conscience et la liberté personnelle garanties par la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen. Recherchant des éléments dans les travaux parlementaires sur la loi Claeys-Leonetti, l’avocat affirme que le législateur n’a « jamais voulu laisser le médecin passer outre les directives anticipées ». L’exception à leur force exécutoire n’aurait été introduite qu’en fin de débat sur le projet de loi afin de permettre aux médecins, dans le cas de figure inverse de celui du jour, de ne pas pratiquer une euthanasie qui aurait été souhaitée par un patient.
Pour M. Prigent, le respect du principe de la « liberté de conscience qui permet à chacun d’avoir un avis différent sur l’acceptation de la souffrance et la conception de la mort » doit empêcher le médecin de s’affranchir de la volonté du patient de rester en vie. Surtout, souligne-t-il, le législateur a manqué à son devoir en introduisant un critère flou évoquant des directives qui seraient « manifestement inappropriées », sans plus de précision.
« Risque d’une logique financière »
Selon l’avocate de l’hôpital de Valenciennes, Claire Waquet, le débat autour des droits du patient est mal posé car la relation patient-médecin n’est ni égalitaire ni de nature contractuelle. « La loi est formelle : le malade ne peut pas se voir imposer un soin contre sa volonté. En revanche, le médecin n’est pas toujours obligé d’accepter un soin qui est demandé », affirme-t-elle. L’avocate ne remet pas en cause la liberté de conscience du patient, mais y oppose l’interdiction faite au médecin de se livrer à une « obstination déraisonnable ». Or, le corps médical est en mesure d’apprécier le caractère déraisonnable, pas le patient, insiste Mme Waquet. Quant au débat sur le respect du droit à la dignité, l’avocate se demande « à qui profitent les soins qui sont faits » alors que les médecins y voient une atteinte à la dignité du patient dont l’état s’aggrave.
Dernier argument que Mme Waquet verse au débat, en assumant le fait qu’il peut heurter dans le contexte d’une telle affaire, celui de la balance des droits et responsabilités des usagers d’un système de santé collectif. Et d’évoquer la situation économique de l’hôpital public face au coût que représenterait « une injonction à un maintien indéfini dans une vie artificielle ». « Un hôpital qui se pose la question de savoir comment il affecte ses moyens matériels et humains fait bien. »
Intervenant dans cette procédure, l’avocat de l’Union nationale des associations de familles de traumatisés crâniens et cérébro-lésés, François Molinié, dénonce « le risque d’une logique financière ». Selon lui, « les directives anticipées sont la clé de voûte des droits du malade ». Et de rappeler la récente recommandation du Comité consultatif national d’éthique appelant, le 13 septembre, à développer le recours aux directives anticipées, jugées trop peu nombreuses. « Quelle valeur peut-on donner à ces directives si le médecin peut passer outre ? », interroge M. Molinié.
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Mais pour le représentant de la première ministre à l’audience, Antoine Pavageau, la volonté du législateur de 2016 est claire : « Il a entendu permettre au médecin de se délier des directives anticipées si elles sont manifestement inappropriées. » Une façon, selon lui, de ne pas déresponsabiliser le médecin face à des décisions lourdes. Il rappelle que les garanties prévues dans le processus collégial entourant les décisions sur la fin de vie ont, en tant que telles, déjà été jugées suffisantes et conformes à la Constitution.
La réponse du Conseil constitutionnel à cette QPC, attendue le 10 novembre, ne manquera pas d’alimenter la réflexion de la prochaine convention citoyenne sur la fin de vie.
Jean-Baptiste Jacquin