Les méga-bassines «L’argent public ne doit pas servir à sauver un modèle insoutenable»

Paysans, nous sommes résolument contre les mégabassines

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Paysans, nous sommes résolument contre les mégabassines

Des milliers de personnes ont manifesté le 26 mars 2022 à La Rochénard, dans les Deux-Sèvres, lors d’un weekend contre les mégabassines– © Quentin Vernault / Reporterre

La lutte contre les mégabassines, une lutte contre les agriculteurs ? Surtout pas, assurent des paysans dans cette tribune. Ils appellent à transformer nos pratiques agricoles pour préserver la nature et non l’exploiter.

Ce texte a été écrit par les confédérations paysannes des départements concernés par les
 mégabassines (Vendée, Vienne, Deux-Sèvres, Charente) et la Confédération paysanne nationale. 150 associations et collectifs, dont la Confédération paysanne, appellent à une grande manifestation les 29 et 30 octobre à Sainte-Soline (79) pour stopper un énorme chantier de construction de mégabassine. L’action a été interdite par la préfecture mais des rassemblements, légaux, sont toujours prévus.


Nous, paysannes et paysans de Charente, Vendée, Vienne, Deux-Sèvres, produisons et cultivons sur des territoires aujourd’hui menacés par l’apparition des mégabassines. Depuis nos fermes et face à l’urgence climatique, nous demandons l’arrêt immédiat de la construction de ces cratères bâchés de 5 à 16 hectares dédiés à la survie d’un modèle agricole anachronique qui assèche les sols.

Les promoteurs des mégabassines arguent qu’il faut bien nourrir la population et que les mégabassines sont d’utilité publique… C’est faux. Ce n’est qu’une nouvelle affabulation, après avoir fait croire qu’elles se remplissaient avec de l’eau de pluie, sans pompage dans les nappes phréatiques ! [1]. Face au manque d’eau critique, notre profession va devoir relever le défi de continuer à assurer une production nourricière et locale. Mais les mégabassines ne sont pas la solution !

Ces dispositifs privatisent en réalité un bien commun au profit d’une minorité d’agriculteurs inféodés au système agro-industriel. Sur le bassin Sèvre niortaise-Mignon, il existe 2 000 exploitations agricoles. Seules 200 à 300 d’entre elles sont irrigantes (beaucoup d’agriculteurs cultivent du blé, du tournesol, du millet, des lentilles, etc., sans besoin d’irrigation) et, parmi celles-ci, 103 uniquement sont connectées sur les 16 bassines en projet. 5 % des exploitations vont donc accaparer l’eau au détriment des autres usages agricoles et non agricoles !

« 5 % des exploitations vont accaparer l’eau »

Cette privatisation se fait de plus au détriment de notre souveraineté alimentaire. L’eau pompée dans les nappes phréatiques pour les mégabassines est destinée avant tout à l’irrigation du maïs, inadapté à nos régions et cultivé en partie pour être exporté ou vendu aux producteurs d’aliments industriels. Le tout maïs est l’incarnation d’un système absurde écologiquement et économiquement produisant des céréales en quantité pharaonique pour engraisser des animaux d’élevage en bâtiment, dont la part d’herbe dans l’alimentation a été réduite au minimum. Et même si la part de maïs tend à diminuer parmi les surfaces irriguées, c’est au profit d’autres cultures industrielles ou de cultures qui n’étaient pas irriguées auparavant : céréales à pailles, semis arrosés pour faire lever des cultures de printemps, voire du colza à l’automne…

En pompant l’eau l’hiver, les 5 % d’irrigants connectés aux mégabassines ne seront en outre plus limités par les arrêtés sécheresse et vont ainsi hypothéquer le peu d’eau que l’on aura dans nos rivières et nos nappes, aux dépens des autres agriculteurs et des besoins en eau potable de la population.

Ce système est, depuis des décennies déjà, partie prenante du manque d’eau chronique sur nos territoires. Dans la course au productivisme, le bocage a laissé place à la plaine. Les haies ont disparu. Les prairies, qui servaient de pâturage et stabilisaient les sols, retenaient l’humidité et hébergeaient une multitude d’êtres vivants, ont été remplacées par de vastes étendues céréalières drainées, qui ne sont plus fertiles sans engrais ni pesticides. Dans le Marais poitevin, plus de la moitié des prairies naturelles ont disparu au profit de cultures depuis les années 1980. Sa production « intensive » est aussi à mettre en balance avec la pollution durable des sols et des eaux, et la baisse drastique de la biodiversité animale et végétale.

En réalité, cette agriculture sape depuis plusieurs décennies les conditions de sa reproduction et donc de notre alimentation. Les agriculteurs, dépendants de la politique agricole commune (PAC) économiquement, sont victimes de choix politiques désastreux. Nous n’oublions pas non plus que des maladies liées aux pesticides comme Parkinson ou le cancer de la prostate sont reconnues comme maladies professionnelles.

« L’argent public ne doit pas servir à sauver un modèle insoutenable »

Face au réchauffement climatique et à la dégradation des conditions de vie sur Terre, nous devons réfléchir à transformer nos pratiques agricoles pour préserver les paysages, l’eau et la nature au lieu de les exploiter jusqu’à épuisement. L’utilisation de l’eau doit être repensée de façon ciblée sur des productions nourricières et locales pourvoyeuses d’emploi, comme le maraîchage. Tout comme la production industrielle de viande : nous devons réorienter nos élevages vers des systèmes vertueux herbagers moins dépendants de l’apport en céréales. En accord avec les capacités de la ressource, le stockage de l’eau pour l’irrigation est possible avec, par exemple, de petites retenues remplies uniquement par ruissellement des eaux de pluie ou à partir des eaux de surface et des rivières en période de crue.L’eau pompée dans les nappes phréatiques pour les mégabassines (ici, celle de Mauzé-sur-le-Mignonn, dans les Deux-Sèvres) est destinée avant tout à l’irrigation du maïs. © Delphine Lefebvre / Hans Lucas / via AFP

L’argent public doit servir à favoriser ce changement de pratiques et non à sauver un modèle insoutenable.

L’accaparement de l’eau et le type d’exploitation qu’il promeut renforcent encore les processus déjà à l’œuvre d’accaparement des terres et de disparition des petites fermes. Alors qu’il est plus que jamais urgent que les alternatives paysannes se développent, les politiques agricoles ne cessent de favoriser l’agrandissement d’exploitations non transmissibles à des nouveaux installés. À qui vont aller des infrastructures devenues démesurées et inaccessibles financièrement sinon à des industriels ou des investisseurs ?

Les mégabassines ne sont pas un combat entre écologistes, d’un côté, et agriculteurs, de l’autre, mais bien le symbole d’un choix à effectuer entre deux visions de l’agriculture, entre deux futurs possibles pour nos territoires. Notre part dans ce combat, nous la prenons déjà au quotidien par notre pratique paysanne, mais nous savons que le tournant nécessaire ne surviendra pas sans mobilisations larges et déterminées de la société civile.

Lire aussi : Agriculture : le bilan désastreux du quinquennat de M. Macron 

Nous en appelons aujourd’hui à la population pour qu’elle s’engage au côté de l’agriculture qu’elle veut voir, et dans son assiette, et dans son environnement. Nous appelons toutes et tous à venir le 29 octobre à Sainte-Soline manifester sereinement avec nous pour l’abandon des travaux de la mégabassine et pour obtenir un moratoire sur les autres chantiers annoncés.

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Deux-Sèvres : la manifestation contre la mégabassine de Sainte-Soline vire à nouveau à l’affrontement

De violents heurts ont éclaté samedi à Sainte-Soline entre les forces de l’ordre et les opposants à la construction d’une retenue d’eau pour l’irrigation agricole. 

Par Frédéric Zabalza(La Rochelle, correspondant) (avec AFP) Publié aujourd’hui à 21h33, mis à jour à 23h43

Temps de Lecture 4 min. 

Des militants démontent les clôtures du chantier de construction d’une nouvelle réserve d’eau pour l’irrigation agricole à Sainte-Soline (Deux-Sèvres), le 29 octobre 2022.
Des militants démontent les clôtures du chantier de construction d’une nouvelle réserve d’eau pour l’irrigation agricole à Sainte-Soline (Deux-Sèvres), le 29 octobre 2022.  PASCAL LACHENAUD / AFP

Le scénario redouté d’un affrontement violent entre opposants aux bassines et forces de l’ordre s’est produit à nouveau, samedi 29 octobre, à Sainte-Soline (Deux-Sèvres). Avec une intensité supérieure aux heurts qui avaient émaillé le « printemps maraîchin » organisé en mars dernier à l’autre bout de ce même département, dans le village de La Rochénard. Cette fois, les manifestants font état d’une trentaine de blessés, victimes selon eux de projectiles des tirs de grenades lacrymogènes et de lanceurs de balles de défense (LBD) dont certains « en pleine tête »« 61 gendarmes ont été blessés, dont 22 sérieusement », a par ailleurs annoncé samedi soir le ministre de l’intérieur Gérald Darmanin. La préfecture des Deux-Sèvres rapportait plus tôt six interpellations.

Lire aussi :  Deux-Sèvres : des heurts entre les manifestants contre le projet de mégabassine et les gendarmes

L’affrontement semblait prévisible au regard de la détermination sans faille des opposants au projet de seize réserves de substitution pour l’irrigation agricole, dont la première a été réalisée à La Rochénard et la deuxième est en cours de construction à Sainte-Soline. Mais aussi en raison des forces en présence ce samedi : plus de 4 000 manifestants (7 000 selon les organisateurs) face à près de 1 700 militaires, équipés au sol de nombreux véhicules et d’un appui aérien de six hélicoptères. Ni l’interdiction signifiée aux syndicats CGT et Solidaires, dépositaires de la déclaration préalable à la manifestation, par la préfète Emmanuelle Dubée, ni le déploiement impressionnant de gendarmes autour du périmètre n’ont empêché des milliers de personnes de répondre à l’appel du collectif « Bassines non merci » et du mouvement les « Soulèvements de la Terre ».

« No bassaran ! »

La protestation avait même démarré la veille, vendredi, à La Rochelle, avec, à l’initiative de la Confédération paysanne, un rassemblement d’une cinquantaine de personnes devant l’entrée du Grand Port maritime de la Pallice et le blocage du pont de l’île de Ré. Après une soirée à l’ambiance « festive » sur le camp aménagé en plein champ, à Sainte-Soline, des manifestants ont convergé de toute la France samedi matin au cri de « No bassaran ! », comptant parmi eux l’eurodéputé écologiste Yannick Jadot, les députées Europe Ecologie-les Verts Sandrine Rousseau et Lisa Belluco, leur collègue du Parlement européen Benoît Biteau ou encore la députée La France insoumise Manon Meunier. La maire écologiste de Poitiers, Léonore Moncond’Huy, rapporte La Nouvelle République, a écopé d’une amende de 135 euros alors qu’elle tentait de rejoindre le camp de base, sans avoir « fait valoir sa qualité d’élue ou de parlementaire ».Lire aussi :  Article réservé à nos abonnés  Dans les Deux-Sèvres, les mégabassines agricoles font déborder le vase

Scindés en trois cortèges de couleurs différentes pour déjouer le dispositif de la gendarmerie et le blocage des axes routiers, les anti-bassines ont eux réussi à accéder, après avoir forcé les grilles, au chantier de construction de la future réserve de 650 000 m³ – l’équivalent de 260 piscines olympiques – située près du bourg de Sainte-Soline, conformément au protocole d’accord signé en 2018. Celui-ci prévoit la création des seize « mégabassines », réparties dans les Deux-Sèvres, la Charente-Maritime et la Vienne, à la demande de la Coop de l’eau, regroupant des agriculteurs, principalement des céréaliers. Le financement de ce vaste projet, qui longe la Sèvre niortaise et le Marais poitevin, serait assuré à 70 % par l’Etat et par l’Agence de l’eau Loire-Bretagne.

Un « accaparement de l’eau par une poignée de grands céréaliers »

Une gabegie d’argent public doublé d’une hérésie écologique, selon le porte-parole de « Bassines non merci », Julien Le Guet, qui dénonce un « accaparement de l’eau par une poignée de grands céréaliers ». Le contexte de la sécheresse de cette année, qui a notamment mis à sec la moitié des cours d’eau de la Charente-Maritime, est un argument massue pour contrer ces « mégabassines », selon Yannick Jadot. « Imaginer prendre toute l’eau disponible aujourd’hui pour arroser du maïs dans une région où il n’y a plus d’eau, c’est totalement aberrant », dénonçait le responsable écologiste samedi dans les Deux-Sèvres, tandis que les députés Rassemblement national (RN) de Gironde Edwige Diaz et Grégoire de Fournas ont apporté leur soutien aux forces de l’ordre et dénoncé « l’irresponsabilité des parlementaires de la Nupes »

.Lire aussi :   « Les “mégabassines” sont le symbole d’un modèle néfaste aux paysans et à nos territoires : l’agriculture productiviste »

L’affrontement autour de ce projet est d’abord idéologique. C’est celui de deux modèles agricoles, entre d’un côté, ce que défend par exemple la Confédération paysanne, favorisant une agriculture éco-responsable, moins consommatrice en eau et en produits chimiques, et de l’autre, le modèle qu’entend faire perdurer la Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles (FNSEA), soit « une agriculture qui permet de nourrir le pays et la planète tout en préservant des emplois en France ». Denis Mousseau, président de la FNSEA dans les Deux-Sèvres, qui défend ce projet de stockage, a rappelé jeudi à l’Agence France-Presse « la forte inquiétude » des agriculteurs locaux à propos de ce rassemblement.

Samedi matin, sur France Inter, le ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires Christophe Béchu, a indiqué qu’une étude scientifique « est venue dire à quel point le projet tel qu’il était, après expertise, n’avait pas de conséquences négatives pour les nappes ». Il a toutefois souligné la « nécessité qu’on diminue collectivement (…) nos usages d’eau ».

Selon cette étude évoquée par le ministre, menée par le Bureau de recherches géologiques et minières, le projet pourrait, par rapport à la période 2000-2011, « augmenter de 5 % à 6 % » le débit des cours d’eau l’été, contre une baisse de 1 % l’hiver, sans prendre en compte l’évaporation potentielle des futures réserves ni la menace de sécheresses récurrentes liée au réchauffement climatique.

Samedi, les porte-parole de Bassines non merci et des Soulèvement de la Terre ont d’ailleurs salué la présence au sein du cortège de Philippe Béguin, ancien membre de la Coop de l’eau, « qui a décidé de changer de modèle » et de s’opposer à la création des réserves de substitution. Mais il s’est heurté comme les autres à la fermeté de la préfecture, bien décidée à éviter à tout prix la création d’une zone à défendre (ZAD) comme à Sivens, dans le Tarn, en 2014. Les organisateurs ont donné rendez-vous dimanche à 14 heures pour de nouvelles actions « de désobéissance civile » contre la bassine.

Frédéric Zabalza(La Rochelle, correspondant) (avec AFP) 

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Publié par jscheffer81

Cardiologue ancien chef de service au CH d'Albi et ancien administrateur Ancien membre de Conseil de Faculté Toulouse-Purpan et du bureau de la fédération des internes de région sanitaire Cofondateur de syndicats de praticiens hospitaliers et d'associations sur l'hôpital public et l'accès au soins - Comité de Défense de l'Hopital et de la Santé d'Albi Auteur du pacte écologique pour l'Albigeois en 2007 Candidat aux municipales sur les listes des verts et d'EELV avant 2020 Membre du Collectif Citoyen Albi

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