Agnès Buzyn livre sa version de la gestion de l’épidémie de Covid-19 pour laquelle elle est mise en examen pour « mise en danger de la vie d’autrui ».

« Tout le monde me disait que j’étais folle » : seule politique mise en examen, Buzyn dévoile ses vérités sur le Covid 

Par L.C. le 25-10-2022 

Dans un entretien au Monde, l’ex-ministre de la Santé Agnès Buzyn livre sa version de la gestion de l’épidémie de Covid-19 pour laquelle elle est mise en examen pour « mise en danger de la vie d’autrui ». « J’ai été, de très loin en Europe, la ministre la plus alerte. Mais tout le monde s’en foutait », déplore celle qui est désormais à la Cour des comptes.

C’est un long récit que publie Le Monde ce mardi. Après presque deux années de silence médiatique, l’ancienne ministre de la Santé Agnès Buzyn a accepté de se livrer en détails sur la gestion de l’épidémie de Covid-19 au quotidien national. Mise en examen en septembre 2021 pour mise en danger de la vie d’autrui, l’hématologue de formation se justifie, criant à corps et à cri qu’elle a été « de très loin en Europe, la ministre la plus alerte ». Aujourd’hui, elle est la seule responsable politique à être mise en examen dans le cadre de la gestion de la crise, Edouard Philippe ayant été placé vendredi sous le statut de témoin assisté.

« On m’a fait passer pour une idiote qui n’a rien vu, alors que c’est l’inverse, insiste-t-elle. Non seulement j’avais vu mais prévenu. […] Mais tout le monde s’en foutait. Les gens m’expliquaient que ce virus était une ‘grippette’ et que je perdais mes nerfs », affirme-t-elle au Monde, qui a pu consulter le journal que l’ex-ministre a rédigé à propos de la crise : 600 pages retraçant la gestion de l’épidémie de fin 2019 à l’été 2021, et qui constitue une pièce du dossier de la Cour de justice de la République.

Les événements racontés dans ce journal, qui « [l]’a sauvée de la dépression », commencent le 25 décembre 2019. En vacances en Corse, l’ex-locataire de l’avenue de Ségur tombe sur un blog faisant état de cas de pneumopathie inexpliqués en Chine. Préoccupée, elle raconte qu’elle alerte le directeur général de la Santé, Jérôme Salomon, à qui elle demande de suivre cela de près. Mi-janvier, une alerte est transmise aux hôpitaux français et le 21, elle lance un point presse quotidien « après avoir été informée d’une possible transmission interhumaine », rapporte Le Monde.

Puis de temps avant de quitter la Santé pour se lancer dans la course aux élections municipales, Agnès Buzyn dit avoir écrit aux ARS afin de les mettre en alerte maximale. Elle déclenche le plan Orsan Reb, un dispositif exceptionnel d’organisation des soins. Mais les hôpitaux sont en grève, et, déplore la ministre, « personne ne semble conscient du danger ». « J’ai l’impression d’avoir face à moi une armée endormie, je n’arrive pas à les secouer. »

Le Monde rappelle que la commission d’enquête du Sénat reconnaîtra d’ailleurs une mobilisation précoce de la ministre de la santé, notant que ses « avertissements répétés » semblent « ne pas avoir été écoutés ou suivis d’effets », dans son rapport paru fin 2020. Les députés de la commission étrilleront quant à eux la gestion de la crise, pointant du doigt « un pilotage défaillant » et « une sous-estimation du risque ».

Pourtant, Agnès Buzyn assure avoir prévenu le Président de la République et son Premier ministre de l’époque Edouard Philippe le 11 janvier. A ce moment-là, l’épidémie a fait 1 mort en Chine. En France, on parle surtout de la réforme des retraites et des grèves, mais on attend aussi les élections municipales, qui doit avoir lieu en mars. « L’information ne figure pas encore dans les médias, mais ça peut monter », écrit-elle au Président. Dès lors, la ministre de la Santé affirme avoir tenu informés Emmanuel Macron et Edouard Philippe de l’évolution de l’épidémie.

Les choses s’accélèrent à des milliers de kilomètres de chez nous, en Chine. En France, les premiers cas ont été détectés le 24 janvier. « A chaque fois que j’ai réclamé à Edouard une réunion de ministres, je l’ai eue. Ça ne voulait pas dire qu’il croyait à mes scénarios, à mes angoisses, mais nous avons travaillé main dans la main et il me faisait confiance, il n’a rien négligé. Le président a laissé le gouvernement faire. A l’époque, ils sont comme le reste de la population et des experts français, personne n’arrive à concevoir la gravité de ce qui vient », confie celle qui est désormais à la Cour des comptes, après avoir dirigé l’Académie de l’Organisation mondiale de la Santé (OMS).

A la suite de l’apparition de la découverte des premiers cas sur notre sol, la ministre écrit de manière plus insistante aux deux têtes de l’exécutif. Le 25 janvier, elle écrit à Emmanuel Macron, lui confiant que selon elle, « l’OMS a pris la mauvaise décision de ne pas déclencher une alerte mondiale ». Pas de réponse. Contacté, le Premier ministre ne la rappelle pas non plus. Face à la hausse exponentielle des cas à Wuhan, elle réitère son alerte au chef de l’Etat le 27, deux jours plus tard. « Cela peut tout de même être sévère si beaucoup de personnes sont touchées.« 

« Le jour où nous aurons des cas à l’étranger chez des personnes ne venant pas de Chine, ce sera un tournant vers une pandémie mondiale », se souvient-elle avoir déclaré.

Alors que le Premier ministre se prépare à mener bataille au Havre pour les municipales, Agnès Buzyn lui fait part de ses doutes quant à la tenue des élections, compte tenu du contexte sanitaire incertain. En parallèle, elle affirme avoir sollicité à maintes reprises un entretien avec le Président. Mais jusqu’à son départ de l’avenue de Ségur, le 15 février, elle n’aura eu qu’une conversation par téléphone sur le sujet avec Emmanuel Macron, le 8 février, au cours duquel elle expose des pistes pour freiner l’épidémie. « Mais qu’est-ce que tu as dit au PR [Président de la République] l’autre soir ? Tu as réussi à lui faire peur ! » lui aurait lancé le secrétaire général de l’Elysée, Alexis Kohler, une semaine plus tard.

L’ex-ministre revient également sur son départ, largement critiquée par l’opinion publique alors que le pays s’apprêtait à être mis sous cloche. L’hématologue le regrette aujourd’hui. Amèrement. Après la diffusion d’une vidéo intime de Benjamin Griveaux, candidat à la mairie de Paris, le 14 février, la ministre est poussée par le Président et son bras droit à remplacer le candidat LREM, assure-t-elle. Elle avait déjà renoncé à se présenter sur la liste de ce dernier. « Vu la situation sanitaire dans le monde, j’ai prévenu BG [Benjamin Griveaux] que je ne pouvais plus m’engager sur une liste aux municipales, si tant est que les municipales puissent se tenir. Tout cela ne fait que commencer », aurait-t-elle écrit à Emmanuel Macron le 8 février.

Dès lors, son entourage d’écrit un véritable harcèlement qu’elle aurait subi. Selon Le Monde, on lui fait même comprendre qu’elle pourrait ne pas récupérer son poste à l’issue du remaniement après les municipales. Elle finit par accepter de se lancer dans la course, annonçant son départ du ministère le 16 février, émue. « Je n’aurais jamais dû partir. A la santé, j’étais à ma place. Là, on me poussait au mauvais endroit au mauvais moment », confie-t-elle. La campagne se soldera par un échec cuisant pour l’ex-ministre, qui ne s’était jamais confrontée jusqu’ici aux suffrages.

Se disant « dissociée » entre sa campagne politique et la crise, Agnès Buzyn affirme continuer de conseiller le Président et Edouard Philippe. Elle se veut de plus en plus insistante sur l’importance de ne pas maintenir le second tour des municipales. Une alerte qui sera laissée sans réponse. Elle n’hésitera pas, selon Le Monde, à critiquer le manque d’anticipation de l’exécutif lors d’une conversation téléphonique avec Emmanuel Macron fin février. « Il faut préparer les hôpitaux, l’opinion publique, le pays n’est pas prêt ! », aurait-elle plaidé.

« Cette campagne a été une souffrance pour moi tant je n’aurais pas pris les mêmes décisions que vous et tant j’ai senti le danger toutes ces semaines », écrit-t-elle dans son journal. Arrivée en 3e position au premier tour, la médecin s’est retirée de la campagne pour la mairie de Paris et a renfilé sa blouse. « On aurait dû écouter Agnès », aurait déclaré Emmanuel Macron selon plusieurs de ses proches.

Si elle ne veut pas se présenter comme une « victime », l’ex-ministre semble marquée par cette période durant laquelle elle est devenue malgré le symbole de l’impréparation du Gouvernement, le bouc émissaire. « Je m’attendais à ce que la politique soit rude, mais pas à ces torrents de boue, ça a dépassé tout ce que j’aurais pu concevoir, explique-t-elle. Je suis devenue l’ennemie publique numéro un. »

[avec Le Monde]

Covid-19 : les vérités d’Agnès Buzyn sur la gestion de la pandémie

Par Solenn de Royer

Hier à 06h00, mis à jour hier à 09h19.

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RÉCIT « Le Monde » s’est procuré un journal rédigé par l’ex-ministre de la santé, mise en examen pour « mise en danger de la vie d’autrui » pour sa gestion de l’épidémie. Elle raconte le début de l’année 2020, ses alertes pas suffisamment prises au sérieux et sa souffrance. 

Lecture 16 min.

Mars 2020. Alors que s’annonce un printemps beau et glacial, la France entre dans le confinement. Le premier tour des élections municipales vient de se tenir. La candidate LRM à la Mairie de Paris, Agnès Buzyn, dont les listes sont arrivées en troisième position avec 17 % des voix, est redevenue médecin. Elle a trouvé un point de chute à l’hôpital militaire de Percy, dans les Hauts-de-Seine, en renfort dans l’unité Covid-19. Pour ne pas exposer le reste de sa famille, elle rejoint le soir le studio de l’un de ses fils, parti se confiner dans le Sud.

Cible des réseaux sociaux, critiquée pour sa gestion des prémices de la crise sanitaire et son départ précipité du gouvernement, le 15 février, elle va mal. Et se réfugie dans le travail. Par « peur d’oublier », l’ex-ministre de la santé a entrepris de rédiger un journal rétrospectif de la crise. Elle épluche ses agendas, ses SMS, ses mails, ses boucles Telegram, et entreprend de retracer, aussi précisément que possible, les trois mois les plus « éprouvants » de sa vie. Seule tous les soirs, après l’hôpital, elle écrit. « Ce journal m’a sauvée de la dépression », confie-t-elle aujourd’hui.

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Ce document de plus de 600 pages – qui constitue une pièce du dossier à la Cour de justice de la République (CJR) – commence fin 2019 et se termine à l’été 2021. Agnès Buzyn envisageait d’en publier une version édulcorée. Ses amis qui l’ont vue « au fond du trou » après les municipales le lui ont déconseillé : « En t’exposant encore, tu vas donner prise à la critique, ménage-toi ! » Un éditeur parisien lui a dit banco sur le principe, à condition qu’elle n’élude rien et ne cherche à protéger personne. « Je ne veux pas attaquer qui que ce soit, ce n’est pas mon genre, a-t-elle esquivé. Je tiens à ma réputation.

– Mais vous n’avez plus de réputation ! », a rétorqué l’éditeur, qui a finalement renoncé à publier une version adoucie du journal.

Un dossier « océanique »

L’ancienne ministre marche sur un fil, partagée entre sa loyauté envers Emmanuel Macron et Edouard Philippe, qui l’avaient nommée au gouvernement en 2017, et le souhait de ne pas être l’unique bouc émissaire de la crise due au Covid-19, qui a fait 150 000 morts en France. Le député de Paris Gilles Le Gendre (Renaissance), resté proche d’elle, loue sa « force » et son « fair-play »« Agnès est d’abord médecin, scientifique,rappelle-t-il. Inviter une figure aussi rationnelle en politique, à l’heure où celle-ci est de plus en plus brouillée avec la raison, était une excellente idée. Mais aussi un risque dont elle se retrouve aujourd’hui bien seule à assumer les conséquences. »

A ce jour, l’hématologue est la seule responsable mise en examen par la CJR, pour « mise en danger de la vie d’autrui ». L’ancien premier ministre Edouard Philippe, discrètement auditionné le 18 octobre par cette même juridiction, a été placé sous le statut plus favorable de témoin assisté, échappant ainsi à la mise en examen. L’ex-ministre de la santé Olivier Véran, désormais porte-parole du gouvernement, est lui aussi visé par cette instruction mais n’a pas encore été entendu par les magistrats.

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Agnès Buzyn, elle, a déjà enchaîné une vingtaine d’auditions, soit plusieurs centaines de pages de procès-verbaux, venus alimenter un dossier « océanique ». « Nous sommes le seul pays au monde à mettre en examen des ministres pour la gestion d’une pandémie mondiale, déplore-t-elle. J’ai apporté toutes les preuves qu’on a anticipé et géré au mieux, en vain. Les Français croient que je n’ai rien fait. » Elle s’arrête, émue. « Imaginer qu’ils aient pu penser une seule seconde que je n’ai pas mis toute mon énergie à essayer d’éviter le pire, c’est insupportable, reprend-elle. Sauver des vies, c’est le fil rouge de ma vie. »

Elle est devenue le visage de cette crise et de l’impréparation du pays, notamment sur les masques, ce qu’elle vit comme une « profonde injustice ». Incompris, son départ du gouvernement pour concourir aux municipales à Paris, le 15 février 2020, a été vu au mieux comme une légèreté, au pire comme une désertion. Au plus fort de l’épidémie, elle a été tournée en ridicule pour ses déclarations maladroites du 21 janvier 2020. Lors d’un point presse, elle avait affirmé que le risque d’introduction du virus en France était « faible », sans pouvoir « être exclu »pour autant, compte tenu des « lignes aériennes directes entre la France et Wuhan ». La première partie de sa phrase, coupée, est devenue virale sur les réseaux sociaux, suscitant un flot de critiques indignées. « On m’a fait passer pour une idiote qui n’a rien vu, alors que c’est l’inverse, insiste-t-elle. Non seulement j’avais vu mais prévenu. J’ai été, de très loin en Europe, la ministre la plus alerte. Mais tout le monde s’en foutait. Les gens m’expliquaient que ce virus était une “grippette” et que je perdais mes nerfs. »

Elle prévient Macron le 11 janvier

Agnès Buzyn reçoit chez elle, au fond d’une cour fleurie, dans l’appartement parisien qu’elle partage avec son mari, l’ancien patron de l’Inserm, Yves Lévy, et son dernier fils, à deux pas du jardin du Luxembourg. Elle a beaucoup hésité avant de parler au Monde, après deux ans de diète médiatique. Cet été, elle a quitté Genève, où elle s’était installée début 2021, recrutée au cabinet du directeur général de l’Organisation mondiale de la santé (OMS). Elle voulait rentrer à Paris, et Emmanuel Macron – qu’elle a accompagné en septembre à l’Assemblée générale de l’ONU, à New York, pour une réunion mondiale sur la santé – l’a nommée à la Cour des comptes. Elle était également à ses côtés lors des commémorations de la rafle du Vél’d’Hiv, le 17 juillet, deux mois après le décès de son père, Elie Buzyn, rescapé d’Auschwitz.

« J’ai l’impression d’avoir face à moi une armée endormie, je n’arrive pas à les secouer. » Agnès Buzyn

Il y a un an, Gilles Le Gendre, qui vit à quelques mètres de chez elle, s’était inquiété de la voir broyer du noir. Il avait alerté l’ex-président de l’Assemblée nationale Richard Ferrand : « Il faut prendre soin d’Agnès, la protéger ! » Le 28 octobre 2021, le député a organisé un dîner en son honneur dans un salon de l’Assemblée, en présence de l’ancien conseiller élyséen Philippe Grangeon, l’ancienne garde des sceaux Nicole Belloubet et de nombreux élus de Paris. « On voulait lui dire qu’elle faisait toujours partie de la tribu », dit-il. Deux mois plus tard, Agnès Buzyn était décorée de la Légion d’honneur. Mais ces petites attentions peinent à apaiser les blessures, toujours à vif, de cette professeure de médecine, jadis unanimement respectée. Elle ne peut plus se déplacer sans un officier de sécurité, compte tenu des innombrables insultes ou menaces qu’elle reçoit.

Son journal – que Le Monde a pu lire – commence le 25 décembre 2019. La ministre de la santé, alors en vacances en Corse, surfe sur Twitter. Un blog faisant état de quelques cas de pneumopathie inexpliqués en Chine attire son attention. Elle envoie le lien au directeur général de la santé, Jérôme Salomon, en lui demandant de « suivre cela ». Infectiologue, spécialiste des crises sanitaires, elle a un « pressentiment », qui la conduit à mettre le ministère en alerte, plaide-t-elle.

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Le 2 janvier, une veille du Centre opérationnel de régulation et de réponse aux urgences sanitaires et sociales est activée. Mi-janvier, un premier message d’alerte sanitaire part en direction des établissements de santé. Le 21 janvier, après avoir été informée d’une possible transmission interhumaine, elle décide de faire un point presse quotidien. Peu avant son départ, elle écrit aux agences régionales de santé pour les mettre en alerte « maximale » et déclenche le plan Orsan Reb, qui organise la mobilisation du système de santé. La plupart des hôpitaux sont alors en grève, et « personne ne semble conscient du danger »« J’ai l’impression d’avoir face à moi une armée endormie, je n’arrive pas à les secouer », raconte-t-elle.

Dans son rapport publié fin 2020, la commission d’enquête du Sénat a reconnu une « mobilisation précoce » de la ministre de la santé, même si ses « avertissements répétés » semblent « ne pas avoir été écoutés ou suivis d’effets ». De leur côté, les députés de la commission d’enquête chargée de faire la lumière sur la gestion de la crise ont souligné, dans un rapport accablant, une « sous-estimation du risque » et un « pilotage défaillant ».

Dans son journal, Agnès Buzyn raconte qu’elle prévient pour la première fois Emmanuel Macron et Edouard Philippe, le 11 janvier, qu’une épidémie nouvelle sévit depuis quinze jours en Chine (elle a fait un mort). « L’information ne figure pas encore dans les médias, mais ça peut monter », écrit-elle au président de la République. En ce début 2020, c’est la réforme des retraites et les grèves qui font les gros titres, avec les élections municipales en ligne de mire. Ministre issue de la société civile, Agnès Buzyn est respectée mais elle a peu de poids politique. Elle s’entend bien avec Edouard Philippe, mais sent bien que la place des femmes en Macronie n’est « clairement pas » la même que celle des hommes.

A partir de la mi-janvier, elle tient informés le président et le premier ministre des progrès de l’épidémie, d’abord en Chine puis en France (où les premiers cas apparaissent le 24 janvier), sans cacher son inquiétude. « Je n’avais pas l’impression d’être entendue », dit-elle, avant de nuancer : « A chaque fois que j’ai réclamé à Edouard une réunion de ministres, je l’ai eue [le premier ministre organise une réunion à Matignon fin janvier]. Ça ne voulait pas dire qu’il croyait à mes scénarios, à mes angoisses, mais nous avons travaillé main dans la main et il me faisait confiance, il n’a rien négligé. Le président a laissé le gouvernement faire. A l’époque, ils sont comme le reste de la population et des experts français, personne n’arrive à concevoir la gravité de ce qui vient. »

« Je n’arrivais pas à avoir de rendez-vous »

Agnès Buzyn, à Paris le 24 octobre 2022.
Agnès Buzyn, à Paris le 24 octobre 2022. ED ALCOCK / MYOP POUR « LE MONDE »

Fin janvier, ses messages deviennent insistants. Elle a compris qu’une mortalité de 3 % liée au Covid-19 semble se confirmer. « C’est beaucoup pour un virus qui a une cinétique de type grippe », s’inquiète-t-elle, le 25 janvier, auprès de son directeur de cabinet. Ce même jour, elle indique par SMS aux deux têtes de l’exécutif qu’elle souhaite leur parler de l’épidémie. « Monsieur le PR, je suis à votre disposition pour faire un point de situation quand vous le souhaitez », écrit-elle à Emmanuel Macron, en lui glissant qu’à son avis « l’OMS a pris la mauvaise décision de ne pas déclencher une alerte mondiale ». Le président ne l’appelle pas. « Bonjour Edouard, j’imagine que tu es au Havre, écrit-elle au chef du gouvernement. Il faudrait que je puisse te faire un point de la situation et te donner mon sentiment sur l’épidémie dans la journée. » Le premier ministre ne l’appelle pas non plus.

Le 27 janvier, cinq jours après le confinement de la ville chinoise de Wuhan, nouveau SMS au chef de l’Etat. S’excusant de l’arracher à un emploi du temps « chargé », elle lui explique que le nombre de cas en Chine augmente de façon exponentielle depuis huit jours. Et que si la mortalité due au virus est plus faible que pour le SRAS, sa contagiosité est plus forte. « Cela peut tout de même être sévère si beaucoup de personnes sont touchées », écrit-elle, précisant que si 10 millions de personnes sont contaminées, et que la mortalité est de 1 %, « comme une grippe grave »« cela fait 100 000 morts ». Et d’ajouter : « Pour l’instant, il s’agit encore d’une épidémie régionale : tous les cas mondiaux viennent de la région de Wuhan. Le jour où nous aurons des cas à l’étranger chez des personnes ne venant pas de Chine, ce sera un tournant vers une pandémie mondiale. »

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Ce jour-là, Agnès Buzyn termine son message à Emmanuel Macron en l’informant que ses services travaillent sur différents scénarios en fonction de divers paramètres (contagiosité, gravité, mortalité), afin d’« évaluer l’impact sur le système de santé et anticiper ». Le président la remercie très brièvement pour sa « clarté » et lui dit qu’il a été « heureux » de voir ses parents, Elie et Etty Buzyn, au Mémorial de la Shoah, où il était dans la matinée pour les soixante-quinze ans de la libération d’Auschwitz.

Le 30 janvier, Agnès Buzyn prend un café avec Edouard Philippe dans un salon Art déco du Conseil économique social et environnemental, où le premier ministre s’est exprimé sur les retraites. Quand il lui confie avoir hâte de faire campagne au Havre (il se déclarera candidat le lendemain dans Paris-Normandie), elle lui fait part de son mauvais pressentiment sur ces municipales, prévues deux mois plus tard. Elle prévient qu’au vu de l’augmentation du nombre de cas en Chine le scrutin pourrait ne pas se tenir. « Il faut se mettre en mode combat », lui glisse-t-elle. Le même jour, elle réclame à M. Macron un tête-à-tête pour le briefer sur ce virus qui semble « beaucoup plus grave que la grippe ». De peur des fuites, elle tient à lui livrer ses inquiétudes en privé, hors du conseil des ministres. « On fait ça demain sans problème », répond le président, après minuit. Elle revient donc à la charge, le lendemain. A 8 h 30 (« Un peu inquiète (…) Je peux passer ce soir ou demain, ou si vous préférez un point téléphonique »), puis le soir, à 23 h 17 (« Je suis à votre disposition pour vous montrer les projections et vous expliquer comment nous nous organisons dans les hôpitaux pour les semaines qui viennent »). « Il fallait commencer à préparer l’opinion publique, raconte-t-elle aujourd’hui au MondeMais je n’arrivais pas à avoir de rendez-vous. »

« Je n’aurais jamais dû partir. A la santé, j’étais à ma place »

Avant son départ du ministère, Agnès Buzyn assure qu’elle n’aura qu’une seule conversation avec le chef de l’Etat sur le sujet, le samedi 8 février. Elle et son mari se trouvent alors au cinéma, devant le film de Destin Daniel Cretton La Voie de la justice. Quand le nom d’Emmanuel Macron s’affiche sur son portable, elle se faufile hors de la salle et s’assoit dans le noir, sur les marches qui mènent aux toilettes de l’UGC. A voix basse, la ministre dresse au président le tableau de ce qu’elle imagine pour les prochaines semaines : fermeture des frontières, arrêts des vols, perte de 10 points de PIB, arrêt de l’économie, le temps que le virus fasse le tour de la Terre (« au moins un an »), mortalité importante. Elle lui explique qu’un confinement, comme en Chine, peut ralentir la vague, sinon les hôpitaux ne pourront pas absorber un afflux de cas graves. Au conseil des ministres suivant, le secrétaire général de l’Elysée, Alexis Kohler, l’interpelle : « Mais qu’est-ce que tu as dit au PR l’autre soir ? Tu as réussi à lui faire peur !

– Heureusement que je lui ai fait peur !  », répond-elle.

Le 14 février, le retrait de Benjamin Griveaux de la course à la Mairie de Paris, après la diffusion d’une vidéo intime, est un coup de tonnerre pour l’Elysée. En dépit des alertes répétées de Mme Buzyn sur l’épidémie, Emmanuel Macron et Edouard Philippe la poussent à remplacer le candidat LRM au pied levé. Elle leur a pourtant signifié à plusieurs reprises qu’elle renonçait à se présenter sur sa liste, projet qu’elle avait un temps caressé, désireuse de se frotter au suffrage universel. « Vu la situation sanitaire dans le monde, j’ai prévenu BG que je ne pouvais plus m’engager sur une liste aux municipales, si tant est que les municipales puissent se tenir. Tout cela ne fait que commencer », écrivait-elle ainsi à M. Macron, le 8 février. Même chose à M. Philippe le 10 février : « J’ai décidé de ne pas aller aux municipales. »

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Dans la foulée du retrait de M. Griveaux, MmeBuzyn est appelée par tous les gradés de la majorité, pendant quarante-huit heures « infernales ». Tous les arguments sont utilisés pour la faire plier, comme elle en témoigne dans son journal. Certains lui font même comprendre qu’elle pourrait ne pas retrouver son poste au remaniement qui suivra les municipales, si elle décidait de rester au ministère. Le président en personne l’appelle à deux reprises dans la nuit du samedi 15 au dimanche 16 février, rapporte-t-elle. « Un véritable harcèlement », s’indigne un proche de l’ex-ministre.

A la fin du week-end, cette dernière finit par céder. Alexis Kohler exige que, dans le communiqué de presse qui annonce sa démission, soit bien précisé qu’elle quitte le gouvernement « à [sa] demande », raconte-t-elle. « J’ai tenté de résister, mais la pression était trop forte, admet-elle. Je comprends aujourd’hui que tout avait été décidé et qu’il fallait juste trouver la bonne formule pour que je lâche prise. » Elle regrette aussitôt : « Je n’aurais jamais dû partir. A la santé, j’étais à ma place. Là, on me poussait au mauvais endroit au mauvais moment. »

Elle répète qu’il faut « annuler les élections »

La campagne est un « cauchemar ». Elle ne connaît ni les équipes, dévouées à Benjamin Griveaux, ni le programme, et échoue à rallier le dissident Cédric Villani. Agnès Buzyn découvre en novice le jeu politique et son lot de mesquineries. En off, les uns se moquent de ses cheveux lâchés, « comme à la “Star Ac’” », mais, quand elle les attache, on lui reproche de vouloir imiter son ex-belle-mère, Simone Veil. Elle subit même l’ire de Nicolas Sarkozy, qu’elle a critiqué dans un débat sur les effectifs policiers, et qui la menace de « sulfater » sa campagne. Elle s’en ouvre aussitôt à M. Macron. Celui-ci lui répond par SMS que Sarkozy est « très émotif et exotique » mais qu’il vaut mieux l’avoir « neutre ou de son côté »« Monsieur le Président, je suis dissociée, je fais campagne pour Paris et pour vous, mais je ne pense qu’à la crise ! », glisse-t-elle à celui qui la « coache », multipliant les conseils tactiques, de jour ou de nuit. Il l’encourage à tenir bon : « On va gagner ! »

Jusqu’au premier tour, elle continue d’alerter les deux plus hauts responsables du pays, de plus en plus alarmiste. Ainsi a-t-elle une deuxième conversation téléphonique avec Emmanuel Macron, le 29 février, au cours de laquelle elle regrette que le gouvernement ne soit pas assez dans l’anticipation. « On perd du temps sur l’épidémie », s’inquiète-t-elle, l’incitant à monter une « task force dédiée » : « Il faut préparer les hôpitaux, l’opinion publique, le pays n’est pas prêt ! »

Le 10 mars, alors qu’Edouard Philippe, venu la soutenir, s’affiche avec elle dans un bistrot du 17earrondissement, elle lui répète qu’il faut « arrêter les élections ». La vie du pays doit bien continuer, répond-il. Trois jours plus tôt, M. Macron s’est d’ailleurs lui-même affiché au théâtre avec son épouse, pour inciter les Français à ne pas modifier leurs habitudes. « Je continue de vous demander de tout arrêter, comme en Italie, le plus vite possible, insiste Mme Buzyn le 13 mars. Cela va être la bérézina dans les hôpitaux. »

Lire aussi la chronique :

« En mars, Macron exhortait les Français à lire, le 28 octobre il n’a pas eu un mot pour la culture »

Au lendemain du premier tour, le 16 mars 2020, c’est à Edouard Philippe qu’elle s’adresse. Le ton monte. La candidate LRM est furieuse que le gouvernement n’annonce pas immédiatement l’annulation du second tour et, par conséquent, la suspension des tractations de l’entre-deux-tours : « Tout cela est déconnant ! Ne nous fais pas faire une tambouille de deuxième tour quand la situation est si grave. Nous avons été assez ridicules comme cela. » Plus tard dans la journée, elle dit à « Edouard » qu’elle est « triste » qu’il ne l’ait pas écoutée une semaine plus tôt, quand elle lui a demandé de repousser le scrutin. « Cette campagne a été une souffrance pour moi tant je n’aurais pas pris les mêmes décisions que vous et tant j’ai senti le danger toutes ces semaines », écrit-elle. Dans ses SMS, elle précise avoir vécu ces élections comme une « mascarade » et parle de l’épidémie comme d’un « tsunami » à venir. Elle répète ces mots le soir même au téléphone devant Le Monde, en larmes, suscitant un immense embarras au sommet de l’Etat, et la précipitation de sa disgrâce.

Juste après l’allocution du président, qui annonce une série de mesures restrictives dans la soirée, sans toutefois jamais prononcer le mot de « confinement », l’ex-ministre écrit une nouvelle fois au premier ministre : « Edouard, vous êtes en dehors de la plaque, et si tu as encore confiance en moi, prenez une décision de confinement car nous avons quinze jours de retard. Et je ne perds pas mes nerfs, je suis lucide depuis des semaines et, derrière vos décisions, ce sont des gens qui vont mourir. » Aujourd’hui, elle résume : « Bien sûr, c’est facile de dire après “j’avais tout vu”Ce qui est certain, c’est que j’avais un pressentiment, et tout le monde me disait que j’étais folle. J’ai fait le maximum de ce qu’il était possible de faire à cette période-là. » Elle ajoute : « Pendant toute la campagne, j’ai continué d’envoyer des textos, d’alerter, mais j’ai senti que je ne pesais plus rien et que je parlais dans le vide. Je n’étais plus aux affaires et on me le faisait sentir. »

« Je suis devenue l’ennemie publique numéro un »

Critique avec les conseillers de l’Elysée et de Matignon, où n’officie « aucun médecin », Agnès Buzyn se montre également méfiante avec le conseil scientifique. Elle raconte dans son journal qu’elle met en garde MM. Macron et Philippe contre ces experts (qui devaient être décorés ce mardi 25 octobre 2022 à l’Elysée, selon Le Journal du dimanche).

Au cours du printemps 2020, l’ancienne ministre est également sidérée d’apprendre qu’Emmanuel Macron se rend à Marseille, le 9 avril, pour consulter le professeur Didier Raoult, partisan du traitement controversé à l’hydroxychloroquine. Pendant des semaines, elle a alerté les deux têtes de l’exécutif contre l’infectiologue et ses lubies. Aujourd’hui, elle assure qu’elle-même n’aurait « jamais » signé le décret autorisant cet antipaludéen dans le traitement du Covid-19, ce qu’Edouard Philippe et Olivier Véran font, le 26 mars 2020. « Il aurait fallu me passer sur le corps », insiste-t-elle, rappelant que « la rigueur scientifique » est la « valeur cardinale » de son parcours.

Lire l’enquête :

Macron-Raoult, un compagnonnage très politique malgré les polémiques

Plusieurs amis lui ont rapporté qu’Emmanuel Macron reconnaissait, depuis, qu’« on aurait dû écouter Agnès ». Un baume apaisant. « Ça a été très dur pour elle, relate l’ex-communicant élyséen Gaspard Gantzer, qui l’a secondée pendant la campagne de ParisElle a été unanimement détestée et a subi de violentes attaques, dont beaucoup à caractère antisémite, alimentées par la fachosphère. C’est une grande brûlée de la politique. » L’intéressée reconnaît que l’épisode a abîmé ses idéaux, nourris dès l’âge de 21 ans et son entrée dans le « clan Veil » (elle a épousé Pierre-François, l’un des fils de Simone Veil, dont elle est divorcée). « Je m’attendais à ce que la politique soit rude, mais pas à ces torrents de boue, ça a dépassé tout ce que j’aurais pu concevoir, dit-elle. Je suis devenue l’ennemie publique numéro un. »

Pour autant, au grand dam de ses amis qui y voient une forme de « naïveté », elle assure ne pas être encore « guérie de l’action publique »« Beaucoup de responsables politiques ont traversé des choses difficiles, ça leur a forgé le caractère », argue-t-elle.

Agnès Buzyn affirme aujourd’hui qu’elle va « bien », parce qu’elle l’a « décidé ». Elle ne veut pas passer pour une « victime », ni vivre dans la « rancœur ». « Je suis passée dans une lessiveuse mais il faut que j’en ressorte droite. » La lecture du livre de Cynthia Fleury Ci-gît l’amer. Guérir du ressentiment (Gallimard, 2020) l’a aidée, assure-t-elle : « Nous n’avons pas d’autre choix que d’avancer. » Tout comme le film de Xavier Giannoli Les Illusions perdues, qu’elle a vu à l’automne 2021, l’a « bouleversée »« Rien n’a changé, observe-t-elle, nous vivons dans le même monde de paraître, de paresse et de vacuité où il faut créer la polémique pour faire vendre et où l’on préfère façonner l’opinion avec de fausses informations plutôt que de chercher la vérité. »

Mais cette quête n’est pas sans risque. Peut-être l’avait-elle pressentie dans un SMS à Edouard Philippe, envoyé le 13 février 2020 : alors qu’elle évoquait la perspective d’une « crise d’ampleur et très longue », et lui réclamait des renforts au ministère, elle s’excusait de « ces mauvaises nouvelles ». Elle ajoutait : « Je crains le même sort que les messagers de la Grèce antique. » Dans la mythologie grecque, Cassandre, qui a reçu le don de dire l’avenir, est condamnée dans le même temps à n’être jamais crue. Les proches de l’ex-ministre ont exhumé une chanson de Guy Béart, qui ne dit pas autre chose : « Le premier qui dit se trouve toujours sacrifié. (…) On lui coupe la langue, on le dit fou à lier. »

Solenn de Royer

Publié le 26/10/2022

Les alertes d’Agnès Buzyn ont-elles été ignorées par les têtes de l’exécutif ?

Paris, le mercredi 26 octobre

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– Le journal « Le Monde » publie une enquête fleuve sur le rôle d’Agnès Buzyn au début de la crise sanitaire. Ce travail journalistique se base sur : un journal (de 600 pages !) rédigé par Agnès Buzyn entre fin 2019 et l’été 2021 qui constitue une pièce du dossier de la Cour de justice de la République (CJR) dans l’affaire de la gestion du Covid 19, une interview de l’ex-ministre de la Santé et des entretiens avec l’entourage du Président de la République.

Rappelons qu’à ce jour, le Pr Agnès Buzyn est la seule personnalité publique à être mise en examen pour « mise en danger de la vie d’autrui » dans cette affaire. L’ancien Premier ministre Edouard Philippe a été placé sous le statut de témoin assisté et l’ex-ministre de la santé Olivier Véran, lui aussi visé par cette instruction, n’a pas encore été entendu par les magistrats.

11 janvier 2020 : première alerte à l’exécutif

Le journal du Pr Buzin commence le 25 décembre 2019. La ministre de la Santé, alors en villégiature en Corse prend connaissance de l’existence de quelques cas de pneumopathie inexpliqués en Chine. Elle transmet alors l’information au Pr Jérôme Salomon (directeur général de la santé) et lui demande de « suivre cela ». Le 2 janvier, la veille du Centre opérationnel de régulation et de réponse aux urgences sanitaires et sociales est activée.

Selon son journal, Agnès Buzyn prévient le 11 janvier les deux têtes de l’exécutif. « L’information ne figure pas encore dans les médias, mais ça peut monter » aurait-elle indiqué au président de la République. « Je n’avais pas l’impression d’être entendue », dit-elle, avant de tempérer : « A chaque fois que j’ai réclamé à Edouard une réunion de ministres, je l’ai eue. Ça ne voulait pas dire qu’il croyait à mes scénarios, à mes angoisses, mais nous avons travaillé main dans la main et il me faisait confiance, il n’a rien négligé. Le président a laissé le gouvernement faire ».

Un premier message d’alerte sanitaire part en direction des établissements de santé à la mi-janvier. Le 21 janvier, après avoir été informée d’une possible transmission interhumaine, elle décide de faire un point presse quotidien.

Fin janvier, ses messages se font plus insistants, alors que les experts estiment à 3 % la mortalité de ce qui est encore appelé « pneumonie à 2019-nCov »« C’est beaucoup pour un virus qui a une cinétique de type grippe », s’inquiète-t-elle auprès de son directeur de cabinet le 25 janvier. Le même jour, elle indique par SMS à Edouard Philippe et Emmanuel Macron qu’elle souhaite s’entretenir d’urgence avec eux sur ce point, mais aucun des deux ne donne suite.

27 janvier : la ministre prévoit 100 000 morts

Le 27 janvier, cinq jours après le confinement de Wuhan, nouvelle alerte sous forme de SMS au chef de l’Etat dans lequel elle parle de 100 000 morts potentiels en France, en prédisant « pour l’instant, il s’agit encore d’une épidémie régionale : tous les cas mondiaux viennent de la région de Wuhan. Le jour où nous aurons des cas à l’étranger chez des personnes ne venant pas de Chine, ce sera un tournant vers une pandémie mondiale. »

Ce jour-là, Agnès Buzyn termine son message à Emmanuel Macron en l’informant que ses services travaillent sur différents scénarios afin d’« évaluer l’impact sur le système de santé et anticiper ». En retour, le président la remercie pour sa « clarté »…et lui dit  tout le plaisir qu’il a eu à rencontrer ses parents !

Le 30 janvier, Agnès Buzyn discute avec le Premier ministre autour d’un café au Conseil économique social et environnemental, elle lui aurait alors fait part de son mauvais pressentiment pour la tenue des municipales. Le même jour elle alerte à nouveau le Président qui lui répond en lui promettant un rendez-vous…qui n’aura pas lieu avant le samedi 8 février.

« Face à moi une armée endormie »

Ce jour-là la ministre dépeint un avenir sombre à Emmanuel Macron : « fermeture des frontières, arrêts des vols, perte de 10 points de PIB, arrêt de l’économie, le temps que le virus fasse le tour de la Terre (« au moins un an »), mortalité importante » rapporte Le Monde. Elle lui explique qu’un confinement sera bientôt nécessaire, ce que lui reproche le secrétaire général de l’Elysée qui s’étonne de son catastrophisme.

Peu avant son départ de l’Avenue de Ségur, le 16 février 2022, elle écrit aux agences régionales de santé pour les mettre en alerte « maximale » et déclenche le plan Orsan Reb (Organisation de la réponse du système de santé en situation sanitaire exceptionnelle Risque épidémique et biologique), qui organise la mobilisation du système de santé. La plupart des hôpitaux sont alors en grève, et « personne ne semble conscient du danger »« J’ai l’impression d’avoir face à moi une armée endormie, je n’arrive pas à les secouer », raconte-t-elle.

Forcée de participer à une « mascarade »

Le 14 février, le retrait de Benjamin Griveaux de la course à la Mairie de Paris, après la diffusion d’une vidéo scabreuse la conduit, à la demande des têtes de l’exécutif, à se présenter à la mairie de Paris alors qu’elle s’y refuse en raison de la situation sanitaire. « Tous les arguments sont utilisés pour la faire plier (…) Certains lui font (…) comprendre qu’elle pourrait ne pas retrouver son poste au remaniement qui suivra les municipales, si elle décidait de rester au ministère. Le président en personne l’appelle à deux reprises dans la nuit du samedi 15 au dimanche 16 février», rapporte-t-elle. « Un véritable harcèlement », s’indigne un proche de l’ex-ministre relate Le Monde.

Jusqu’au premier tour, elle dit continuer à alerter les deux plus hauts responsables du pays et lors d’une conversation téléphonique avec Emmanuel Macron, le 29 février, elle regrette que le gouvernement ne soit pas assez dans l’anticipation.

Le 10 mars, alors qu’E.Philippe est venu la soutenir dans sa campagne parisienne chancelante, elle lui assène qu’il faut « arrêter les élections ». Elle dira plus tard dans la presse que ce scrutin était une « mascarade ».

Le 16 mars 2020, elle demande à Edouard Philippe d’annuler le second tour : « Tout cela est déconnant ! Ne nous fais pas faire une tambouille de deuxième tour quand la situation est si grave. Nous avons été assez ridicules comme cela. »

Des déclarations publiques qui tranchent avec ces alertes

Dans Le Monde, elle résume : « Bien sûr, c’est facile de dire après “j’avais tout vu”. Ce qui est certain, c’est que j’avais un pressentiment, et tout le monde me disait que j’étais folle. J’ai fais le maximum de ce qu’il était possible de faire à cette période-là. » Elle ajoute : « Pendant toute la campagne, j’ai continué d’envoyer des textos, d’alerter, mais j’ai senti que je ne pesais plus rien et que je parlais dans le vide. Je n’étais plus aux affaires et on me le faisait sentir ».

Elle se scandalise également qu’Emmanuel Macron ait pu donner du crédit au Pr Raoult en lui rendant visite le 9 avril.

Rappelons pour équilibrer notre propos, ses déclarations du 21 janvier 2020, qui étaient loin de sonner l’alarme.  Elle avait affirmé que le risque d’introduction du virus en France était « faible », sans pouvoir « être exclu » pour autant, compte tenu des « lignes aériennes directes entre la France et Wuhan »« On m’a fait passer pour une idiote qui n’a rien vu, alors que c’est l’inverse. Non seulement j’avais vu mais prévenu. J’ai été, de très loin en Europe, la ministre la plus alerte. Mais tout le monde s’en foutait. Les gens m’expliquaient que ce virus était une “grippette” et que je perdais mes nerfs » retorque-t-elle aujourd’hui.

La réalité de l’action d’Agnès Buzyn sera difficile à évaluer par la Cour de justice de la république. Dans son rapport publié fin 2020, la commission d’enquête du Sénat avait ainsi reconnu une « mobilisation précoce » de la ministre de la santé, même si ses « avertissements répétés » semblent « ne pas avoir été écoutés ou suivis d’effets ». A l’inverse, les députés de la commission d’enquête chargée de faire la lumière sur la gestion de la crise avait souligné une « sous-estimation du risque » et un « pilotage défaillant ».

F.H.

26 octobre 2022 | Par Antton Rouget et Ellen Salvi

Covid : Buzyn charge Macron, mais s’enfonce aussi

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Mise en examen pour sa gestion de la crise pandémique, l’ancienne ministre de la santé a raconté son récit des événements dans un journal rétrospectif. Elle y produit plusieurs messages démontrant les manquements de l’Élysée. Mais révèle en creux sa propre inconséquence.

Il ne répondra de rien. Ni publiquement ni judiciairement. Emmanuel Macron, qui a pris l’essentiel des décisions durant la crise sanitaire, bénéficie constitutionnellement d’une irresponsabilité pour tous les actes accomplis dans l’exercice de son mandat présidentiel. Pourtant, c’est lui qu’Agnès Buzyn charge en premier dans un « journal » rétrospectif confié au Monde et versé au dossier d’enquête de la Cour de justice de la République (CJR) qui l’a mise en examen pour sa gestion de l’épidémie, en septembre 2021.

Dans ce document de 600 pages, initialement destiné à être publié par un éditeur parisien, l’ancienne ministre de la santé raconte le début de l’année 2020 et les semaines qui ont précédé l’annonce du confinement. Elle cite notamment ses échanges de textos avec le chef de l’État et son ex-premier ministre, Édouard Philippe – entendu par le CJR le 18 octobre, ce dernier a été placé sous le statut de témoin assisté. Selon son récit, elle prévient le duo de l’exécutif, dès le 11 janvier par SMS, qu’une nouvelle épidémie sévit en Chine. 

S’ensuivent plusieurs autres messages dans lesquels Agnès Buzyn se porte à la disposition du président de la République pour lui faire des points de situation. Le 25 janvier, elle lui glisse que « l’OMS [Organisation mondiale de la santé – ndlr] a pris la mauvaise décision de ne pas déclencher une alerte mondiale ». Il ne lui répond pas. Deux jours plus tard, elle lui envoie un nouveau texto pour lui indiquer que le nombre de cas augmente en Chine et que ses services travaillent sur différents scénarios. Il la remercie pour sa « clarté ».

Emmanuel Macron et Agnès Buzyn lors de la cérémonie d’ouverture de l’Académie de l’Organisation mondiale de la santé à Lyon, le 27 septembre 2021. © Photo Ludovic Marin / AFP

Fin janvier, la ministre de la santé revient plusieurs fois à la charge pour solliciter un rendez-vous auprès du chef de l’État. Le 8 février, juste avant de quitter le gouvernement pour briguer la mairie de Paris, elle finit par s’entretenir avec lui. Une discussion qui lui vaudra, quelques jours plus tard et toujours selon son récit, ce commentaire du secrétaire général de l’Élysée, Alexis Kohler : « Mais qu’est-ce que t’as dit au PR l’autre soir ? Tu as réussi à lui faire peur ! » 

Le même Alexis Kohler aurait ensuite exigé qu’elle précise, dans le communiqué de presse annonçant sa démission, partir de son propre chef. Et ce, alors même qu’Agnès Buzyn assure avoir répété à plusieurs reprises qu’elle refusait de s’engager dans la campagne des municipales dans un tel contexte.

Emmanuel Macron n’en fait qu’à sa tête

Après son départ, l’ex-ministre de la santé continue d’échanger avec le duo de l’exécutif. Elle écrit à Emmanuel Macron qu’elle « ne pense qu’à la crise ». Elle s’inquiète par téléphone de la « perte de temps sur l’épidémie » et lui conseille de monter une « task force dédiée ». Mi-mars, elle répète à Édouard Philippe qu’il faut « annuler les élections municipales »« Ce qui est certain, c’est que j’avais un pressentiment, et tout le monde me disait que j’étais folle », commente-t-elle auprès du Monde.

Et d’ajouter : « Pendant toute la campagne, j’ai continué d’envoyer des textos, d’alerter, mais j’ai senti que je ne pesais plus rien et que je parlais dans le vide. Je n’étais plus aux affaires et on me le faisait sentir. » Entre les lignes, elle décrit ainsi l’atmosphère de « boys’ club » qui régnait alors au plus haut niveau de l’État. Et trace, à sa manière, les contours d’un pouvoir sûr de son fait et accaparé par ses manœuvres électorales.

Dans les faits, Emmanuel Macron n’a effectivement écouté que lui-même tout au long de cette crise sanitaire, jouant plus d’une fois les fauteurs de troubles. Fin janvier, alors que l’OMS venait de déclarer « l’urgence de santé publique de portée internationale »il laissait partir sa conseillère santé – qu’il ne remplacerait qu’un mois plus tard. Un premier marqueur de désorganisation au plus haut niveau de l’État.

Je n’aurais jamais dû partir.

Agnès Buzyn

Le président de la République a ensuite choisi tout seul de créer un Conseil scientifique, directement rattaché à l’Élysée, auquel Santé publique France, pourtant chargée de la veille sanitaire et de la gestion de la réserve sanitaire, et le Haut Conseil de santé publique (HCSP), qui s’occupe des maladies infectieuses et transmissibles, n’ont été associés que sur le tard. Dans son journal, Agnès Buzyn assure l’avoir mis en garde contre ces experts. Elle dit aussi avoir été sidérée d’apprendre sa visite auprès du professeur Raoult. Une autre décision très personnelle du chef de l’État.

Si la charge contre l’exécutif, à commencer par le tandem Emmanuel Macron-Alexis Kohler, est violente, le journal de l’ancienne ministre de la santé révèle aussi en creux une forme de désorganisation et d’inconséquence dont elle-même ne peut se départir. Bien au contraire. Pourquoi, alors qu’elle indique qu’elle n’arrivait pas à se faire entendre à l’Élysée en janvier, n’a-t-elle pas abordé les risques de propagation en France du virus en conseil des ministres, devant tous ses collègues du gouvernement ? « De peur des fuites », indique Le Monde.

Une même impression de légèreté se dégage de la manière dont elle alerte le président de la République, dans son premier SMS du 11 janvier. « L’information ne figure pas encore dans les médias, mais ça peut monter », lui écrit-elle. Comme si le sujet représentait avant tout une vigilance en matière de communication. 

Les contradictions d’Agnès Buzyn

Son départ du ministère, le 16 février, pour se présenter aux municipales à Paris est tout aussi incompréhensible, même si Agnès Buzyn a subi les pressions du président de la République et de plusieurs cadres de la majorité. « Je n’aurais jamais dû partir. À la santé, j’étais à ma place. Là, on me poussait au mauvais endroit au mauvais moment », regrette-t-elle dans son journal.

Les contradictions entre les alertes formulées par Agnès Buzyn à Emmanuel Macron et Édouard Philippe, et ses déclarations publiques rassurantes aux Françaises et aux Français sont tout aussi saisissantes. Le 21 janvier, lors d’un point de presse, la ministre de la santé déclare par exemple que « le risque d’introduction en France est faible mais ne peut pas être exclu, d’autant qu’il y a des lignes aériennes directes avec Wuhan ». Ajoutant même : « Notre système de santé est bien préparé, professionnels et établissements de santé ont été informés. » 

Avant de se faire plus affirmative encore, trois jours plus tard : « Le risque d’importation depuis Wuhan était modéré. Il est maintenant pratiquement nul, puisque la ville, vous le savez, est isolée. Les risques de propagation dans la population [française] sont très faibles. » La même ministre qui déplore donc, le lendemain, dans un message privé au chef de l’État que « l’OMS a pris la mauvaise décision de ne pas déclencher une alerte mondiale »…À lire aussiCovid-19: chronologie d’une débâcle françaiseLe fiasco des masques face au Covid-19

Surtout, à la lecture de son récit, on ne comprend pas pourquoi Agnès Buzyn, qui paraît si lucide en privé face au péril de la situation, n’a pas activé tous les moyens d’action à sa disposition pour mobiliser son administration. Comme l’avait révélé Mediapart, alors que son ministère était tout à fait conscient de la faiblesse des stocks d’État de masques de protection, il n’a décidé de commander qu’une très faible quantité de masques, dans des proportions clairement insuffisantes, à la fin du mois de janvier puis en février.

Mi-janvier, l’État disposait de moins de 100 millions de masques chirurgicaux (33 millions de masques pédiatriques, 66 millions de masques adultes, selon les chiffres de la commission d’enquête du Sénat) – plus 65 millions supplémentaires commandés avant l’épidémie, mais pas encore livrés – et n’avait pas le moindre stock de masques FFP2 pour le personnel soignant. Ce qui a vite suscité des alertes internes au sein de l’administration.

« On a commencé à s’inquiéter et on s’est mis en ordre de bataille pour acheter massivement fin janvier », déplorait ainsi à l’époque auprès de Mediapart, sous le couvert de l’anonymat en raison de sa fonction, un membre de la cellule de crise du ministère de la santé. 

La Direction générale de la santé (DGS) n’a saisi pour la première fois l’agence Santé publique France (SPF), sous la tutelle du ministère, que le 24 janvier pour faire un inventaire des stocks de matériel médical. Avant de demander d’acquérir, le 30 janvier, « dès que possible », 1,1 million de masques FFP2 seulement. Aucune commande de masques chirurgicaux n’est alors sollicitée.

Le 7 février, la DGS effectue une nouvelle demande à SPF pour gonfler le volume de commandes de FFP2 (28,4 millions de masques), à travers « une procédure accélérée d’achat ». Toujours pas de masques chirurgicaux. Pire : comme nous l’avions raconté à l’époque, la DGS ordonne de sortir des stocks 810 000 chirurgicaux à destination de la Chine.

Finalement, le plaidoyer de l’ex-ministre de la santé est accablant pour le pouvoir dont elle était partie prenante. Il met en scène deux irresponsabilités : celle d’une présidence qui n’entend pas les alertes et celle d’une ministre qui accepte d’abandonner ses responsabilités.

« J’en veux à mes collègues qui ont été dans le déni complet » : sur le Covid, Buzyn absout Macron et charge les médecins et les experts

Par A.M. le 31-10-2022

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Après la publication par Le Monde des extraits de son journal intime retraçant les débuts de la crise du Covid, l’ancienne ministre de la Santé a tenu à préciser qu’elle ne mettait pas en cause Emmanuel Macron et Edouard Philippe, « qui ne sont pas scientifiques et pas médecins ». En revanche, elle charge ses « collègues hospitaliers » et les experts scientifiques qui ont minimisé les risques. 

Non, elle n’est pas à l’origine de la publication des extraits de son journal intime, saisi sur son ordinateur par la justice et qui n’aurait jamais dû fuiter. Et non, elle n’y met pas « du tout » en cause la gestion du Covid par le Président de la République. Quelques jours après la parution d’un article dans Le Monde, dont elle a été prévenue et qu’elle a préféré « accompagner », Agnès Buzyn a mis les points sur les i lors d’une interview sur RTL

« Contrairement à tous les commentaires que j’ai pu voir après la sortie de cet article, je ne mets pas en cause du tout des responsables politiques, qui ne sont pas scientifiques et pas médecins », déclare-t-elle d’emblée. Alertée dès la fin de l’année 2019 par des cas de pneumopathies inexpliqués en Chine, la ministre de la Santé d’alors a fait le « travail », en vérifiant les stocks, en faisant des commandes et en activant le plan Orsan dans les hôpitaux, à la veille de son départ de l’avenue de Ségur, le 16 février 2020. « Je pense que le couple exécutif me faisait confiance, ils avaient du mal à imaginer le scénario, c’est normal, ils ne sont pas médecins », insiste-t-elle. 

« Tout le monde me disait que j’étais folle » : seule politique mise en examen, Buzyn dévoile ses vérités sur le Covid

« Une fois que je suis partie, ils avaient d’autres sons de cloche, ils écoutaient d’autres experts », poursuit celle qui, alors qu’elle mène campagne pour la mairie de Paris, ne dort plus de la nuit, rongée par l’inquiétude face à la pandémie qui s’annonce. Alors qu’elle continue de sonner l’alerte à l’Elysée et Matignon, elle reconnaît avoir « eu l’impression de ne pas être prise au sérieux »« Mais encore une fois je ne peux pas en vouloir au couple exécutif qui entend des grands scientifiques très reconnus leur dire que ça va être une grippette, qui n’écoute plus leur ex-ministre de la Santé », lance-t-elle. Et de mettre l’audience au défi « de trouver une seule prise de parole d’expert français ou internationaux jusqu’au 13 mars qui ne soit pas dans le déni » sur l’épidémie de Covid.  

Ses reproches, Agnès Buzyn les réserve donc à ses « collègues hospitaliers », « ces médecins qui ont senti le danger mais ne sont pas exprimés », laissant leurs confrères « prendre la lumière » en assurant jusqu’au bout que « ça allait passer tout seul ». Aux grandes institutions scientifiques du pays, « censées protéger la parole scientifique, l’éthique médicale », qui « n’ont pas même pas osé parler tant la vague Raoult a envahi le pays ». Au Conseil scientifique, enfin. « Il y a des gens remarquables mais je ne sais pas qui a dit au Président de la République qu’on pouvait ne pas confiner, ou en tous les cas confiner aussi tardivement », charge Agnès Buzyn. 

Seule responsable politique mise en cause par la justice -Edouard Philippe a le statut de témoin assisté- Agnès Buzyn, aujourd’hui à la Cour des comptes, déplore que la France soit « le seul pays au monde à attaquer ses dirigeants sur la crise du Covid ». « La France a besoin absolument de trouver un coupable pour un événement que personne au monde n’a pu prévoir, en tout cas dans son ampleur », regrette-t-elle, appelant plutôt les médecins, les scientifiques et les politiques à « tirer des leçons » sur le plan de l’éthique. 

[avec RTL.fr]

Publié par jscheffer81

Cardiologue ancien chef de service au CH d'Albi et ancien administrateur Ancien membre de Conseil de Faculté Toulouse-Purpan et du bureau de la fédération des internes de région sanitaire Cofondateur de syndicats de praticiens hospitaliers et d'associations sur l'hôpital public et l'accès au soins - Comité de Défense de l'Hopital et de la Santé d'Albi Auteur du pacte écologique pour l'Albigeois en 2007 Candidat aux municipales sur les listes des verts et d'EELV avant 2020 Membre du Collectif Citoyen Albi

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