Étendre la PDSa aux infirmières, sages-femmes et dentistes : la nouvelle idée du Gouvernement
Faute de médecins de garde « sur tout le territoire » les soirs et week-ends, le Gouvernement veut étendre la « permanence des soins » aux infirmiers, sages-femmes et dentistes, selon un amendement au PLFSS 2023.
Partant du constat que la permanence des soins ambulatoire des médecins libéraux ne parviennent pas à « garantir une couverture complète sur tout le territoire », l’exécutif entend « élargir le vivier » des soignants mobilisables, selon un amendement au Projet de loi de financement de la Sécurité sociale pour 2023 déposé mardi soir. « La permanence des soins ne doit pas reposer que sur l’hôpital public ou que sur les médecins », a défendu la députée Stéphanie Rist, mardi lors d’une conférence de presse de l’Association des journalistes de l’information sociale (Ajis).
A titre d’exemple, un infirmier pourrait ainsi, sur demande du Samu, « évaluer en premier lieu le patient et la nécessité d’intervention » d’une ambulance. La mesure serait « assortie de contrôles et de réquisitions en cas de défaut de fonctionnement ». La rapporteure du projet de loi de financement de la Sécurité sociale, qui sera débattu dans l’Hémicycle à partir de jeudi, a expliqué que cette proposition était remontée de débats locaux dans le cadre du volet santé du Conseil national de la refondation (CNR).
« On met dans la loi l’objectif vers lequel on veut aller », mais « l’amendement ne précise pas d’emblée toutes les conditions, notamment de financement », a précisé Stéphanie Rist, renvoyant ces détails pratiques aux « premiers arbitrages » du CNR Santé, attendus « fin décembre, début janvier ».
[avec AFP]
Troisième voie
Médecin traitant: le début de la fin

Face aux déserts médicaux, gouvernement et Parlement adoptent une nouvelle stratégie. Elle consiste non pas à inciter ou à contraindre les docteurs à s’installer en zones sous-dotées mais à les contourner pour faire confiance à d’autres soignants mieux répartis sur le territoire

Kak
Les faits –
Le projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS) pour 2023 est débattu à partir de ce jeudi en première lecture à l’Assemblée nationale. Plusieurs articles et amendements repensent le rôle du médecin généraliste et les contours de son métier. En 2021, on estime que 11 % des patients de 17 ans et plus n’ont pas de médecin traitant déclaré, ce qui représente plus de 6 millions d’assurés. Selon un rapport du Sénat de mars 2022, un Français sur trois vit dans un désert médical. Le nombre de médecins généralistes (52 000) a diminué en moyenne de 1 % par an entre 2017 et 2021.
A ceux qui cherchent à quantifier l’intérêt des politiques pour la désertification médicale, voici un conseil : comparer le nombre d’occurrences entre le projet de loi de la Sécurité sociale (PLFSS) pour 2023, examiné à partir de ce jeudi en séance à l’Assemblée nationale, et son équivalent pour 2022. Résultats : 199 « déserts médicaux » dans le premier, 20 dans le second. Même constat sur le médecin traitant, cité à 154 reprises dans le texte en cours de lecture, 15 fois dans le précédent.
Ce fol amour politique se traduit également par une pluie de propositions de loi (douze textes en quatre mois) prônant des solutions diverses pour améliorer l’accès aux soins des Français. Pas plus tard que mardi, le groupe Renaissance présentait son ordonnance à l’Assemblée nationale quand le groupe LR défendait la sienne au Sénat.
Cette volonté des pouvoirs publics de résoudre la pénurie médicale est ancienne, mais la nouvelle approche du problème démontre l’urgence à agir. Jusque-là, le remède aux inégalités d’accès à un médecin généraliste était envisagé selon deux angles d’attaque : déployer des mesures incitatives (allègement de la fiscalité, aide au logement, salaires alléchants, etc.) à l’intention des médecins pour les convaincre d’aller exercer dans les déserts ; contraindre le corps médical par une série d’injonctions bien senties à s’installer dans les bassins de vie où l’offre de soins est plus faible qu’ailleurs.
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Six millions de Français étant dépourvus de médecin traitant, le gouvernement estime aujourd’hui que la première stratégie a atteint ses limites, mais se refuse à suivre une partie de l’opposition et à enclencher les grands moyens coercitifs, arguant que les exemples étrangers (Canada, Allemagne, Japon) de régulation de l’installation des médecins ont fait long feu.
Cette option reviendrait à déclarer la guerre au lobby médical qui, s’il a perdu de sa superbe à la faveur de la recomposition parlementaire, n’en reste pas moins actif au Parlement comme dans les urnes. A moins que cela ne soit un choix personnel, pas question pour les médecins de ville de poser leur plaque dans les zones reculées ou paupérisées pour pallier les défaillances des politiques sanitaires publiques, jugés coupables d’avoir trop régulé l’entrée dans les études médicales sans prendre suffisamment en compte le vieillissement de la population et l’explosion des besoins de santé.
Obstruction. Pour ralentir autrement la progression des déserts, gouvernement et parlementaires avancent leurs pions en biais, en contournant le problème, quitte à remettre en cause le sacro-saint principe du parcours de soins coordonné et le rôle pivot du médecin traitant, porte d’entrée du système de santé depuis près de trente ans. Son travail ? Orienter le patient, tenir le dossier médical, assurer une prévention personnalisée (vaccins, dépistage), établir le protocole de soins pour les affections longue durée (ALD). A quelques exceptions près (gynécologie, ophtalmologie, stomatologie, psychiatrie, patients en ALD, moins de 16 ans, etc.), consulter en priorité le médecin traitant ouvre droit à un meilleur remboursement des frais de santé.
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Malgré le succès de cette politique (neuf Français sur dix ont déclaré un médecin traitant à la Sécu), le manque de généralistes change la donne. La nouvelle manœuvre consiste donc à transférer une partie de l’activité des docteurs à d’autres professionnels de santé qui maillent de façon plus harmonieuse l’Hexagone. Avec ou sans médecin traitant, les Français y sont favorables. La réussite de la vaccination contre la Covid en officine en est le dernier exemple.
Dans la continuité des précédents PLFSS, la mouture 2023 regorge d’initiatives de tous bords politiques qui suivent cette logique. Avec un objectif commun : alléger la charge du médecin traitant afin qu’il puisse soigner davantage de patients sans travailler plus. En 2019, une étude d’UFC-Que Choisir auprès de 2 800 généralistes a montré que 44 % d’entre eux, par usure ou par choix de préserver leur vie personnelle, refusent d’incorporer plus de personnes à leur patientèle.
En plus d’ouvrir aux infirmiers et aux sages-femmes la possibilité de prescrire et d’administrer certains vaccins, le gouvernement entend élargir le champ de la vaccination aux étudiants les plus aguerris de médecine et de pharmacie. La rapporteure du PLFSS, Stéphanie Rist, veut autoriser à titre expérimental les infirmiers à signer les certificats de décès. En commission, plusieurs députés ont voté pour l’accès direct aux infirmiers en pratique avancée (IPA, à cheval entre l’infirmier et le médecin) pour répondre à certains besoins de santé, sans prescription médicale. Des élus pressent aussi pour que ces super-paramédicaux très autonomes renouvellent certaines ordonnances.
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Hors PLFSS (texte limitatif par sa nature budgétaire), la majorité présentera fin novembre une proposition de loi qui ouvre le droit à la prescription des IPA sur certaines maladies bénignes et autorise à consulter directement kinés et orthophonistes (et à être aussi bien remboursés que sur prescription). « Il est temps d’aller plus vite et plus loin sur l’accès direct aux soignants [non médecins sans ordonnance, NDLR], d’aller au-delà des expérimentations », confirme Stéphanie Rist, par ailleurs médecin hospitalier, lors d’une rencontre de l’Association des journalistes de l’information sociale.
La cerise sur le gâteau revient au député mosellan LR Vincent Seitlinger, qui suggère pour réduire les délais d’attente de rembourser les consultations chez le médecin spécialiste installé dans un désert sans avoir vu le médecin traitant au préalable.
Coup de canif. Ce détricotage en règle des prérogatives médicales ne fait pas pousser des cris d’orfraie à tous les praticiens de France. Et pour cause : cette offensive politique s’appuie sur les recommandations de l’Ordre des médecins qui, associé aux ordres infirmiers, sages-femmes, kinés, pharmaciens, dentistes et podologues, a jeté un pavé dans la mare syndicale la semaine dernière. Tous militent pour que chaque patient soit soigné non par un médecin mais par une équipe de soins primaires de proximité.
Et, petite révolution, à défaut de médecin traitant disponible, ils invitent à confier aux autres soignants une « mission en termes d’orientation du patient dans le système de santé, en assurant une première prise en charge » en attendant de trouver un généraliste libre pour prendre le relais.
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Ce coup de canif dans le parcours de soins a créé une ligne de fracture dans la profession médicale. Plusieurs syndicats rejettent en bloc cette nouvelle conception du bien-soigner : une « vente à la découpe de certaines missions du médecin traitant » dangereuse pour le patient, se cabre MG France ; un « sinistre choix politique », s’indigne la CSMF.
« Je ne vois pas de remise en cause du rôle du médecin traitant par les pouvoirs publics, tempère Véronique Lacam Denoël, fondatrice du cabinet de conseil Proxicare. Mais le médecin traitant ne peut plus être le pivot du parcours de soins tout seul, et la pratique d’un exercice coordonné avec d’autres professionnels de santé est déjà bien ancrée. Le médecin qui travaille tout seul dans son coin, c’est terminé. Les dispositifs d’appui à la coordination, les assistants médicaux, les infirmiers en pratique avancée et le principe d’accès direct à certains soignants vont l’aider à rester au centre de la prise en charge du patient. »
Autant de sujets qui seront débattus cet automne dans toute la France dans le cadre du Conseil national de la refondation et, à Paris, dans des négociations tarifaires qui s’annoncent cruciales entre médecins et Assurance-maladie.
