« La course au lithium, le “pétrole du XXIᵉ siècle”, est désormais aussi rude que globale »
CHRONIQUE
Jean-Philippe Rémy
La compétition pour le contrôle des futurs sites d’extraction de ce minerai critique, indispensable à la fabrication de batteries électriques, devient un enjeu géopolitique majeur.
Publié le 29 septembre 2022 à 06h00 Mis à jour le 29 septembre 2022 à 10h09 Temps de Lecture 3 min.
Ce n’est plus un sujet de spécialistes des matières premières, mais déjà un objet de géopolitique brûlant, qui intéresse les Etats autant qu’il les inquiète : le lithium figure désormais en tête de la liste des « minerais critiques ». Ce métal, qui sert à la fabrication de batteries électriques, voit ses cours exploser, au point d’être qualifié d’« or blanc ». Il a aussi gagné, dans le jargon des groupes miniers, le surnom de « pétrole du XXIe siècle », indiquant son rôle de premier plan dans la définition des rapports de force mondiaux, un rôle occupé jusqu’ici par les hydrocarbures.
Il suffit de remplacer lithium par gaz pour comprendre la nature des interrogations sur le futur de cette ressource. Le cas de la guerre en Ukraine l’a illustré, lorsque la Russie a en substance fermé ses robinets à destination de l’Europe, procédant à une « militarisation » (weaponisation) de cette ressource naturelle. Voilà qui illustre ce qui pourrait arriver demain avec des minerais dits critiques, au premier rang desquels figure le lithium.
Ce métal est crucial pour la production de batteries (au lithium-ion) pour les véhicules électriques, en remplacement des moteurs thermiques (dont l’Europe a programmé la disparition pour 2035), mais aussi de façon plus générale dans toute l’économie de la transition énergétique, parmi d’autres minerais critiques. « Le monde va passer de kilowattheures très carbonés, consommateurs d’énergies fossiles, à des kilowattheures très “métallisés”. En outre, toutes les technologies de pointe et aciers à haute valeur ajoutée utilisent une quantité croissante de métaux rares. C’est notamment le cas de l’industrie aéronautique et de défense », analyse Vincent Donnen, dans une note de l’Institut français des relations internationales consacrée aux métaux critiques.
Lire aussi Quand la Salton Sea se réinvente en « Lithium Valley »
Le lithium entre – en apparence modestement – dans la fabrication des cathodes, le pôle négatif des batteries électriques. Seulement, qui contrôle la possibilité de fabriquer des cathodes contrôle en fait la production de batteries. En résumé, rien ne sert de construire des megafactories, à l’image de celles de Telsa, pour alimenter la consommation exponentielle de véhicules électriques, si un acteur en position de dominance du secteur des cathodes peut couper, du jour au lendemain, l’approvisionnement d’un composant crucial. Cet acteur, ce pourrait être la Chine, où se transforme et se raffine une partie du lithium extrait dans le monde. Mais des contre-offensives sont en cours.
Affrontement à bas bruit
Le lithium n’est pas rare. Il existe en abondance dans plusieurs parties du monde, mais surtout en Chine, en Australie et en Amérique du Sud, trois zones d’où sont extraits environ 90 % du minerai. Une concentration que même le pétrole n’avait pas atteinte avec si peu d’acteurs. A présent, la course pour le contrôle des futurs sites d’extraction est lancée.
En retard sur la Chine, Etats-Unis et Union européenne ? Ecrasée par le thème de la guerre en Ukraine, une réunion à New York, jeudi 22 septembre, en marge de l’Assemblée générale des Nations unies, a à peine été remarquée. C’était un tort, tant son thème constituait la base d’un affrontement qui se déroule, à bas bruit, à l’échelle du globe. A l’initiative des Etats-Unis, il s’agissait de construire un Partenariat de sécurité mutuelle (MSP) dans ce secteur, avec des alliés incluant l’Australie, le Canada, le Japon, la France, notamment, ainsi que les pays disposant de réserves, de l’Argentine à la Mongolie, en passant par la République démocratique du Congo (RDC). Antony Blinken, le secrétaire d’Etat américain, y a résumé ainsi la situation : « Nous reconnaissons tous que les chaînes d’approvisionnement des minerais critiques sont tout simplement vitales pour notre futur commun. »L
ire aussi : La fièvre du lithium gagne le Portugal
La course, désormais, est aussi rude que globale. Elle implique des investissements gigantesques. L’Inde, effrayée par le contrôle de la Chine sur les approvisionnements, vient de lancer un plan d’ampleur de 2,5 milliards de dollars. En Argentine, pays faisant partie du « triangle du lithium », à cheval sur le Chili et la Bolivie, plus de cinquante projets d’extraction sont à l’étude. Un acteur européen du secteur qui espérait y remporter un marché dit sa stupéfaction d’avoir vu les groupes chinois emporter des appels d’offres « en triplant les sommes offertes par leurs concurrents ».
Mutation
En sous-main, des pressions politiques de Washington, selon la même source, ont permis à un regroupement de sociétés américaines de l’emporter sur le projet Kachi, en Argentine, en association avec Ford. Ainsi, le constructeur automobile est certain de garantir ses futures livraisons. « C’est l’un des accords sur lesquels nous sommes en train de travailler afin d’aider Ford à sécuriser les matières premières nécessaires à notre plan d’accélération agressif de développement de véhicules électriques », annonce Jennifer Flake, porte-parole de Ford.
L’Europe, qui s’était longtemps cantonnée à un rôle de client passif et confiant dans les circuits logistiques de la globalisation, a entamé elle aussi une mutation. En janvier, Philippe Varin, ancien président de France Industrie, rendait un « Rapport sur la sécurisation de l’approvisionnement de l’industrie en matières premières minérales pour la transition écologique ». Commandé par le gouvernement français, le texte alertait sur l’état de la dépendance française vis-à-vis de ces ressources cruciales et dégageait des pistes pour l’avenir, toutes urgentes, comme la création d’un stock stratégique de métaux rares au Havre ou celle d’un fonds d’investissement. Il faut « développer une véritable diplomatie des métaux », avertit Philippe Varin.
Jean-Philippe Rémy