Boycot des experts de la Haute Autorité de Santé au CHU de Limoges

« On s’élève contre une hypocrisie»: à Limoges, des médecins boudent la procédure de certification du CHU »

Une partie des praticiens de l’établissement boycottent cette semaine les experts de la Haute Autorité de santé en charge de la certification du CHU. Une procédure à leurs yeux déconnectée de la réalité quotidienne des soignants.

Dans le service hématologie du CHU de Limoges, entre les départs et les congés maternité non remplacés, il manque aujourd’hui 25% des infirmières. (BURGER/Phanie. AFP)

Dans le service hématologie du CHU de Limoges, entre les départs et les congés maternité non remplacés, il manque aujourd’hui 25% des infirmières. (BURGER/Phanie. AFP)

par Nathalie Raulin

publié le 10 mai 2022 à 16h04

Un boycott inédit, à prétention de sirène d’alarme. Présents toute cette semaine au CHU de Limoges (Nouvelle-Aquitaine), les experts de la Haute Autorité de santé (HAS) vont devoir mener leur mission de «certification» de l’établissement sans pouvoir recueillir l’avis d’une partie significative du corps médical. Pour cause : à l’issue d’un vote organisé vendredi, les médecins de l’hôpital ont, par 102 voix pour, 17 contre et 9 abstentions, décidé de bouder un exercice qui relève de la «mascarade».

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Obligatoire et récurrente tous les quatre ans, la procédure de certification a pour objectif d’évaluer «le niveau de qualité et de sécurité des soins dans les établissements de santé, publics et privés». Sous l’égide de la HAS, une brochette d’experts visite les services, remplit des grilles d’évaluation et procède à des entretiens avec soignants et «patients traceurs» pour apprécier les conditions de prise en charge. Une démarche qualitative qui permet a priori de repérer les éventuels problèmes et d’inviter les directions hospitalières à y remédier. «La réalité est tout autre, dénonce le professeur Arnaud Jaccard, chef du service hématologie du CHU de Limoges et membre du Collectif interhôpital. La certification ne veut aujourd’hui plus rien dire. Tous les hôpitaux dans les environs l’obtiennent, même ceux qui n’ont quasiment plus de médecins. Grosso modo, le travail des experts de la HAS consiste à vérifier que les portes des chambres des patients ferment correctement, en évitant de s’interroger sur les 50 brancards qui stagnent aux urgences ou sur la pénurie de soignants.» Son collègue, le docteur Sylvain Palat, renchérit : «On s’élève contre une hypocrisie, voire une schizophrénie, insiste le spécialiste des maladies rares et auto-immunes. Le travail de certification qui devrait acter la dégradation continue de la prise en charge des patients dit le contraire ! Pis, cet outil permet aux directions d’établissement de communiquer sur le fait que tout va bien, alors que c’est faux ! Il est de notre devoir éthique de le dénoncer, d’attirer l’attention de la HAS sur le décalage entre ce que les soignants vivent au quotidien et ce que la certification laisse croire.»

«Outil anachronique»

A Limoges, l’idée du boycott est venue à la lecture de la tribune publiée fin janvier dans le Monde par un collectif emmené par le professeur Philippe Rousselot, chef du service hématologie du centre hospitalier de Versailles. Lequel interrogeait le bien-fondé d’une procédure de certification déconnectée de l’état de tension des ressources humaines. «Cet outil est devenu anachronique, insiste ce dernier auprès de Libération. Les conditions de travail des soignants et les moyens alloués aux services hospitaliers pour assurer la prise en charge des patients ne sont que peu pris en compte. L’hôpital de Versailles, par exemple, est certifié à 97%, ce qui est un très bon score, alors que les urgences refusent la moitié des patients et que le service de gastro est sur le point de fermer faute d’infirmières. Prétendre que la qualité des soins est indépendante des moyens accordés aux soignants est une position complètement hors sol.»

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Néanmoins, le boycott reste l’exception. «A Versailles, on n’a même pas obtenu l’autorisation de la commission médicale d’établissement d’organiser un vote !» soupire le professeur Rousselot. Les tentatives pour mobiliser les praticiens à Nantes et Angers ont également échoué. «Même si elle ne sert à rien, beaucoup estiment que la certification reste incontournable sous peine de perdre des budgets, et des subventions, souligne le docteur Palat. Les médecins craignent de pénaliser leur établissement s’ils ne jouent pas le jeu.» Du coté de la HAS, on précise que, même à Limoges, la procédure «suit son cours en lien avec la direction de l’hôpital et la commission médicale d’établissement». C’est là incidemment rappeler que les médecins frondeurs ne représentent qu’un petit tiers des effectifs médicaux de l’hôpital.

Record de «maltraitance» battu

Reste que le boycott de Limoges en dit donc long sur le malaise hospitalier. «Quand les médecins se mobilisent, c’est qu’il y a vraiment un problème, admet le professeur Jaccard. Depuis vingt-huit ans que j’exerce à Limoges, j’ai vu les conditions de travail et de soin se dégrader à un point que je ne soupçonnais pas possible.» Dans le service hématologie, entre les départs et les congés maternité non remplacés, il manque aujourd’hui 25% des infirmières. Entre manque de soignants et fermetures de lits, les urgences ont battu fin mars leur record de «maltraitance» : 96 malades sur des brancards se sont alors entassés dans un service conçu pour en accueillir pour 14, et 65 de ces patients y ont passé au moins une nuit, faute de lits dans les services… Pour le professeur Jaccard, la tension rend plus insupportable que jamais les doubles discours : «Les directions des hôpitaux prétendent vouloir embaucher ? Mais ici la dernière infirmière qui a postulé chez moi s’est vue refuser sa mutation, et donc sa reprise d’ancienneté. On lui a juste proposé un CDD, assorti d’une baisse de salaire de 300 euros… Et on nous parle d’attractivité ! En réalité, on est l’orchestre du Titanic

Publié par jscheffer81

Cardiologue ancien chef de service au CH d'Albi et ancien administrateur Ancien membre de Conseil de Faculté Toulouse-Purpan et du bureau de la fédération des internes de région sanitaire Cofondateur de syndicats de praticiens hospitaliers et d'associations sur l'hôpital public et l'accès au soins - Comité de Défense de l'Hopital et de la Santé d'Albi Auteur du pacte écologique pour l'Albigeois en 2007 Candidat aux municipales sur les listes des verts et d'EELV avant 2020 Membre du Collectif Citoyen Albi

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