Ces opposants au futur hôpital de Saint-Ouen saisissent la justice
Ce projet porté par l’assistance publique des hôpitaux de Paris (AP-HP) prévoit la suppression de lits d’hospitalisation et parie sur la médecine de ville.
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Le futur CHU de Saint-Ouen, fruit de la fusion des hôpitaux Bichat et Beaujon, qui doit voir le jour en 2028 au nord de Paris, promet d’être « le premier campus médical et dentaire d’Europe » tout en réussissant la prouesse à 1,3 milliard d’euros de sortir la Seine-Saint-Denis de son statut de désert médical. En réalité, ce projet porté par l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP) s’inscrit dans la logique de rationalisation des coûts à l’œuvre depuis des décennies dans l’hôpital public, ne cesse de dénoncer un collectif de soignants, de médecins, et d’usagers.
Pour s’opposer à « une baisse du nombre de lits » et à la « dégradation de l’offre de soins »sur un territoire qui en manque déjà cruellement, un recours a été déposé devant le tribunal administratif de Montreuil (Seine-Saint-Denis), vendredi 13 mai, dans lequel ils demandent l’annulation de l’arrêté préfectoral du 14 mars qui déclare le projet d’utilité publique. A leurs yeux, le dossier repose sur des projections démographiques erronées, et un nombre de lits « sous-dimensionné ». Certes, le territoire est en pleine mutation, mais le taux de chômage, le nombre de familles monoparentales et la précarité y restent plus élevés qu’ailleurs.
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A l’appui de leur argumentaire, les médecins décortiquent les chiffres. Non seulement le nombre de lits actuels à Bichat et Beaujon a été minoré, estiment-ils. L’AP-HP parle de 1 171 lits aujourd’hui, selon eux, il s’agit plutôt d’un peu plus de 1 300, s’ils en croient les données avant Covid de la direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (Drees). Si le point de départ n’est pas le bon, le point d’arrivée ne l’est pas davantage, ajoutent-ils, puisque, cette fois, l’offre est, selon eux, majorée.
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Réduction des capacités
Parmi les 1 091 lits permanents du futur campus présentés dans l’arrêté préfectoral, sont comptabilisées les 150 places de l’hôtel hospitalier prévus pour des patients qui n’exigent pas de surveillance. Mais comme rien n’est dit sur ces lits, « hypothétiques », le préfet aurait dû retenir 1 336 lits pour le nombre de départ et 900 lits pour l’arrivée (tout récemment portés à 941) – déduction faite des lits d’urgence – « soit une baisse du capacitaire de 32,6 % ». De son côté, l’AP-HP assure au Monde que « le capacitaire [sera]supérieur à l’existant » : « 1 326 sans compter l’hôtel, ou 1 476 avec l’hôtel par rapport à un total de 1 310 aujourd’hui », en incluant toutefois dans ce calcul 116 lits armables en cas de situation sanitaire exceptionnelle.
Souvent, les mêmes cabinets de conseil ont utilisé les mêmes formules mathématiques pour proposer les mêmes solutions
Sur les projections démographiques, les opposants ne sont pas non plus d’accord. Les données sur lesquelles repose la déclaration d’utilité publique sont bien en deçà de la population attendue ces prochaines années, avancent-ils. Rien qu’à Saint-Ouen, qui doit accueillir une partie du village olympique de Paris 2024, la ville prévoit 12 000 habitants supplémentaires d’ici à dix ans. Et pour 2028, ce sont « plus de 16 500 logements dans un rayon de 2,3 km qui auraient dû être pris en compte ».
Ce projet fait écho à de nombreux autres projets menés en France qui reposent aussi sur la promesse de locaux flambant neufs, d’équipements « innovants », en échange d’une réduction des capacités. Derrière, c’est une performance accrue, des durées de séjour toujours plus courtes. Souvent, les mêmes cabinets de conseil ont utilisé les mêmes formules mathématiques pour proposer les mêmes solutions, notamment celle de la médecine ambulatoire et de la coopération accrue avec la médecine de ville. Sacré pari en Seine-Saint-Denis quand la densité médicale par habitant y est parmi les plus faibles de France.
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Il est un dernier point sur lequel le collectif entend attirer l’attention du tribunal. En Seine-Saint-Denis, les « indicateurs de la santé des mères et des nourrissons [sont]nettement moins bons » qu’ailleurs en Ile-de-France. Or, expliquent les opposants, l’AP-HP prévoit de retirer 30 lits d’obstétrique pour en créer 11 à Lariboisière et 10 à Avicenne. Comment une habitante de Gennevilliers, du 17e arrondissement ou d’Asnières « pourrait raisonnablement être envoyée à l’hôpital de Bobigny, à plus de cinquante minutes de chez elle en transport collectif » ? Selon Olivier Milleron, cardiologue à Bichat et membre du collectif interhôpitaux, ces 30 lits en moins revient à fermer la maternité de Beaujon.
Emeline Cazi