« Jour du dépassement » : le 5 mai, la France a déjà épuisé son « budget nature »
A partir du « jour du dépassement », chaque année plus précoce, le pays consomme plus de ressources naturelles que les écosystèmes ne peuvent en produire. Le WWF propose un scénario qui permettrait de le retarder d’ici à la fin du prochain quinquennat.
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Emmanuel Macron s’est engagé, le 16 avril, à Marseille, peu avant sa réélection, en faveur d’une prochaine « planification écologique ». Le Fonds mondial pour la nature (WWF) lui propose en retour une étude détaillée – intitulée « 2022-2027, un quinquennat pour réussir face à la crise écologique » –, qu’il espère lui remettre en mains propres. « Prendre [le président de la République]au mot, voilà l’idée », glisse Isabelle Autissier, présidente d’honneur du WWF France. Car à peine celui-ci est-il élu « que la France a déjà dépassé son budget nature pour l’année 2022 ».
La publication de ce travail de plusieurs mois correspond en effet avant tout à la date du « jour du dépassement » pour la France, le 5 mai cette année. Cette échéance emblématique repose sur de savants calculs à base de milliers de données permettant de déterminer à partir de quel moment les sociétés humaines consomment davantage de ressources naturelles que la nature n’a la capacité d’en produire.
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Depuis les années 1960, le Global Footprint Network calcule ce « budget écologique » à partir de l’empreinte carbone de chaque pays, en prenant en compte l’artificialisation des terres, l’impact environnemental de l’agriculture et des prairies, des produits forestiers ainsi que de la pêche. A l’échelle de la planète, ce jour était le 29 juillet en 2021, alors qu’il intervenait le 29 décembre en 1970.
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Dans l’Hexagone, quels que soient les gouvernements qui se sont succédé, cette date ne fait qu’arriver toujours plus tôt. Résultat : l’équivalent de 2,9 Terre serait désormais nécessaire pour répondre aux besoins de l’humanité si tout le monde vivait sur le même pied que la moyenne des Français. La moyenne mondiale se situe à 1,7 Terre.
Trois scénarios
La France ne figure donc pas parmi les bons élèves, elle se classe même au 97e rang pour son empreinte écologique. Les gaz à effet de serre en représentent plus de la moitié : ceux émis sur son sol et ceux générés par tous les produits qu’elle importe – or ceux-là ont augmenté de 78 % entre 1995 et 2018, rappelle le WWF.
Selon cet exercice de prospective, le prochain quinquennat pourrait parvenir à faire reculer le « jour du dépassement », au mieux, au 30 mai en 2027. L’objectif peut sembler modeste. Mais pour gagner ces vingt-cinq jours précieux en cinq ans, le gouvernement bientôt nommé va devoir agir et ne pas se contenter de mettre en application les textes, lois, décrets et engagements internationaux hérités de son prédécesseur. S’il ne se mobilise pas, le couperet devrait tomber deux jours plus tôt qu’en 2022, soit le 3 mai.
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Le WWF analyse trois scénarios. L’un consiste à laisser aller les tendances actuelles, avec une augmentation du trafic routier et aérien, des flux de marchandises, de l’artificialisation des terres, mais une consommation qui stagne. Un autre correspond à la trajectoire à suivre pour respecter les engagements déjà pris dans le cadre de la programmation pluriannuelle de l’énergie, de la stratégie nationale bas carbone, des lois EGalim et Climat et résilience, entre autres. Enfin, une troisième option repose sur des mesures volontaristes tout en restant « prudentes », à même de tisser « une planification écologique, crédible et efficace ». L’ambition est, bien sûr, de rendre la vie sur cette planète durable, mais aussi d’obtenir rapidement des améliorations dans le quotidien des Français.
La trajectoire la plus vertueuse pourrait conduire à créer ou à pérenniser 1,2 million d’emplois, d’ici à 2027. Sur ce chapitre de la transition, les auteurs du rapport visent aussi bien les secteurs des énergies renouvelables, que ceux de l’agriculture, de la rénovation des bâtiments, des véhicules bas carbone, des vélos (y compris la réalisation de pistes cyclables), du transport en commun urbain et ferroviaire. Ce scénario permettrait en outre d’éviter au moins 28 000 décès de personnes victimes de la pollution de l’air.
Prévenir des cancers
Dans les cinq prochaines années, on pourrait aussi prévenir des cancers, notamment en réduisant la consommation de protéines animales et plus particulièrement de viande rouge. Une question dont les candidats à l’élection présidentielle se sont repus pendant la campagne. « En passant d’un steak par jour à un tous les trois jours, produit localement, on pourrait gagner cinq jours sur la date du dépassement », assure Pierre Cannet, directeur de plaidoyer du WWF.
Côté pêche, les rapporteurs estiment que c’est aujourd’hui le laisser-faire qui est de mise. La France n’annonce aucun effort pour réduire sa consommation de poissons prélevés dans ses eaux ou, plus largement, importés. Si elle a des règles européennes à respecter (fin des rejets en mer en particulier), elle n’accompagne ni ne contrôle ses pêcheurs, qui, de ce fait, ne les respectent guère. Le WWF dénonce les techniques de capture dévastatrices et, comme bon nombre d’ONG, l’inaction de l’Etat face à l’hécatombe des dauphins, malgré la procédure d’infraction lancée par la Commission européenne. L’ONG défend aussi le classement en zone protégée d’au moins 5 % de la Méditerranée.
En guise d’indicateurs de l’évolution du « budget nature » de la France au cours du prochain quinquennat, le WWF a choisi sept emblèmes : les coraux de Méditerranée, le thon rouge, les vieilles forêts de hêtres, le lynx, la grenouille verte qui voit disparaître ses mares, les hirondelles affamées par les insecticides et les abeilles sauvages.
Martine Valo
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