Il faut arrêter la construction des « mégabassines »en Poitou-Charentes: assèchement des nappes phréatiques et pollution de l’agriculture industrielle .

« Les “mégabassines” sont le symbole d’un modèle néfaste aux paysans et à nos territoires : l’agriculture productiviste »

TRIBUNE

Collectif

Plus de deux cents personnalités, politiques, scientifiques, artistes, représentants d’associations et de syndicats, parmi lesquelles la juriste Valérie Cabanes, le porte-parole de la Confédération paysanne, Nicolas Girod, demandent, dans une tribune au « Monde », l’arrêt immédiat de la construction de « ces projets aberrants d’accaparement de l’eau ».

Publié aujourd’hui à 06h00, mis à jour à 12h57    Temps de Lecture 5 min. https://www.lemonde.fr/idees/article/2021/11/24/les-megabassines-sont-le-symbole-d-un-modele-nefaste-aux-paysans-et-a-nos-territoires-l-agriculture-productiviste_6103372_3232.html?xtor=EPR-32280629-%5Ba-la-une%5D-20211124-%5Bzone_edito_2_titre_4%5D&M_BT=53496897516380

Tribune. Dans le Poitou-Charentes, des coopératives agro-industrielles tentent de faire main basse sur l’eau dans le but de prolonger un mode de production destructeur du vivant et dont il est aujourd’hui urgent de s’affranchir.

Quatre-vingt-treize « mégabassines » dont plus d’une dizaine dans le Marais poitevin – deuxième plus grande zone humide en France – risquent d’être érigées dans les trois prochaines années.

Ces énormes cratères plastifiés de cinq à quinze hectares sont le dernier artifice de l’agro-industrie pour concilier raréfaction accrue de la ressource en eau et maintien de l’irrigation intensive.

Depuis quelques mois, le mouvement tissé patiemment entre habitants du Marais poitevin et d’ailleurs, paysans et naturalistes pour donner un coup d’arrêt aux chantiers de mégabassines, a pris un essor national. Samedi 6 novembre, à l’appel de Bassines non merci, de la Ligue pour la protection des oiseaux (LPO), de la Confédération paysanne et des Soulèvements de la Terre, plus de 3 000 personnes et 20 tracteurs se sont retrouvés à Mauzé-sur-le-Mignon (Deux-Sèvres), non loin d’une mégabassine en construction interdite d’accès aux manifestants.

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Après avoir traversé champs, rivières et nuages de gaz lacrymogènes, les manifestants ont collectivement investi le site d’une autre mégabassine, illégale et qui a déjà fait l’objet de cinq condamnations par la justice.

Action collective de « désarmement »

Un élément de l’installation de pompage qui alimentait cette bassine a été démonté par des paysans. Une fois la foule montée sur le talus de la bassine, un débâchage a été effectué pour la mettre hors d’état de nuire. Cette action collective de « désarmement » était un appel à reconsidérer les manières de préserver et partager la ressource en eau. Elle témoigne de la nécessité assumée, au vu de l’urgence climatique, d’utiliser les outils de la désobéissance civile quand des projets « écocidaires » passent en force.

Ces énormes cratères plastifiés de cinq à quinze hectares sont le dernier artifice de l’agro-industrie pour concilier raréfaction accrue de la ressource en eau et maintien de l’irrigation intensive

S’il a fallu en arriver là, c’était aussi pour répondre, en pleine COP26, à un gouvernement qui, derrière ses prétentions écologiquement vertueuses, finance à 70 % ces bassines et dont le ministre de l’agriculture, Julien Denormandie, prétend qu’elles s’emplissent avec les « pluies diluviennes » de l’hiver. Le morceau de tuyau ramené jusqu’aux portes de son ministère après avoir été prélevé sur le forage de la bassine, venait le mettre face à son mensonge ou à son incompétence, en matérialisant le fait que les bassines s’emplissent aussi et surtout en pompant dans les nappes phréatiques.

Nous affirmons ici que ce combat nous concerne toutes et tous, partout où nous sommes.

La lutte contre les mégabassines est un enjeu national, qui dépasse de loin le Marais poitevin. Si celles-ci s’implantent dans les Deux-Sèvres, la France en sera bientôt couverte. Or, la survie des zones humides riches en biodiversité, ainsi que des cours d’eau déjà aux bords de l’épuisement dépend de l’état de nos nappes et des surplus d’eaux hivernales. Depuis des années déjà, des naturalistes et hydrogéologues dénoncent les conséquences délétères de l’irrigation intensive et des mégabassines sur ces écosystèmes à l’équilibre fragile.

Un modèle néfaste

Les mégabassines ne profitent qu’à une petite minorité d’irrigants qui vont continuer à s’agrandir pendant que leurs voisins disparaîtront. Elles ne visent qu’à maintenir en sursis face au changement climatique un type de productions intrinsèquement dépendantes des intrants chimiques, qui stérilisent les sols, font disparaître la faune et la flore, polluent les milieux aquatiques et l’eau du robinet, empoisonnent les humains, à commencer par les riverains et les agriculteurs eux-mêmes.

Elles sont le symbole d’un modèle néfaste aux paysans et à nos territoires : l’agriculture productiviste. Nous ne pouvons en effet plus passer à côté d’une transition agricole profonde qui permette aux paysans, pris au piège d’un dogme sans avenir, d’adapter leurs pratiques aux ressources disponibles et non l’inverse. L’irrigation, mesurée, doit être réservée pour des productions alimentaires diversifiées, relocalisées et denses en emplois. Tout l’inverse d’une irrigation essentiellement consacrée à la culture massive du maïs destiné à l’élevage hors-sol, à l’export ou à la méthanisation.

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La lutte pour le partage de l’eau est une question vitale. L’eau est nécessaire à l’agriculture mais aussi à toute forme de vie sur terre. A ce stade de dégradation de la biodiversité, elle doit retrouver le statut de commun par excellence, que nul ne devrait pouvoir privatiser.

Les opposants aux bassines ont besoin de tout notre soutien. Dans les années 2000, alors que lobbys et décideurs voulaient faire entrer les OGM sur le marché sans faire de vague, nombre de paysans et citoyens s’y sont opposés, allant là aussi jusqu’à faire le choix de la désobéissance civile en fauchant volontairement des parcelles OGM pour alerter sur ce sujet majeur.

Intimidations

Il est temps de faire de même avec les mégabassines et de stopper ces projets aberrants d’accaparement de l’eau avant qu’ils ne se généralisent. Nous devons élaborer une solution politique durable aux conflits d’usage sur l’eau dans l’intérêt de tous et toutes, humains et non-humains. Nous avons plus que jamais besoin de territoires vivants plutôt que de terres mortes.

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C’est pourquoi, nous, porte-parole d’organisations nationales, d’associations, ou de syndicats, personnalités politiques, scientifiques, artistes, affirmons ici notre solidarité avec les défenseurs de l’eau, du vivant, et d’une agriculture paysanne qui répond aux défis sociaux, écologiques et climatiques.

Nous nous tenons prêts face à la répression qui menace de s’abattre sur celles et ceux qui luttent sur place. Nous ne pouvons par ailleurs que dénoncer les intimidations dont ils et elles ont fait l’objet émanant de l’Etat ou d’organisations agricoles refusant de voir le chemin à parcourir. Nous exigeons un arrêt immédiat des projets de mégabassines. Nous sommes le vivant qui se défend. Nous sommes l’eau qui jaillit.

Liste des coauteurs : Julien Le Guet, porte-parole du collectif Bassines non merci et batelier dans le Marais poitevin ; Nicolas Girod, porte-parole de la Confédération paysanne et éleveur dans le Jura ; Lotta Nouqui, plume des Soulèvements de la Terre, paysanne sur une zone à défendre et révoltée du climat.

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Collectif

 Ce combat, c’est “la” lutte de la région » : l’eau, source de conflits dans le Marais poitevin

Par  Eric Collier  (Deux-Sèvres, envoyé spécial)

Publié le 06 novembre 2021 à 05h28 – Mis à jour le 09 novembre 2021 à 14h23

https://www.lemonde.fr/societe/article/2021/11/06/ce-combat-c-est-la-lutte-de-la-region-l-eau-source-de-conflits-dans-le-marais-poitevin_6101149_3224.html

RÉCIT

Dans la deuxième plus grande zone humide de France, au cœur des Deux-Sèvres, la création de bassins géants, en prévision de la saison sèche, suscite la colère de certains habitants et de militants écologistes, qui y voient l’emprise d’une « agriculture industrielle ». Ils se sont donné rendez-vous, samedi 6 novembre, pour manifester leur opposition.

La plaine, la plaine, la plaine… Jamais le paysage ne prend de hauteur dans l’est du Marais poitevin, où s’étendent de vastes cultures, à peine découpées par de rares haies ou des fossés. Peu de relief, peu d’obstacles naturels, un rêve d’agriculteur. En cette fin d’octobre, la végétation a viré fauve, le temps des moissons tire à sa fin, seuls quelques pieds de maïs se dressent encore du côté de Mauzé-sur-le-Mignon, dans les Deux-Sèvres. Et au milieu coule une rivière. Coule ? Coulait ? Comment s’imaginer, en contemplant le mince filet d’eau qui se faufile à la sortie de la commune, que l’automne vient d’arriver ?

Le Mignon, c’est le joli nom du cours d’eau, s’écoule là, à une allure de souffreteux, pour le plus grand déplaisir des sociétés de pêche locales. « Si nous voulons vendre des cartes de pêche, il faut de l’eau dans les rivières toute l’année, comme c’était le cas avant les années 1990 », proteste Jean-Michel Grignon, 78 ans, président de la Fédération départementale de pêche des Deux-Sèvres.

La « bassine » en construction, à Mauzé-sur-le-Mignon (Deux-Sèvres), le 31 octobre 2021. YOHAN BONNET POUR « LE MONDE»

« Avant les années 1990 », c’est-à-dire avant que l’impact des cultures intensives de maïs sur le système hydrologique local ne soit visible à l’œil nu et que les nappes phréatiques ne soient menacées d’épuisement dans le Marais poitevin, la deuxième plus grande zone humide de France, après la Camargue. Avant que les cultivateurs du coin ne sollicitent des sourciers, creusent des forages chez eux et appliquent le principe « c’est ma terre, c’est mon eau » pour arroser à volonté leurs maïs, très gourmands en été, au moment où la ressource est naturellement plus rare. Avant que ces agriculteurs, séduits par ce qui apparaissait encore comme le progrès, ne soient plus appelés que « les irrigants », pas forcément un compliment. « Les débuts de l’irrigation, dans les années 1980, sans aucun encadrement, ont transformé nos champs en gruyère et nos rivières en sentiers de randonnée », résume Joëlle Lallemand, présidente de l’Association de protection, d’information et d’études de l’eau et de son environnement (APIEEE).

Gigantesques cratères

Depuis, la loi sur l’eau et les milieux aquatiques de 2006 a érigé la ressource en bien commun. Des compteurs ont été installés sur les forages des agriculteurs, les volumes prélevés ont été contrôlés et réduits, mais pas au point de régler le sujet de la juste utilisation de la ressource, aggravé, là aussi, par le changement climatique. Si le niveau annuel des précipitations est assez constant, sa « distribution temporelle » pose problème, explique Alain Dupuy, professeur d’hydrogéologie à l’Institut national polytechnique de Bordeaux.

La future retenue d’eau dite « la bassine » prend forme à Mauzé-sur-le-Mignon (Deux-Sèvres), le 31 octobre 2021. YOHAN BONNET POUR « LE MONDE»

Il pleut davantage pendant les mois d’hiver et moins le reste du temps. D’où l’émergence d’une solution, déjà mise en œuvre chez les voisins vendéens : creuser de gigantesques cratères recouverts d’une bâche, ou géomembrane, afin de stocker les eaux d’hiver pour les utiliser à la saison sèche. Des « retenues de substitution » pour les ingénieurs qui les ont conçues, des « mégabassines » pour les habitants et militants qui reprochent notamment à ce système de stockage « d’accaparer l’argent public », d’encourager « une agriculture industrielle » et de mettre en danger le capital commun d’eau potable.

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En quelques années, le sujet a pris une importance considérable dans cette zone de marais où la gestion de l’eau a toujours été au centre des débats et souvent source de conflits. « Ce combat, c’est “la” lutte du Poitou-Charentes, confie Julien Le Guet, l’un des porte-parole du collectif Bassines non merci, tandis qu’il mène sa barque à travers les méandres de la Venise verte, près d’Arçais. Il existe ici un attachement et un rapport à l’eau assez uniques. On est passé d’une situation où elle était si abondante qu’il a fallu la contrôler et la domestiquer pour mettre la zone en culture, à une situation où elle vient à manquer. » 

Pour le bassin-versant de la Sèvre niortaise, l’ensemble de rivières et canaux qui déversent leurs eaux dans le Marais poitevin et arrosent plus de 220 communes et près de 400 000 habitants, un projet initial envisageait la création de dix-neuf bassines. « Nous avons attaqué sur les deux critères, le nombre de retenues et les volumes de prélèvement »,rappelle Patrick Picaud, 66 ans, vice-président de Nature Environnement 17, l’une des associations à la pointe de la lutte contre les bassines.

« Tout ce qu’il ne faut pas faire »

Après une première phase de concertation, le nombre de bassines a été ramené à seize. En mai, le tribunal administratif de Poitiers a déclaré conformes sept ouvrages et donné dix mois aux promoteurs du projet global pour redimensionner les neuf autres bassines afin de réduire le prélèvement global à 6 millions de mètres cubes en hiver, au lieu des 6,9 millions prévus. Le coût global de l’opération a été estimé à 60 millions d’euros, financés à 70 % par de l’argent public − Agence de l’eau, Etat, collectivités locales − et à 30 % par les agriculteurs réunis en une Coop de l’eau. A charge pour cette société coopérative à statut privé de travailler en bonne intelligence et en concertation avec l’Etablissement public du Marais poitevin, qui continuera à surveiller l’état des nappes phréatiques et à proposer un plan de répartition des eaux.

« Le modèle agricole adossé à ces bassines est le pire des modèles existant : on flingue la biodiversité » Benoît Biteau, agriculteur et député

Après deux mois de travaux de terrassement, le chantier de la bassine de Mauzé-sur-le-Mignon est en voie d’achèvement, à quelques centaines de mètres du cours du Mignon. C’est là, au bord de la route départementale 101, que les « antibassines » se sont donné rendez-vous, samedi 6 novembre, pour manifester. Aux yeux de ces opposants, défenseurs de l’environnement et adhérents des sociétés de pêche, ces retenues, censées sécuriser les cultures des « irrigants », sont un parfait résumé de « tout ce qu’il ne faut pas faire ». 

« Le modèle agricole adossé à ces bassines est le pire des modèles existant : on flingue la biodiversité, on produit des aliments de qualité douteuse destinés aux animaux et on contribue à l’accélération du changement climatique », insiste Benoît Biteau, ancien chercheur en agronomie devenu agriculteur à Sablonceaux (Charente-Maritime) et député européen (EELV). Plus jeune, il avait vu son père adopter ce modèle réputé gourmand en eau, en intrants et en financements publics. Mais depuis qu’il a repris l’exploitation, en 2007, et converti ses 230 hectares à l’agroécologie, il a l’impression, dit-il, de « reproduire le bon sens paysan de [s]on grand-père ». Tenu à l’isolement pour cause de Covid-19, l’élu, ancien vice-président du conseil régional de Poitou-Charentes, ne pourra prendre la parole comme il l’avait prévu lors de la manifestation du 6 novembre.

« Provocation publique »

En revanche, des leaders politiques comme Yannick Jadot ou Jean-Luc Mélenchon, déjà venus dire leur hostilité aux bassines en octobre 2020, n’ont pas été conviés. « On a fait savoir qu’on ne souhaitait pas la présence des candidats à la présidentielle », indique Julien Le Guet, du collectif Bassines non merci. Le 22 septembre, une autre manifestation, organisée sur le même site, avait attiré quelques centaines de personnes, entraîné des dégradations sur le chantier et provoqué des échauffourées entre militants et gendarmes. Un mois plus tard, Julien Le Guet, 44 ans, a été placé en garde à vue à la gendarmerie de Coulonges-sur-l’Autize, poursuivi pour « provocation publique et directe non suivie d’effet à commettre un délit ». Trois autres militants ont été interpellés le lendemain.

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« Tentative d’intimidation », ont protesté les organisations opposées aux retenues d’eau artificielles. « Nous n’interpellons pas des “antibassines” mais des personnes à qui l’on reproche des infractions », a réagi le procureur de la République de Niort, Julien Wattebled, interrogé par Le Courrier de l’Ouest. Les pouvoirs publics redoutent-ils l’installation d’une nouvelle zone à défendre, une ZAD ? Ce n’est pas le projet, assure Julien Le Guet. Le site ne se prête pas à une occupation. « Notre choix est celui de la mobilité, nous voulons agir sur l’ensemble du bassin-versant. » 

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Le chantier de la retenue de Mauzé-sur-le-Mignon est désormais mieux protégé. De puissants projecteurs l’éclairent jour et nuit. Un garde, abrité dans un camping-car, veille sur les lieux et filtre les va-et-vient. Derrière les grillages, les pelleteuses ont creusé une sorte de très grand stade. « Plutôt le Camp Nou de Barcelone que le stade municipal de Mauzé », sourit Thierry Boudaud, président de la Coop de l’eau, qui conduit la visite des lieux, « une retenue de taille moyenne ». Soit 7 hectares d’emprise sur des terres agricoles cédées par leurs propriétaires pour conserver 245 000 mètres cubes d’eau. Avant sa mise en service, cet hiver si tout va bien, il restera à lisser les bords du cratère avec un broyeur, avant de poser une géomembrane qui assurera son étanchéité. Quatre points de remplissage devraient être actifs chaque année entre le 30 novembre et le 30 mars, « à condition que la nappe phréatique soit pleine ou en débordement ». L’été venu, huit « irrigants » bénéficieront directement de ces eaux.

« Des vaches, pas des bâches »

Thierry Boudaud, un agriculteur bientôt quinquagénaire, voit le pilotage public-privé de l’opération comme « un modèle de gouvernance ». Les engagements pris par les « irrigants » connectés au réservoir géant seront tenus, promet-il. Le protocole, établi de haute lutte après quelques ateliers de travail réunissant les différentes parties − agriculteurs, pouvoirs publics et associations −, sera respecté à la lettre : non seulement une partie des forages « privés » seront bouchés, mais des haies seront replantées, des fossés recréés et le retour à une plus grande biodiversité sera favorisé, il s’en porte garant. Son seul regret : la bonne gouvernance du programme des bassines − « un fonctionnement unique ! » − n’a « pas été suffisamment expliquée » et les opposants au projet « ne reconnaissent pas assez les instances de discussion »« On ne va pas vider le marais avec ces retenues ! On n’est quand même pas un groupe de bourrins qui ont décidé de faire des retenues tout seuls dans leur coin ! »

Une partie de ses interlocuteurs se disent prêts à le suivre dans ce pari vertueux, où chacun respecterait ses engagements. « Si on n’arrive pas à se mettre d’accord sur la gestion de la ressource en eau, c’est quoi la solution ? Comment on avance ? », interroge Alain Dupuy, le professeur d’hydrogéologie. Mais tout le monde ne partage pas cet optimisme, y compris au sein du monde agricole. La Confédération paysanne sera présente à la manifestation du 6 novembre.

France, Mauzé-sur-le-Mignon, 2021.10.31. Thierry Boudaud sur le site en construction de la bassine a Mauzé-sur-le-Mignon dans les Deux-Sèvres. Photo © Yohan Bonnet pour Le Monde

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« Il ne s’agit pas d’une opposition entre écolos et agriculteurs, mais d’une lutte de citoyens contre les agro-industries », tient à préciser Joëlle Lallemand. Autrefois chercheuse à l’Institut national de recherche agronomique, la présidente de l’APIEEE évoque des études « montrant que c’est bien l’irrigation qui assèche les rivières, pas les épisodes de sécheresse ».

Si elle n’a « rien contre l’irrigation », elle préférerait qu’on commence par « réparer ce qu’on a fait », qu’on replante davantage de haies, qu’on cesse de « rectifier » les rivières afin que l’eau retourne dans les nappes, que la zone humide retrouve son rôle naturel. « Et ensuite, si besoin, on pourra pomper. » De nature « un peu trouillarde, mais très déterminée », elle surveille la montée des tensions entre pouvoirs publics et opposants, qui l’encourage à rejoindre la manifestation de Mauzé-sur-le-Mignon, où elle pourrait se ranger derrière une banderole réclamant « des vaches, pas des bâches ». Elle ne croit guère à la théorie du ruissellement vertueux, encore moins à l’existence d’une « eau magique », éternellement à disposition.

Sur le site en construction de la « bassine », à Mauzé-sur-le-Mignon (Deux-Sèvres), le 31 octobre 2021. YOHAN BONNET POUR « LE MONDE»

Eric CollierDeux-Sèvres, envoyé spécial

Voir aussi:

https://environnementsantepolitique.fr/2021/11/11/les-bassines-des-deux-sevres-font-polemique/

https://environnementsantepolitique.fr/2021/10/24/16-seize-reservoirs-deau-geants-destines-a-lagriculture-a-debute-fin-septembre-pres-du-marais-poitevin/

https://environnementsantepolitique.fr/2021/10/21/varenne-agricole-de-leau-une-parodie-de-consultation/

https://environnementsantepolitique.fr/2020/09/19/stocker-en-surface-les-pluies-dhiver-en-prevision-de-lete-est-une-idee-denoncee-par-les-hydrologues-qui-defendent-au-contraire-une-recharge-des-nappes-souterraines/

https://environnementsantepolitique.fr/2020/09/11/bassines-et-barrages-une-mauvaise-solution-les-hydrologues-defendent-au-contraire-une-recharge-des-nappes-souterraines/

Publié par jscheffer81

Cardiologue ancien chef de service au CH d'Albi et ancien administrateur Ancien membre de Conseil de Faculté Toulouse-Purpan et du bureau de la fédération des internes de région sanitaire Cofondateur de syndicats de praticiens hospitaliers et d'associations sur l'hôpital public et l'accès au soins - Comité de Défense de l'Hopital et de la Santé d'Albi Auteur du pacte écologique pour l'Albigeois en 2007 Candidat aux municipales sur les listes des verts et d'EELV avant 2020 Membre du Collectif Citoyen Albi

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