Stocker en surface les pluies d’hiver en prévision de l’été est une idée dénoncée par les hydrologues qui défendent au contraire une recharge des nappes souterraines.

« Stocker les eaux de pluie dans des retenues est un non-sens »

TRIBUNE

Christian Amblard – directeur de recherche honoraire au CNRS

Créer des barrages pour lutter contre la sécheresse est une proposition inefficace, irresponsable et contraire à l’intérêt général comme à celui des agriculteurs, dénonce, dans une tribune au « Monde », Christian Amblard, directeur de recherche honoraire au CNRS.

Publié le 29 août 2020 à 07h00    Temps de Lecture 3 min. 

https://www.lemonde.fr/idees/article/2020/08/29/stocker-les-eaux-de-pluie-dans-des-retenues-est-un-non-sens_6050280_3232.html

Tribune. Le ministère de l’agriculture a annoncé la création de nombreuses retenues d’eau, prétextant que les précipitations qui tombent en automne et en hiver seraient inutiles et perdues, et qu’il faudrait donc les stocker. Ce n’est, en fait, pas du tout le cas. Bien au contraire, l’eau qui s’infiltre et réalimente les nappes dans le sous-sol est beaucoup plus utile pour l’ensemble des utilisateurs et, notamment, pour les agroécosystèmes [écosystèmes modifiés par l’homme], que l’eau stockée dans des retenues. Celle-ci ne servira qu’à irriguer les cultures de quelques grandes exploitations et donc une part infime des terres agricoles.

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Les barrages sur un cours d’eau assèchent les secteurs situés à leur aval et détruisent ainsi tous les écosystèmes, notamment les agroécosystèmes. Ils brisent la continuité écologique et constituent un obstacle pour beaucoup d’espèces comme les poissons migrateurs. Ils détruisent aussi, en les noyant, les zones humides situées en amont qui jouent un rôle très utile d’éponge, en stockant l’eau en période humide et en la restituant en période sèche.

Hérésie totale

Alors que les réserves souterraines ne sont pas sujettes à l’évaporation, les retenues d’eau superficielles subissent une très forte évaporation en période de grosses chaleurs et conduisent ainsi à une perte importante de la ressource en eau. Des études récentes (publiées notamment, en 2018, par Katja Friedrich, de l’université du Colorado Boulder, et par Florence Habets et Jérôme Molenat, de Sorbonne Université) montrent que les pertes par évaporation sur les lacs de l’Ouest américain varient de 20 à 60 % des flux entrants. C’est donc une hérésie totale de faire passer en surface les ressources en eaux souterraines, qui assurent une humidification généralisée des sols, pour en perdre une part considérable par évaporation.

La problématique est identique avec la création de « bassines », consistant à creuser dans le sol des trous, de quelques hectares à plusieurs dizaines, et à les remplir avec l’eau des nappes souterraines ou des rivières. Là encore, la ressource utile à tous les écosystèmes se retrouve en surface, soumise à l’évaporation et à la pollution, pour le seul bénéfice de quelques producteurs de cultures non adaptées au terroir local.Lire aussi  Sécheresse : le gouvernement va autoriser une soixantaine de retenues d’eau entre 2019 et 2022

Seulement 6 % des terres agricoles sont équipées pour leur irrigation. Ces retenues n’irrigueront que les cultures de quelques exploitations de taille très importante, notamment les maïsiculteurs, et n’apporteront rien à la très grande majorité des éleveurs de France. Enfin, la construction de barrages aggravera la vulnérabilité de l’agriculture vis-à-vis de la ressource en eau en empêchant la transition vers une agriculture résiliente et responsable, économe en eau.

Limiter le ruissellement et l’évaporation de l’eau

Il faut, au contraire, retenir le plus possible l’eau sur nos territoires en favorisant son infiltration dans les sols et en limitant son ruissellement et son évaporation. C’est la seule gestion responsable des ressources en eau, au bénéfice des agriculteurs et des autres utilisateurs. Elle implique une série de modifications, aussi bien dans la gestion de l’espace – en limitant l’imperméabilisation des sols par les bétonnages et les bitumages inutiles – que dans les pratiques agricoles. Certaines de ces pratiques doivent être stoppées : le drainage des zones humides, qui évacue les eaux vers l’aval sans aucun bénéfice pour les sols, l’utilisation d’engins agricoles monstrueux qui tassent et imperméabilisent les sols, le travail des terres dans le sens de la pente, qui favorise le ruissellement et leur lessivage.

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En revanche, des mesures s’imposent d’urgence. Replanter des arbres, éléments essentiels dans la régulation du climat local, notamment pour limiter les pertes d’eau par évaporation. Développer l’agroforesterie [mode d’exploitation des terres agricoles associant des arbres et des cultures ou de l’élevage] en privilégiant les variétés et les races adaptées à nos conditions environnementales. En cela, la sauvegarde de la biodiversité agricole est essentielle. L’installation de cultures intermédiaires doit permettre de ne plus avoir de sols nus en hiver. Il faut enfin substituer à la fertilisation chimique une fertilisation organique afin d’augmenter le complexe argilo-humique des sols, et ainsi, leur capacité en rétention des eaux.

Christian Amblard est directeur de recherche honoraire au CNRS, vice-président de Greffe (Groupe scientifique de réflexion et d’information pour un développement durable) et de l’association Preva (Protection de l’entrée des volcans d’Auvergne).

Christian Amblard(directeur de recherche honoraire au CNRS)

Face à la sécheresse, les retenues d’eau artificielles, une solution de très court terme

Stocker en surface les pluies d’hiver en prévision de l’été est une idée dénoncée par les hydrologues qui défendent au contraire une recharge des nappes souterraines. 

Par Martine Valo  Publié le 08 août 2020 à 12h40 – Mis à jour le 10 août 2020 à 10h29

https://www.lemonde.fr/planete/article/2020/08/08/face-a-la-secheresse-les-retenues-d-eau-artificielles-une-solution-de-tres-court-terme_6048481_3244.html

Un champ en Indre-et-Loire, lors la sécheresse en juillet 2019.
Un champ en Indre-et-Loire, lors la sécheresse en juillet 2019. GUILLAUME SOUVANT / AFP

Les uns après les autres, quand arrivent les mois chauds qui assèchent les sols et les rivières en France, les ministres de l’agriculture avancent la même réponse comme frappée du sceau de l’évidence : si l’eau manque en été, il n’y a qu’à la stocker en hiver. C’est d’ailleurs la demande récurrente de la Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles (FNSEA). Pour affronter le réchauffement climatique, il faudrait, selon le syndicat majoritaire des exploitants agricoles, multiplier les retenues sur des rivières et des bassines – au nom trompeur puisqu’elles occupent en général plusieurs hectares chacune –, alimentées par pompage dans les cours d’eau et les nappes souterraines, les pluies et les ruisseaux étant loin de suffire à remplir ces installations conséquentes largement subventionnées.

En août 2019, le ministre de l’agriculture et de l’alimentation d’alors, Didier Guillaume, déclarait vouloir une soixantaine de retenues de ce genre pour soutenir l’agriculture irriguée. Un an plus tard, son successeur nouvellement nommé, Julien Denormandie, ingénieur agronome de formation, avance à son tour cette idée. « Pour permettre d’avoir l’eau l’été [il faut] capter l’eau de l’hiver. C’est aussi simple que cela, c’est le bon sens qui nous anime, a-t-il déclaré au micro d’Europe 1, le 31 juillet. Il faut parfois, sur des territoires, faire des retenues d’eau un peu plus massives et ça, dans notre pays, ça prend huit à dix ans parce qu’on a toujours une palanquée de recours. »

Il s’interrogeait déjà la veille devant la commission des affaires économiques de l’Assemblée nationale : « Comment peut-on simplifier les choses de façon réglementaire pour aller plus vite, sachant qu’une loi prendrait trop de temps et ne simplifierait peut-être pas grand-chose ? Je veux vraiment travailler là-dessus. » Le ministre glissait au passage en avoir « déjà parlé avec Barbara Pompili », son homologue de la transition écologique. La question est sensible car elle est source de discorde depuis des années entre les deux ministères, qui n’ont ni l’un ni l’autre répondu aux sollicitations du Monde. 

Dégradation des milieux naturels

Sivens, Caussade, la vingtaine de retenues d’eau de la Sèvre niortaise, pour ne citer que quelques projets qui ont cristallisé les tensions : les associations de défense de l’environnement tirent fréquemment à boulets rouges sur ces nouvelles infrastructures. Elles les combattent devant la justice et en manifestant sur place, au nom du nécessaire partage d’une ressource hydrique qui devient plus rare et de moins en moins bonne qualité, et de la sauvegarde de la biodiversité. Le Comité français de l’union internationale pour la conservation de la nature et le Muséum national d’histoire naturelle ont ainsi fait savoir, en juillet 2019, que 15 des 80 espèces de poissons d’eau douce présentes en France métropolitaine sont menacées de disparition en raison de la dégradation, voire de la destruction, des milieux naturels.

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Or les nappes souterraines qui alimentent les sources, permettant aux rivières de couler l’été, ont besoin de se recharger durant les saisons arrosées grâce aux pluies qui s’infiltrent par les sols des espaces naturels, des zones humides en particulier. Celles-ci filtrent d’ailleurs au passage une part des contaminations. Mais certaines régions, le Massif central par exemple, connaissent aujourd’hui leur quatrième été de sécheresse consécutif. Alors même si l’automne et l’hiver 2019-2020 se sont montrés généreux en précipitations, la question de la recharge des nappes va se poser si l’eau est de plus stockée en surface.

L’Observatoire national des étiages (ONDE) constate qu’au moins 17 % des 3 200 cours d’eau qu’il surveille sont déjà à sec. Ce dispositif est l’un des outils à la disposition des pouvoirs publics pour décider des arrêtés sécheresse qui restreignent l’arrosage des jardins, le lavage des voitures, le remplissage des piscines et autres usages domestiques. Dans certains départements, le secteur agricole, qui consomme la majorité de la ressource, est aussi contraint de limiter ses prélèvements.

Les barrages assèchent les tronçons de rivières situés en aval, détruisent les écosystèmes, noient les zones humides

« Bien sûr qu’il faut retenir l’eau, mais dans les sols, pas en surface où une bonne part va s’évaporer par fortes chaleurs, affirme l’hydrogéologue Christian Amblard, directeur de recherche honoraire au CNRS et vice-président du Groupe scientifique de réflexion et d’information pour un développement durable et de l’association Preva (Protection de l’entrée des volcans d’Auvergne). Des études récentesont conclu que les pertes sur les lacs de l’Ouest américain peuvent atteindre 20 % à 60 % des flux entrants, c’est considérable. D’autres, réalisées en Espagne, ont conclu que dans les régions les plus équipées de barrages, les sécheresses sont deux fois plus intenses et plus longues. » 

Les retenues d’eau assèchent les tronçons de rivières situés en aval, détruisent les écosystèmes, noient les zones humides. La problématique est la même pour les grandes bassines, explique-t-il en substance. « C’est donc une hérésie totale de faire passer les ressources en eau souterraines en surface au profit de seulement 6 % des terres équipées pour être irriguées », conclut-il.

Son point de vue est partagé par nombre d’hydrologues. Ainsi Florence Habets, chercheuse en hydrométéorologie (directrice de recherche CNRS et professeure attachée à l’Ecole normale supérieure) déclarait-elle au Monde, à l’été 2019 : « Le moyen le plus efficace de garder la ressource hydrique, ce sont les nappes et les sols qui se gorgent de volumes conséquents et les transfèrent vers le sous-sol. Augmenter nos capacités de stockage avec l’idée que nous pourrons poursuivre les mêmes activités, les mêmes cultures aux rendements fantastiques, est un leurre (…). En outre, le remplissage de ces infrastructures en automne peut contribuer à augmenter la durée des pénuries. »

INFOGRAPHIE LE MONDE
INFOGRAPHIE LE MONDE

Martine Valo

Publié par jscheffer81

Cardiologue ancien chef de service au CH d'Albi et ancien administrateur Ancien membre de Conseil de Faculté Toulouse-Purpan et du bureau de la fédération des internes de région sanitaire Cofondateur de syndicats de praticiens hospitaliers et d'associations sur l'hôpital public et l'accès au soins - Comité de Défense de l'Hopital et de la Santé d'Albi Auteur du pacte écologique pour l'Albigeois en 2007 Candidat aux municipales sur les listes des verts et d'EELV avant 2020 Membre du Collectif Citoyen Albi

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