Le sommelier Paul Robineau nous confie ses pépites : «En termes de rapport qualité prix, ça vaut des vins vendus deux fois plus cher»
Le 30 octobre 2025 à 11h11 https://avis-vin.lefigaro.fr/economie-du-vin/paul-robineau-sommelier-au-taillevent-nous-confie-ses-pepites-en-termes-de-rapport-qualite-prix-ca-vaut-des-vins-vendus-deux-fois-plus-cher-20251024
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Son quotidien et ses vins coups de cœur du moment… Entretien avec Paul Robineau, directeur vins et spiritueux du groupe Gardinier
Les caves des plus grands restaurants sont un objet de curiosité pour tout amateur de vin. Celle du Taillevent, institution de la gastronomie française du 8e arrondissement de Paris, regorge de trésors issus des plus prestigieux domaines et appellations. Le Figaro a rencontré Paul Robineau, directeur vins et spiritueux du groupe Gardinier, auquel appartient le mythique restaurant Le Taillevent.
LE FIGARO -. À quoi ressemble une journée type au Taillevent ?
PAUL ROBINEAU -. J’essaie de repartir ma journée entre le bureau et le terrain. Je suis au bureau de 8h30 à 11h30 pour des réunions financières, l’achat des vins… Ensuite je déjeune au Taillevent avec les équipes, puis j’essaie de passer dans les points de vente le midi. Quand il y a des gros clients, je passe un petit peu de temps avec eux. Puis toute l’après-midi et la soirée, je retourne au bureau faire des achats. Le soir, lorsque nous avons des événements avec des vignerons ou des gens que je connais, je passe aussi sur les points de vente, les restaurants pour les voir et goûter des vins avec eux. Lorsque nous sommes responsables de 10 points de vente, et de 35 personnes, c’est difficile d’être partout, mais j’essaie de garder le plus possible le contact avec les équipes de terrain. Si l’on reste dans sa tour d’ivoire, à aller au restaurant avec des agents, à revenir faire deux trois mails l’après-midi et des commandes, on peut vite se prendre pour quelqu’un qu’on n’est pas.
En quoi cette expérience diffère de tout ce que vous avez connu ?
Dans pleins de restaurants, les cartes des vins sont intéressantes, éclectiques, mais nous, nous avons une force d’achat assez importante. Nous possédons des cuvées de domaines qui ont 30 ans de liste d’attente, pour lesquels les gens se battent pour avoir une bouteille par an. Quand vous êtes sommelier au Taillevent, vous goûtez des vins que très peu de gens goûtent, ce qui apporte une expertise, une connaissance très pointue des vins. Et je pense que la profondeur de cave que nous avons, les bouteilles que les sommeliers ouvrent, c’est assez unique. Et enfin, nous entretenons un rapport privilégié avec les vignerons. Nous achetons du vin à des gens que nous connaissons depuis 30 ans, 50 ans… Ce sont des relations amicales, fraternelles presque, ce qui nous permet d’avoir des vins assez uniques que peu de gens possèdent. Dans 100 ans je ne serai plus là mais la marque Taillevent, oui. Donc je fais en sorte de maintenir l’équilibre, de garder des bonnes relations avec ces personnes.
Je vois beaucoup de sommeliers qui achètent des vins parce qu’eux les aiment bien, parce que ces vins sont à la mode…Paul Robineau
Quelles sont les clés pour composer une bonne carte des vins ?
Il faut d’abord adapter les achats des vins par rapport aux établissements, et leur clientèle. Ce n’est pas une critique, mais je vois beaucoup de sommeliers qui achètent des vins parce qu’eux les aiment bien, parce que ces vins sont à la mode… Au Taillevent, nous ne sommes pas dans la «fame». Ce qui ne nous empêche pas de mettre en avant des pépites : des nouveaux vignerons, des petits prix, des appellations et régions comme Jurançon, le Jura… Mais jamais je ne pourrais me dire «demain je fais une table de vin nature à 100% avec uniquement des vins de Slovénie, d’Italie… » La deuxième chose, c’est d’adapter les vins par rapport au chef, à sa ligne culinaire. Nous avons la chance d’avoir une équipe de sommeliers qui goûte très régulièrement et qui me suggèrent des vins intéressants à prendre. La troisième chose pour faire une carte des vins intéressante, surtout en ce moment, c’est de maintenir une cohérence des prix. Les gens ne sont pas bêtes, les grands vins coûtent cher, bien sûr, parce que nous les achetons cher, mais faire des coefficients de 10 ou 12 sur des bouteilles, c’est se moquer du monde. La vie coûte plus cher qu’avant et même les gens qui ont de l’argent font attention. Nous sommes encore une des seules maisons parisiennes où les gens peuvent venir et se faire plaisir, et c’est pour ça que nous sommes connus aussi.
Comment se passe la collaboration avec le chef du restaurant Giuliano Sperandio ?
À l’occasion des événements vin «Le temps d’un terroir», nous invitons des vignerons une fois par mois dans tous les établissements du groupe et nous faisons des menus sur mesure. J’ai donc la chance de pouvoir aller en cuisine, de goûter les plats… Nous avons un chef qui sait se mettre en retrait car notre maison est très emblématique au niveau du vin. Il va les goûter et parfois se dire «dans le menu que j’ai fait, il n’y a peut-être pas assez d’épices, je vais peut-être rajouter cet élément, si c’est un vieux pinot je peux ajouter quelque chose de forestier, de tertiaire pour matcher le vin…»
Quelles sont, selon vous, les plus belles cuvées qui composent la cave du Taillevent ?
Je suis un grand fan de Bourgogne, donc je citerais le domaine Raveneau à Chablis, le domaine Coche-Dury à Meursault… Pour moi ce sont des vins légendaires qui traversent les années et les décennies sans bouger. Ils sont indestructibles. Nous avons aussi la chance d’avoir des grands hermitages rouges de chez Jean-Louis Chave. Ce sont aussi des vins incroyables, d’une profondeur et d’une évolution gigantesque. Je dirais aussi les côtes-rôties de chez Jamet. À Bordeaux, nous avons aussi la chance d’avoir encore des millésimes du XIXe siècle, beaucoup des années 1910, 1920 et 1930. Nous avons également des vins italiens de Case Basse de Soldera dans le Brunello di Montalcino (appellation de vin rouge italien, NDLR), parce que le Taillevent ne se limite pas aux vins français, nous avons aussi 200 vins étrangers sur la carte.
Pouvez-vous citer vos coups de cœur chez les vignerons cette année ?
Dans le Jura, il y a Benjamin Benoit, quelqu’un que j’ai connu à l’école et qui a repris le domaine Cellier Saint-Benoît il y a quelques années. Il fait des vins incroyables, à la bourguignonne, mais sur des terroirs jurassiens, c’est assez exceptionnel, j’aime beaucoup ce qu’il fait. En appellation Chablis, il y a Clément Lavallée qui sort des bombes atomiques, des chablis verticaux, sur l’acidité, à des super prix. Il y a aussi Paul Fumoso, qui gère le domaine Gour de Chaulé. C’est un jeune qui a 28 ans qui est à Gigondas, qui fait des grenaches très épurés, légers, croquants, j’aime beaucoup aussi. Tous ces vignerons ont entre 28 et 35 ans, ils sont un peu le renouveau de leur région.
Et avez-vous des coups de cœur pour des cuvées abordables ?
Les chardonnays de Clément Lavallée restent abordables, aux alentours de 18 euros. J’aime beaucoup également un vin nature du domaine Lajibe. C’est à Jurançon, j’en ai encore bu un verre ce midi. Il a très peu d’intrants, pratiquement pas de sulfite, mais une vraie expression du terroir. Ils sont à 35-40 euros en cave, ce n’est pas donné mais en termes de rapport qualité prix, ça vaut des vins vendus deux fois plus cher.