Dans le Gard, un hameau solidaire dans l’âme : « Ce foyer intergénérationnel est une vraie alternative pour éviter de finir en Ehpad »
Pour lutter contre le manque de logements et l’isolement des personnes âgées dans leur région, les sœurs du monastère orthodoxe de Solan ont lancé l’idée du « Hameau des rosiers », un ensemble locatif destiné à accueillir toutes les générations.

Ce matin d’octobre, la pie qui se pavane dans la cour du couvent a le don d’irriter les chats. « C’est Pirouette, précise Sœur Claire. Elle s’est laissé apprivoiser. » Quelques rires fusent, mais la scène ne trouble pas les sœurs, qui vaquent à leurs occupations entre office, conditionnements de produits destinés à la vente et préparatifs du déjeuner fixé à 10 h 30. La matinée est déjà bien entamée.
Dix-neuf sœurs orthodoxes, âgées de 19 à 92 ans, sont installées depuis 2002 au monastère de Solan, entre Uzès et Bagnols-sur-Cèze (Gard). Dans cette ancienne ferme de 60 hectares, constituée de forêts, de champs, de vergers, de vignes et d’un potager, les sœurs se disent fièrement paysannes. Elles travaillent quotidiennement la terre et visent l’autosuffisance alimentaire. Solan est même devenu un laboratoire singulier de l’agroécologie et de l’alimentation naturelle, cité dans les revues ou émissions culinaires. Un lieu prisé des touristes, qui font facilement un détour jusqu’aux portes de l’église byzantine et de la boutique du monastère.
Depuis quelques mois, c’est sur un autre terrain que les religieuses s’aventurent. Elles sont sur le point de créer, à 3 kilomètres de là, sur la commune de Saint-Laurent-la-Vernède, 700 habitants, le « Hameau des Rosiers »: un ensemble de 17 logements dont 11 destinés à des personnes en perte d’autonomie et 6 à des familles, agrémenté d’espaces communs et d’un jardin participatif.

Ce projet, assure mère Hypandia, la mère supérieure de la communauté, se veut une réponse à la crise que de nombreux villages traversent : la raréfaction du logement. « Depuis des années, nous cherchions un moyen d’accompagner nos fidèles âgés, mais l’idée d’un simple foyer ne répondait plus aux besoins du territoire. Le projet a évolué vers une forme d’habitat intergénérationnel, ouvert à tous et pas seulement à notre communauté. »
Course contre la montre
Pour mener à bien ce projet, le monastère s’appuie sur l’association Dynamis, qui réunit des habitants de cette partie rurale du Gard, des futurs locataires et des fidèles de Solan. Sa présidente, Madeleine-Fabienne Mutel, rappelle le contexte : « Nous avons d’abord établi un diagnostic territorial, et une réalité s’est imposée : les possibilités de logement sont devenues rares ou trop chères ; pour les plus anciens, souvent, il devient impossible de rester vivre dans la région en cas de perte d’autonomie ou de veuvage, et il leur faut quitter leur maison. Notre démarche vise à proposer une alternative à l’isolement. »


Pour le financement, les sœurs et l’association ont imaginé une structure hybride associant initiative citoyenne, foncier religieux et participation privée. Car il faudra réunir au total la somme de 3,2 millions d’euros. « On cherche de l’argent partout », admet Madeleine-Fabienne Mutel. Dans un premier temps, le monastère a créé un fonds de dotation et lancé une levée de fonds défiscalisée, complétée par une cagnotte en ligne pour récolter les 600 000 euros nécessaires à l’acquisition du terrain, situé au cœur du village, à deux pas de la boulangerie, de la poste et de l’épicerie. « C’était la dernière parcelle constructible disponible dans le bourg », souligne MmeMutel, pour qui une course contre la montre est engagée. « Idéalement, il nous faudrait avoir la somme d’ici à l’été. »
L’architecte retraité Michel Kovalenko, l’un des bénévoles de Dynamis, a déjà pensé aux plans : ici, la salle polyvalente, là, des chambres d’amis, un atelier partagé, une buanderie collective. « L’enjeu, explique-t-il, est politique : il s’agit d’envisager autrement la société, et de rendre visible une autre forme de solidarité, en particulier envers les personnes âgées. » Pour l’équipe municipale, le défi du monastère de Solan est une aubaine.
Premiers habitants en 2028
Le maire, Joseph Guardiola, sans étiquette, qui devrait être candidat à sa propre succession en mars 2026, soutient la démarche : « C’est l’aspect intergénérationnel qui nous intéresse. Cette nouvelle façon d’habiter le territoire pourra intéresser les personnes âgées de notre village. » Fin novembre, une réunion a été organisée dans le hameau : « Certains voisins peuvent craindre des nuisances. L’idée, c’est d’apprendre à se connaître. »

Si le projet évolue au rythme prévu, il pourrait accueillir les premiers habitants en 2028. Huit foyers, quatre couples et quatre célibataires sont déjà candidats. Parmi eux, Sylvie Richard, 69 ans, une architecte qui participe aux réunions au monastère : « Cela répond à toutes mes préoccupations. Je vis dans une maison de 140 mètres carrés, où j’ai accumulé toute ma vie et où je ne me vois pas passer mes derniers jours. Il est temps de m’alléger. » A ses côtés, Anna-Maria Peligrino, 83 ans, est aussi impatiente : « Ce type d’habitat serait une vraie alternative pour éviter de finir en Ehpad. »
A Solan, personne ne semble douter de la concrétisation du projet. Un permis de construire doit être déposé dans les prochains jours. Mi-novembre, la cagnotte en ligne annonçait 50 % de dons récoltés sur la somme nécessaire à l’achat du terrain. Mère Hypandia est confiante : « Vous savez, au départ, quand on a commencé à faire du vin en agriculture biologique, ça en a étonné plus d’un. Aujourd’hui, c’est l’une de nos premières sources de revenus. »
Lire aussi | Des anges gardiens veillent sur la vigne du monastère de Solan