Le centre municipal de santé (CMS) Fanny-Dewerpe (Ivry-sur-Seine) et celui de Montélimar.

Les centres municipaux de santé, derniers recours face à la pénurie de médecins

Pour remédier aux départs à la retraite de praticiens et aux déserts médicaux, de plus en plus de villes, y compris de droite, ont recours à la médecine publique. 

Par  (Montélimar [Drôme}, envoyée spéciale)

Publié le 29 novembre 2025 à 05h30, modifié le 29 novembre 2025 à 08h33 https://www.lemonde.fr/politique/article/2025/11/29/les-centres-municipaux-de-sante-derniers-recours-face-a-la-penurie-de-medecins_6655318_823448.html?random=849606547

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Au centre municipal de santé, la docteure Natchez reçoit en consultation la famille Chaib, pour la vaccination de leurs enfants, à Montélimar (Drôme), le 25 novembre 2025.
Au centre municipal de santé, la docteure Natchez reçoit en consultation la famille Chaib, pour la vaccination de leurs enfants, à Montélimar (Drôme), le 25 novembre 2025.  ROMAIN ETIENNE/ITEM POUR « LE MONDE »

Accolé à la cité Maurice-Thorez, un bâtiment construit dans les mêmes briques rouges trône au milieu de l’esplanade du centre-ville d’Ivry-sur-Seine (Val-de-Marne). Avec ses 1 350 mètres carrés rénovés en 2020, le centre municipal de santé (CMS) Fanny-Dewerpe joue dans la même cour que les structures privées qui ont fleuri dans toute la banlieue parisienne.De grandes baies vitrées éclairent un hall immense aux murs arrondis qui ouvre sur les couloirs des services, chacun avec sa couleur pastel : bleu, vert, jaune pour identifier la médecine générale, le secteur des psychologues, la kinésithérapie, le dentaire, les soins infirmiers, le laboratoire d’analyses, la gynécologie, etc. Partout, de petites salles d’attente calmes malgré l’affluence en ce mardi de la mi-novembre.

Patientant devant le cabinet d’une gynécologue, Samila Marrapodi, sexagénaire aux cheveux blonds bouclés, raconte qu’elle fréquente le centre depuis « toute petite » : « Au prix où sont les spécialistes, c’est précieux d’avoir le CMS à proximité avec tous les services sur place. Quand on doit faire un examen, le docteur est prévenu tout de suite. » Un peu plus loin, Catherine Renard, 67 ans, raconte, un livre sur les genoux, qu’elle a eu un accident vasculaire cérébral en 2020 :« Je n’avais pas de médecin traitant, j’ai cherché sur Internet et j’ai eu un rendez-vous tout de suite. On est vraiment bien reçu. »

Employés, étudiants, retraités, bénéficiaires de la couverture maladie universelle (CMU) ou de l’aide médicale de l’Etat, les 10 200 patients accueillis en 2024 par une trentaine de soignants sont pour la plupart issus des couches populaires de cette banlieue du sud de Paris. On vient ici pour soigner un diabète, faire vacciner son enfant, se faire poser un appareil dentaire ou suivre une séance de rééducation, le tout sans avance de frais ni dépassement d’honoraires.

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« On n’a pas la même patientèle que dans les cabinets libéraux, car on applique le tiers payant. Cela aide les gens à consulter », assure Aude Moglia, responsable du pôle médical. Une médecine de premier secours accessible à tous, assumée par la ville qui subventionne la structure à hauteur de 3 millions d’euros par an. Les tarifs sont votés annuellement par le conseil municipal, qui a construit les locaux et paye les personnels. « L’argent public permet de revenir au basique de l’accès aux soins qui semblait normal par le passé et l’est de moins en moins », déclare le maire communiste, Philippe Bouyssou.

Devant le centre municipal de santé ouvert en 2020, à Montélimar (Drôme), le 25 novembre 2025.
Devant le centre municipal de santé ouvert en 2020, à Montélimar (Drôme), le 25 novembre 2025.  ROMAIN ETIENNE/ITEM POUR « LE MONDE »

Délivrer des soins pour tous

Les soignants, fonctionnaires territoriaux, semblent aussi avoir une pratique médicale moins stressante. Pas de journées sans fin comme à l’hôpital dues à la surcharge de malades ou comme dans la médecine de ville pour rentabiliser la mise de fonds dans un cabinet. Le salaire, fixé par la grille de la fonction publique − 6 800 euros brut pour un généraliste − est bien inférieur à celui du secteur libéral, mais le temps de travail hebdomadaire se limite à 35 heures. Un atout pour les soignants qui choisissent d’y travailler : « On peut s’organiser comme on veut et sans garde le week-end. Je ne dois pas faire 25 patients par jour comme dans le privé, et je peux leur consacrer du temps. Et puis on y travaille en équipe pluridisciplinaire, pas tout seul dans son silo », témoigne Garance Venail, une jeune kinésithérapeute récemment embauchée à Ivry-sur-Seine.

Comme de nombreuses communes de la ceinture rouge, la ville communiste a vu son centre de santé sortir de terre au début du XXsiècle. Appelés alors le plus souvent dispensaires, ces organismes prodiguaient les premiers secours et organisaient des campagnes sanitaires auprès de populations ouvrières pauvres.

Devenus centres de santé en 1991, leur objet a changé : il s’agit désormais de délivrer des soins pour tous dans des structures pluridisciplinaires à un moment où les soignants se raréfient et pratiquent une médecine de plus en plus chère. Ils ont également la charge de lancer des campagnes de prévention sur des sujets de plus en plus prégnants comme l’obésité, l’hygiène bucco-dentaire ou les addictions. Selon un rapport de l’inspection générale des affaires sociales, ils seraient autour de 116 en 2023 et représentent 5,1 % de l’offre de soins dispensés par des généralistes.

Françoise Payan, cheffe de service du centre municipal de santé, à Montélimar (Drôme), le 25 novembre 2025.
Françoise Payan, cheffe de service du centre municipal de santé, à Montélimar (Drôme), le 25 novembre 2025.  ROMAIN ETIENNE/ITEM POUR « LE MONDE »
La docteure Céline Redureau est salariée du centre municipal de santé depuis janvier 2024. A Montélimar (Drôme), le 25 novembre 2025.
La docteure Céline Redureau est salariée du centre municipal de santé depuis janvier 2024. A Montélimar (Drôme), le 25 novembre 2025.  ROMAIN ETIENNE/ITEM POUR « LE MONDE »

« Service public »

Mais depuis 2015, leur nombre croît sensiblement pour répondre aux déserts médicaux qui s’étendent. Les élus se sont rendu compte, notamment au moment de l’épidémie de Covid-19, qu’avec les centres de vaccination, les municipalités avaient un rôle à jouer. Les maires sont de plus en plus nombreux à ouvrir des maisons de santé avec des libéraux, mais aussi des centres gérés par la collectivité pour attirer des praticiens.

« Les élus locaux ont compris que la santé n’était plus du seul ressort de l’Etat. Que s’il n’y avait plus de docteur à des kilomètres, leur territoire se vidait et qu’ils pouvaient ne pas être réélus. Alors ils mettent en place un service public de dernière ligne », remarque Nadège Vezinat, sociologue du travail à l’université Paris-VIII et autrice de l’ouvrage Le Service public empêché (PUF, 2024).

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La carte des centres municipaux de santé s’est même étendue à des communes gérées par la droite dont les maires se sont convertis à la médecine publique pour faire face aux départs à la retraite massifs des praticiens, comme à Montereau-Fault-Yonne (Seine-et-Marne), La Roche-sur-Yon et Saint-Gilles-Croix-de-Vie (Vendée) ou Montélimar (Drôme).

Dans cette dernière, le maire (Les Républicains), Julien Cornillet, en a ouvert un dans le centre-ville piétonnier, en novembre 2020. Il ne restait plus que 32 généralistes dans la ville alors que la population avait augmenté de 45 % en vingt ans. « Soit on acceptait de voir la qualité de vie baisser, soit on mettait 200 000 euros par an pour offrir des soins à tous les habitants », résume l’élu, insistant sur le fait que son centre municipal de santé « n’est pas un dispensaire » : « Il n’est pas réservé aux [bénéficiaires de la] CMU, mais est pour tous les Montilliens. »

Le centre municipal de santé propose des consultations généralistes et met en place des actions de prévention, à Montélimar (Drôme), le 25 novembre 2025.
Le centre municipal de santé propose des consultations généralistes et met en place des actions de prévention, à Montélimar (Drôme), le 25 novembre 2025.  ROMAIN ETIENNE/ITEM POUR « LE MONDE »

Forte demande

Une devanture en bois clair identique à celle d’une boutique cossue, une petite salle d’attente et trois salles de consultation, la taille est modeste. Avec 2 927 patients accueillis par cinq généralistes (plus 1 624 reçus dans l’annexe ouverte en 2024), les chiffres le sont tout autant. Mais le soulagement de pouvoir venir s’y soigner est là aussi palpable. Saïd Chaib, conducteur routier, le dit sans ambages : « Quand on s’est installés avec ma femme en 2019, il n’y avait pas beaucoup de médecins. Au centre, quand on appelle, ils sont là. »

Le temps de consultation a été calibré à vingt minutes par le maire, pour qui la contrepartie du fonctionnariat doit être « l’efficience de service » « On a établi un ratio parce que ce que coûte un médecin doit se voir en nombre de visites. » Il n’empêche, le temps d’attente s’allonge tant la demande est forte. « On a une demande de plus en plus importante à laquelle il est difficile de faire face. Il faut prendre les nouveaux au compte-gouttes », précise Françoise Payan, la cheffe de service.

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Le constat est identique dans tous les centres municipaux de santé. Il faut quinze jours à un mois pour obtenir un rendez-vous à Montélimar, un mois et demi à Ivry-sur-Seine. Si les généralistes sont plus enclins à travailler dans des structures publiques, les spécialistes, eux, continuent à préférer le secteur libéral.

A Ivry-sur-Seine, le centre municipal de santé n’a plus d’ORL ni de psychiatre. Et le service de radiologie a fermé : le praticien, arrivé il y a à peine an, est parti dans le nouveau centre privé ouvert en octobre. « On arrive à attirer des jeunes en médecine générale mais pas en spécialité. Et la situation ne va pas s’améliorer », remarque Marianne Petit, médecin directrice du centre municipal de santé. La ville de Montélimar verra, elle, un nouveau projet privé ouvrir en juin 2026.

*https://environnementsantepolitique.fr/2025/11/06/une-creation-des-2000-maisons-sante-france-a-marche-forcee/

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Déserts médicaux : « Tous les pays sont confrontés à des inégalités territoriales d’offre de soins »

Alors que le gouvernement lance les missions de solidarité territoriale pour envoyer des médecins en renfort dans des zones dites « sous-denses », le chercheur Guillaume Chevillard décrypte les mesures de régulation prises à l’étranger

Propos recueillis par 

le 08 septembre 2025 à 13h00, modifié le 08 septembre 2025 à 15h03 https://www.lemonde.fr/societe/article/2025/09/08/deserts-medicaux-tous-les-pays-sont-confrontes-a-des-inegalites-territoriales-d-offre-de-soins_6639968_3224.html

Temps de Lecture 3 min.

L’envoi de médecins généralistes en renfort dans les territoires qui en manquent, au titre d’une mission de solidarité territoriale, mesure-clé du plan Bayrou pour lutter contre les déserts médicaux annoncé au printemps, démarre en septembre. Alors qu’en France, les médecins restent largement opposés à toute contrainte à leur liberté d’installation, d’autres pays ont activé des mesures de régulation diverses. Guillaume Chevillard, chercheur à l’Institut de recherche et documentation en économie de la santé, en dresse un panorama.

Le débat sur la régulation de l’installation des médecins a déjà été tranché dans de nombreux pays. Pour aboutir à quoi ?

On parle, en France, de « régulation » au singulier. Mais, si on regarde au-delà de nos frontières, le pluriel s’impose : le contrôle du lieu d’installation des médecins prend des formes différentes. En Allemagne, réguler revient à limiter l’arrivée de nouveaux médecins dans les zones du territoire les mieux dotées – c’est ce vers quoi tend la proposition de loi Garot adoptée en première lecture à l’Assemblée début mai. Dans les pays scandinaves, l’installation des médecins libéraux est soumise à une contractualisation avec les autorités locales. Celles-ci peuvent, ou non, l’accepter. Dans d’autres pays aux systèmes de santé plus éloignés du nôtre – le Venezuela, l’Inde, le Mexique ou la Malaisie – il y a, pour les nouveaux médecins, un « service obligatoire » à rendre pour une durée donnée. Ce service obligatoire temporaire existe aussi en Australie ou en Nouvelle-Zélande, mais concerne seulement les médecins avec un diplôme étranger.

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La démographie médicale, dans ces pays, était-elle aussi déficitaire qu’en France ?

Ces pays ne connaissent pas tous des situations de désertification médicale comme en France, mais tous sont confrontés à des inégalités territoriales en termes d’offre de soins. La question est universelle : on identifie dans tous les pays, quel que soit leur niveau de développement économique, et quel que soit leur système de santé, ce qu’on appelle des zones « sous-denses ». Et c’est souvent plus visible et plus aigu dans les zones éloignées, les territoires ruraux.

A-t-on pu évaluer l’impact des mesures de régulation ?

C’est la question centrale. On manque de travail de recherche, sur le long terme, pour en cerner les effets et mesurer un impact causal de ces dispositifs. Concernant les modèles de régulation construits autour d’un service obligatoire, les études disponibles tendent à montrer que les effets sont plutôt court-termistes. Les médecins y exercent le temps demandé, mais n’y restent pas. Concernant l’Allemagne, des éléments de bilan laissent penser que les mesures ont davantage profité aux petites villes qu’aux zones rurales.

En France, les infirmiers, les kinésithérapeutes, les chirurgiens-dentistes ont, eux, accepté d’être « régulés ». Pour quels effets ?

Ces autres professionnels de santé ont accepté la régulation de l’installation dans le cadre des négociations avec l’Assurance-maladie. Pour les infirmiers, cela date de 2012, mais la situation n’est pas comparable avec celle des médecins : ces professionnels sont nombreux, leur croissance démographique est assez soutenue depuis vingt ans, sur tous les territoires. Selon nos recherches, le zonage appliqué a bien conduit à un tassement de l’installation des infirmiers dans les zones qui étaient les mieux dotées.

Dans le même temps, leur densité a augmenté dans des zones initialement sous-dotées. En parallèle, des incitations financières ont eu une influence modeste mais significative. On a ainsi mesuré, progressivement, une réduction des écarts territoriaux. Cela ne veut pas dire que les territoires ont des densités de même niveau, mais elles convergent, se rapprochent… Comme le disent les porte-parole de cette profession, il n’existe pas aujourd’hui de « déserts infirmiers ».

D’autres leviers de renforcement de l’accès aux soins sont-ils mieux documentés ?

Il est un levier pour lequel on dispose de plus de « preuves », c’est celui de la formation médicale. Recruter davantage d’étudiants ruraux, développer des filières d’études dans les zones sous-denses, des offres de stages… tout cela a un impact positif sur les installations futures. Comme cela a pu être mesuré dans les comparaisons internationales. Les incitations financières (hausses d’honoraires, exonérations fiscales, aides à l’installation…) ont, au mieux, des effets de court terme qui, d’après les études disponibles, profitent le plus aux jeunes médecins.

En France, les autorités continuent de jouer la carte des incitations, et, de plus en plus, aussi, l’option de la « délégation de tâches » entre professionnels de santé (vaccination, certificat de décès par exemple), ou celle de l’« exercice coordonné ». On demande aux soignants de s’organiser entre eux et de travailler de manière coordonnée pour le suivi des patients. Avec des effets positifs sur l’augmentation de la patientèle des médecins concernés. Ce que l’on peut souligner en observant la manière dont ces leviers sont activés à l’étranger, c’est qu’aucun n’est considéré, à lui seul, comme une réponse unique ou une recette miracle.

Voir aussi:

https://environnementsantepolitique.fr/2025/11/30/contre-les-deserts-medicaux-de-plus-en-plus-de-villes-y-compris-de-droite-ont-recours-a-la-medecine-publique-sous-forme-de-centres-municipaux-de-sante-terme-plus-soft-que-centre-de-sante-publi/

Publié par jscheffer81

Cardiologue ancien chef de service au CH d'Albi et ancien administrateur Ancien membre de Conseil de Faculté Toulouse-Purpan et du bureau de la fédération des internes de région sanitaire Cofondateur de syndicats de praticiens hospitaliers et d'associations sur l'hôpital public et l'accès au soins - Comité de Défense de l'Hopital et de la Santé d'Albi Auteur du pacte écologique pour l'Albigeois en 2007 Candidat aux municipales sur les listes des verts et d'EELV avant 2020 Membre du Collectif Citoyen Albi

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