Pesticides : des collectivités locales dénoncent le blocage des négociations autour de la protection des captages d’eau potable
Pour lutter contre la dégradation de la qualité de l’eau potable, un « groupe national captage » réuni par l’Etat devait définir des zones d’exclusion de traitements aux pesticides. Mais les principaux syndicats agricoles en ont claqué la porte, le 16 décembre.

Prévenir les pollutions de l’eau à moindres frais, plutôt que multiplier les traitements et faire grimper l’addition des usagers. Principal représentant des collectivités engagées dans la transition écologique, le réseau Amorce souligne, dans une lettre ouverte publiée lundi 22 décembre, « l’état des lieux alarmant » de la pollution des captages d’eau potable. Le réseau, qui rassemble toutes les métropoles et les communautés urbaines de France et la grande majorité des communautés d’agglomérations, appelle à une accélération de la concertation avec les acteurs concernés, « en particulier avec le monde agricole », afin « d’éviter, d’ici dix ans, d’exposer les populations à un risque sanitaire majeur et la fermeture de nombreux captages d’eau potable ».
Les collectivités lancent l’alerte une semaine après que les principaux représentants agricoles – la Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles (FNSEA), la Coordination rurale et les chambres d’agriculture – ont claqué la porte, le 16 décembre, des discussions du « groupe national captage » tenues sous l’égide du gouvernement. C’est au sein de ce groupe, composé de toutes les parties prenantes (associations, syndicats agricoles, collectivités, administrations…), que se tiennent les débats qui doivent définir les « captages sensibles », ceux à protéger en priorité des contaminants. L’aire d’alimentation de ces captages pourrait ainsi être soumise à des interdictions, notamment d’utilisation de pesticides. Un arrêté, qui devait être publié d’ici à la fin de 2025, a été remis au printemps, au mieux.
« Aujourd’hui, l’alimentation en eau potable de la France repose sur environ 33 000 captages, dont environ un tiers où l’on trouve des traces de différents contaminants, explique Nicolas Garnier, délégué général d’Amorce. Depuis une quinzaine d’années, on considère qu’environ 1 200 de ces captages contaminés sont “prioritaires”, c’est-à-dire qu’ils excèdent régulièrement les valeurs réglementaires, et dans plus de 80 % des cas les polluants en excès sont des métabolites de pesticides. »
Point de crispation
Dès lors, pour M. Garnier, « toute la question est donc de fixer des seuils d’alerte au-delà desquels les points de captage problématiques feraient l’objet d’un plan d’actions volontaire pour réduire les sources de pollution et des seuils maximaux au-delà desquels le préfet devra automatiquement imposer des contraintes ou des interdictions de produits ».
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Or, c’est là le point de crispation : l’Etat propose que les captages soient considérés comme « sensibles » lorsque la pollution, par un ou des contaminants, y atteint 80 % des seuils autorisés dans l’eau potable. « Avec une telle définition, on devrait pouvoir considérer comme “sensibles” entre 5 000 et 8 000 captages », décrypte M. Garnier.
De source proche du dossier, on explique que les syndicats agricoles majoritaires refusent la fixation d’un seuil à 80 % des valeurs réglementaires de contamination pour déclencher des mesures préventives d’interdiction de certains intrants autour des captages. « Cela fait pourtant des mois que les discussions sont entamées sur cette base et les deux grands syndicats agricoles, ainsi que les chambres d’agriculture, qui sont pourtant des organismes financés par l’argent public, ne déclarent que maintenant qu’ils ne sont pas d’accord », dit l’un des membres du groupe national captage, qui a requis l’anonymat.
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De son côté, la FNSEA explique que « l’annonce de la fermeture des négociations avec les organisations professionnelles agricoles, sur des orientations de gestion de l’eau plaçant sous contrainte plus de 20 % de la surface agricole utile [SAU] a conduit la FNSEA à quitter la réunion ». Le syndicat dit « défendre la diversité des agricultures » – en référence à l’agriculture biologique, qui devrait être déployée sur les aires d’alimentation des captages sensibles –, « mais pas au prix de notre capacité à produire sur nos territoires ». Ce chiffre est toutefois très supérieur aux estimations présentées par l’administration au cours de la réunion du 16 décembre, qui n’excèdent pas 4 %.
« Flou réglementaire »
Selon Amorce, il y a urgence. L’Etat procrastine depuis plus de dix ans, et aucune résorption de ces pollutions n’a été concrétisée, selon le réseau. « Nous sommes aujourd’hui dans un flou réglementaire qui produit de l’inaction des pouvoirs publics, au point que même la gestion des captages “prioritaires” est déficiente, estime M. Garnier. Il y a urgence à agir, faute de quoi les collectivités seront confrontées à des coûts de traitement de l’eau ingérables et seront contraintes de fermer toujours plus de captages. » D’autres questions épineuses se profilent dans l’avenir proche : au 1er janvier, les collectivités devront commencer la surveillance systématique des « polluants éternels » (ou PFAS, pour substances per- et polyfluoroalkylées) – dont certains sont issus de pesticides fluorés – dans l’eau distribuée.
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La facture promet d’être colossale. Selon Amorce, « environ 500 millions d’euros sont nécessaires pour traiter les métabolites de pesticides, un milliard d’euros pour les PFAS et un autre milliard d’euros pour accompagner les agriculteurs qui devront se passer, en tout ou en partie, de certains pesticides ou de fertilisants autour des captages sensibles », détaille M. Garnier. A quoi pourrait s’ajouter un autre milliard d’euros, que devraient à l’avenir débourser les collectivités pour être en conformité avec la réglementation européenne et mettre à niveau les stations d’épuration, afin de rejeter dans l’environnement, en bout de cycle, des eaux mieux dépolluées.
Au total, la facture d’eau potable pourrait grimper de 30 %, selon les estimations d’Amorce. « Nous avons besoin d’un débat politique et d’une grande loi sur l’eau, assure M. Garnier. Il faut pouvoir interdire les substances pour protéger la ressource ou, à défaut, si l’on hésite à trop interdire, faire payer les grandes firmes qui produisent ces substances, selon le principe pollueur-payeur, plutôt que de faire payer l’addition aux collectivités et aux usagers. Car, à terme, les dépenses ne seront pas soutenables pour la population. » Le sénateur (Les Ecologistes) de Loire-Atlantique Jean-Claude Raux a bien déposé en septembre 2024 une proposition de loi visant à « protéger durablement la qualité de l’eau potable », mais celle-ci, en l’état des forces politiques, n’a guère de chances d’être adoptée.
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