La forêt des Landes menacée par un ver ravageur : « Les incendies, on sait les éteindre, mais le nématode du pin, on ne sait pas vraiment comment l’arrêter »
Ce petit ver qui peut tuer des résineux en quelques semaines a été découvert pour la première fois en France sur la commune de Seignosse, début octobre. D’importantes coupes rases vont devoir être réalisées pour tenter de l’éradiquer.

Depuis qu’elle a découvert, à Seignosse, dans les Landes, le premier foyer de France, Michèle Pouyssegur « culpabilise beaucoup ». Elle sait que grâce à sa vigilance il y a encore une chance que ce petit ver soit éradiqué avant d’avoir eu le temps de proliférer, décimant au passage des hectares de forêt. Mais elle pense à ses collègues de la Fédération régionale de lutte et de défense contre les organismes nuisibles (Fredon Nouvelle-Aquitaine), l’organisme indépendant chargé de la surveillance sanitaire des végétaux, dont la charge de travail a décuplé. Et surtout aux forestiers qui vont devoir abattre tous leurs arbres. « Comment va faire le monsieur qui avait investi beaucoup d’argent sur sa parcelle juste à côté du foyer, et où l’on va tout détruire ? », se tracasse Michèle Pouyssegur, en bottes et ciré. « Je suis landaise ; cette forêt, c’est notre poumon », ajoute-t-elle.
Le 3 octobre, cette retraitée du secteur agricole, qui mène des missions pour la Fredon, circule dans le cadre d’une inspection lorsqu’elle repère l’îlot d’arbres morts en bord de route. Une trentaine de pins, presque entièrement pelés. Elle effectue aussitôt des prélèvements : elle perfore les troncs en plusieurs endroits, récupère les copeaux dans sa bassine verte. Mis sous scellés, ils sont envoyés à deux laboratoires pour être analysés. Le 4 novembre, la préfecture annonce qu’un foyer de nématodes a été identifié.
Comme le prévoit la réglementation européenne, deux zones sont immédiatement mises en place : une « zone infestée » dans un rayon de 500 mètres autour du foyer, où tous les arbres doivent être abattus, et une « zone tampon » dans un rayon de 20 kilomètres, placée sous surveillance intégrale pendant quatre ans.
Un coléoptère pour « taxi »
Quelque 36 000 hectares de peuplements, essentiellement détenus par des propriétaires privés, sont concernés. Toute circulation du bois ainsi que les travaux d’exploitation sont interdits. Le nématode du pin fait partie des 20 organismes nuisibles considérés comme les plus à risque par l’Union européenne (UE), en raison de ses conséquences « économiques, environnementales ou sociales potentielles ».
Sa découverte dans les Landes n’est pas une surprise : la région vit depuis des décennies avec cette épée de Damoclès au-dessus de la tête. Originaire d’Amérique du Nord, le Bursaphelenchus xylophilus a gagné plusieurs pays d’Asie, avant d’arriver en Europe en 1999 : il est considéré comme établi au Portugal, et différents foyers ont été signalés en Espagne. Pour se déplacer d’un arbre à un autre, il utilise comme « taxi » une espèce de coléoptère présente partout en France.

Il n’empêche, sur place, les forestiers se disent sous le choc. « On savait que ça allait arriver, mais c’est quand même un coup de massue », raconte Alain Hontebeyrie, propriétaire forestier et délégué du Syndicat des sylviculteurs du Sud-Ouest (Sysso) à Seignosse. Ses parcelles se trouvent dans la « zone tampon », comme celles de Michel Laboille-Moresmau, vice-président de la structure dans les Landes. « Les tempêtes s’arrêtent toutes seules, les incendies, on sait les éteindre. Mais le nématode, on ne sait pas vraiment comment l’arrêter », observe celui-ci.
Depuis début novembre, ces représentants syndicaux enchaînent les réunions avec l’ensemble des acteurs. Michèle Pouyssegur, elle, n’a pas quitté le terrain : les techniciens de la Fredon ont installé leur camp de base à Seignosse et ont fait venir des renforts. En quelques semaines, ils ont effectué plus de 600 prélèvements, soit le double de ce qu’ils réalisent d’ordinaire en un an. Ils ont quadrillé toute la « zone infestée », élargissent maintenant le périmètre. Objectif : vérifier qu’il n’existe qu’un seul foyer et que le nématode ne s’est pas répandu dans le massif.
Détection précoce et élimination ciblée
Mercredi 17 et jeudi 18 décembre, les arbres positifs au nématode à Seignosse, ainsi que les pins dépérissants situés à proximité, ont été abattus et broyés. Les autres coupes sanitaires dans le rayon de 500 mètres n’ont en revanche pas encore démarré. A la mi-décembre, la préfecture de la Gironde a décalé du 31 décembre au 15 février 2026 l’échéance à laquelle elles devront avoir été réalisées. Le protocole est exigeant : il faut trouver des entreprises agréées capables de transporter le bois, puis de le traiter en évitant toute contamination. Une soixantaine d’hectares et 24 propriétaires sont concernés. Des sylviculteurs, mais aussi des particuliers qui possèdent ici un jardin abritant une centaine de vieux pins, là un gîte au milieu des arbres.
Christophe Raillard est en première ligne, le foyer ayant été découvert sur l’une de ses parcelles. Il sait qu’il n’aura d’autre choix que de tout couper, même s’il remet en cause la pertinence de la mesure. « Je n’ai pas de doute sur la gravité de la situation et c’est comme pour le Covid : je n’ai pas envie de refiler le nématode à quelqu’un, assure-t-il.Mais pour quelques arbres infestés, on va en détruire 30 000 ; cette solution n’a pas de sens et elle ne sera pas reproductible s’il y a un prochain foyer, car elle est très compliquée à mettre en place et demande des moyens colossaux. »
Ce sylviculteur a lu en détail le rapport publié en 2015 par l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses). Saisi par le gouvernement, l’organisme a évalué la stratégie européenne de 2012 visant à prévenir la propagation du nématode. Dans ce document, les experts écrivent que les coupes rases préconisées « ne seraient pas efficaces dans une configuration de paysage de plantations continues de pin maritime ». Ils ajoutent que « la seule méthode opérationnelle », pour limiter l’extension des dépérissements, consiste à combiner détection précoce et élimination ciblée des arbres infectés. « On travaille à convaincre l’UE de modifier sa réglementation et de miser sur une meilleure détection des arbres dépérissants », confirme Hervé Jactel, directeur de recherche à l’Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement (Inrae), qui a présidé le groupe de travail ayant rendu l’avis de 2015.

De leur côté, les représentants du Sysso se disent prêts à accepter les mesures prévues, avec l’espoir que cela permette d’éradiquer le ravageur. « Si l’on est tous sérieux, on peut y parvenir, affirme Nicolas Lafon, son président. Nous sommes dans une crise majeure, il ne faut pas que ça tourne à la catastrophe. » Le syndicat exigeait, en revanche, des indemnités pour les sylviculteurs concernés par les coupes rases. Vendredi 19 décembre, après des semaines de négociations, un accord a été trouvé à ce sujet avec le ministère de l’agriculture – qui n’a pas répondu aux questions du Monde.
A Villenave-d’Ornon, près de Bordeaux, Marc Kleinhentz se prépare lui aussi à la découverte du nématode depuis des années. Mais pour cet ingénieur de l’Inrae, elle arrive également « trop tôt ». Les installations, uniques en Europe, dans lesquelles il étudie la résistance de différentes essences de pins à ce parasite ne sont entrées en service qu’en mars. Un essai y a démarré le 2 octobre : des nématodes de souches japonaises et canadiennes ont été inoculés à 400 jeunes plants de 16 variétés landaises, corses, espagnoles, portugaises et marocaines. Parvenir jusqu’à ces jeunes pins requiert de traverser plusieurs sas et de changer deux fois de blouse et de charlotte : tout a été mis en œuvre pour que le site soit entièrement confiné.
Dans les deux serres chauffées à 25 °C où ils sont alignés, des plants affichent des aiguilles roussies quand d’autres sont encore tout verts. Certains sont déjà morts. Si le massif landais est une quasi-monoculture de pins maritimes, il conserve cependant une grande diversité génétique. Un programme d’amélioration génétique du pin est par ailleurs en place depuis 1960, avec la création de vergers à graines dans lesquels sont réunis les « meilleurs parents », qui donnent des variétés améliorées. « Si l’on découvre que des parents utilisés dans ces vergers sont résistants au nématode, cela peut ensuite aller très vite : en cinq à huit ans, on peut avoir une variété améliorée, assure Marc Kleinhentz. Trouver des variétés résistantes ne résoudra pas tout, mais ça doit faire partie intégrante de la lutte. »
Hervé Jactel se dit, lui, « prudent » quant à cette option et appelle avant tout à une diversification du massif. « On ne prétend pas que ce sera la panacée, mais avoir une diversité d’essences forestières est une protection préventive contre l’ensemble des risques sanitaires », insiste le chercheur.
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