Les éleveurs et éleveuses en colère souhaitent toujours « un changement de protocole sanitaire »

La gestion par l’État de la crise épidémique dans les élevages fracture le monde agricole

13 décembre 2025 | https://info.mediapart.fr/optiext/optiextension.dll?ID=JcQUmzPpRkSk20xC0yH2nlz4fIhXoPBVIDkI6Ih-cRXPkiloqb_H3dU5YZmYPVlGRVZPPsWwssMMdXNPI-8

Par Marion Briswalter

Après des mois de tensions autour de la stratégie ministérielle d’abattage des troupeaux en cas de découverte de cas de dermatose nodulaire contagieuse bovine, des blocages sont annoncés partout en France à l’appel de plusieurs syndicats agricoles.

La colère d’une partie du monde agricole s’exprime à nouveau dans la rue près de deux ans après le malaise agricole d’ampleur qu’avait exprimé la profession. Des appels « à des blocages partout en France » ont été lancés vendredi 12 décembre par la Confédération paysanne et la Coordination rurale pour protester contre l’abattage de l’intégralité des troupeaux d’une ferme en cas de découverte d’un ou plusieurs cas de dermatose nodulaire contagieuse bovine (DNCB), maladie virale fortement contagieuse, invalidante et mortelle dans 10 % des cas.

Les éleveurs et éleveuses en colère souhaitent toujours « un changement de protocole sanitaire »consistant notamment en une généralisation de la vaccination préventive en France, afin d’éviter l’euthanasie des animaux exempts de symptômes. Au 9 décembre, 108 foyers de contagion étaient détectés dans sept départements de l’est et du sud-ouest de la France.

Une option qui n’est pas retenue dans l’immédiat par la ministre de l’agriculture, Annie Genevard. Cependant, face à une convergence assez rare de l’ensemble des syndicats agricoles dans le Sud-Ouest et à la suite d’une forte montée en tensiondans les fermes, la ministre a annoncé vendredi le « renforcement dans les meilleurs délais du dispositif d’indemnisation » des éleveurs et éleveuses visé·es par l’abattage de leurs troupeaux.

Mobilisation agricole à Carcassonne (Aude), le 10 décembre 2025. © Photo Justine Bonnery / Hans Lucas via AFP

Annie Genevard a aussi consenti à élargir la zone de vaccination obligatoire à l’ensemble du Sud-Ouest, c’est-à-dire dans les Pyrénées-Atlantiques, les Landes, le Gers, la Haute-Garonne, l’Aude, les Hautes-Pyrénées, l’Ariège et les Pyrénées-Orientales. Ce renforcement du protocole a été couplé à une interdiction généralisée du déplacement des animaux, sauf vers un abattoir, hors des zones réglementées.

Manque de connaissances

Jusqu’à présent, les déplacements d’animaux depuis des zones réglementées étaient autorisés sous conditions. Selon les données scientifiques, la vitesse de déplacement de l’infection est favorisée, et peut atteindre « quinze kilomètres par semaine », lors de mouvements de veaux, vaches ou bœufs porteurs sains et chez qui l’infection n’avait pas été détectée.

La stratégie ministérielle engagée depuis l’apparition des premiers cas en Savoie cet été, et soutenue par l’Ordre national des vétérinaires, consistait à créer un « anneau vaccinal » autour des clusters, c’est-à-dire à engager une surveillance et une vaccination d’urgence ultra-localisées des cheptels dès lors qu’un foyer de DNCB était mis en évidence. Mais désormais, l’arc pyrénéen dans son ensemble apparaît tel un rempart à une éventuelle remontée de l’épidémie vers le Centre-Ouest où la densité des élevages bovins atteint des niveaux inégalés ailleurs en France.

« Depuis plus d’un mois, la profession demandait l’élargissement de la vaccination pour l’ensemble des départements [pyrénéens] », a tempêté par communiqué de presse, vendredi 12 décembre, la Confédération paysanne. Au-delà, la demande d’une généralisation de la vaccination préventive dans l’ensemble du cheptel français, à l’image de ce qui a déjà été engagé en Corse ces derniers mois, est devenue une nouvelle ligne de démarcation dans le monde agricole.

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De son côté, le réseau composé des Jeunes Agriculteurs, de la Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles (FNSEA), de la fédération nationale bovine (FNB) et de la fédération nationale des producteurs de lait (FNPL) fait bloc autour de la ministre. Et assure depuis plusieurs mois avoir « pris sesresponsabilités » en n’entravant pas les campagnes d’euthanasie pilotées par les autorités sanitaires, et « en écoutant et suivant les recommandations scientifiques qui guident les mesures de gestion de la maladie prises par l’État ».

Vendredi 12 décembre, en conférence de presse, le président du groupe agroalimentaire Avril et président de la FNSEA, Arnaud Rousseau, a enfoncé le clou : « À ce stade, l’abattage total est la meilleure solution […] c’est ce que nous disent les scientifiques dans un consensus européen. »

En réalité, la situation est complexe. Détectée en 1929 dans des troupeaux en Zambie, la dermatose nodulaire contagieuse bovine s’est propagée ces dernières décennies hors du continent africain et a fini par gagner les élevages du sud-est de l’Europe à partir de 2015. Face au rapprochement du front épidémique, la direction générale de l’alimentation (DGAL) du ministère de l’agriculture avait saisi l’Agence nationale de sécurité sanitaire (Anses) au printemps 2016 lui demandant d’« évaluer le risque de contamination pour la France » et d’estimer « la taille d’une banque de vaccin » qu’il serait nécessaire de constituer en cas de crise.

Si la vaccination n’est pas conseillée, elle s’avère être le seul moyen de contrôle efficace de la progression de la maladie.

Rapport d’expertise collective réalisé par l’Anses en 2017

Ce rapport publié en 2017 commence à dater mais demeure pourtant le seul référentiel robuste et référencé sur le site de l’Anses. Avec prudence, et soulignant le peu de recul et de connaissances accumulées en Europe tant sur les vaccins disponibles que sur les modalités de contamination, un collège d’expert·es avait ainsi discuté des différents protocoles envisageables.

Le groupe avait préconisé la « vaccination » dans les zones contaminées, « seul moyen permettant de contrôler l’évolution », mais également dans les zones indemnes. « Si la vaccination n’est pas conseillée, elle s’avère être le seul moyen de contrôle efficace de la progression de la maladie en situation épizootique préconisé par l’Union européenne pour autant que le vaccin présente des garanties suffisantes d’innocuité et d’efficacité », indiquait-il. Prenant en exemple la Mayenne, qui concentre la plus forte densité de bovins en France, les expert·es avaient estimé que plus de 900 000 doses de vaccin seraient nécessaires pour atteindre en deux semaines un bon taux de couverture vaccinale.

Peur pour les exportations

Le 27 février 2020, le quatrième et dernier rapport de l’Autorité européenne de sécurité des aliments (Efsa) consacré à cette thématique et disponible en ligne concluait à l’absence de résurgence en 2019 de clusters en Europe du sud-est, à la suite notamment d’une campagne de vaccination transnationale « de masse » (« supérieure à 70 % »), « coordonnée »et « soutenue par la Commission européenne ».

Un an plus tôt, l’Efsa estimait déjà « que le programme de vaccination et les autres mesures de contrôle mises en place [avaient] permis de stopper l’épidémie »« La vaccination massive du bétail à l’aide de vaccins homologues vivants figure clairement comme la politique de contrôle la plus efficace, indiquait l’autorité. Néanmoins, il existe des preuves que le virus reste présent et que les bovins non immunisés restent à risque, même dans des zones à couverture vaccinale relativement élevée. »

C’est aussi ce à quoi concluait le bulletin épidémiologique santé animale et alimentation de janvier 2018 réalisé par l’Anses et la direction générale de l’alimentation (DGAL) du ministère en charge de l’agriculture : « On peut considérer que la vaccination, dont la couverture a fini par être très large dans les pays européens touchés, a grandement contribué à la quasi-extinction de l’épizootie. »

Une maladie très contagieuse, qui circule activement dans la partie orientale du continent depuis dix ans.

Cependant une généralisation de la vaccination à l’ensemble du territoire national demande une logistique colossale. Et mettrait en péril les exportations françaises de viande et de lait ce qui induirait, comme l’a expliqué Le Monde, que « pendant quatorze mois après la vaccination », la France serait « soumise à des exigences sanitaires supplémentaires pour les échanges commerciaux, voire à un arrêt total des exportations suivant les pays destinataires ».

C’est là, l’un des forts enjeux de la crise agricole en cours. Il faut « prévenir toute perturbation inutile des échanges dans l’Union et éviter que des pays tiers n’imposent des entraves injustifiées aux échanges commerciaux », exprimait déjà au mois d’août la Commission européenne, dont on peine toutefois à cerner l’amorce d’une vraie réflexion autour de cette maladie très contagieuse, qui circule activement dans la partie orientale du continent depuis dix ans.

« Deux pays ont marqué leur accord pour recevoir, sous conditions, des bovins depuis la zone vaccinale », a d’ores et déjà annoncé vendredi le ministère de l’agriculture pour tenter d’apaiser la filière. Il s’agit de l’Italie, l’un des partenaires commerciaux privilégiés de la France, et de la Suisse. « La France poursuit ses négociations avec ses autres partenaires commerciaux, afin d’obtenir l’accord d’autres pays », a affirmé le ministère.

Voir aussi:

La manière dont la science est instrumentalisée dans l’espace médiatique pour justifier de décisions lourdes de conséquences sociales et économiques: https://environnementsantepolitique.fr/2025/12/18/69932/

https://environnementsantepolitique.fr/2025/12/18/les-syndicats-de-la-coordination-rurale-et-de-la-confederation-paysanne-dune-meme-voix-pour-la-defense-de-leurs-cheptels-face-a-la-toute-puissance-de-la-fnsea-aligne-a-la-politique-du-gouvernement/

https://environnementsantepolitique.fr/2025/12/18/les-actions-dintimidation-de-la-coordination-rurale-sous-loeil-de-forces-de-lordre-passives/

https://environnementsantepolitique.fr/2025/12/18/les-actions-dintimidation-de-la-coordination-rurale-sous-loeil-de-forces-de-lordre-passives/

https://environnementsantepolitique.fr/2025/12/18/la-fnsea-a-refuse-une-vaccination-generalisee-pour-lutter-contre-la-dermatose-bovine-parce-quelle-interdit-les-exportations-selon-les-regles-europeennes/

https://environnementsantepolitique.fr/2025/12/14/dermatose-nodulaire-une-autre-gestion-est-possible

https://environnementsantepolitique.fr/2025/12/10/des-agriculteurs-de-la-coordination-rurale-sont-mobilises-depuis-cette-nuit-en-ariege-pour-tenter-de-faire-barrage-a-labattage-dun-troupeau-de-208-bovins/

Publié par jscheffer81

Cardiologue ancien chef de service au CH d'Albi et ancien administrateur Ancien membre de Conseil de Faculté Toulouse-Purpan et du bureau de la fédération des internes de région sanitaire Cofondateur de syndicats de praticiens hospitaliers et d'associations sur l'hôpital public et l'accès au soins - Comité de Défense de l'Hopital et de la Santé d'Albi Auteur du pacte écologique pour l'Albigeois en 2007 Candidat aux municipales sur les listes des verts et d'EELV avant 2020 Membre du Collectif Citoyen Albi

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