Loi sur le troisième recours, le texte qui inquiète les psychiatres
Quentin Haroche| 19 Décembre 2025 https://www.jim.fr/viewarticle/loi-troisième-recours-texte-qui-inquiète-2025a1000zup?ecd=wnl_all_251219_jim_daily-doctor_etid7969486&uac=368069PV&impID=7969486&sso=true
Le Sénat a voté une proposition de loi reconnaissant le troisième recours en psychiatrie et les syndicats de psychiatres craignent une privatisation de la spécialité et une remise en cause de l’organisation en secteur.
Le nom du texte a changé, mais l’inquiétude reste la même chez les psychiatres. La proposition de loi du sénateur LR et médecin Alain Milon « visant à intégrer les centres experts en santé mentale dans le Code de la Santé Publique » est devenue la proposition de loi « visant à reconnaitre le rôle des acteurs assurant des soins de troisième recours en psychiatrie ». Elle a été adoptée ce mardi en première lecture par le Sénat, avec les voix de la droite et du centre et malgré l’opposition de la gauche.
Selon les partisans de ce texte, la proposition de loi vise simplement à reconnaitre le rôle des 55 centres d’expertise psychiatrique que compte la France, généralement adossés à des CHU, dans la prise en charge des troubles psychiatriques. Après les généralistes et les CMP (premier recours) puis les psychiatres libéraux et hospitaliers (deuxième recours), ces centres spécialisés dans diverses pathologies (autisme, troubles du comportement alimentaire…) constituent donc ce fameux troisième recours. Le texte va, toujours selon ses partisans, permettre de renforcer ces centres d’expertise « en complémentarité et non en concurrence avec le réseau existant ». « Nous ne voulons pas prioriser la médecine de pointe ; il faut soutenir tous les niveaux de prise en charge » a justifié la rapporteuse du texte Chantal Deseyne.
La remise en cause de la prise en charge en secteur ?
Pourtant, depuis le dépôt du texte sur le bureau du Sénat en février dernier, la proposition de loi inquiète le monde de la psychiatrie. « Nous, professionnels et usagers de la psychiatrie et de la santé mentale, dénonçons avec force cette proposition de loi » a lancé le syndicat des psychiatres des hôpitaux (SPH), dans un communiqué commun avec une quinzaine d’autres organisations de médecins et de patients. Les opposants au texte dénoncent ainsi la mise en place d’un « système privé élitiste, centralisé, sélectif, orienté par pathologie » et d’ « une psychiatrie à deux vitesses ».null
Sans remettre totalement en cause l’intérêt des centres d’expertises psychiatriques, le SPH rappelle que ces structures permettent d’établir un diagnostic et d’émettre des recommandations thérapeutiques, mais pas de suivre le patient. « Alors que les services de soins sont débordés et ne parviennent pas à répondre à la demande, consacrer des ressources financières supplémentaires à de nouveaux centres experts ne diminuera en rien les longs délais d’attente pour l’accès aux soins » écrivent les psychiatres, qui craignent une remise en cause du système de prise en charge par secteur. nullnull
Alors que les sénateurs partisans de la proposition de la loi arguent que le renforcement des centres experts permettraient de diminuer les hospitalisations psychiatriques et donc de faire des économies, les psychiatres ne partagent pas cet optimisme. « Cette idée provient d’une seule étude, menée auprès de patients atteints de troubles bipolaires, étude qui ne comportait pas de groupe témoin et présentait d’autres faiblesses méthodologiques » écrivaient en mai dernier dans la revue SSM Mental Health un groupe de praticiens.
« La psychiatrie n’est pas une spécialité de médecine comme les autres »
Enfin et surtout, le SPH dénonce l’influence de la Fondation FondaMental derrière cette proposition de loi. C’est en effet cette fondation de droit privé, financée à la fois par des établissements publics (CEA, AP-HP, Inserm…) et des acteurs privés (Sanofi, Axa, Dassault, LVMH…) qui encadre ces centres d’experts. Dans sa première version, la proposition de loi du Dr Milon reconnaissait explicitement le rôle de la Fondation pour « optimiser et valoriser le savoir scientifique et médical » des centres experts. « La proposition de loi entérine un choix politique clair et soutenu de longue date par la délégation ministérielle à la santé mentale et à la psychiatrie : remplacer un service public déjà affaibli par un système privé qui ne saura en aucun cas répondre aux défis que nous devons relever » dénonce le SPH.null
Face à ces critiques virulentes, le Pr Franck Bellivier, délégué ministériel à la santé mentale et membre de la Fondation FondaMental a tenté de faire redescendre la pression. « La délégation ministérielle à la santé mentale et à la psychiatrie ne formule aucune opposition à l’encontre du secteur » a-t-il assuré au début du mois à nos confrères du Quotidien du Médecin. Il en a profité pour demander au Dr Milon de revoir sa copie. « Inscrire le réseau des centres FondaMental dans la loi risquerait de passer sous silence les autres dispositifs de recours existants » plaide-t-il.
Des arguments qui ont donc été entendus par les sénateurs, qui ont remanié la proposition de loi en commission. Le texte adopté ce mardi au Sénat ne fait désormais plus explicitement mention de la Fondation FondaMental. Pas de quoi totalement calmer les craintes des psychiatres, relayées par les sénateurs de gauche ce mardi. Ces derniers estiment notamment que ce n’est pas au législateur, mais à l’exécutif, de se charger de l’organisation des soins. « C’est un véhicule qui n’est pas adapté : cela devrait relever de textes réglementaires pris par le gouvernement sur la base d’un cahier des charges élaboré en concertation avec les professionnels de santé » plaide la sénatrice socialiste Marion Canalès.
Au-delà de cette question technique, certains craignent que cette mise en avant de l’expertise médicale, au détriment de la relation de soins, ne vienne faire perdre à la psychiatrie sa spécificité. « La psychiatrie n’est pas une spécialité de la médecine comme les autres, elle repose sur des principes et des valeurs qui ne peuvent se fondre entièrement dans la médecine du corps » a commenté le SPH en amont du vote du Sénat.
Voir aussi:
Généralisation des « centres experts » non à une psychiatrie à deux vitesses fondée sur une communication trompeuse
Psychiatrie: un projet de loi en faveur des centres experts du lobby Fondamental en dépit d’études biaisées.
Une quarantaine de psychiatres très critiqués, rappellent l’importance du progrès scientifique dans leur discipline (contre pétition de milliers de soignants/soignés).
Les manoeuvres de mainmise de la Fondation FondaMental sur la psychiatrie française.
Une psychiatrie sous influence