Le 19 décembre, le préfet du Gard a autorisé Nestlé à poursuivre l’exploitation des sources Perrier malgré des contaminations fréquentes des eaux.

L’État renouvelle les autorisations de Nestlé pour exploiter ses eaux minérales

19 décembre 2025 | https://info.mediapart.fr/optiext/optiextension.dll?ID=LLrutc0ArQVmrl7k7iE5SGlootXREPrAsivNFRmidWCnga-8uVbjYQX-8Ia7zHSM0-IWTkebs1ChSbc3mjY

Par Pascale Pascariello

Le 19 décembre, le préfet du Gard a autorisé Nestlé à poursuivre l’exploitation des sources Perrier malgré des contaminations fréquentes des eaux. Selon une information Mediapart, le même processus d’autorisation est en cours dans les Vosges, pour les eaux Contrex et Hépar. 

Nestlé peut poursuivre l’exploitation de ses eaux minérales naturelles Perrier et a également obtenu le feu vert pour Contrex et Hépar. Le groupe suisse peut également avoir recours à des traitements de désinfection (des microfiltrations de 0,45 micron) officiellement autorisés sous conditions par le ministère de la santé depuis le 22 mai. 

Pour autant, et pour Perrier en particulier, l’avenir demeure incertain compte tenu du problème récurrent de contamination des eaux, nécessitant l’interruption de la production et la destruction de plusieurs lots de bouteilles.

La société Nestlé le 19 juillet 2010, à Vittel. © Photo Jean-Christophe Verhaegen / AFP

Dans l’arrêté d’autorisation, publié le 19 décembre, le préfet du Gard, Jérôme Bonet, rappelle que compte tenu des pollutionsbactériologiques notamment d’origine fécale constatées, « un contrôle sanitaire et une surveillance renforcée » des eaux sont indispensables. Nestlé doit également faire la démonstration que ses procédés de désinfection ne modifient en rien la composition originelle des eaux. Ce qui, à ce stade, n’a été que « partiellement » prouvé. 

Soutien de l’État à Nestlé

Cette victoire aux allures d’énième sursis, obtenue par Nestlé, révèle la stratégie jusqu’au-boutiste du groupe qui surexploite les sources d’eau minérale jusqu’à les rendre inexploitables. Ainsi, dans le Gard, sur sept sources, seules deux sont désormais utilisées pour Perrier sous le label « eau minérale naturelle ». Le préfet a également exigé que trois sources, trop fragilisées, soient condamnées et leurs canalisations démantelées. Dans les Vosges, quatre forages ne peuvent plus être exploités pour les eaux minérales. 

Dans le projet d’arrêté présenté, le 19 décembre, lors du conseil départemental de l’environnement et des risques sanitaires et technologiques (Coderst), que Mediapart a pu consulter, le préfet des Vosges, Blaise Gourtay, a conditionné les autorisations accordées à Nestlé, pour Contrex et Hépar, par des contrôles sanitaires renforcés. Il a par ailleurs accepté que la firme double ses dispositifs de désinfection placés sur la chaîne de production. Contactée par Mediapart, à l’issue de l’avis favorable émis par le Coderst, l’agence régionale de santé (ARS) Grand Est, chargée de la qualité des eaux minérales, a confirmé que les arrêtés d’autorisation pour Contrex et Hépar étaient en cours de signature.

Une fois de plus, ces autorisations témoignent du soutien indéfectible de l’État à Nestlé, au mépris des contaminations régulières de ses eaux qui n’ont plus rien de naturelles. 

Nestlé a pu néanmoins compter sur l’aide de l’Élysée, qui, depuis 2021, connaît la fraude, la couvre et s’emploie à la légaliser. 

Pour obtenir le label si convoité de « minérale naturelle », l’eau doit être exempte à la source de toute contamination et ne doit subir aucun traitement de désinfection. Or dans les Vosges (Contrex, Hépar et Vittel) et dans le Gard (Perrier), où se situent les sources et les usines de Nestlé, l’eau est de plus en plus contaminée. Et durant quinze ans, au moins, Nestlé les a désinfectées en ayant recours à des procédés interdits (microfiltrations de 0,2 micron, filtres à charbon actif et UV). 

Sauf que les eaux minérales naturelles ne doivent pas être désinfectées, étant, selon le Code de la santé publique« microbiologiquement saines » et « tenues à l’abri de tout risque de pollution ». Ces pratiques sont seulement autorisées pour l’eau du robinet ou les « eaux rendues potables par traitements ». Une désinfection fait perdre à l’eau minérale tous les avantages de sa composition naturelle (notamment en minéraux et oligoéléments) : dès lors, la vendre cent fois plus cher que l’eau du robinet n’est pas acceptable. Cette fraude a ainsi permis à Nestlé d’empocher illégalement au moins 3 milliards d’euros, pour les eaux Contrex, Hépar et Vittel, selon une estimation du service de lutte contre la fraude du ministère de l’économie. 

Le lobbying l’a emporté

En janvier 2024, avec la révélation du scandale par MediacitésLe Monde et Radio France, et visée par plusieurs enquêtes, la multinationale a été contrainte d’abandonner certains de ces procédés. Elle a pu néanmoins compter sur l’aide de l’Élysée, qui, depuis 2021, connaît la fraude, la couvre et s’emploie à la légaliser. 

Nestlé a ainsi pu obtenir un infléchissement de la législation en sa faveur. Elle est désormais autorisée à avoir recours à des microfiltres (inférieurs à 0,8 micron, en l’occurrence de 0,45 micron) jusqu’à présent interdits. Derrière cette appellation technique, se noue une sourde lutte d’influence : a-t-on le droit ou pas de désinfecter des eaux minérales régulièrement contaminées ? 

L’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses) a déjà tranché en 2022 et 2023 en se prononçant contre le recours à ces pratiques et en particulier parce qu’elles altèrent la composition d’origine. 

Selon le rapport, l’exploitation en continu des forages par Nestlé a accentué la vulnérabilité des nappes phréatiques, plus impactées par l’activité agricole.

Mais le lobbying de l’entreprise l’a emporté. La multinationale voulait avoir recours à des microfiltres de 0,2 micron. Pour descendre à des seuils aussi bas, la France avait besoin de l’aval de la Commission européenne, laquelle a refusé de revoir, à ce stade, sa directive relative aux eaux minérales naturelles. Pour éviter tout risque de contentieux européen, l’exécutif s’est donc aligné sur les autres États membres (Belgique et Espagne) qui ont fixé un seuil minimal de 0,45 micron. 

Au doigt mouillé, sans la moindre validation scientifique. C’est ainsi que la Direction générale de la santé (DGS) a assoupli la législation en faveur de Nestlé et l’a officialisé dans une instruction le 22 mai 2025, à l’attention des préfets et préfètes et des ARS. Cette nouvelle directive rend légal le recours à ces procédés, et dispense l’entreprise d’en faire mention sur les étiquettes.

Contactée par Mediapart, la DGS renvoie la balle vers les préfectures en assurant qu’en dessous de 0,45 micron, les industriels doivent « les déclarer à l’autorité préfectorale et démontrer que ceux-ci n’ont pas d’impact sur le microbisme de l’eau et n’ont pas vocation à exercer un pouvoir désinfectant »

La DGS laisse ainsi Nestlé avoir recours à ces procédés sans aucune certitude quant à leur effet. D’ailleurs, en mai, au moment même où elle autorise le recours à des microfiltres, elle saisit de nouveau l’Anses pour connaître l’impact de ces dispositifs « d’un point de vue sanitaire »« Les résultats sont attendus pour le premier semestre 2026 », confirme la DGS auprès de Mediapart.

Ces débats font écran, pour ne pas aborder la vraie question : le soutien apporté par l’exécutif aux pratiques frauduleuses de Nestlé au mépris des alertes lancées par plusieurs administrations sur le risque sanitaire. 

La mort annoncée des eaux minérales Perrier 

Le préfet du Gard a suivi le feu vert rendu en novembre par l’ARS Occitanie (chargée de veiller à la qualité des eaux) qui s’appuyait sur l’avis favorable d’un hydrogéologue agréé. Pourtant, ce même ingénieur avait, en avril, rendu avec deux de ses collègues un « avis sanitaire défavorable »sur la poursuite de l’exploitation des eaux minérales Perrier pour les cinq sources de Vergèze. « La qualité microbiologique, et donc le critère de “pureté originelle” des eaux, n’apparaît pas avoir été ni être respectée », précisaient-ils dans leurs conclusions.À lire aussiScandale des eaux minérales de Nestlé : le rapport des sénateurs pointe la responsabilité de l’État

Les hydrogéologues relèvent notamment des contaminations de bactéries d’origine fécale et font le constat de « la vulnérabilité » des nappes phréatiques. Dans quatre forages sur cinq, « les teneurs en nitrates ont été multipliées par deux à trois » en dix ans. Cette augmentation « doit alerter » car elle traduit une « pression » de l’activité humaine, en l’occurrence « agricole […] sur les aires d’alimentation de ces forages ». Selon le rapport, l’exploitation en continu des forages par Nestlé a accentué la vulnérabilité des nappes phréatiques, plus impactées par l’activité agricole.

C’est ce qui apparaît également dans l’arrêté d’autorisation qui rappelle la contamination régulière des eaux. Près de trente fois en 2025, selon les résultats d’autosurveillance de Nestlé. Selon une source proche du dossier, « les dispositifs de désinfection mis en place risquent de ne pas être suffisants tant les eaux sont fragilisées et sujettes à des contaminations. C’est assez frauduleux d’appeler encore cela de l’eau minérale naturelle. Et pour les salariés, cette stratégie pour laquelle a opté Nestlé n’est pas du tout viable au long cours. Elle aurait dû reconvertir ses eaux en eaux de boisson comme elle l’a déjà fait pour un de ses forages ».

Contrex et Hépar en cours d’autorisation

Dans les Vosges, Nestlé est en passe d’être autorisée à poursuivre l’exploitation des sources pour les eaux Contrex et Hépar alors même qu’elle avait fait l’aveu de ses fraudes et de l’impureté de ses ressources. 

Comme nous l’avions révélé, quatre agents de Nestlé (deux hydrogéologues, le responsable des traitements des eaux et un ingénieur chargé des ressources en eaux) rapportaient, dans une note interne de juin 2022, à la suite d’une inspection à l’usine des Vosges, au sein de laquelle sont embouteillées les eaux Contrex, Hépar et Vittel, que « la qualité microbiologique de l’eau brute (Hépar et Contrex) » n’était pas conforme compte tenu du niveau de contamination et des procédés utilisés. Au regard de ces « non-conformités »avec la réglementation française, le risque était alors qualifié de « critique » (soit le degré le plus élevé dans le système de notation des dangers par la firme).À lire aussiLes carnets de Nestlé : révélations sur le lobbying secret de la firme

Malgré ce constat, Nestlé vient d’obtenir le feu vert de l’ARS Grand Est et de la préfecture qui « doit signer les arrêtés dans quelques jours ». En janvier 2024, un hydrogéologue a donné un avis favorable. Pourtant, il relève une fragilisation des ressources et « une incidence des activités humaines, notamment l’agriculture », sur la qualité des ressources en eau dont la teneur en nitrates augmente, sans que ces concentrations ne soient rapportées par Nestlé sur les étiquettes.

Au cours de la réunion du Coderst, le 19 décembre, des participants ont questionné les représentants de l’État sur le recours par la multinationale à des dispositifs de filtration des eaux. Pour les justifier, le préfet des Vosges a repris les arguments de Nestlé selon lesquels, loin de désinfecter ces eaux, ces procédés permettent de « maîtriser le risque de relargage de particules fines sablo-argileuses pouvant naturellement être présentes dans les ressources ».Contactée par Mediapart, la préfecture des Vosges n’a pas répondu à nos questions.

Voir aussi:

https://environnementsantepolitique.fr/2025/12/18/lars-occitanie-propose-dacceder-a-la-demande-dautorisation-deposee-par-nestle-pour-perrier-tout-en-preconisant-un-controle-sanitaire-renforce/

La multinationale Nestlé a laissé se désagréger autour de ses usines, dans les Vosges, en pleine nature, des centaines de milliers de mètres cubes de déchets, essentiellement des bouteilles en plastique et en verre. https://environnementsantepolitique.fr/2025/08/09/64291/

https://environnementsantepolitique.fr/2025/02/08/editorial-scandale-nestle-waters-en-eaux-troubles/

https://environnementsantepolitique.fr/2025/02/05/comment-lexecutif-a-autorise-le-groupe-suisse-nestle-a-continuer-a-commercialiser-ses-eaux-en-bouteille-perrier-vittel-hepar-contrex-avec-des-filtres-illegaux/

Publié par jscheffer81

Cardiologue ancien chef de service au CH d'Albi et ancien administrateur Ancien membre de Conseil de Faculté Toulouse-Purpan et du bureau de la fédération des internes de région sanitaire Cofondateur de syndicats de praticiens hospitaliers et d'associations sur l'hôpital public et l'accès au soins - Comité de Défense de l'Hopital et de la Santé d'Albi Auteur du pacte écologique pour l'Albigeois en 2007 Candidat aux municipales sur les listes des verts et d'EELV avant 2020 Membre du Collectif Citoyen Albi

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