Quand le BMJ publie une tribune favorable à l’excision
Quentin Haroche| 18 Décembre 2025 https://www.jim.fr/viewarticle/quand-bmj-publie-tribune-favorable-lexcision-2025a1000zpd?ecd=wnl_all_251218_jim_daily-doctor_etid7966178&uac=368069PV&impID=7966178&sso=true
Un groupe de chercheurs a publié une tribune dénonçant comme raciste les campagnes internationales de lutte contre les mutilations génitales féminines.
La question du relativisme culturel et de l’universalité des valeurs morales fait régulièrement l’objet de débat sans fin. L’homme occidental aime à se dire que les valeurs portées par nos sociétés modernes et sécularisés sont universelles et devrait s’appliquer à tous. Mais que faire lorsque ses valeurs se heurtent à des pratiques totalement contraires et pourtant considérées comme normales dans d’autres contrées ?
L’excision ou plus largement la question des mutilations génitales féminines (MGF) a souvent illustré cette question du relativisme culturel. A priori, cette pratique heurte totalement nos valeurs de respect du droit de la femme et de l’autonomie sexuelle. Mais difficile de nier que l’excision est considérée comme « normale » dans de nombreux pays africains. Au Mali, en Guinée, en Egypte ou encore au Soudan, ce sont plus de 85 % des femmes qui sont excisées.
Si les MGF font l’objet d’une condamnation unanime par les organisations internationales (en avril dernier, l’Organisation Mondiale de la Santé a appelé les professionnels de santé du monde entier à cesser de se rendre complice de ces pratiques), il arrive donc que certains universitaires défendent cette pratique ou du moins en relativisent la gravité. Ainsi, dans le Journal of Medical Ethics publié par le prestigieux British Medical Journal (BMJ ), un groupe d’universitaires venant de plusieurs pays occidentaux ont publié en septembre dernier une tribune dénonçant les « dangers de la campagne actuelle contre les MGF ». null
Pourquoi condamner l’excision et pas la circoncision ?
Niant jusqu’à l’utilisation du terme même de « mutilation » féminine, les auteurs de la tribune utilisent un argument relativiste fréquent lorsqu’il est question d’excision : la supposée hypocrisie de l’Occident, qui condamne l’excision mais qui tolère voire promeut (en Amérique du Nord du moins) la circoncision masculine ou d’autres actes de mutilation génitale (comme les opérations de changement de sexe). nullnull
« De toutes les pratiques de modifications génitales existantes, les seules qui ont fait l’objet de critiques et de condamnations sont celles pratiquées sur des femmes et parmi elles seulement celles coutumières dans des pays du Sud, particulièrement en Afrique, tout en ignorant les pratiques similaires en cours dans les pays du Nord » écrivent les auteurs de la tribune. On pourra leur répondre que la circoncision est généralement une opération moins lourde de conséquences que l’excision et que la condamnation de l’excision n’empêche pas de s’interroger sur la légitimité de la circoncision.
Les auteurs de la tribune tiennent également à relativiser la gravité des MGF et leurs conséquences pour leurs victimes, dénonçant une vision « fortement racisé et ethnocentré » de cette pratique. « Le discours dominant sur les MGF dans le Nord est souvent basé sur une simplification excessive, la désinformation, les stéréotypes et des données erronées » estiment-ils.null
Selon eux, les femmes excisées auraient, dans leur majorité, une vie sexuelle normale et les complications médicales seraient rares. L’excision serait ainsi plus vue comme une « amélioration du corps » que comme une « mutilation ». C’est ignorer les témoignages nombreux et bouleversants de femmes africaines excisées contre le gré, qui font état de grandes souffrances physiques et morales et qui se rendent en Occident pour bénéficier d’opérations de reconstruction du clitoris. De manière très discutable également, les auteurs de la tribune estiment que l’excision n’est pas une marque du patriarcat, au seul motif que l’opération est généralement pratiquée par des femmes et que les hommes africains sont également circoncis.
Les pays africains condamnent eux aussi l’excision
Enfin et c’est le cœur de la tribune, les auteurs de la tribune estiment que les politiques menées par les pays occidentaux et les organisations internationales contre l’excision ont des conséquences néfastes pour les populations, notamment pour les immigrés africains. Les opposants à l’excision sont ainsi accusés de « réduire au silences les cultures alternatives » et de nuire à l’accès à la santé des populations immigrées, en créant un sentiment de méfiance entre ces derniers et le corps médical.
Les auteurs de la tribune vont plus loin en considérant que les lois réprimant les MGF en Occident constituent une immixtion injustifiée dans la vie familiale des familles immigrées. « Dans certains cas, des jeunes filles ont été retirés à leurs parents, sujets à des examens médicaux invasifs et poussés à témoigner contre leurs propres parents dans des procès criminels » écrivent les auteurs de la tribune, estimant que ces lois punissent « des familles et des communautés entières dont la confiance en la société est ainsi rompue ». Des arguments qui, poussés à l’extrême, conduiraient à ne jamais enquêter sur les violences intrafamiliales.
En France, la publication de cette tribune a été vivement dénoncé par les partisans d’un certain universalisme. « Voilà où on est : la défense des mutilations génitales féminines au nom de l’inclusion. Entre les néo-fascistes et les relativistes décoloniaux, les femmes ont du souci à se faire » s’émeut sur X la sénatrice communiste Laurence Rossignol. « Sans surprise, les décoloniaux inclusifs et intersectionnels s’en prennent aux droits des femmes. Interdire les mutilations génitales, figurez-vous, c’est raciste » commente pour sa part le journaliste Jean Quatremer.
Ne soyons pas naïfs : toutes nos valeurs ne sont pas universelles et le relativisme culturel peut parfois se justifier. Mais ce que les auteurs de la tribune publiée dans le BMJ oublient, c’est que la quasi-totalité des gouvernements des pays où l’excision est pratiquée combattent cette pratique et l’ont interdit dans leur législation. Montrant ainsi que, loin d’être une coutume anodine comme une autre, l’excision est bien une atteinte au droit des femmes universellement condamnée.