« Plus de 1,7 million d’écoliers français soumis à une forte “pression pesticides”, selon une cartographie inédite »
Date de publication : 18 décembre 2025 https://www.mediscoop.net/index.php?pageID=65ce3f4b9b7363da62134044650e0d27&id_newsletter=23045&liste=0&site_origine=revue_mediscoop&nuid=44baf5968540a6248a8065e80f2f7273&midn=23045&from=newsletter
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Raphaëlle Aubert explique en effet que « Le Monde, en partenariat avec un collectif pluridisciplinaire de scientifiques, a produit une carte inédite permettant de visualiser l’exposition potentielle des écoles françaises aux pesticides ».
« Près d’un établissement sur quatre est soumis à une «pression forte», c’est-à-dire que son environnement proche reçoit au moins un traitement de pesticides à pleine dose par an. Ce travail fait suite à une série d’études robustes sur la surimprégnation des habitants des zones agricoles et sur les risques que présente l’exposition à ces substances chimiques », précise la journaliste.
Elle indique qu’« il repose sur le recensement des parcelles agricoles, des cultures associées, de l’intensité des traitements utilisés ainsi que sur le calcul de la distance entre les cultures et les écoles, à partir d’indicateurs scientifiques et de bases de données publiques exploitables ».
Raphaëlle Aubert souligne que « cette cartographie d’intérêt public […] vient combler un manque : si le débat sur la pollution de l’air en ville et ses effets sur la santé des enfants émerge, l’information reste peu disponible, voire absente, lorsqu’il s’agit des expositions possibles aux pesticides en milieu rural et rurbain, a fortiori des enfants ».
La journaliste explique que « cette carte désigne une «pression pesticide» autour des établissements scolaires, c’est-à-dire l’intensité estimée des usages agricoles à proximité ».
Les experts du Joint Research Centre de la Commission européenne précisent : « La carte ne doit pas être interprétée comme un indicateur de risque. Il s’agit d’un outil servant à repérer les établissements situés dans des contextes de pratiques agricoles plus ou moins intensives ».
« Afin d’objectiver des situations locales, d’alimenter le dialogue et, le cas échéant, de mettre en place des mesures de précaution », continue Raphaëlle Aubert.
La journaliste rappelle que « les écoles sont, après le domicile, les lieux où les enfants passent le plus de temps, souvent à l’extérieur, dans les cours de récréation. Or, les enfants constituent un public particulièrement sensible aux pesticides ».
Raphaëlle Aubert note en effet que « PestiRiv, une étude de Santé publique France et de l’Anses destinée à connaître l’exposition aux pesticides des personnes vivant près de vignes, a mis en évidence une surimprégnation chez les plus jeunes résidents de zones viticoles. Et leurs conclusions sont «extrapolables à d’autres cultures, car les résultats concernent également des substances non exclusives du traitement de la vigne» ».
La journaliste continue : « Que peut-on faire pour faire baisser la pression ? Il n’existe pas de solution unique, mais plusieurs leviers complémentaires. A court terme, le dialogue local est central : échanges entre parents d’élèves, collectivités et agriculteurs, information en amont des traitements, adaptation des horaires ou des matériels pour limiter la dérive des pulvérisations hors des champs ».
« A moyen terme, les experts recommandent de réduire l’usage de pesticides à proximité des écoles, d’élargir les zones non traitées et d’accompagner les changements de pratiques agricoles […]. Les collectivités peuvent aussi orienter les usages du foncier […], agir sur les plans locaux d’urbanisme et passer par des mécanismes d’indemnisation aux agriculteurs pour services environnementaux »,ajoute Raphaëlle Aubert.
Le Parisien observe aussi que « plus de 1,7 million d’élèves sont scolarisés dans un établissement «soumis à une pression forte» aux pesticides «dans un rayon de 1000 m», selon un baromètre publié jeudi, coordonné par Le Monde et une dizaine d’experts, qui «n’est pas un indicateur de risque» ».
Le quotidien remarque que « ce «baromètre de la pression pesticides autour des établissements scolaires», présenté comme une «cartographie inédite», a été «conçu pour éclairer le débat public» et «non comme un diagnostic toxicologique ou sanitaire» ».
Karine Princé, chargée de recherche au centre d’écologie et des sciences de la conservation du Muséum national d’histoire naturelle, indique que « cela ne signifie pas que chaque enfant est en danger. […] Cela montre que réduire l’usage des pesticides autour des écoles doit devenir une priorité, et que des politiques publiques plus ambitieuses sont nécessaires pour protéger les enfants là où ils vivent et apprennent ».
Plus de 1,7 million d’écoliers français soumis à une forte « pression pesticides », selon une cartographie inédite
Par Raphaëlle Aubert
Enquête« Le Monde » et une dizaine de scientifiques ont établi un baromètre de l’exposition potentielle aux pesticides autour de chaque établissement scolaire français.
Le jour où l’entreprise de sondages Ipsos a frappé à sa porte, Baptiste Delmas n’avait pas conscience de vivre à moins de 500 mètres des vignes. Ni que l’école de son fils, pourtant entourée de pavillons, était aussi proche des parcelles. C’était au printemps 2022. Le résident de Villenave-d’Ornon (Gironde), une ville de banlieue au sud de Bordeaux, accepte de participer avec son garçon à l’étude PestiRiv, menée par Santé publique France et l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses) pour connaître l’exposition aux pesticides des habitants de zones viticoles. Pendant deux semaines, il congèle des échantillons d’urine tous les deux jours – « pas facile, avec un enfant de 4 ans » – et conserve sa poussière ménagère.
Après un long silence, l’enseignant-chercheur obtient ses résultats individuels, en octobre 2025. En période de traitement des vignes, il est jusqu’à quatre fois plus contaminé que la population éloignée des cultures par plusieurs résidus de pesticides, en particulier des fongicides caractéristiques de la viticulture, comme le folpel. Son fils l’est jusqu’à dix fois plus, pour l’hydroxy-tébuconazole, le sous-produit d’un fongicide suspecté d’être toxique pour la reproduction et perturbateur endocrinien.
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Les analyses de la famille Delmas sont conformes aux conclusions générales de PestiRiv. Habiter non loin des vignes, même sans parcelle mitoyenne de son jardin, signifie porter davantage de pesticides dans son corps. En particulier pour les enfants de 3 à 6 ans. Représentant de parents d’élèves (FCPE), Baptiste Delmas pense immédiatement à l’école fréquentée par son fils : « Ces lieux accueillent un public sensible, c’est là que les enfants passent le plus de temps hors de la maison. »
Alors que l’Anses et Santé publique France recommandent de « réduire au strict nécessaire le recours aux pesticides », que s’accumulent les études sur les liens entre exposition aux pesticides ou proximité des cultures et certaines maladies pédiatriques, Le Monde et un collectif de spécialistes ont cartographié, pour la première fois, la « pression pesticides » qui entoure chaque établissement scolaire.
Réduire l’usage de pesticides autour des écoles, « une priorité »
Ce baromètre inédit, fondé sur le croisement des données les plus fines disponibles, permet d’identifier les écoles situées dans les contextes d’usage de pesticides les plus intensifs. Il révèle qu’au moins 1,76 million d’élèves – environ 15 % des effectifs, hors outre-mer – sont scolarisés dans des établissements soumis à une pression forte dans un rayon de 1 000 mètres — comme si chacun des 314 hectares entourant l’école avait reçu au moins un traitement de pesticides à pleine dose par an. Un site scolaire sur quatre est concerné par une telle exposition potentielle.
« Cela ne signifie pas que chaque enfant est en danger, précise Karine Princé, chargée de recherche au Centre d’écologie et des sciences de la conservation du Muséum national d’histoire naturelle. Mais cela montre que réduire l’usage des pesticides autour des écoles doit devenir une priorité, et que des politiques publiques plus ambitieuses sont nécessaires pour protéger les enfants là où ils vivent et apprennent. »
Protomaps © OpenStreetMap
L’école Jules-Michelet, dans laquelle est scolarisé le fils de M. Delmas, est soumise à une pression « forte ». Elle figure parmi les 25 % des établissements à l’exposition potentielle la plus élevée de France.
Mais d’autres écoles sont sous pression « très forte », voire « maximale ». Notre cartographie révèle « une très forte hétérogénéité de l’exposition des établissements scolaires aux pesticides », réagit Benjamin Nowak, maître de conférences en agronomie à VetAgro Sup.
Les écoles les plus exposées se concentrent d’abord dans les bassins viticoles : Cognaçais, Gironde, Champagne…
Elles sont également nombreuses dans les secteurs d’arboriculture fruitière…
… Mais aussi dans les plaines céréalières, notamment dans le nord de la France.
Vigne, arbres fruitiers, colza, blé tendre d’hiver : rapportées à la surface qu’elles occupent, les cultures qui contribuent le plus à la pression sont associées à des usages intensifs de pesticides. « L’exposition potentielle des écoles aux pesticides n’est pas anecdotique, mais structurelle, liée à l’organisation de nos systèmes agricoles et de nos territoires », souligne l’écologue Karine Princé.
Si la vigne est souvent pointée du doigt, elle n’est pas la culture la plus contributrice à la pression pesticides autour des écoles à l’échelle nationale. Le blé tendre d’hiver arrive en tête (32 %).
Les collèges et lycées apparaissent un peu moins exposés, car plus souvent situés en zones urbaines, éloignées des champs. Les dynamiques spatiales restent toutefois similaires.
Selon les calculs du Monde, cette exposition potentielle n’est généralement pas corrélée au statut social des élèves, tel que mesuré par l’indice de position sociale.
En revanche, « cette carte remet en cause l’opposition simplificatrice entre urbain et rural », observe Matthieu Mancini, docteur en épidémiologie et ingénieur bio-informaticien. « Si la majorité des écoles sont peu exposées en ville, poursuit le chercheur, c’est aussi le cas d’établissements dans des zones rurales où l’élevage de ruminants à l’herbe domine, comme le Massif central. Il n’y a pas “le monde rural”, mais bien “des ruralités”. »
A Villenave-d’Ornon, après avoir découvert la surimprégnation de son foyer aux pesticides, il y a deux mois, Baptiste Delmas a prévenu les équipes pédagogiques de l’école Jules-Michelet et les parents d’élèves.
Mobilisés, ils ont pour le moment du mal à obtenir des informations et ont par conséquent lancé une pétition exigeant plus de transparence. « Au conseil municipal, personne n’a pu répondre en détail aux questions des élus communistes sur les pratiques des viticulteurs, ni sur la distance entre parcelles et écoles [les deux principaux facteurs d’exposition, d’après PestiRiv] », regrette l’enseignant-chercheur, qui a fini par recenser lui-même les domaines autour de chaque établissement de la ville.
De « sévères lacunes » dans la réglementation
Le 4 décembre, la section villenavaise du Parti communiste français a organisé une réunion d’information des habitants sur PestiRiv, à laquelle le directeur de la communication du Conseil interprofessionnel du vin de Bordeaux s’est présenté. Dans la foulée, le maire (divers droite) Michel Poignonec a annoncé, sur Facebook, « organiser une rencontre avec les propriétaires viticoles de Villenave-d’Ornon pour évoquer les solutions à mettre en œuvre et visant à rassurer les habitants sur les produits employés ».
Parmi les solutions qui peuvent être envisagées figure la révision des réglementations encadrant l’épandage. Si des zones de non-traitement (ZNT) existent autour des lieux accueillant des publics sensibles, leur efficacité et leur pertinence sont largement contestées. « En réalité, on peut toujours traiter tôt le matin et tard le soir, et les ZNT peuvent être de 3 mètres uniquement même pour des produits suspectés cancérigènes, mutagènes ou reprotoxiques, estime Pauline Cervan, toxicologue à l’association Générations futures. La réglementation et les méthodes d’évaluation du risque actuelles présentent de sévères lacunes. »
Santé publique France et l’Anses rappellent de leur côté que « la prévention de l’exposition des riverains ne doit pas reposer uniquement sur des mesures individuelles » – comme fermer ses fenêtres ou garder les enfants à l’intérieur en période d’épandage.
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Prioriser les abords des écoles
A moyen terme, les experts plaident pour accompagner la transition vers des pratiques agricoles moins dépendantes aux pesticides. Les calculs du Monde montrent qu’environ 8 % des surfaces autour des établissements scolaires étaient cultivées en agriculture biologique au cours de la période 2019-2022 – une proportion équivalente à la moyenne nationale. « On aurait pu s’attendre à une part plus importante près des lieux sensibles, et ce résultat met en évidence un véritable enjeu de politique publique pour généraliser l’agriculture biologique aux abords des écoles sous pression », commente Aurélien Chayre, ingénieur agronome à Solagro, association qui produit l’indicateur de fréquence de traitement utilisé pour construire ce baromètre.
Mise à mal par les récents reculs environnementaux – loi Duplomb, paquets « omnibus » à Bruxelles… –, la stratégie Ecophyto 2030, qui vise une réduction de moitié de l’utilisation de pesticides en France d’ici à 2030, gagnerait à « être territorialisée », estime Adrien Guetté, maître de conférences en géographie de l’environnement à l’université de Tours.« Certaines zones devraient être considérées comme prioritaires dans cette baisse, au premier rang desquelles les abords des écoles », propose le chercheur.
« L’idée n’est pas de pointer du doigt les agriculteurs, car ceux qui utilisent les pesticides sont le maillon final d’une chaîne qui remonte aux entreprises de l’agro-industrie et de l’agrochimie », rappelle Stanislas Rigal, chargé de recherche à la Fondation pour la recherche sur la biodiversité. Karine Princé insiste de son côté sur l’enjeu de « lier la réglementation à des moyens d’accompagnement pour les agriculteurs, pour que ces contraintes soient réellement tenables et justes ».
Pour Baptiste Delmas, « les collectivités ont un rôle décisif à jouer » à la suite de PestiRiv. Il s’est d’ailleurs lui-même engagé en position non éligible sur une liste d’union de gauche aux prochaines municipales. Si une mairie ne peut interdire des épandages, elle a la capacité d’orienter les plans locaux d’urbanisme et les usages du foncier, par exemple pour créer des ceintures de protection entre cultures traitées et futures constructions.
Elle peut également soutenir des accords entre agriculteurs et usagers, comme dans les Deux-Sèvres, où le maire de Fors indemnise ainsi l’agriculteur voisin de l’école, par l’intermédiaire de l’association des parents d’élèves, pour la création d’une zone tampon pérenne dans ses champs. Un dispositif proche des paiements pour services environnementaux, aujourd’hui employés pour protéger un autre lieu sensible : les aires de captage d’eau potable. « Les écoles devraient faire l’objet d’un niveau de surveillance et de protection comparable à celui des captages, avance Aurélien Chayre. Ce sont des lieux sensibles où la santé des enfants doit primer. »
Le baromètre de la « pression pesticides » autour des écolesNiveau de pression exercé par l’usage de pesticides, calculé à partir de l’indice de fréquence de traitement (IFT) moyen, pour chaque parcelle dans un rayon de 1 000 mètres autour des établissements scolaires, sur la période 2019-2022.
Primaire Collège Lycée
200 km
Vous pouvez signaler une erreur de localisation d’un établissement scolaire en contactant l’adresse aubert+barometre[at]lemonde.fr. Seules les parcelles bio déclarées pour les aides de la politique agricole commune sont connues et prises en compte. La carte doit être utilisée comme un outil de repérage et de dialogue, et non comme un diagnostic toxicologique ou sanitaire.
Sources : Le Monde, collectif de scientifiques du « baromètre de la pression pesticides », à partir des données Adonis (Solagro) et BD TOPO (IGN), Rigal et Perrot (2025).
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Concrètement, que nous montre cette carte ?
Cette carte désigne une « pression pesticide » autour des établissements scolaires, c’est-à-dire l’intensité estimée des usages agricoles à proximité. « La carte ne doit pas être interprétée comme un indicateur de risque, précisent les experts du Joint Research Centre de la Commission européenne associés au projet. Il s’agit d’un outil servant à repérer les établissements situés dans des contextes de pratiques agricoles plus ou moins intensives », afin d’objectiver des situations locales, d’alimenter le dialogue et, le cas échéant, de mettre en place des mesures de précaution.
Ce baromètre est construit à partir du registre parcellaire graphique et de l’indice de fréquence de traitement (IFT) associé aux cultures présentes dans un rayon de 1 000 mètres autour de chaque école. Les établissements sont géolocalisés grâce à la base de données BD TOPO de l’IGN.
Pour compléter la lecture de la carte, des indicateurs sont disponibles pour chaque école consultée :
- la part de surfaces cultivées en bio dans le périmètre ;
- la distance entre l’école et la première parcelle traitée ;
- la culture qui contribue le plus à la « pression pesticide » autour de l’école ;
- l’exposition de l’ensemble de la commune aux pesticides les plus dangereux sur la période (ces données ne sont pas extrapolables à l’échelle d’un établissement).
La méthodologie complète du baromètre est disponible en ligne.
Pourquoi s’intéresser aux écoles en particulier ?
Les écoles sont, après le domicile, les lieux où les enfants passent le plus de temps, souvent à l’extérieur, dans les cours de récréation. Or, les enfants constituent un public particulièrement sensible aux pesticides, comme le montrent plusieurs études. PestiRiv, une étude de Santé publique France et de l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses) destinée à connaître l’exposition aux pesticides des personnes vivant près de vignes, a mis en évidence une surimprégnation chez les plus jeunes résidents de zones viticoles. Et leurs conclusions sont « extrapolables à d’autres cultures car les résultats concernent également des substances non exclusives du traitement de la vigne », précisent ses auteurs. Les établissements scolaires sont par ailleurs déjà reconnus comme des sites sensibles dans la réglementation, mais avec des protections jugées faibles ou trop hétérogènes.
Enfin, « les communes ont la responsabilité des écoles, de l’urbanisme et du dialogue avec le monde agricole », rappelle Adrien Guetté, maître de conférences en géographie de l’environnement à l’université de Tours. Selon lui, « il serait légitime que les candidats et candidates aux élections municipales s’engagent publiquement sur ce qu’ils comptent faire pour réduire la pression des pesticides autour des établissements scolaires ».
Pourquoi avoir choisi un rayon de 1 000 mètres autour des écoles ?
C’est la distance couramment utilisée dans les études scientifiques. Il est établi que certains pesticides, très volatils et pourtant très utilisés, comme le prosulfocarbe, un herbicide d’hiver, peuvent voyager bien au-delà d’un kilomètre de leur lieu d’application.
Ce rayon est notamment employé dans les travaux épidémiologiques de Géocap-Agri, un programme de recherche de l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) qui a mis en évidence un lien entre la densité de vignes autour du domicile et le risque de leucémie aiguë lymphoblastique chez l’enfant. A noter que notre carte renseigne aussi sur une estimation de la distance entre l’école et la première parcelle traitée : de manière générale, plus les établissements sont éloignés des champs, plus la surface agricole et la pression dans le rayon sont faibles.
L’école de mon enfant est sous forte pression : dois-je m’inquiéter ?
Pour les écoles classées en pression forte et plus, « la première étape est de mieux comprendre la réalité locale : quels types de produits sont utilisés, à quelles distances, avec quels aménagements de protection éventuels ?, suggère le géographe Adrien Guetté. Si, à l’issue de ce travail d’information, le risque d’exposition apparaît significatif, il est alors légitime que la communauté éducative demande à la collectivité d’agir ».
Les parents d’élèves d’écoles sous forte pression « doivent se mobiliser, demander des informations complémentaires et des actions, mais sans tomber dans la panique ni la stigmatisation des agriculteurs, qui ont eux aussi besoin d’accompagnement pour faire évoluer leurs pratiques », recommande Karine Princé, écologue au Muséum national d’histoire naturelle.
Quels sont les risques des pesticides pour la santé des enfants ?
Rappelons d’abord que cette carte est un outil de repérage, pas une évaluation des risques sanitaires. Elle renseigne sur l’intensité des usages agricoles de proximité, mais pas sur la dangerosité des substances, ni sur l’exposition réelle des enfants.
L’Inserm établit une présomption forte de liens entre l’exposition précoce aux pesticides et les risques de contracter certains cancers (leucémies, tumeur du système nerveux central), ou des troubles du développement neuropsychologique. Si le risque est supérieur pour les résidents des zones agricoles, Matthieu Mancini, docteur en épidémiologie, précise que « tous les enfants de ces écoles ne développeront pas ces pathologies », et que « ces pathologies existent aussi chez des enfants scolarisés dans des écoles non exposées ».
Sait-on quels produits sont utilisés près des écoles ?
Pas précisément. Les cahiers d’épandage ne sont pas publics, ce qui empêche d’identifier les molécules utilisées. L’Anses soulignait, lors de la parution des résultats de PestiRiv, la nécessité de disposer de données réelles d’utilisation des produits phytosanitaires.
Notre baromètre renseigne sur l’intensité des traitements, pas sur la nature exacte des produits. Pour donner des informations contextuelles sur la dangerosité des produits présents dans l’environnement, Le Monde affiche « l’exposition combinée aux pesticides », un indicateur complémentaire qui renseigne sur l’exposition aux pesticides les plus dangereux sur la période, construit à partir des données de ventes de pesticides et de mesures effectuées dans l’air et dans l’eau. Attention, cette donnée n’étant disponible qu’à l’échelle de la commune, elle ne renseigne pas sur l’exposition précise de l’école.
Que peut-on faire pour faire baisser la pression ?
Il n’existe pas de solution unique, mais plusieurs leviers complémentaires. A court terme, le dialogue local est central : échanges entre parents d’élèves, collectivités et agriculteurs, information en amont des traitements, adaptation des horaires ou des matériels pour limiter la dérive des pulvérisations hors des champs (sous l’effet du vent par exemple).
A moyen terme, les experts recommandent de réduire l’usage de pesticides à proximité des écoles, d’élargir les zones non traitées et d’accompagner les changements de pratiques agricoles (agriculture biologique, diversification des cultures, plantation de haies, délimitation de bandes enherbées). Les collectivités peuvent aussi orienter les usages du foncier (obligations ou baux environnementaux), agir sur les plans locaux d’urbanisme et passer par des mécanismes d’indemnisation aux agriculteurs pour services environnementaux. L’organisme d’études Plante & Cité a recensé plusieurs leviers applicables aux écoles dans un guide à destination des collectivités.
L’agriculture biologique peut-elle faire monter la pression ?
Cette idée contre-intuitive est répandue, notamment chez les agriculteurs, car certaines cultures nécessitent des applications plus régulières si elles sont cultivées avec des produits compatibles avec l’agriculture biologique. Mais elle est inexacte. « L’indice de fréquence de traitement ne mesure pas juste le nombre de passages au champ, mais le nombre de passages à pleine dose, explique Aurélien Chayre, ingénieur agronome à Solagro. En vigne bio, il peut y avoir plus de passages de pulvérisateur, mais à des doses plus faibles et avec moins de produits dangereux. » En effet, le bio autorise beaucoup moins de molécules – quelques dizaines, contre plus de 250 en agriculture conventionnelle. « Cette différence est importante car la dangerosité ne vient pas seulement des substances individuelles, mais aussi de l’effet cocktail, lié au nombre élevé de molécules utilisées en conventionnel », souligne Aurélien Chayre.
En outre, dans l’agriculture bio, « seules certaines cultures comme la vigne, les fruits et les légumes, sont traitées, poursuit M. Chayre, et elles le sont environ deux fois moins qu’en conventionnel. » Pour ces cultures, « l’IFT est donc nettement plus faible, tandis qu’une grande partie des surfaces en grandes cultures ne reçoit aucun traitement ».Coordonné par Le Monde, le baromètre de la « pression pesticides » autour des établissements scolaires est le fruit d’une collaboration de plusieurs mois avec un collectif pluridisciplinaire, constitué d’une dizaine d’experts, parmi lesquels Adrien Guetté (maître de conférences en géographie de l’environnement à l’université de Tours), Aurélien Chayre (ingénieur agronome à Solagro), Colin Fontaine (chargé de recherche CNRS – Centre d’écologie et des sciences de la conservation), Matthieu Mancini (docteur en épidémiologie, ingénieur bio-informaticien), Benjamin Nowak (maître de conférences en agronomie à VetAgro Sup – UMR Territoires), Karine Princé (chargée de recherche au Centre d’écologie et des sciences de la conservation), Stanislas Rigal (chargé de recherche à la Fondation pour la recherche sur la biodiversité), et des scientifiques du Joint Research Centre de la Commission européenne. La méthodologie et les données issues de nos analyses sont publiques et consultables en ligne.