Retour sur la création d’un Observatoire de la répression des personnels hospitaliers

Interview du Pr Granger : « En France on laisse en repos ceux qui mettent le feu, et on persécute ceux qui sonnent le tocsin. Il faut inverser les facteurs ».

Aurélie Haroche| 17 Décembre 2025 https://www.jim.fr/viewarticle/interview-du-pr-granger-france-on-laisse-repos-ceux-qui-2025a1000zhi?ecd=wnl_all_251217_jim_daily-doctor_etid7963140&uac=477383MN&impID=7963140&sso=true

Le Professeur Granger et le Dr Mathieu Bellhasen viennent d’annoncer la création d’un Observatoire de la répression des personnels hospitaliers. Tant leur expérience personnelle que syndicale ont conforté les deux hommes dans l’idée d’une progression des sanctions disciplinaires non fondées au sein des établissements hospitaliers. Leur objectif est aujourd’hui de mieux documenter cette situation et de proposer des évolutions afin que les procédures soient plus équitables. Le Pr Granger revient pour nous sur ce projet. nullLISEZ LA SUITE CI-DESSOUS 

JIM.fr – Comment avez-vous décidé de créer cet Observatoire de la répression des personnels hospitaliers ?

Pr Bernard Granger – J’aurais une petite remarque préliminaire : j’ai constaté dans plusieurs journaux que le terme de répression avait pu être mis entre guillemets. Pour moi, cela n’a pas lieu d’être, car il nous semble que nous sommes véritablement face à des situations de répression. 

Le Dr Mathieu Bellahsen a le premier suggéré l’idée de cet observatoire, que j’ai trouvée excellente. null

En effet, nous constatons un durcissement de l’administration et des gouvernances en général. En se basant sur des reproches qui ne sont pas toujours fondés, dans une ambiance que l’on pourrait qualifier de guérilla ou de règlement de comptes, des praticiens isolés, qui sont souvent sans défense, sont de plus en plus durement ciblés. nullnull

Chaque situation est différente et évidemment complexe. Il faut surtout éviter de caricaturer, mais nous observons des comportements très injustes, qui sont parfois sanctionnés par les tribunaux. Et en dépit de ces décisions de justice, la répression ne cesse pas. Je l’ai constaté directement à de nombreuses reprises en tant que membres des instances de l’Assistance publique – Hôpitaux de Paris et souvent sollicité à ce titre, et Mathieu Bellahsen en a lui-même été victime.

Un des meilleurs exemples est celui de Mathieu Bellahsen puisqu’il a été démis de ses fonctions. Trois ans et demi après, le tribunal administratif lui a donné raison, a reconnu qu’il était lanceur d’alerte et que la mesure qui l’avait frappée sans qu’il puisse se défendre, n’était pas justifiée. La directrice à l’origine de cette sanction disciplinaire déguisée s’est empressée de faire appel.null

Renforcer par des données globales la crédibilité de ceux qui veulent analyser ce phénomène 

Notre objectif est de procéder à un recensement des différents autres cas de répression. 

Notre travail va se fonder sur la jurisprudence. Cette mission sera complexe compte tenu de la multiplicité des juridictions qui peuvent être impliquées : administratives, pénales ou ordinales, à quoi il faut ajouter les instances disciplinaires. Notre volonté est de nous fonder uniquement sur des décisions documentées, afin de ne pas entrer dans des situations insuffisamment investiguées ou à un stade trop précoce de leur développement.

Si nous savons qu’il y a de multiples affaires, l’absence de données globales ôte de la crédibilité à ceux qui veulent analyser le phénomène, en discerner les mécanismes et les méthodes, et dénoncer certains dysfonctionnements systémiques. 

JIM.fr – Vous vous consacrez à ces sujets depuis longtemps, puisque vous aviez été assez mobilisé au moment du suicide du Pr Mégnien. A votre avis, pourquoi ces situations sont-elles en augmentation ? 

Pr Bernard Granger – La situation de harcèlement dont a été victime le Pr Mégnien était un cas particulier et tragique, très emblématique. L’objet de notre observatoire est d’aller au-delà des cas particuliers dans une approche globale. Mais à l’époque, nous avions pu constater comment l’administration s’était initialement dédouanée de ses responsabilités, avant que la justice huit ans après prononce des condamnations contre l’hôpital et certains responsables, ceux que nous avions précisément dénoncés initialement. A l’exception d’un médecin, tous les condamnés ont fait appel.

En tant que président de l’Intersyndicat des médecins, chirurgiens, biologistes et spécialistes des hôpitaux de Paris, j’ai également eu à connaître beaucoup de situations difficiles, répressives, au sein de l’Assistance publique – Hôpitaux de Paris. Nous avons accompagné de nombreuses personnes et vu la façon parfois brutale et injustes avec laquelle l’institution les traitait. 

Le spectre de la loi HPST

Ainsi, bien que le travail de quantification reste à réaliser, il semble que le nombre de suspensions, le nombre de personnes démises de leurs fonctions, notamment des chefs de service, soit en augmentation. Depuis la loi hôpital, patients, santé, territoires (HPST) et l’accroissement des pouvoirs donnés à l’administration, ce type de mesures autoritaires a été favorisé. Auparavant, on cherchait, parfois sans succès, à trouver des accords, à aborder ces situations délicates de façon plus humaine. 

Et, concernant les chefs de service, il y a une très bonne raison : avant la loi HPST, ils étaient nommés par le ministre. Et pour démettre quelqu’un de ses fonctions, il faut que ce soit l’autorité de nomination qui le démette. Donc c’était de ce fait très rare. 

Aujourd’hui, l’autorité de nomination est composée du directeur et du président de la CME. Pour démettre un chef de service, cela peut donc prendre 48 heures, dès lors que les deux têtes de la gouvernance locale sont d’accord. 

Ainsi, a-t-on la suspension facile si l’on peut dire, alors que normalement, une telle décision doit répondre à un caractère de gravité et d’urgence, ce qui n’est pas toujours le cas. Et c’est d’ailleurs ce caractère abusif que les tribunaux administratifs finissent parfois par reconnaître, comme dans le cas de Mathieu Bellahsen. 

JIM.fr – Combien de témoignages avez-vous déjà reçu et quelles spécificités constatez-vous concernant les profils concernés ? 

Pr Bernard Granger – Depuis que nous avons annoncé la création de notre Observatoire le mercredi 10 décembre, en l’espace de quatre jours, nous avons déjà reçu plus d’une dizaine de signalements, certains fort documentés. Nous constatons bien qu’il existe différents dossiers dans lesquels des décisions favorables aux personnes concernées n’ont pourtant pas donné lieu au rétablissement de leur situation. Et ce lundi, nous avons reçu l’intéressant témoignage d’un directeur d’hôpital qui s’estime victime de répression pour avoir dénoncé une directrice finalement reconnue comme maltraitante, ce qui montre la diversité des profils. Pour le moment, nous ne disposons pas d’une vue assez large pour identifier des spécialités ou des profils plus à risque. Mais à travers les premiers témoignages que nous avons reçus, il apparaît que la chirurgie pourrait être assez touchée. 

JIM.fr – Votre observatoire se veut aussi force de proposition. Allez-vous prendre contact avec les autorités de tutelle ? Quelles mesures souhaitez-vous défendre ? 

Pr Bernard Granger – Bien sûr, mais il nous faut du temps pour mener ce long travail de recensement. Nous allons demander un rendez-vous à la ministre de la santé pour lui présenter notre observatoire et la sensibiliser à ces sujets. Quand notre travail sera plus abouti, quand nous aurons des propositions précises, nous pourrons alors les présenter aux parlementaires et à la personne qui sera alors en charge de la Santé. 

Nous espérons que ce recensement et cette analyse nous permettront d’appuyer différentes propositions. Certaines anomalies sont déjà parfaitement perceptibles. J’en citerai deux. 

Des enquêtes insuffisamment contradictoires et transparentes

En premier lieu, nous sommes sensibles à la façon dont sont conduites les enquêtes administratives. 

Quand, au sein d’un hôpital, un problème survient avec une personne en particulier, un service ou une équipe, ou qu’un transfert ou une suppression d’activité donne lieu à une contestation, l’hôpital est tenu de faire une enquête administrative. Malheureusement, la procédure de ces enquêtes laisse souvent à désirer, parce qu’elles ne sont pas suffisamment transparentes ni contradictoires. Il apparaît certain qu’il faudrait que ces enquêtes administratives s’appuient sur une méthodologie plus stricte et plus équilibrée. Par exemple, régulièrement quand quelqu’un est mis en cause, il cite différentes personnes à interroger, et ce n’est pas toujours fait, tandis que sont retenues, parfois sans une once de vérification, les déclarations de personnes à charge. Par ailleurs, régulièrement, la personne en cause ne peut pas avoir accès à l’enquête elle-même, l’obligeant à saisir la Commission d’accès aux documents administratifs (CADA), obtenant parfois des documents caviardés. Ce n’est nullement satisfaisant quand on est épris d’équité. 

Le second point à propos duquel nous aimerions faire évoluer les choses est la lenteur des procédures. Les procédures disciplinaires sont bien trop longues. Or, quand il faut organiser la réintégration de celui qui a été suspendu, deux, trois ou quatre ans après, c’est très ardu, voire impossible à réaliser dans de bonnes conditions. Souvent, d’ailleurs, on s’aperçoit que la répression continue avec de nouvelles suspensions ou des mesures de placardisation. Il est très probable que si les procédures étaient moins longues, les réintégrations seraient facilitées. 

Une lenteur délétère

Cette lenteur se constate également auprès des tribunaux administratifs, souvent saisis lorsqu’une personne conteste une décision considérée comme répressive. Il est exceptionnel d’obtenir une décision en référé, le tribunal administratif considérant le plus souvent que comme le personnel concerné reste payé, il n’y a aucune urgence à se prononcer. Certes, le personnel est rémunéré mais il est exclu de son milieu professionnel. Un membre du personnel hospitalier n’a pas vocation à être payé pour rester chez lui. Ainsi, de nombreuses situations se dégradent en raison de la longueur du processus judiciaire et on atteint un point de non-retour, alors que la personne concernée a pu être mise hors de cause ou a fait reconnaître l’injustice subie.LISEZ LA SUITE CI-DESSOUS 

Un autre point important que nous souhaitons exposer concerne le coût des procédures. Elles entraînent des frais d’avocat souvent considérables. La protection fonctionnelle a été instaurée pour y faire face. Il est essentiel que ce dispositif évolue. En effet, c’est le directeur d’établissement qui accepte ou non d’accorder la protection fonctionnelle. Or, il ne peut pas être juge et partie. Quand il est mis en cause, quand un conflit l’implique, il est paradoxal que ce soit lui qui soit en position de dire « c’est moi qui décide ou non si l’hôpital va vous payer vos frais d’avocat ».

Nous souhaitons œuvrer afin que tous ces processus soient plus équilibrés. Nous avons trop souvent le sentiment d’être face au fait du prince. 

JIM.fr – Vous souhaitez également mettre l’accent sur la médiation ? 

Pr Bernard Granger – De fait, trouver des solutions alternatives, afin d’éviter l’affrontement et la judiciarisation, est un autre de nos objectifs, inspiré entre autres de mon expérience au sein de la médiation nationale. A mon sens, il serait opportun de bien plus souvent utiliser ces méthodes de médiation qui sont plus pacifiques, plus rapides et qui peuvent même être préventives et plus généralement toutes les méthodes de résolution des conflits qui évitent que les oppositions deviennent irréductibles.

Créer un autre état d’esprit

La notion de médiation préventive est insuffisamment connue. Quand on peut prévoir l’émergence de difficultés, lors par exemple d’un changement de chef de service, un transfert d’activité, une fusion de services, la réintégration d’un ancien responsable, dans ces situations-là, on peut et il faut faire de la prévention, sans attendre les drames.

Dans d’autres cas, l’institution hospitalière doit traiter les signalements et les alertes comme la dénonciation d’anomalies parfois graves qu’elle doit corriger plutôt que comme une mise en cause à étouffer. Comme disait Chamfort au 18e siècle, « en France on laisse en repos ceux qui mettent le feu, et on persécute ceux qui sonnent le tocsin ». Il faut inverser les facteurs. 

Il est souhaitable de créer un autre état d’esprit, car nous assistons à une augmentation des affaires, lesquelles engendrent d’importantes souffrances psychologiques. Il est destructeur pour un agent de l’hôpital d’être l’objet de ce type de procédures répressives. Cela peut mener à des extrémités comme le suicide.

JIM.fr – Quelles sont les prochaines étapes ? Serez-vous épaulé de juristes pour mener à bien votre recensement ? nullLISEZ LA SUITE CI-DESSOUS 

Pr Benard Granger – Bien sûr. Nous allons constituer un comité scientifique. Nous souhaitons y associer des personnalités d’horizons variés. Des juristes en effet, notamment aussi parce que nous avons vocation à nous porter partie civile dans certaines affaires. Mais aussi des sociologues, des psychologues, des psychologues du travail, des spécialistes du management… Nous pourrions aussi associer des historiens s’intéressant à l’histoire de l’hôpital et des services publics.

Cette ambiance de répression et judiciarisation est assez nouvelle. Nous souhaitons être utiles à l’ensemble de la communauté hospitalière en favorisant l’instauration d’un climat plus apaisé, et la mise en œuvre de procédures plus respectueuses de la dignité humaine, de la vérité et de la justice.

Voir aussi:

https://environnementsantepolitique.fr/2025/12/12/inauguration-de-lobservatoire-de-la-repression-des-personnels-hospitaliers/

Publié par jscheffer81

Cardiologue ancien chef de service au CH d'Albi et ancien administrateur Ancien membre de Conseil de Faculté Toulouse-Purpan et du bureau de la fédération des internes de région sanitaire Cofondateur de syndicats de praticiens hospitaliers et d'associations sur l'hôpital public et l'accès au soins - Comité de Défense de l'Hopital et de la Santé d'Albi Auteur du pacte écologique pour l'Albigeois en 2007 Candidat aux municipales sur les listes des verts et d'EELV avant 2020 Membre du Collectif Citoyen Albi

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