Peut-on exiger des femmes de confession musulmane qu’elles retirent leur voile pour la photo de leur carte étudiante ou de leur carte de presse ? Non, a tranché la défenseuse des droits,

Interdiction de porter le voile sur la carte de presse ou étudiante : une mesure discriminatoire selon la défenseuse des droits 

17 décembre 2025 | https://info.mediapart.fr/optiext/optiextension.dll?ID=cXncViksmBf8ztOO-iE6-WVpK-NmN2arHXlWNkcl1FQd_w4FDK0aXNc2paWIl-UrCHrsTj96HD2bXqDXfac

Par David Perrotin

Dans un rapport sur les discriminations religieuses en France, la défenseuse des droits rappelle que les femmes de confession musulmane peuvent bien porter leur voile sur la photo d’identité de leur carte de presse ou de leur carte étudiante.

Peut-on exiger des femmes de confession musulmane qu’elles retirent leur voile pour la photo de leur carte étudiante ou de leur carte de presse ? Non, a tranché la défenses des droits, qui juge l’obligation « susceptible d’avoir un effet discriminatoire ». 

Dans un rapport publié le 4 décembre dernier, l’autorité indépendante révèle l’augmentation des discriminations religieuses en France visant principalement les musulmans et appelle à « une prise de conscience ». Dans ce document d’une centaine de pages, la défenseuse des droits, Claire Hédon, déplore des discriminations « trop souvent invisibilisées, voire banalisées, sous l’effet de discours stigmatisants visant certaines communautés religieuses » et livre des chiffresinquiétants à l’appui. 

Si 7 % des personnes sondées déclarent avoir fait l’objet de discriminations fondées sur la religion au cours des cinq dernières années, contre 5 % en 2016, le taux monte à 34 % chez les personnes musulmanes ou perçues comme telles (27 % en 2016), contre 4 % pour celles de religion chrétienne. Les femmes musulmanes, elles, sont 38 % à faire état de discriminations (contre 31 % pour les musulmans). 

Photomontage Armel Baudet © Mediapart

Au passage, Claire Hédon désavoue aussi la pratique de la Commission de la carte d’identité des journalistes professionnels (CCIJP), pointée en mai 2024 par Mediapart, qui impose aux journalistes de confession musulmane portant un voile de le retirer pour la photo d’identité de la carte de presse. 

Depuis 2022 en effet, la commission, composée d’employeurs et de syndicalistes, qui délivre les cartes de presse, a subitement refusé le port des signes religieux sur les photos d’identité. À lire aussiPour les journalistes qui portent un voile, de plus en plus d’obstacles

Plusieurs journalistes, qui avaient déjà raconté à Mediapart les multiples obstacles rencontrés dans des rédactions de plus en plus hostiles au port du voile, témoignent des conséquences de cette soudaine interdiction. Sans carte de presse, en effet, les reporters peuvent ne pas être pas accrédité·es sur certains événements officiels, être refoulé·es de certaines manifestations, ou ne pas pouvoir renégocier leur salaire. 

Interrogée à l’époque, la commission contestait toute discrimination et disait simplement s’appuyer sur son règlement. « La photographie d’identité produite doit répondre aux normesapplicables aux photographies figurant sur les cartes nationales d’identité et les passeports », précise désormais l’article 17 de la commission. 

En réaction, six associations, parmi lesquelles l’Association des journalistes antiracistes et racisé·e·s (Ajar), l’Association des journalistes LGBTI (AJL) et Prenons la une (PLU), avaient dénoncé dans une tribune « les discriminations inacceptables que subissent des journalistes dans l’obtention de la carte de presse ». Celles qui portent un voile mais aussi les personnes trans, contraintes d’inscrire leur nom de naissance au verso de la carte.

L’Ajar avait aussi balayé l’argument de la commission selon lequel l’interdiction s’appliquait à tous sans distinction. L’association avait recensé « une quarantaine d’exemples de cartes de presse dont la photo ne correspond pas aux exigences de la photo d’identité (lunettes, photo de profil, fond non uni) ». Mediapart avait par ailleurs comptabilisé près d’une trentaine de journalistes dans ses propres effectifs possédant une carte ne respectant pas les critères exigés. Sur certaines cartes, les photos ont plus de vingt ans d’ancienneté. 

Aucune loi ne permet ces interdictions

Dans son rapport, la défenseuse des droits conteste maintenant le fond de cette interdiction en s’appuyant sur le cas des écoles ou universités qui exigent elles aussi que la carte étudiante soit régie par les mêmes règles que la pièce d’identité. 

En avril 2022, l’institution a été saisie par une étudiante d’université à qui on avait refusé d’afficher une photo d’elle portant un foulard sur sa carte étudiante alors qu’elle peut librement le porter en cours. 

Dans sa décision, Claire Hédon rappelle pourtant que la jurisprudence limite le droit d’exiger des photographies « tête nue » aux titres expressément prévus par la loi. Cette obligation vaut donc seulement pour les cartes nationales d’identité, les passeports, les permis de conduire, la carte Vitale ou les titres de séjour pour les étrangers. En clair, aucun texte de loi n’exige des étudiant·es ou des journalistes qu’elles et ils figurent « tête nue » sur leur carte. 

Comme pour certaines universités, la commission de la carte d’identité des journalistes justifiait aussi cette mesure en invoquant la nécessité de pouvoir identifier rapidement les titulaires de la carte. « Toutefois, ces derniers sont libres de porter un signe religieux (voile, turban sikh, etc.) à l’université et de le conserver lors d’un éventuel contrôle de leur carte, rétorque la défenseuse des droits. Il apparaît donc plus cohérent et pratique que la photographie de la carte d’étudiant les représente tels qu’ils se présentent habituellement, y compris avec leur signe religieux. »

« D’apparence neutre, l’interdiction du port de tout couvre-chef sur les photographies des cartes d’étudiant est susceptible d’avoir un effet discriminatoire », ajoute Claire Hédon. Elle y voit une mesure qui n’est ni proportionnelle ni efficace, et surtout « constitutive d’une discrimination indirecte ». Et de conclure : « Ce même raisonnement a été appliqué par le Défenseur des droits au sujet des cartes de transport et pourrait l’être pour d’autres types de documents (par exemple, les cartes de presse). »

Sollicitée par Mediapart pour savoir si elle comptait faire évoluer son règlement et se mettre en conformité avec la loi, la CCIJP n’a pas donné suite. 

« Ce rapport conforte notre condamnation des règles de la CCIJP, se félicite le collectif d’associations qui avait lancé l’alerte. Malgré notre tribune, nos échanges avec la CCIJP, les syndicats et les organisations patronales qui la composent, la situation n’a pas changé. Nous continuons d’affirmer que les règles de la CCIJP sont discriminatoires et poursuivons la discussion avec les syndicats et les organisations d’employeurs, sans exclure des poursuites judiciaires. »

Fait étonnant à l’époque, aucun syndicat n’avait souhaité soutenir les journalistes qui dénonçaient une pratique islamophobe. Le Syndicat national des journalistes (SNJ), la CFDT Pigiste et le SNJ-CGT avaient tous refusé de signer la tribune publiée par l’Ajar et de soutenir les journalistes victimes de cette interdiction. 

Dans son rapport, Claire Hédon le rappelle pourtant : « Ces expériences emportent des effets dévastateurs sur les victimes (dégradation de la santé mentale [anxiété, stress, honte, perte de l’estime de soi, etc.], fragilité économique, sentiment de rejet de la société, dynamiques d’isolement), qui conduisent à leur tour à produire des effets sur la société dans son ensemble (méfiance envers les institutions, désengagement civique, retrait social…). »

Publié par jscheffer81

Cardiologue ancien chef de service au CH d'Albi et ancien administrateur Ancien membre de Conseil de Faculté Toulouse-Purpan et du bureau de la fédération des internes de région sanitaire Cofondateur de syndicats de praticiens hospitaliers et d'associations sur l'hôpital public et l'accès au soins - Comité de Défense de l'Hopital et de la Santé d'Albi Auteur du pacte écologique pour l'Albigeois en 2007 Candidat aux municipales sur les listes des verts et d'EELV avant 2020 Membre du Collectif Citoyen Albi

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