Perrier : malgré les contaminations, l’« avis favorable » des autorités de santé au maintien du label « eau minérale naturelle »
Dans un rapport remis au préfet du Gard et auquel « Le Monde » a eu accès, l’ARS Occitanie propose d’accéder à la demande d’autorisation déposée par Nestlé tout en préconisant « un contrôle sanitaire renforcé ».

Y aura-t-il du Perrier à Noël ? Alors que plus d’un million de bouteilles sont bloquées en raison de nouvelles contaminations bactériologiques, le préfet du Gard, où est implantée l’usine de la célèbre marque d’eau gazeuse, doit se prononcer dans les prochains jours sur la nouvelle demande d’autorisation d’exploitation déposée par Nestlé à l’été. Le géant de l’agroalimentaire peut-il, ou non, continuer d’exploiter les sources Perrier à Vergèze en tant qu’eau minérale naturelle ?
Pour prendre sa décision, le préfet a sollicité l’agence régionale de santé (ARS) d’Occitanie, chargée du contrôle de la qualité de l’eau en bouteille. Cette dernière lui a remis son rapport de synthèse et un projet d’arrêté préfectoral, le 3 décembre. Le Monde a pu consulter ces documents. Même s’ils peuvent encore faire l’objet de modifications à la marge, ils devraient conduire le préfet à donner son feu vert.
En dépit de la multiplication des épisodes de pollution, le directeur général de l’autorité sanitaire pour l’Occitanie, Didier Jaffre, propose d’accéder à la demande du groupe suisse tout en l’accompagnant d’une préconisation de « contrôle sanitaire renforcé ». Il recommande ainsi de suivre « l’avis favorable sous réserve » rendu le 24 novembre par l’hydrogéologue qu’il a mandaté pour une expertise technique et scientifique.
En avril, le même hydrogéologue avait pourtant rendu un avis « défavorable », estimant que la « pureté originelle » des sources Perrier n’était plus garantie. Pour pouvoir être commercialisée sous le label Eau minérale naturelle, une eau doit, en effet, être naturellement pure, c’est-à-dire protégée de toute contamination bactérienne ou chimique pouvant présenter un risque pour la santé.
Anticipant le veto du préfet, Nestlé avait alors retiré sa demande d’autorisation qui concernait cinq forages et déposé aussitôt une nouvelle demande : cette dernière, qui fait aujourd’hui l’objet de l’instruction des services de l’Etat, ne concerne plus que deux puits (Romaine VI et Romaine VII), Nestlé ayant décidé d’abandonner les trois autres, devenus impossibles à garder purs sans utiliser les traitements interdits (filtres à charbons actifs, UV puis microfiltrations) révélés par Le Monde et Radio France.
« Résultats illisibles »
Dans son rapport, l’ARS indique que si la « vulnérabilité » (le risque de contamination) de la nappe est « démontrée », les forages Romaine VI et Romaine VII restent « plus préservés » que les trois forages abandonnés en raison de « particularités géologiques locales ». Contactée, l’ARS justifie cette évolution de l’avis de « défavorable » à « favorable » en quelques mois par ces « nouvelles connaissances hydrogéologiques ».
L’autorité sanitaire admet toutefois que la « pureté originelle » des sources Perrier est « plus difficile à apprécier » et que« la situation reste fragile » comme l’illustre le dernier épisode de pollution. Fin novembre, Perrier a dû mettre plusieurs jours à l’arrêt le puits Romaine VII après la découverte, le 23 novembre, de Pseudomonas aeruginosa au niveau du forage. Cette bactérie peut être particulièrement dangereuse (pneumonie, septicémie) pour les personnes immunodéprimées. Par ailleurs, selon l’agence Santé publique France, elle est fréquemment responsable d’infections nosocomiales sévères dans les établissements de soins.
Ce n’est pas la première fois qu’elle est décelée en excès dans les eaux de Perrier. Le 20 novembre, la bactérie a été mise en évidence sur une ligne d’embouteillement. Depuis, 720 palettes (une palette peut contenir jusqu à 1 500 bouteilles) sont bloquées dans l’attente des résultats d’une analyse de confirmation. Un épisode précédent, le 3 septembre, sur une autre ligne, avait conduit Nestlé à détruire l’équivalent d’une heure de production, soit trente-quatre palettes.
Le 22 septembre, ce sont des coliformes qui sont retrouvées en excès. Depuis, 400 palettes sont toujours bloquées. Les coliformes sont des bactéries qui témoignent d’une contamination environnementale et donc d’une mauvaise protection d’un puits. En période pluvieuse, elles peuvent être accompagnées de bactéries fécales (Escherichia coli et entérocoques intestinaux). C’est ce qui s’était produit au printemps quand plusieurs centaines de milliers de bouteilles avaient été bloquées ou encore en avril 2024 quand Perrier avait dû en détruire 3 millions après des épisodes cévenols (importantes précipitations).
Selon les données transmises au Monde par l’ARS, entre le 30 avril et le 28 novembre, 28 dépassements des valeurs réglementaires sur les paramètres bactériologiques ont été recensés. Et c’est sans doute la partie émergée de l’iceberg. Dans son rapport, l’autorité sanitaire signale « des résultats illisibles fréquents pour E.Coli, coliformes et Pseudomonas (30 % à 35 % des analyses sur Romaine VI) ». Outre des bactéries, le document relève également des pollutions chimiques avec « la présence de traces de micropolluants (PFAS, chlorate, perchlorate) ». Et de son côté, l’hydrogéologue attire également l’attention sur « l’évolution à venir des concentrations en nitrates ». Le site de Perrier est entouré de parcelles agricoles, notamment les vignobles du costières-de-nîmes.
« Insuffisance » du nombre d’analyses
Comme l’ont révélé Le Monde et Radio France, face à ces contaminations, Nestlé a eu recours, avec l’assentiment du gouvernement et de l’Elysée, à un système de microfiltration illicite pour purifier son eau. Ces révélations ont finalement conduit l’Etat à demander, le 3 juillet, à Nestlé, de cesser d’utiliser la microfiltration à 0,2 micron (µm).
Le lendemain, le géant suisse annonçait, concomitamment à sa nouvelle demande d’autorisation d’exploitation, leur remplacement par des filtres à 0,45 µm. Lors d’un contrôle réalisé le 24 septembre, les inspecteurs de l’ARS ont vérifié que les filtres litigieux avaient bien été retirés.
Pour autant, le numéro un mondial des eaux en bouteilles a-t-il apporté la preuve que la microfiltration à 0,45 µm n’avait pas le même pouvoir désinfectant que celle à 0,2 µm ? Nestlé « n’a démontré que partiellement que les traitements de microfiltration à 0,45 µm n’avaient pas d’impact sur le microbisme naturel de l’eau ». L’ARS souligne « l’insuffisance »du nombre d’analyses réalisées avant et après la mise en place de la microfiltration à 0,45 µm et la « nécessité » de suivre son effet sur la qualité de l’eau sur un temps plus long, à des saisons différentes et notamment en période de forte chaleur.
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Plus globalement, l’ARS préconise la poursuite d’un « contrôle sanitaire renforcé » sur une période de deux ans pour les deux captages qui restent exploités avec un contrôle hebdomadaire des paramètres bactériologiques et un contrôle mensuel des paramètres virologiques en plus de la surveillance quotidienne assurée par Nestlé. Il est également proposé d’établir une « zone de plus forte vulnérabilité » autour des deux forages pour y limiter les « activités à risque ».
« Les enjeux du territoire (plaine avec activités humaines) et l’évolution climatique (épisodes méditerranéens, fortes chaleurs, sécheresse) pourraient rendre l’exploitation de forages à des fins d’eau minérale encore plus difficile sur ce secteur », prévient toutefois l’autorité sanitaire. Aussi, l’ARS « défend une exploitation raisonnée de la nappe » et suggère de « limiter la démultiplication des forages ». Perrier, dont les puits (huit, initialement) se sont réduits comme peau de chagrin, cherche de nouveaux forages pour continuer à produire des eaux minérales naturelles. A Vergèze, on rappelle aussi que Nestlé est en quête d’un partenaire pour se délester de sa division eaux.