La stratégie de sécurité nationale américaine, n’est qu’un manifeste politique du mouvement MAGA,

Comment le monde trumpiste applique à l’Europe sa propre obsession du déclin

Analyse

Publiée le 5 décembre par l’administration américaine, la stratégie de sécurité nationale, manifeste politique du mouvement MAGA, égratigne les Européens et révèle sa conception excluante et restrictive de la civilisation occidentale, reposant sur la famille traditionnelle blanche et l’identité chrétienne.

Publié le 12 décembre 2025 à 05h30, modifié le 12 décembre 2025 à 10h32  https://www.lemonde.fr/idees/article/2025/12/12/comment-le-monde-trumpiste-applique-a-l-europe-sa-propre-obsession-du-declin_6656971_3232.html

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Il faut prendre au sérieux la stratégie de sécurité nationale, publiée le 5 décembre par la Maison Blanche. Les Européens ont été choqués de lire qu’ils étaient engagés dans un « effacement civilisationnel ». Mais la nature du document, manifeste politique du mouvement MAGA (Make America Great Again), explique sa faiblesse conceptuelle. Il ne tient pas compte des grands bouleversements géopolitiques, climatiques et technologiques en cours. Il ne parle pas des menaces cyber, de l’avènement ambivalent et brutal de l’intelligence artificielle, du terrorisme. Il préfère se focaliser sur des obsessions identitaires et en dit davantage sur l’Amérique que sur le monde tel qu’il est.

Ce programme prétend au bon sens et se veut la seule façon de réhabiliter une identité nationale, une économie vulnérable, la dignité de ceux qui ont souffert de la crise financière en 2008-2009, de la désindustrialisation, de l’ère du Covid-19. Un Occident en déclin y apparaît, vu par les seules lunettes déformantes des préjugés raciaux, de la chrétienté et du nationalisme. Une Amérique brutalisant ses alliés, plutôt qu’affrontant la menace constituée par ses rivaux, à commencer par la Chine.

Sans alliés, sans parole, sans principes, où va l’Amérique ? Elle se rabougrit. L’idée d’une « internationale réactionnaire », pour reprendre l’expression d’Emmanuel Macron, n’est pas une alternative viable à terme, même si la vague du populisme nationaliste venait à balayer le continent européen. C’est une promesse de fragmentation occidentale.

Notion de hiérarchie

La Chine comme la Russie peuvent se réjouir. La complaisance à leur égard dans la stratégie de sécurité nationale les conforte dans l’idée que la fin de l’hégémonie américaine est d’abord un processus d’autodissolution. Ils rêvent depuis longtemps de la fin de ce modèle reposant sur les valeurs libérales honnies, la démocratie et la libre concurrence. On en est loin. Mais tout n’est pas qu’affaire d’indicateurs économiques. Lorsqu’on cesse d’être respecté, voire admiré, et qu’on ne suscite que la crainte ou l’exaspération, ne faut-il pas parler d’un basculement ?

Dans The Atlantic, le 8 décembre, Thomas Wright, expert à la Brookings Institution, résumait l’affaire : « La stratégie de sécurité nationale est une feuille de route pour construire un ordre international illibéral, dans lequel les Etats-Unis affirment leur dominance de façon unilatérale, concluent des accords avec des puissances révisionnistes comme la Chine et la Russie, et travaillent patiemment pour soutenir des partis populistes de droite en Europe afin de renverser les élites centristes. On peut appeler cela un idéalisme dystopique. »

Lors d’une manifestation en soutien au militant d’extrême droite Tommy Robinson, à Londres, le 13 septembre 2025.
Lors d’une manifestation en soutien au militant d’extrême droite Tommy Robinson, à Londres, le 13 septembre 2025.  CARLOS JASSO/AFP

L’idéologie « America first » (« L’Amérique d’abord ») croit dans la notion de hiérarchie. Elle suppose une forme de darwinisme géopolitique, de fatalité de destin pour les petits, contraints de chercher une protection conditionnée ou d’être dévorés. Ainsi, l’Ukraine est certes courageuse, mais elle doit admettre son infériorité face à Moscou, estimait une nouvelle fois Donald Trump, le 9 décembre, dans un entretien à Politico. Le droit international, dans cette perspective, est une relique.

L’autre hiérarchie est identitaire. Elle repose sur une obsession de pureté, un rejet de l’altérité. Le texte élargit à l’ensemble de l’Occident certaines obsessions MAGA sur l’Amérique. Soit l’idée d’une décadence, d’une perte de respect envers soi-même et par autrui. Ce n’est pas de la lucidité, mais un mélange d’angoisses réelles au sein d’une partie de la population et de pure manipulation, dans laquelle le réseau X d’Elon Musk joue un rôle majeur.

Relais MAGA identifiés

Si les démocrates aux Etats-Unis ont gravement sous-traité la question migratoire, s’exposant aux accusations de laxisme, le camp trumpiste verse dans l’excès inverse. Il en fait une menace existentielle. Un sondage de Gallup, en juin, a pourtant montré que l’immigration est considérée comme une bonne chose par 79 % des Américains, le plus haut niveau depuis vingt-cinq ans. Mais l’approche idéologique de l’administration américaine relève d’une définition excluante et restrictive de la civilisation occidentale, reposant sur la famille traditionnelle blanche et l’identité chrétienne. Le catholicisme nataliste de J. D. Vance pèse d’un poids inédit, après l’influence des évangéliques sous le premier mandat Trump (2017-2021).

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Abandonner à cette droite identitaire la question des frontières, de la criminalité, du patriotisme et de la protection des productions nationales serait une forme de suicide pour les pro-européens. C’est justement au nom du patriotisme que les ingérences américaines dans les cycles électoraux à venir doivent être dénoncées. Si les opérations russes de déstabilisation ont avancé masquées, derrière des hordes de comptes anonymes, les relais MAGA en Europe sont identifiés et puissants.

Au Royaume-Uni, c’est le militant Tommy Robinson et le parti Reform UK de Nigel Farage. En Allemagne, c’est le parti Alternative pour l’Allemagne (AfD). En France ? Pour l’heure, le Rassemblement national, qui prétend à la notabilisation, n’a pas de liens étroits et de vraie connivence avec le monde trumpiste, contrairement à la députée européenne Sarah Knafo (groupe L’Europe des nations souveraines) ou à Giorgia Meloni, la présidente du conseil italien. Mais les objectifs communs suscitent vite des convergences.

« Cultiver la résistance à la trajectoire actuelle de l’Europe » est un objectif affiché par la stratégie de sécurité nationale, qui promet de s’opposer « aux restrictions antidémocratiques, poussées par les élites, sur les libertés fondamentales en Europe ». Le monde MAGA voit l’Union européenne comme une entité hostile, à saborder. Un Léviathan illégitime, étouffant les peuples, d’autant qu’elle ose s’en prendre aux géants de la tech américains en leur imposant un code de bonne conduite. Ainsi se dessine une tromperie d’ampleur : un discours attaquant les élites traditionnelles, pétrifiées, pour mieux défendre les plus grandes fortunes actuelles, qui ne supportent plus de contraintes.

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Publié par jscheffer81

Cardiologue ancien chef de service au CH d'Albi et ancien administrateur Ancien membre de Conseil de Faculté Toulouse-Purpan et du bureau de la fédération des internes de région sanitaire Cofondateur de syndicats de praticiens hospitaliers et d'associations sur l'hôpital public et l'accès au soins - Comité de Défense de l'Hopital et de la Santé d'Albi Auteur du pacte écologique pour l'Albigeois en 2007 Candidat aux municipales sur les listes des verts et d'EELV avant 2020 Membre du Collectif Citoyen Albi

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