Savoir comment est dépensé l’argent public : un droit bafoué

Image COULISSES.
Savoir comment est dépensé l’argent public : un droit bafoué
Par Michaël Hajdenberg, coresponsable du pôle Enquête. 
enquete@mediapart.fr
Rarement un article de Mediapart aura suscité autant de reprises dans la presse locale. Le travail de recherche du journaliste Pierre Januel, cartographié par Donatien Huet, sur les frais de représentation des maires en France a suscité des réactions un peu partout dans le pays. 

Les citoyen·nes ont appris que des élu·es s’octroyaient chaque année de généreuses enveloppes de frais, sans qu’ils ou elles aient à produire de justificatifs, sans que personne ne les contrôle. En toute opacité. 

Ces données n’étaient pas cachées. Elles étaient enfouies. Pierre Januel est allé les déterrer, comme il en a pris l’habitude depuis environ huit ans. 
Car c’est un type d’investigation assez spécifique qu’a développé ce journaliste indépendant, qui travaille régulièrement pour Mediapart et pour d’autres publications. « Les gens s’imaginent que le journalisme d’enquête, c’est forcément une source qui vous remet une enveloppe kraft avec de précieux documents à l’intérieur. Mais il y a une autre voie pour obtenir des informations que des institutions ne souhaitent pas diffuser. »


Au fond, Pierre Januel ne fait que mettre en application un droit consacré par la Constitution, le droit à la transparence. L’article 14 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen énonce que « tous les citoyens ont le droit de constater, par eux-mêmes ou par leurs représentants, la nécessité de la contribution publique ». L’article 15 complète : « La société a le droit de demander compte à tout agent public de son administration. »

Un simple silence. Un refus plus explicite. Peu importe. Dans les administrations comme dans les ministères, les portes sont généralement fermées à double tour, « alors que, normalement, il faut de sérieux arguments pour justifier une exception. Avec des notes de frais, on ne demande quand même pas des secrets-défenses, ce ne sont pas des factures liées à la dissuasion nucléaire ». La ville de Paris a longtemps objecté que ces notes de frais relevaient de la vie privée. « Mais, par définition, l’usage de l’argent public ne peut pas relever de la vie privée. »

Pour les journalistes, il faut dès lors se battre pour obtenir des données. Face à la mairie de Paris, c’est un journaliste néerlandais, Stefan de Vries, qui a introduit les recours. Des démarches longues, énergivores, coûteuses, surtout pour un journaliste indépendant. En 2022, une Association de journalistes pour la transparence est née. Elle a pu venir en aide au journaliste hollandais pour rémunérer un avocat devant le Conseil d’État. Mais combien abandonnent en cours de route ? Combien renoncent dès le départ quand ils savent qu’ils ne décrocheront leur potentiel scoop que dans quelques années ? Que vaudra encore l‘éventuelle information ? Car le refus de communiquer des autorités arrange bien ces dernières, qui jouent la montre. Pour un ou une élue, ce n’est évidemment pas la même chose de voir publier ses notes de frais pendant une campagne municipale, avec la possibilité que l’opposition s’en empare, ou trois ans plus tard, au milieu du mandat suivant, quand la tension et l’attention sont retombées. « La France ne reconnaît pas le caractère d’urgence, regrette Pierre Januel. Dans certains pays, il existe des procédures rapides. Quand l’importance de l’information le justifie, il devrait être possible d’introduire un référé pour aller vite. »

Aux États-Unis ou en Scandinavie, la culture de la transparence administrative est beaucoup plus développée. L’Union européenne est également plus rapide et plus claire pour répondre aux demandes. En France, il faut s’armer de patience. Il y a six ans, Pierre Januel a demandé à Chambord qui participait aux chasses présidentielles, qui était invité à ces joyeusetés « avec notre argent ». Une curiosité bien placée. Mais pas du goût de l’Élysée ni du domaine de Chambord. Commence alors le processus habituel. L’administration a un mois pour répondre. Si elle ne le fait pas, le journaliste saisit la Commission d’accès aux documents administratif (Cada), qui met généralement trois ou quatre mois à statuer avant d’émettre un avis seulement consultatif. « La Cada joue presque un rôle de médiateur, car, historiquement, elle a plus été pensée pour les citoyens qui avaient besoin de récupérer un dossier médical ou un permis de construire. Pas pour les journalistes », observe Pierre Januel. Résultat : même quand la Cada estime que la demande est légitime, les autorités refusent fréquemment d’y accéder, considérant qu’elles n’ont pas à livrer des éléments préparatoires à une décision, ou que cela relève du secret des affaires. Il faut alors saisir le tribunal administratif, puis finir avec les procédures d’appel devant le Conseil d’État pour faire plier les récalcitrants. Pour les chasses de Chambord, « l’affaire est maintenant devant la Cour européenne », raconte Pierre Januel, qui n’est pas du genre à lâcher. « On m’a objecté que chasser à Chambord impliquait d’avoir un permis de chasse et que ce permis relève de la vie privée. C’est d’autant plus bizarre que le directeur de Chambord a un jour expliqué dans une interview qu’il n’exigeait pas le permis de chasse pour ces battues. »

Ces dernières années, Pierre Januel a révélé un grand nombre de rapports et de données. « Mais ce n’est pas un journalisme très valorisé, regrette-t-il. Souvent, on me dit que je n’ai rien “révélé” ou alors on ne me cite pas quand on reprend mon travail, au motif que les données sont publiques. Peut-être ! Mais je dis au confrère : “Tu les aurais trouvées, toi ?” »

Un manque de reconnaissance d’autant plus étonnant que ces démarches ont abouti à de spectaculaires découvertes ces dernières années. Exemple le plus célèbre : à Grenoble, un simple citoyen, Raymond Avrilier, a fait tomber à lui seul le système du maire Alain Carignon dans les années 1990, en obtenant des documents partout où il le pouvait et en établissant ainsi un système corruptif. À Mediapart, Mathilde Mathieu a mené un long combat (gagnant) pour obtenir les procédures contradictoires dans l’examen des comptes de campagne des candidat·es. Plus récemment, on pourrait citer les sondages du gouvernement (SIG) dans Le Monde, les parachutes dorés de la Caisse des dépôts ou les rendez-vous des lobbystes à l’Élysée. En 2022, la publication par le ministère de l’éducation nationale des indices de position sociale (IPS) des établissements scolaires, à la suite d’un recours formé par le journaliste Alexandre Léchenet, alors à La Gazette des communes, a eu un écho considérable. Pour les frais de représentation, Pierre Januel n’a pas eu besoin de se lancer dans un long contentieux. À force d’éplucher les documents administratifs, il a acquis certains réflexes. Et quand il a vu monter la polémique sur les frais d’Anne Hidalgo, plutôt que d’interroger les communes une par une, il a eu l’idée de regarder en « open data » (sources ouvertes) la balance comptable de l’ensemble des communes et d’y repérer les frais de représentation. « C’est une ligne précise, la ligne 65316. On sait combien les communes octroient au maire. » Cela ne dit pas le détail, si les élu·es se sont payé un costume, du champagne, ont fait des dépenses plus légitimes ou si ces édiles ont juste encaissé l’argent. « Mais j’ai découvert que des élus de toutes petites communes avaient des frais plus importants que la maire de Paris ! Ou que, dans certaines zones géographiques, comme le Var ou les Alpes-Maritimes, il y avait vraiment des frais très importants sans que l’on puisse comprendre pourquoi. »

À quelques mois des municipales, ces données ne font pas que nourrir le débat public. Certain·es élu·es ont déjà annoncé qu’ils et elles renonçaient à une grande partie de ces frais.

Transparence et probité —  Data

Le palmarès des maires qui usent et abusent des frais de représentation

Mediapart publie la carte des communes et intercommunalités où les frais de représentation étaient les plus élevés en 2024. Cette catégorie de frais de mandat, sans justificatifs, est propice aux abus. D’autant que les contrôles sont rares, les remboursements exceptionnels et les sanctions inexistantes.

Donatien Huet  et Pierre Januel

3 décembre 2025 à 18h32 https://www.mediapart.fr/journal/france/031225/le-palmares-des-maires-qui-usent-et-abusent-des-frais-de-representation?utm_source=enquete-20251213-083006&utm_medium=&utm_campaign=&utm_content=&utm_term=&xtor=EREC-83-[ENQUETE]-enquete-20251213-083006&M_BT=3447894671424

Les « frais de représentation » : cette catégorie de dépenses, jusqu’alors largement passée sous les radars, a surgi depuis quelques mois dans le débat public. Plus précisément depuis qu’Anne Hidalgo a été forcée, par plusieurs décisions judiciaires, à révéler les factures de certains de ses achats. Les robes de luxe de la maire de Paris ont beaucoup fait parler. En réponse, la ville a communiqué les notes des maires d’arrondissement révélant que des élu·es avaient utilisé ces frais pour du shopping à New York ou des achats de maillots de bain.

Pierre Januel raconte son enquête en 5 minutes

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Mais au moins, à Paris, il y a des justificatifs. En se plongeant dans les règles et les pratiques régissant ces frais de représentation ailleurs en France, Mediapart a découvert que les conseils municipaux peuvent voter, grâce à cette catégorie magique, une enveloppe mensuelle qui peut ensuite être utilisée par les élu·es sans qu’ils ou elles aient à fournir d’explication ou de justification.

Ces frais remboursés s’ajoutent à ceux déjà existants et permettant aux maires d’exercer leur mandat dans des conditions convenables : le remboursement des frais de transport, de repas et de séjour pour se rendre à des réunions ; les frais d’aide à la personne (garde d’enfants, assistance aux personnes âgées pendant des réunions municipales, etc.) ; les frais de secours (en cas d’urgence), les frais liés à l’exercice d’un mandat spécial (frais engendrés par une manifestation, une exposition, un festival).

Illustration 2
© Photo Nicolas Guyonnet / Hans Lucas via AFP

Le champ des frais liés au mandat étant ainsi déjà très largement couvert, que peuvent donc encore recouvrir les frais de représentation ? En réalité, il n’en existe pas de définition claire : s’ils incluent un déjeuner avec une personnalité ou des cadeaux protocolaires, vont-ils jusqu’aux vêtements de luxe et aux soins de beauté ? La loi est silencieuse, et certain·es élu·es en profitent, se faisant rembourser pour 35 000 euros de vêtements ou la pose de faux cils.

Ces cas déjà médiatisés ne permettent cependant pas d’avoir une vue d’ensemble du phénomène. Mediapart a donc épluché ces dépenses qui font l’objet d’une ligne distincte de la comptabilité publique : il est possible de savoir quelles sont les communes qui déclarent les utiliser dans les balances comptables.

Au total, 2,9 millions d’euros ont été dépensés. 1 287 maires et président·es d’établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) déclarent de tels frais, avec un montant médian de 622 euros par an. Mais il y a d’importantes disparités.

De seulement 5 à près de 37 000 euros : les 1 287 communes et intercommunalités ayant engagé des frais de représentation en 2024

En rouge, les communes ; en bleu, les intercommunalités

 Page 1 sur 65  

CollectivitéDépartementFrais en 2024
Métropole Nice Côte d’AzurAlpes-Maritimes36 95036 95036 950
BeausoleilAlpes-Maritimes24 00024 00024 000
Cavalaire-sur-MerVar24 00024 00024 000
ChartresEure-et-Loir24 00024 00024 000
CogolinVar24 00024 00024 000
Le TamponLa Réunion22 50022 50022 500
Palavas-les-FlotsHérault22 19722 19722 197
Évry-CourcouronnesEssonne20 00020 00020 000
Petit-BourgGuadeloupe20 00020 00020 000
Remire-MontjolyGuyane20 00020 00020 000
La GardeVar20 00020 00020 000
Maire de Paris*Paris19 00519 00519 005
Chartres MétropoleEure-et-Loir18 00018 00018 000
GrimaudVar18 00018 00018 000
Saint-TropezVar18 00018 00018 000
Communauté d’agglomération de La RochelleCharente-Maritime16 29716 29716 297
LiévinPas-de-Calais15 99815 99815 998
JoignyYonne15 96015 96015 960
Aix-en-ProvenceBouches-du-Rhône15 00015 00015 000
Communauté d’agglomération du SudLa Réunion15 00015 00015 000

*En ce qui concerne Paris, seuls les frais d’Anne Hidalgo ont été pris en compte (les dépenses totales s’élèvent en 2024 à 208 284 euros pour la maire de Paris et les dix-sept maires d’arrondissement, qui disposent d’un plafond annuel de 11 092 euros).

Tableau: MediapartSource: ministère de l’économieCréé avec Datawrapper© Infographie Mediapart

Si on met le cas de Paris à part (l’ensemble des maires d’arrondissement et adjoint·es cumulent 208 284 euros), se trouve juste derrière le président de la métropole Nice-Côte d’Azur, Christian Estrosi, avec 36 950 euros. Contactée par Mediapart, la métropole n’a pas souhaité fournir les justificatifs. L’élu s’appuie sur une délibération du bureau métropolitain du 23 juillet 2020, qui autorise la prise en charge de ses frais de représentation en plus de ses frais de repas, de réception, de séjour et de déplacement, dans une limite correspondant « à 71 % de l’indice majoré annuel le plus élevé de l’EPCI ». Un montant opaque, qui tourne chaque année autour de 37 000 euros.

Après la publication de cet article, le cabinet de Christian Estrosi a finalement répondu à nos questions, indiquant que le Niçois a remboursé 20 855,38 euros de frais non utilisés en janvier – sans toutefois communiquer les notes de frais demandées. Les frais 2024 s’élèvent donc dans ce cas à 16 094,62 euros.

Suivent ensuite des communes plus petites : ainsi les maires de Chartres (38 000 habitant·es, Eure-et-Loir), de Beausoleil (12 400, Alpes-Maritimes), de Cogolin (12 000, Var) et de Cavalaire-sur-Mer (7 895, Var) ont perçu 24 000 euros pour leurs frais. C’est plus qu’Anne Hidalgo, qui a dépensé, en 2024, 19 006 euros. Paris compte 2,1 millions d’habitant·es, trente fois plus que ces quatre communes réunies.

À 20 000 euros annuels, on trouve les maires du Tampon (La Réunion), de Palavas-les-Flots (Hérault), d’Évry-Courcouronnes (Essonne), de Petit-Bourg (Guadeloupe) et de Remire-Montjoly (Guyane). Dans 129 collectivités, les frais sont supérieurs à 6 000 euros. Un phénomène particulièrement concentré en Provence-Alpes-Côte d’Azur, Île-de-France et outre-mer – deux régions n’ont en revanche aucun·e élu·e concerné·e : la Bretagne et la Corse.

De nombreuses communes du littoral varois sont concernées. Ainsi David Rachline, le maire Rassemblement national de Fréjus, et Marc-Étienne Lansade, le maire Reconquête déchu de Cogolin, ont déclaré 9 688 euros et 24 000 euros. On trouve aussi La Garde (20 000 euros), Saint-Tropez et Grimaud (18 000 euros), Bormes-les-Mimosas et Le Lavandou (12 000 euros).

Frais de représentation : 129 collectivités ont dépensé au moins 6 000 euros (soit 500 euros mensuels) en 2024

Commune

Intercommunalité

Montant des frais de représentation6k36k

Pour une meilleure lisibilité, les cinq départements d’outre-mer apparaissent rapprochés géographiquement au pied de l’Hexagone.
En ce qui concerne Paris, seuls les frais d’Anne Hidalgo ont été pris en compte (les dépenses totales s’élèvent en 2024 à 208 284 euros pour la maire de Paris et les dix-sept maires d’arrondissement, qui disposent d’un plafond annuel de 11 092 euros).

Carte: MediapartSource: ministère de l’économieCréé avec Datawrapper© Infographie Mediapart

L’élu qui a les frais de représentation les plus élevés est un cumulard : Jean-Pierre Gorges, maire de Chartres, perçoit en effet 24 000 euros de frais de représentation de la ville et 18 000 euros de l’agglomération. Et ce, sans un justificatif. La situation a récemment fait l’objet d’un article de France 3.

Contacté fin octobre, son cabinet a assuré que ces justificatifs n’existaient pas, « le maire de Chartres n’ayant, par frugalité, jamais présenté une seule note de frais en remboursement à la ville de Chartres ni à Chartres métropole, en vingt-cinq ans de mandat ».

Pour Jean-Pierre Gorges, ces frais de représentation mensuels de 3 500 euros s’ajoutent aux 8 200 euros d’indemnités de fonction. En théorie, un élu ne peut pas toucher, toutes indemnités cumulées, plus de 8 900 euros. Au-delà, il doit reverser l’argent.

L’avantage des frais de représentation, c’est qu’ils ne sont pas comptabilisés dans ce plafond, le cumul de Jean-Pierre Gorges est donc légal, même si cela reste une conception assez originale de la « frugalité ».

Contrôles peu fréquents, remboursements rarissimes

Si la prise en charge des frais de représentation ne se fait pas obligatoirement sur justificatif, la Cour des comptes prévoit toutefois que le maire doit les conserver en cas de contrôle. Il faut pouvoir prouver que les frais réellement exposés sont supérieurs à l’enveloppe versée. Car cela signifierait sinon qu’il s’agit d’une rémunération déguisée, assujettie à l’impôt sur le revenu.

C’est aussi ce qu’a rappelé le gouvernement en 2023, dans une réponse à une question écrite : « les maires concernés doivent conserver toute pièce justificative des dépenses engagées au titre de l’indemnité dite de représentation » en cas de contrôle.

Mais cette obligation n’est formellement prévue par aucun texte. Et les contrôles sont rares. Quand ils ont lieu, les justificatifs sont rarement retrouvés. En 2022, la chambre régionale des comptes (CRC) avait épinglé le maire de Meaux, Jean-François Copé. Depuis 2002, ce dernier percevait 1 000 euros mensuels pour les frais de représentation. Soit 228 000 euros en dix-neuf ans.

La CRC s’est étonnée de l’absence de justificatifs. Dans sa réponse, Jean-François Copé contestait que le droit lui impose de les conserver, regrettant que la chambre « paraisse instiller un doute ». Toutefois, à la suite du contrôle, l’indemnité de 1 000 euros a été supprimée, sans qu’il y ait eu de demande de remboursement auprès de l’élu.

Frais de représentation élevés : les maires de droite en force

Couleur politique des maires les plus dépensiers. Sont prises en compte les 129 collectivités ayant dépassé 6 000 euros de frais en 2024, soit au moins 500 euros mensuels.

Gauche

Centre

Droite

et extrême droite

Les Républicains

38

Divers droite

26

Parti socialiste

16

Divers gauche

14

Sans étiquette

9

Parti communiste français

6

Union des démocrates et indépendants

4

Horizons

4

Divers centre

4

Renaissance

3

Rassemblement national

2

Reconquête

1

Mouvement démocrate

1

Les Écologistes

1

Graphique: MediapartSource: ministères de l’économie et de l’intérieurCréé avec Datawrapper© Infographie Mediapart

Car si les contrôles sont peu fréquents, les remboursements sont rarissimes. En août, la CRC s’est penchée sur le cas de Jean-Michel Fourgous, maire Les Républicains d’Élancourt (Yvelines). Percevant 10 000 euros par an, il n’a été en mesure de fournir des justificatifs que pour 31 % des dépenses. Il s’est engagé à rembourser le reste.

Autre édile pointé du doigt, le maire UDI du village de Couzon-au-Mont-d’Or (Rhône). Comme l’a raconté Mediacités, le centriste touchait 250 euros par mois de frais. Or, il n’a pu justifier correctement que 171 euros sur les 9 000 perçus entre 2018 et 2020. Dans sa réponse, le maire, qui rappelait qu’il ne touchait pas d’indemnités de fonction, s’est engagé à rembourser le reste.

En clair, un maire a peu de chances d’être contrôlé. Et s’il a triché, il devra rembourser, sans risque d’être sanctionné. Un peu comme si, arrêté par des policiers, il suffisait de rendre le butin pour pouvoir tranquillement continuer son chemin.

Élargir les bénéficiaires

Mediapart a contacté plusieurs maires pour obtenir les justificatifs, et n’en a obtenu aucun. Souvent, il y a zéro réponse. Les maires de Saint-Tropez ou de Cogolin ont indiqué n’avoir pas de documents. Le maire de Remire-Montjoly, Claude Plénet, a assuré que si 20 000 euros lui avaient été versés pour 2024, aucune dépense de représentation n’avait été faite. L’édile divers gauche indique qu’il rétrocédera la somme à la commune, précisant que pour 2023 il avait rétrocédé 19 388 des 20 000 euros qu’il avait reçus. Un système complexe, alors qu’il suffirait d’un remboursement sur justificatif.

Christian Jeanjean, le maire de Palavas-les-Flots, a assuré qu’il tenait précisément une comptabilité de ses 20 000 euros annuels, mais qu’il se refusait à les communiquer en raison de la période préélectorale, indiquant qu’elle « pourrait être utilisée à des fins de propagande électorale » sans qu’il puisse s’en expliquer publiquement, « tenu par [ses] obligations en matière de communication ». Il ne propose qu’une consultation sur place, à Palavas-les-Flots.

Les élus craignent en effet que leurs opposants se saisissent de la problématique des frais, comme à Leucate (Aude), où une plainte a récemment été déposée.

À LIRE AUSSINotes de frais d’Anne Hidalgo : le déni de la maire de Paris et l’hypocrisie des autres partis

28 septembre 2025

La loi est lacunaire. Mais, alors qu’il faudrait mieux encadrer les frais de représentation, le législateur a récemment tenté de les… élargir. L’initiative était contenue dans la proposition de loi sur le statut des élu·es, un texte issu du Sénat à l’attention de ses grands électeurs, et qui prévoit notamment de distribuer des trimestres gratuits aux élu·es locaux en vue de leur retraite.

Aujourd’hui, la loi ne prévoit pas de frais de représentation pour les président·es de région et de département. Or, Hervé Morin, qui dirige la région Normandie, avait été épinglé par la CRC en 2023 pour s’être fait rembourser 6 000 euros par an. Les sénateurs et sénatrices avaient adopté un article 6 qui envisageait d’étendre les frais de représentation aux président·es de département et de région.

À l’Assemblée, les député·es Blandine Brocard (MoDem) et Carlos Martens Bilongo (La France insoumise) ont fait supprimer l’article, considérant que ces élu·es bénéficient déjà de ressources importantes. En seconde lecture, les sénateurs et sénatrices n’ont pas osé y revenir. Peut-être pour éviter de braquer les projecteurs sur cette appréciable opacité.

Donatien Huet  et Pierre Januel

Publié par jscheffer81

Cardiologue ancien chef de service au CH d'Albi et ancien administrateur Ancien membre de Conseil de Faculté Toulouse-Purpan et du bureau de la fédération des internes de région sanitaire Cofondateur de syndicats de praticiens hospitaliers et d'associations sur l'hôpital public et l'accès au soins - Comité de Défense de l'Hopital et de la Santé d'Albi Auteur du pacte écologique pour l'Albigeois en 2007 Candidat aux municipales sur les listes des verts et d'EELV avant 2020 Membre du Collectif Citoyen Albi

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