Les nouvelles techniques génomiques: une dangereuse privatisation du vivant.

« En autorisant les “nouveaux OGM”, l’UE organise la dépendance, au lieu de construire la résilience »

Tribune

Dans une tribune au « Monde », les députés écologistes Benoît Biteau et Lisa Belluco, l’eurodéputée Marie Toussaint et la figure des luttes paysannes José Bové s’élèvent contre l’accord en faveur de l’introduction de nouvelles techniques génomiques, qu’ils décrivent comme une dangereuse « privatisation du vivant ».

Publié hier à 14h00, modifié hier à 15h14  Temps de Lecture 4 min.

Dans la nuit du 3 au 4 décembre, les institutions européennes ont passé un accord sur les « nouveaux OGM », ces plantes issues des nouvelles techniques génomiques. S’il est définitivement adopté en mars 2026, c’est toute l’agriculture européenne qui bascule : brevetabilité du vivant, disparition des entreprises semencières, contamination irréversible des ressources génétiques locales et anciennes, pourtant prometteuses pour s’adapter au dérèglement climatique. Rien n’a semblé trop beau pour assurer les bénéfices des firmes semencières et des vendeurs de pesticides.

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Depuis le jugement du 25 juillet 2018 de la Cour de justice de l’Union européenne, il était admis que, quelle que soit la méthode de modification génétique d’un organisme vivant, qu’elle soit nouvelle ou ancienne, l’organisme modifié relevait de la réglementation communautaire en vigueur sur les organismes génétiquement modifiés [OGM].

L’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail [Anses] avait notamment considéré que les produits issus des nouvelles techniques génomiques pouvaient « conduire à des modifications des fonctions biologiques des plantes » et « induire des risques pour la santé et l’environnement ». Le nouvel accord, à l’inverse, sort une grande partie de ces techniques du cadre des OGM et les fait bénéficier des mêmes règles que les semences issues de croisements obtenus de manière traditionnelle.

Microstructures menacées

Cet accord est d’autant plus grave qu’il s’accompagne d’un autre renoncement majeur : la brevetabilité du vivant. Le Parlement européen, fidèle à une position historique de refus des OGM sur le continent, avait explicitement écarté cette possibilité lors de son vote. Pourtant, elle a été réintroduite dans le compromis final. Les promoteurs du texte assurent qu’un « code de conduite » volontaire applicable aux multinationales suffira à prévenir les dérives.

Ce n’est pas une garantie, c’est un pari, pris sur le dos d’un secteur fragile et essentiel. En France, la sélection variétale repose sur environ 70 petits sélectionneurs, souvent des coopératives ou des entreprises familiales, dont la moitié réalise moins de 1 million d’euros de chiffre d’affaires. A l’échelle européenne, le marché des semences, qui pèse autour de 10 milliards d’euros, compte plus de 7 000 entreprises, pour l’immense majorité des microstructures de moins de dix salariés. Ces acteurs innovants, ancrés dans nos territoires, mais fragiles, se trouvent directement menacés, alors que c’est très certainement dans ces déclinaisons locales de la sélection végétale que repose l’adaptation au dérèglement climatique.

En face, des géants comme Corteva, Bayer et Limagrain dominent déjà un secteur extrêmement concentré. Avec la brevetabilité des plantes issues des nouvelles techniques génomiques, ils pourront verrouiller l’accès aux ressources génétiques et imposer des licences coûteuses que les petites entreprises ne pourront supporter.

Pour les agriculteurs, la menace est double : une dépendance accrue aux détenteurs de brevets et un renchérissement du prix des semences, qui deviendraient des biens sous licence plutôt que des ressources communes. C’est aussi un appauvrissement de la diversité cultivée et de la variabilité génétique, sur lesquelles repose pourtant la promesse d’une possible adaptation au dérèglement climatique.

Pour les consommateurs, c’est voir augmenter la concentration en pesticides dans l’air, l’eau et la nourriture en raison d’une intime association entre ces OGM et l’usage accru de pesticides. Pour l’Europe, c’est une perte de souveraineté : l’alimentation de 450 millions de citoyens dépendrait de choix stratégiques opérés par une poignée d’acteurs privés.

Arguments marketing

L’autre conséquence majeure de cet accord concerne l’agriculture biologique. Sans étiquetage, sans traçabilité et sans confinement en milieu fermé, il est impossible de garantir l’absence de contamination des parcelles bio. Les pollens des nouvelles techniques génomiques cultivées en plein champ se dissémineront inévitablement. Déjà, la « cohabitation des agricultures » relevait davantage du slogan que de la réalité, tant les pollutions aux pesticides fragilisaient les filières bio.

Avec ces OGM non étiquetés, intraçables et cultivés en milieu ouvert, la cohabitation devient absolument impossible. Les firmes semencières auront gain de cause, l’agriculture biologique disparaîtra et les semences paysannes avec. Jackpot pour les unes, ruine totale pour tout le vivant, les générations futures et l’espoir de souveraineté alimentaire.

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Et enfin, parlons de l’éléphant au milieu de la pièce : les pesticides. Les firmes semencières vendent anciens comme nouveaux OGM avec des arguments qui n’ont pas changé depuis les années 1980. Les promesses de productivité et d’adaptation aux conditions climatiques extrêmes, comme les sécheresses par exemple, ne sont que des arguments marketing mensongers.

Si les firmes sont parvenues à développer certaines semences qui présentent à la marge de bien modestes améliorations génétiques, c’est surtout leur tolérance aux pesticides qui justifie leur sélection ! Au total, 90 % de ces plantes relèvent de quatre espèces – le maïs, le soja, le coton et le colza – et présentent deux caractères principaux : tolérance au glyphosate et production d’un insecticide, le Bacillus thuringiensis.

Fuite en avant

Pour parer la critique, l’accord prévoit que ces nouveaux OGM excluent les fameuses variétés rendues tolérantes aux herbicides (VrTH). Même si les propriétés VrTH ne seront pas mises en avant pour homologuer ces nouvelles semences, qui peut encore croire que ce ne sont pas ces propriétés-là qui seront effectivement recherchées et commercialisées ? Les vendeurs d’herbicides ont encore de beaux jours devant eux !

Alors que le dérèglement climatique et l’effondrement de la biodiversité constituent les véritables menaces pour la souveraineté alimentaire européenne, l’Union européenne s’engage dans une fuite en avant technologique qui ne répond à aucune de ces urgences. Elle organise la dépendance, au lieu de construire la résilience.

Nous appelons les gouvernements à utiliser toutes les marges de manœuvre encore possibles pour empêcher cette privatisation du vivant. Et nous appelons les citoyens à rester vigilants : ce débat n’est pas clos. Le droit de semer librement, de sélectionner et de transmettre ne doit pas devenir un privilège réservé à une poignée de firmes. L’agriculture biologique, seule boussole réaliste pour faire face aux crises, doit être défendue.

Le vivant n’appartient à personne. Il nous concerne tous.

Lisa Belluco est députée (Les Ecologistes) de la Vienne, coporteuse de la proposition de résolution européenne pour éviter la dérégulation des « nouveaux OGM » ; Benoît Biteau, est paysan bio, député (Les Ecologistes) de Charente-Maritime et ancien député européen (2019-2024) ; José Bové est ancien porte-parole de la Confédération paysanne et ancien député européen (2009-2019) ; Marie Toussaint est députée européenne (Les Verts).

Voir aussi: https://environnementsantepolitique.fr/2025/12/05/les-nouvelles-techniques-genomiques-ngt-pour-ne-pas-dire-ogm-leurope-ouvre-la-porte/

Publié par jscheffer81

Cardiologue ancien chef de service au CH d'Albi et ancien administrateur Ancien membre de Conseil de Faculté Toulouse-Purpan et du bureau de la fédération des internes de région sanitaire Cofondateur de syndicats de praticiens hospitaliers et d'associations sur l'hôpital public et l'accès au soins - Comité de Défense de l'Hopital et de la Santé d'Albi Auteur du pacte écologique pour l'Albigeois en 2007 Candidat aux municipales sur les listes des verts et d'EELV avant 2020 Membre du Collectif Citoyen Albi

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