Le temple de Preah Vihear et le conflit entre Thaïlande et Cambodge
Un éclairage historique et actuel sur le conflit frontalier entre la Thaïlande et le Cambodge, centré sur Preah Vihear et les tensions récurrentes qui en découlent.

Publié le 9 décembre 2025 http://track.news.lepetitjournal.com/track/link/d373e6cc85c7a8d95ade11893aeb61ec/368221386/7394214
Le conflit frontalier entre la Thaïlande et le Cambodge est un différend territorial ancien, principalement centré sur le temple de Preah Vihear (ប្រាសាទព្រះវិហារ), appelé Phra Viharn en Thaïlande, et les zones environnantes.
Il trouve ses racines dans des traités coloniaux, des récits nationalistes concurrents et une délimitation frontalière inachevée.
Au fil des ans, les tensions ont parfois dégénéré en affrontements armés, affectant les relations bilatérales et la stabilité régionale.
Cet article revient sur le contexte historique, les causes principales, les incidents majeurs et les pistes de résolution possibles de ce différend.
Contexte historique
L’héritage colonial et le traité de 1907 constituent le point de départ du conflit. Au début du XXᵉ siècle, le Cambodge était sous protectorat français tandis que la Thaïlande (alors Siam) demeurait indépendante.
En 1907, un traité franco-siamois fixa la frontière, attribuant le temple de Preah Vihear au Cambodge sur la base d’une carte réalisée par des géographes français.
Plus tard, la Thaïlande contesta cette carte, estimant qu’elle ne suivait pas correctement la ligne de partage des eaux censée matérialiser la frontière naturelle.
En 1959, le Cambodge porta l’affaire devant la Cour internationale de justice (CIJ). En 1962, celle-ci reconnut la souveraineté du Cambodge sur Preah Vihear, jugeant la carte de 1907 juridiquement valable et soulignant l’absence d’objections antérieures de la Thaïlande.
Si Bangkok accepta la décision, elle continua néanmoins de contester le territoire entourant le temple, non explicitement défini par l’arrêt.
Causes du conflit
L’un des principaux facteurs du différend réside dans l’absence de délimitation claire de la frontière autour du temple.
Le site a été attribué au Cambodge, mais une zone d’environ 4,6 kilomètres carrés demeure revendiquée par les deux pays, chacun en proposant une interprétation différente.
Le nationalisme et la politique intérieure alimentent également le conflit. En Thaïlande, certains groupes nationalistes et segments de l’armée ont régulièrement utilisé cette question pour mobiliser l’opinion, notamment en période d’instabilité politique. Au Cambodge, d’anciens dirigeants, dont Hun Sen, ont aussi mis en avant ce dossier pour renforcer leur légitimité nationale.
Les enjeux économiques et stratégiques jouent un rôle supplémentaire : Preah Vihear, classé au patrimoine mondial de l’UNESCO, attire des recettes touristiques, et la région pourrait contenir des ressources naturelles encore inexploitées.
Enfin, la présence de troupes des deux côtés de la frontière entretient le risque de confrontations, notamment lorsque des constructions ou des mouvements militaires sont interprétés comme des provocations.
Incidents majeurs et escalades
L’inscription de Preah Vihear au patrimoine mondial de l’UNESCO en 2008 a ravivé les tensions. La Thaïlande s’y opposa, arguant que la zone environnante restait litigieuse. Des positions militaires furent déployées de part et d’autre et des affrontements éclatèrent entre 2008 et 2011, faisant plusieurs dizaines de morts et provoquant le déplacement de civils.
En 2011, de violents combats furent signalés non seulement autour de Preah Vihear, mais aussi près des temples de Ta Moan et Ta Krabey. Des échanges d’artillerie endommagèrent le complexe ancien et causèrent des victimes civiles. Le Cambodge sollicita une nouvelle interprétation de l’arrêt de 1962 auprès de la CIJ.
En 2013, la Cour confirma la souveraineté du Cambodge sur Preah Vihear et demanda aux deux pays de retirer leurs troupes d’une zone démilitarisée provisoire.
Depuis, les affrontements de grande ampleur ont diminué, même si des tensions persistent. Les deux pays ont engagé des travaux conjoints de démarcation, mais leur progression reste lente, freinée par des changements politiques en Thaïlande et la volonté cambodgienne de préserver strictement sa souveraineté.
Pistes de résolution
Les négociations bilatérales demeurent la voie privilégiée. Des comités frontaliers conjoints existent, mais la méfiance réciproque complique les avancées. Des mesures de confiance, comme des échanges culturels ou des coopérations économiques, pourraient contribuer à apaiser les tensions.
L’ASEAN a joué un rôle limité, les deux pays préférant un règlement direct. Néanmoins, une médiation internationale — par l’ONU ou par un État tiers — pourrait faciliter la reprise du dialogue lorsque les discussions bilatérales s’enlisent.
Des initiatives économiques conjointes, comme une gestion partagée du site ou l’exploitation commune de ressources, pourraient transformer cette zone contestée en espace de coopération plutôt qu’en point de friction.
Enfin, une délimitation frontalière finale, potentiellement soutenue par un nouvel avis de la CIJ, offrirait une solution durable. Celle-ci supposerait toutefois des concessions difficiles pour les deux gouvernements.
Le conflit frontalier entre la Thaïlande et le Cambodge reste marqué par des racines historiques profondes, l’influence du nationalisme et l’absence de démarcation claire.
Malgré l’arrêt de 1962 qui a fixé le statut du temple de Preah Vihear, la zone environnante continue de susciter des tensions et, à l’occasion, des affrontements.
Une résolution durable suppose une volonté de dialogue, une coopération économique et un engagement diplomatique constant. Sans cela, cette frontière continuera de représenter un point sensible en Asie du Sud-Est.
Cet article a été publié précédemment sur wondersofcambodia.com que nous vous invitons à consulter. Il regorge d’informations sur tous les aspects du Cambodge.
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Le temple angkorien de Preah Vihear endommagé par les frappes militaires de juillet
Un archéologue décrit pour la première fois les dégâts subis par le site classé au Patrimoine mondial de l’Unesco lors des combats à la frontière entre la Thaïlande et le Cambodge, du 24 au 28 juillet.
LETTRE DU CAMBODGE
« Preah Vihear fait partie du patrimoine de l’humanité. Le dossier de l’appartenance est réglé. Pourquoi les militaires thaïlandais ont-ils fait ça ? », se désole Pheng Sam Oeun, directeur général adjoint de l’Autorité nationale pour Preah Vihear (ANPV), l’agence cambodgienne qui gère ce temple angkorien situé à la frontière avec la Thaïlande et inscrit au Patrimoine mondial de l’Unesco. L’archéologue nous reçoit, début novembre, dans ses bureaux, à quelques kilomètres du promontoire rocheux au sommet duquel est situé le temple.
Preah Vihear n’est pas l’enjeu de la dispute en cours entre Phnom Penh et Bangkok, qui a dégénéré le 24 juillet pendant cinq jours en un grave conflit armé. Mais il semble avoir fait les frais de l’amertume thaïlandaise. Le Monde n’a pas pu accéder au temple mais a rencontré un expert étranger qui y est parvenu et a confirmé les destructions récentes. La BBC a par ailleurs diffusé un reportage révélant les dommages subis. Preah Vihear est un temple hindou dédié au culte de Shiva, datant de l’âge d’or d’Angkor, entre les IXᵉ et XIIᵉ siècles. Il servait de sanctuaire au sein duquel le roi rendait hommage aux divinités et se distingue par le fait d’avoir conservé cette fonction sous six des plus grands souverains angkoriens.
Il a plu des munitions sur Preah Vihear, du 24 au 28 juillet : 142 impacts, dont 22 jugés graves, provenant de roquettes de 155 et 125 mm, de bombes à sous-munitions et de tirs de drones, ont été relevés au sein du temple par la CMAC, l’agence de déminage cambodgienne. Les parties endommagées du temple vont de la taille d’un poing à celle d’une table. Les frappes, selon le Cambodge, auraient sciemment visé le monument.
« Les gens criaient »
Trois des cinq gopuras, les portes sacrées qui mènent au sanctuaire principal, ont subi des dégâts importants. Des marches, ainsi que la statue d’un lion et des pierres de soubassement ont été pulvérisées. Des 10 escaliers touchés, deux sont gravement atteints. Une queue de naga, le serpent-dragon, a été brisée, une statue de lotus décapitée.
Preah Vihear a été endommagé à deux reprises, en 2009 et en 2011, lors de précédentes confrontations entre les deux pays. Les destructions de 2025 sont « dix fois plus importantes », estime Pheng Sam Oeun. La chaussée du cinquième gopura, en cours de restauration par une équipe indienne, « est encore plus endommagée qu’avant », note-t-il. Le toit en tôle d’un autre chantier est criblé de trous – l’œuvre d’un drone.
Les tirs, rapporte Pheng Sam Oeun, commencent vers 9 heures du matin le 24 juillet. Quarante-cinq personnes se trouvent alors sur le site : du personnel de restauration archéologique et de nettoyage et des gardiens. Huit touristes cambodgiens venaient en outre d’être déposés au sommet par l’unique route d’accès côté cambodgien. Ils sont conduits dans le bunker des moines de la pagode attenante. Le personnel, lui, se réfugie dans l’enceinte principale du temple.
« Les gens criaient. Le bruit était assourdissant. Ça tremblait de partout », raconte Daung Sarin, un artisan restaurateur de l’ANPV de 67 ans resté sur place. Pheng Sam Oeun parvient à joindre ses équipes la première journée, puis les communications cessent. « On s’est beaucoup inquiétés. Puis j’ai pu joindre quelqu’un, j’ai dit de descendre par le sentier des gardes », dit-il.
« On est descendus en s’aidant du tuyau d’eau »
C’est ce que fait Daung Sarin avec un premier groupe, le 26 au soir : « On ne pouvait pas utiliser de lumière. On est descendus en s’aidant du tuyau d’eau », dit-il. Trois heures sont nécessaires pour atteindre le bas. Suivent six de marche pour rejoindre un endroit sûr. Les touristes, eux, descendront un jour plus tard. Personne n’a été blessé.
Le calendrier des événements interroge : le 24 juillet, l’escalade commence à l’aube sur d’autres points disputés de la frontière. Bangkok accuse ensuite le Cambodge d’avoir visé au lance-roquettes des zones civiles. Pourtant, les premiers obus cambodgiens tombent en territoire thaïlandais vers 9 h 30. Peu avant 11 heures, l’un d’eux frappe une station-service et une supérette thaïlandaises, à 30 kilomètres au nord de Preah Vihear, tuant huit civils. Selon les autorités du temple, le bombardement de Preah Vihear aurait débuté avant ces incidents, qui ont déclenché une riposte aérienne de la Thaïlande.
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En réponse aux questions du Monde, le ministère des affaires étrangères de Thaïlande a affirmé, le 20 novembre, que « les opérations menées par les forces armées royales thaïlandaises (…) avaient des objectifs clairement définis et visaient exclusivement les forces militaires cambodgiennes. La zone du temple de Preah Vihear ne se trouvait pas dans la trajectoire des armes thaïlandaises, ce qui rend absolument impossible que le site ait été touché comme c’est allégué ». Le ministère réfute également les photos d’impacts présentées, comme ne « reflétant pas la vérité ».
Point de crispation
Qui donc a tiré sur Preah Vihear ? Le temple est depuis longtemps un point de crispation entre Thaïlande et Cambodge. En 1904, la France, qui possède le Cambodge, et le Siam adoptent, pour délimiter la frontière, le principe de la ligne de partage des eaux. Pourtant, la carte française ultérieure place Preah Vihear côté cambodgien, alors que le sanctuaire se trouve sur un promontoire des monts Dangrek dans le prolongement du plateau thaïlandais.
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Un demi-siècle plus tard, le Cambodge indépendant réclame le site occupé par la Thaïlande et saisit la Cour internationale de justice (CIJ). L’avocat de la Thaïlande argue que « retrancher Preah Vihear de la Thaïlande, c’est presque comme couper le nez d’un visage ». La CIJ donne raison au Cambodge, la Thaïlande n’ayant jamais réellement protesté contre les cartes françaises.
En 2008, le soutien du gouvernement thaïlandais à l’inscription du temple par Phnom Penh à l’Unesco rallume le nationalisme dans le pays : à Bangkok, le gouvernement chute, les combats reprennent à la frontière et Phnom Penh saisit de nouveau la CIJ pour statuer sur le promontoire rocheux. En 2013, le Cambdoge remporte une nouvelle victoire juridique, restée depuis en travers de la gorge des plus nationalistes en Thaïlande, en particulier au sein de l’armée.
En attendant, à Preah Vihear, l’archéologue Pheng Sam Oeun mise sur l’arrivée des experts promis par l’Unesco. Sur la pelouse, un monticule de terre fraîche : « C’est notre nouveau bunker. J’ai fait des provisions », explique-t-il. Lui qui a déjà traversé trois affrontements autour des ruines de Preah Vihear préfère ne rien laisser au hasard.
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