Espèces menacées : des actions de restauration spectaculaires sont possibles, selon le WWF
Dans son rapport sur l’état de la biodiversité dans l’Hexagone, l’ONG confirme un déclin alarmant des habitats naturels et des espèces. Elle met aussi en avant de véritables réussites, dès lors que des moyens sont durablement mobilisés.
Biodiversité | Aujourd’hui à 00h01 https://www.actu-environnement.com/ae/news/biodiversite-en-france-rapport-wwf-2025-especes-menacees-actions-restauration-spectaculaires-47200.php4#xtor=EPR-50

© PPJQuasiment disparu de Camargue dans les années 1960, le flamand rose est aujourd’hui de retour, avec jusqu’à 70 000 individus observés au printemps.

« Les espèces paient le prix fort de la dégradation des milieux et des pressions humaines. Mais ce n’est pas une fatalité. Quand on s’en donne les moyens, la protection fonctionne », explique Fanny Rouxelin, directrice du pôle biodiversité terrestre au WWF France. L’ONG dévoile, ce mardi 9 décembre, les résultats d’un rapport national (1) sur l’état de la biodiversité en France hexagonale fondé sur le suivi des effectifs de vertébrés au cours du temps, en utilisant la méthode de l’indice Planète vivante (2)développée sur le plan international. Dans ce cadre, elle a étudié 248 espèces protégées de vertébrés sur les 1 728 espèces de vertébrés recensées en France métropolitaine, laissant de côté l’outre-mer faute de données suffisantes.
L’ONG confirme l’effondrement de la biodiversité avec pour principale cause, documentée par l’IPBES, la destruction des habitats naturels (champs, zones humides, forêts, océan). « Le constat est sévère », confirme le WWF : 70 % des haies détruites depuis 1950, 50 % des zones humides disparues en un siècle, 79 % des forêts ont moins de cent ans. À la dégradation des habitats s’ajoutent les pressions humaines liées à la surexploitation des ressources et aux pollutions.
Cela se traduit directement sur la dynamique des populations d’espèces, autrefois communes, comme sur celles d’espèces plus emblématiques. Ainsi, les effectifs de moineau friquet et de vanneau huppé, inféodés respectivement au milieu rural traditionnel et aux prairies humides, se sont effondrés de 91 % et 71 % depuis 2001. Ceux du butor étoilé et du canard siffleur, dépendants des zones humides, ont décru respectivement de 75 % depuis 1996 et de 48 % depuis 1967. Le bouvreuil pivoine et le grand tétras, inféodés aux forêts de montagne, ont vu leur population respective chuter de 54 % depuis 2001 et 36 % depuis 2010. Plus sévère encore pour le premier, les effectifs de requin griset et de dauphin commun se sont effondrés de 99 % depuis 1999 et de 21 % depuis 2004 dans le golfe de Gascogne.
120 % de croissance depuis 1990
Mais l’ONG tempère ces chiffres catastrophiques par les résultats obtenus pour certaines espèces ayant fait l’objet d’une protection forte et pérenne. « Lorsqu’une espèce est protégée et que des moyens techniques, humains, et surtout financiers, sont mobilisés, la conservation fonctionne », explique-t-elle. Et d’avancer le chiffre de 120 % de croissance depuis 1990 pour les populations des 248 espèces de vertébrés étudiées. Ces 248 espèces bénéficient d’un statut de protection nationale, et certaines d’un plan national d’action (PNA). Certaines sont en outre protégées par les directives européennes Habitats et Oiseaux.“ Lorsqu’une espèce est protégée et que des moyens techniques, humains, et surtout financiers, sont mobilisés, la conservation fonctionne ”WWF France
Toutefois, ces espèces ne représentent que 14 % des espèces de vertébrés présentes sur le territoire hexagonal. En outre, certains taxons sont surreprésentés : 203 oiseaux et 32 mammifères, contre seulement huit poissons, trois reptiles et deux amphibiens, et que l’étude laisse de côté les invertébrés. Ce bon chiffre est donc loin de refléter une amélioration globale de la biodiversité nationale.
« Ce résultat indique de façon très probable qu’en l’espace de trente-cinq ans, les populations des espèces protégées dans leur ensemble ont augmenté en France hexagonale », se réjouit malgré tout le WWF. Mais l’évolution reste hétérogène. Sur les 248 espèces considérées, seules 112 présentent une croissance significative, comme le phoque gris, le vautour moine (55 couples contre un seul en 1996) ou l’ibis falcinelle, tandis que 77 accusent une décroissance significative, comme la marouette de Baillon ou la pie grièche à poitrine rose. Un déclin, avance le rapport, qui est sans doute dû au défaut de plan d’action effectif et financé permettant de préserver les habitats, alors qu’il s’agit d’espèces dépendantes des milieux les plus dégradés, ainsi qu’à une aire de répartition qui dépasse la France, alors que leurs habitats peuvent être détruits à l’étranger.
Plan national d’actions suivi dans le temps
A contrario, la protection fonctionne quand de véritables moyens y sont consacrés, comme c’est le cas lorsque l’espèce fait l’objet d’un plan national d’actions suivi dans le temps. « Les 19 espèces bénéficiant d’un plan national d’actions actif (et ayant déjà fait l’objet d’un précédent PNA) présentent une croissance multipliée par six de la taille moyenne de leur population depuis 1990 », rapporte ainsi l’ONG. Et, pour celles qui ne connaissent pas de croissance significative, la tendance serait en train de se retourner. C’est le cas pour l’outarde canepetière, dont les effectifs ont chuté de 76 % depuis 1970 mais qui connaît une croissance de 55 % depuis 2002. Ce qui laisse toutefois l’espèce encore très loin des effectifs qu’elle connaissait il y a cinquante ans.
Des espèces en voie de rétablissement© WWF
Le WWF donne en exemple le flamant rose, quasiment disparu de Camargue dans les années 1960, et dont le nombre d’individus peut aujourd’hui atteindre 70 000 au printemps. Ou encore le grand murin, l’une des plus grandes espèces de chauve-souris d’Europe, dont la population a doublé depuis 1992, avec toutefois une situation très contrastée selon les régions, ou encore le pic noir, qui a connu une croissance de 124 % depuis 2000.
L’ONG met également en exergue trois espèces dont le succès reste, quant à lui, encore fragile. C’est le cas du lynx, de retour en France dans les années 1970 après une réintroduction de spécimens dans le Jura suisse et qui compte aujourd’hui entre 150 et 200 individus. Mais la survie de l’espèce, qui reste menacée de disparition d’ici un siècle, est affaiblie par la fragmentation des habitats, les collisions routières et la cosanguinité. Autre espèce emblématique, le loup, qui « illustre un succès notable de conservation » après avoir été éradiqué dans les années 1930 avant de regagner le territoire national en 1992 par l’Italie, pour atteindre une population d’un millier d’individus. Mais l’espèce reste fragile du fait du manque de brassage génétique et de l’allègement de son statut de protection. Enfin, le rorqual, qui comptait 1 765 individus en Méditerranée en 2018, est victime de collisions avec les navires, qui provoquent, avec les captures accidentelles liées à la pêche, la mort de plus de 46 individus par an, compromettant l’avenir de cette population.
Opportunité du plan de restauration de la nature
À la suite de cet état des lieux, le WWF formule trois recommandations. Premièrement, « la protection fonctionne, et il faut la maintenir », plaide Fanny Rouxelin, qui fustige le déclassement du loup et les dérogations à l’interdiction de destruction des espèces protégées.
Ensuite, le Plan national de restauration, que la France doit remettre l’année prochaine à la Commission européenne dans le cadre du règlement sur la restauration de la nature, constitue « une opportunité ».
Enfin, « toute cela ne pourra se faire sans moyens », explique la représentante de l’ONG, qui préconise de réorienter les milliards d’euros d’aides publiques dommageables à la biodiversité, d’appliquer réellement le principe pollueur-payeur et de mobiliser le secteur privé à travers des dispositifs comme les crédits biodiversité.1. Télécharger le rapport « La biodiversité en France – Entre déclins et espoirs »
https://www.actu-environnement.com/media/pdf/news-47200-biodiversite-en-france-rapport-wwf-2025.pdf2. L’indice Planète vivante vise à calculer les taux de croissance de populations de vertébrés et à les moyenner de manière à connaître leur dynamique globale depuis une année de référence.

Laurent Radisson, journaliste
Rédacteur en Chef de Droit de l’Environnement
Quand leur protection est efficace, les populations d’animaux sauvages repartent à la hausse
9 décembre 2025 | https://info.mediapart.fr/optiext/optiextension.dll?ID=6-duOafkytindTwbzCEUgHZ_EOjZvN-3RkSGkDzbA6rMCw2svkrvK2WezVxhyNo5Th7BSLXEV9BKDUl16mg
Par Amélie Poinssot
Pour la première fois, des données agrégées au niveau national estiment l’état de conservation des espèces protégées. Un rapport du WWF publié le 9 décembre montre que des animaux au bord de l’extinction ont pu être sauvés, tandis que d’autres sont toujours gravement menacés par les activités humaines.
C’est un des plus grands rapaces au monde. Les ailes déployées, il atteint une envergure de presque trois mètres. Mais sur le territoire français, il était devenu invisible. Depuis le début du XXe siècle, le vautour moine, adepte des reliefs et de la moyenne montagne, avait disparu.
Après différents programmes de réintroduction et de protection, qui ont débuté il y a une quarantaine d’années, l’espèce compte aujourd’hui 55 couples dans le sud de la France. Du parc régional des Grands Causses au parc national des Cévennes voisin, du massif préalpin des Baronnies aux gorges du Verdon, le rapace survole à nouveau les terres hexagonales, signe que lorsque des actions efficaces sont poursuivies, le vivant retrouve sa place.

Des flamants roses dans le parc ornithologique de Pont-de-Gau, en Camargue. © Photo Sébastien Calvet / Mediapart
C’est l’un des enseignements du rapport publié mardi 9 décembre par l’antenne française de l’ONG World Wild Fund for Nature (WWF), sur la base d’une collecte inédite en France hexagonale de données sur l’état de conservation de 248 espèces protégées d’animaux vertébrés : quand une espèce bénéficie d’une réglementation protectrice, et a fortiori d’un « plan national d’action » (PNA) mettant en place des mesures concrètes afin de la protéger de toutes les menaces humaines qui pèsent sur elle, elle se rétablit. Un travail précis qui souffre toutefois d’une grande lacune : faute de données disponibles sur la durée pour les outre-mer, des milliers de vertébrés sont aujourd’hui dans un état de conservation inconnu.
« L’appauvrissement du vivant n’est pas une fatalité. C’est une question de volonté », écrit Véronique Andrieux, directrice générale de WWF France, en introduction de ce rapport intitulé « La biodiversité en France. Entre déclins et espoirs. Ce que nous disent les espèces ». À l’heure où la posture anti-écologique domine le discours politique et où les reculs environnementaux se multiplient, l’ONG souligne « l’impératif d’un cap politique fort », avec des ressources financières, humaines et scientifiques, et s’inquiète d’une vision « où la nature est perçue comme un frein à la croissance alors qu’elle est notre meilleure alliée face au changement climatique ».
Retour des flamants roses
Certes, les espèces étudiées dans le rapport ne sont pas encore sorties d’affaire – le vautour moine reste sur la liste rouge de l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN), qui le considère toujours comme « en danger critique » –, mais la remontée de leurs effectifs saute aux yeux, même si certaines restent en déclin. Sur l’ensemble des espèces de vertébrés suivies, qui représente environ le tiers des espèces vertébrées protégées en France hexagonale, le WWF constate une croissance de la taille des populations de 120 % en moyennepar rapport à 1990.
On note ainsi que l’outarde canepetière, oiseau de plaine agricole dont la protection a conduit à la suspension par la justice de quatre mégabassines, dont celle de Sainte-Soline, a vu ses effectifs repartir à la hausse depuis qu’elle bénéficie de programmes d’action lancés au début des années 2000. Mais on est encore très loin de la population estimée en 1970, avant la généralisation des insecticides en agriculture : le nombre d’outardes canepetières était alors quatre fois supérieur à celui d’aujourd’hui.
Autre population qui se relève, celle des flamants roses. Une reconquête qualifiée de « spectaculaire » par le WWF, qui a contribué, par ses propres programmes, au retour de cet oiseau migrateur en Camargue, où il avait frôlé l’extinction à la fin des années 1950. La Méditerranée française accueille aujourd’hui plus de 70 000 flamants roses au printemps.
Les tirs de « prélèvement », face au loup, pourraient être généralisés.
Se centrer sur des animaux emblématiques permet-il d’appréhender correctement la chute de la biodiversité et de l’enrayer ? Oui, répond Fanny Rouxelin, l’autrice du rapport, qui dirige le pôle biodiversité terrestre de WWF France. « Faire le choix de se concentrer sur des vertébrés, c’est déjà faire l’impasse sur le monde des vers de terre, des insectes… Toute une gamme du vivant qui est encore plus riche en nombre d’espèces que la famille des vertébrés. Par contre, on peut choisir de se concentrer sur des “espèces parapluies”, c’est-à-dire des espèces dont le territoire est tellement vaste que si on les protège, on protège avec elles tous les animaux et végétaux qui y vivent. C’est un cercle vertueux. »
Peu de diversité génétique
C’est le cas avec le rorqual, par exemple, qui n’est autre que le deuxième plus grand mammifère de la planète après la baleine bleue. Considéré comme « quasi menacé » dans les eaux méditerranéennes françaises, où WWF France compte un peu plus d’un millier d’individus, il se reproduit lentement, tous les deux à trois ans, mais se retrouve beaucoup trop souvent sur l’itinéraire d’un navire. Une trentaine de rorquals meurent chaque année de collision.
Au-delà du symbole de ce grand cétacé, c’est tout l’écosystème marin dans lequel il vit qui pourrait être mieux protégé, dans une zone saturée par les lignes de ferries desservant la Corse et la Sardaigne. « Ce n’est pas aux baleines d’éviter les navires, mais à nous, les nouveaux venus, d’adapter nos pratiques pour permettre une cohabitation durable en Méditerranée », écrit le WWF, qui travaille à un système pour transmettre en temps réels la position des individus aux bateaux, afin que ces derniers puissent adapter leur trajectoire.
Autre animal sérieusement menacé par les humains, alors qu’il est suivi de près et a déjà bénéficié d’une réintroduction : le lynx boréal. À peine 200 individus sont comptabilisés à ce jour, et tous descendent des cinq couples introduits dans le Jura suisse il y a une cinquantaine d’années. Autrement dit, la diversité génétique n’est pas suffisante, à ce stade, pour assurer la survie de cette espèce victime, elle, de collisions sur la route et entravée dans sa circulation.
« Le plan national d’action du lynx n’a pas été doté de moyens suffisants, souligne Fanny Rouxelin. Pour l’Office français de la biodiversité(OFB) et le Muséum national d’histoire naturelle (MNHN), à ce stade, l’espèce est vouée à disparaître du territoire d’ici une centaine d’années. » Le sujet pourrait donner lieu à d’importantes négociations : c’est en 2026 que doit se préparer le prochain plan d’action, qui entrera en vigueur en 2027.
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Autre sujet d’actualité : le loup, qui fin 2024 a changé de statut dans la Convention de Berne, passant du statut de « strictement protégé » à« protégé ». Au printemps dernier, la Commission européenne et le Parlement européen sont allés dans le même sens, et la France n’est pas loin de faire de même. Un projet d’arrêté est actuellement soumis à une consultation publique.
Concrètement, cela pourrait ouvrir la voie, au niveau national, à une généralisation des tirs dits de « prélèvement », actuellement limités à des cas très précis et à un quota annuel de 19 %. « Le sujet est monté en France avec la crise agricole, alors que seule une petite proportion d’agriculteurs est concernée, ajoute Fanny Rouxelin. En Europe, il est porté par des pays d’Europe centrale, la Roumanie notamment. »Mais pas par l’Italie, d’où était revenu naturellement le canidé sauvage au début des années 1990, après son éradication soixante ans plus tôt du territoire français, due à une chasseintensive. La population lupine est estimée à un millier d’individus dans l’Hexagone, une population qui reste fragile face « aux défis de la cohabitation avec les populations riveraines », souligne le WWF.