Le suivi de la santé des riverains de bassins industriels doit s’améliorer
Une étude de Santé publique France et de l’Ineris a tenté de faire le lien entre la proximité de sites industriels et la santé des riverains, révélant des données lacunaires. Elle formule des recommandations pour les prochains travaux.
Risques | 05.12.2025 | https://www.actu-environnement.com/ae/news/bassins-industriels-sante-etude-ineris-sante-publique-france-lien-47203.php4#ntrack=cXVvdGlkaWVubmV8MzkwNg%3D%3D%5BNDExMDgz%5D

© FrancoisL’étude met en lumière les obstacles d’accès à la connaissance, notamment des données environnementales.
Un autre pas vient d’être franchi pour améliorer le suivi de l’état de santé des populations riveraines des bassins industriels : Santé publique France et l’Institut national de l’environnement industriel et des risques (Ineris) viennent de publier les résultats de leur étude « Bassins industriels et santé » (BIS) (1) .
Cette étude découle du premier appel à projets conjoint du Green Data For Health (GD4H) et du Health Data Hub (HDH). Son objectif ? Évaluer la faisabilité d’établir des liens entre la santé et les zones industrielles denses. Pour ces travaux, les partenaires ont retenu 42 bassins industriels (2) et cinq indicateurs de santé reflétant des pathologies respiratoires (asthme de l’enfant, incidence des maladies obstructives des voies respiratoires chez l’adulte), ainsi que deux indicateurs de périnatalité (prématurité et petit poids pour l’âge gestationnel) et la mortalité toutes causes (sauf violentes).
42 bassins industriels
et 5 indicateurs de santé ont été retenus pour l’étude BIS.
À l’issue de cette analyse, l’étude met en évidence effectivement des associations, notamment un surrisque d’asthme de l’enfant, mais aussi de morbidité respiratoire chronique chez les adultes âgés de 40 ans ou plus dans les communes situées à proximité d’un bassin industriel. « Des surrisques de morbidité respiratoire chronique chez les adultes de moins de 40 ans et de prématurité sont aussi suggérés », souligne l’étude. De la même manière, un risque plus élevé pour l’ensemble des indicateurs, sauf le petit poids, est constaté dans les communes situées à proximité d’une industrie régie par les directives sur les émissions industrielles (IED) ou Seveso. Des constats qui sont cohérents avec de précédentes publications scientifiques (3) .
Consolider les bases de données
Si certains liens sont confortés, l’étude met surtout en lumière les obstacles d’accès à la connaissance. Par exemple, les limites des bases de données environnementales. Pour leur analyse, les auteurs se sont en effet appuyés sur des bases de données pour établir des scores de pression industrielle. « Il n’a pas été possible dans le temps dédié d’utiliser ou construire un indicateur d’exposition des bassins permettant d’estimer l’exposition aux polluants dans l’air pour les riverains pour le projet BIS du fait de l’absence de données de surveillance environnementale spécifique pour chacun des bassins étudiés », précisent les auteurs. Les scientifiques ont alors utilisé la base de données du registre des émissions polluantes (BDREP) et l’inventaire national spatialisé (INS). Le deux recensent les rejets déclarés (ou estimés) annuellement par les ICPE (BDREP) ou par commune (INS).“ Il n’a pas été possible d’utiliser ou construire un indicateur d’exposition des bassins permettant d’estimer l’exposition aux polluants dans l’air pour les riverains du fait de l’absence de données de surveillance environnementale spécifique pour chacun des bassins étudiés ”Santé publique France et Ineris
Des sources informations précieuses, mais qui présentent aussi des lacunes. « Sur les plus de 11 000 communes hébergeant une ICPE, environ 80 % n’ont aucune déclaration dans BDREP pour la liste des polluants considérés dans le score, pointent les auteurs. Le fait que la déclaration ne soit pas obligatoire en dessous de ces seuils peut biaiser l’information disponible. » De la même manière, si l’INS s’avère plus complète, elle pêche toutefois par l’ancienneté des informations disponibles : elle n’a pas été actualisée depuis 2012. « Il existe des incertitudes sur la qualification des sources comme rejets industriels car l’objectif premier de l’inventaire n’est pas de classifier les sources de cette manière »,analyse également l’étude.
Affiner les méthodologies
La mise en lumière de ces limites s’avère utile pour avancer dans la connaissance et affiner la méthodologie qui sera appliquée pour la poursuite des travaux sur l’ensemble des bassins industriels français. Une étude épidémiologique multicentrique de Santé publique France devrait ainsi être lancée en 2026.
Les auteurs formulent plusieurs recommandations en ce sens. Par exemple, concernant les sources de données environnementales, ils proposent de regarder les dossiers de demande d’autorisation environnementale des installations de type IED. « Des données de mesures et surveillance autour des installations et des résultats de modélisation doivent être fournis pour estimer la part attribuable de leurs émissions à la qualité des milieux, indiquent-ils. La centralisation de ce type de données, au niveau national, de même que celles issues de surveillances environnementales parfois mises en place autour d’ICPE, permettrait de disposer d’éléments complémentaires. »
Les auteurs pointent également la nécessité de mieux définir les bassins industriels. Pour cette étude, la base ICPE de 2016 a été utilisée. « Il n’y avait pas de données plus anciennes disponibles car l’outil évolue au fil des années, regrettent les scientifiques. Il serait utile de disposer de version annuelle et d’une information indiquant la date d’implantation et de fermeture des sites afin de pouvoir objectiver la transformation géographique de certains bassins industriels (croissance et décroissance), d’autant qu’il est important de tenir compte du temps de latence entre une exposition et ses effets potentiels sur la santé. »
Autre préconisation : étendre les indicateurs de santé, par exemple aux maladies cardiovasculaires. « Concernant l’incidence des cancers, si les registres pédiatriques permettent d’étudier l’incidence des cancers de l’enfant sur l’ensemble du territoire, les registres de cancer chez l’adulte ne couvrent que partiellement les départements français : seul un quart des grands bassins industriels est couvert par un registre de cancers chez les personnes âgées de plus de 18 ans », regrettent-ils.
1. Télécharger Bassins industriels et santé : première étude nationale multisites sur l’état de santé des populations autour des grands bassins industriels
https://www.actu-environnement.com/media/pdf/news-47203-etude-nationale-multisites-etat-sante-population-grands-bassins-industriels.pdf
2-Comme les bassins industriels ne disposent pas de définition, notamment réglementaire, Santé publique France pris en compte des zones de forte densité d’ICPE avec des critères de dangerosité de directives européennes : les rejets de polluants et émissions industrielles (2010/75/UE directive révisée en 2024, dite IED – Industrial Emission Directive) et la maîtrise des dangers liés aux accidents majeurs (2012/18/UE, dite Seveso 3).
3. Lire « Risks for the population living near petrochemical industrial complexes »
https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/32388111/

Dorothée Laperche, journaliste
Cheffe de rubrique eau / santé environnement