De manière inédite, un parti d’opposition pourrait voter pour un texte budgétaire et venir à la rescousse d’un premier ministre adverse, par ailleurs lâché par son propre camp

Budget : le Parti socialiste trahit la notion même de compromis

Olivier Faure a annoncé qu’il plaiderait pour que son groupe vote pour le budget de la Sécurité sociale, quittant de facto l’opposition au gouvernement. Un franchissement de seuil qui dénature l’idée même de compromis et réduit le capital de gauche du PS à néant.

Mathieu Dejean

8 décembre 2025 à 19h57 https://www.mediapart.fr/journal/politique/081225/budget-le-parti-socialiste-trahit-la-notion-meme-de-compromis?utm_source=quotidienne-20251208-195836&utm_medium=email&utm_campaign=QUOTIDIENNE&utm_content=&utm_term=&xtor=EREC-83-[QUOTIDIENNE]-quotidienne-20251208-195836&M_BT=115359655566

C’est un lapsus révélateur dont le premier secrétaire du Parti socialiste (PS) ne s’est pas rendu compte. Interrogé lundi 8 décembre sur ses intentions sur le vote du projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS), il a déclaré : « Aujourd’hui, la copie est passable et c’est la raison pour laquelle, devant mon groupe, je plaiderai pour que nous votions pour. » Par « passable », Olivier Faure entendait que suffisamment de gestes avaient été faits par le gouvernement de Sébastien Lecornu pour qu’il laisse ses troupes voter en faveur du texte, mardi 9 décembre.

Il eût été plus logique de la part du dirigeant d’un parti de gauche qu’il trouve ce texte « passable » au sens où on l’entend plus généralement, autrement dit tout juste moyen, voire médiocre compte tenu des économies qu’il veut faire sur le dos des plus démuni·es, et qu’il vote donc contre ou s’abstienne. Mais le socialiste a décidé d’ouvrir la voie à un autre monde. De manière inédite, un parti d’opposition pourrait voter pour un texte budgétaire et venir à la rescousse d’un premier ministre adverse, par ailleurs lâché par son propre camp – le patron du parti Les Républicains (LR), Bruno Retailleau, et celui d’Horizons, Édouard Philippe, refusant de soutenir ce budget.

Car si le mot « passable » est polysémique, l’attitude du PS, elle, ne sera pas équivoque. Si la majorité des 69 membres du groupe socialiste à l’Assemblée nationale vote pour le budget de la Sécurité sociale, comme le leur demande Olivier Faure, le parti n’aura jamais été aussi proche de la coalition gouvernementale. Comment comprendre un tel revirement ? Il y avait au départ une rationalité à ce que, compte tenu de la composition de l’Assemblée issue des législatives anticipées de 2024, sans majorité absolue, les socialistes tentent une stratégie nouvelle – celle du parlementarisme et de la négociation, et non plus celle de l’opposition bloc contre bloc.

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Boris Vallaud, Patrick Kanner, Olivier Faure et Johanna Rolland après une rencontre avec le premier ministre Sébastien Lecornu à l’hôtel Matignon, à Paris, le 17 septembre 2025.  © Photo Eliot Blondet / Abaca

La parité: Une femme pour cinq hommes !!!

En se privant de l’article 49-3 de la Constitution, Sébastien Lecornu avait donné toutes les cartes au groupe socialiste, devenu central pour lui assurer sa survie et qui disposait donc d’un levier politique incontestable. Que le PS se distingue à ce moment-là du reste de la gauche en prenant les devants de cette nouvelle ère pouvait à la limite s’entendre, même si déjà sa hâte à s’éloigner du programme du Nouveau Front populaire (NFP) sur lequel il avait été élu un an plus tôt pouvait questionner. « Arrêtez avec l’histoire du NFP », s’était d’ailleurs agacé Olivier Faure, interrogé par Le Média le 17 octobre à l’Assemblée.

Mais l’apparente impréparation des dirigeant·es du PS, leur peur bleue d’une nouvelle dissolution, le poids retrouvé du hollandisme en son sein et la tentation d’endosser la stature de « parti de gouvernement » tout en isolant La France insoumise (LFI) se sont conjugués pour que cette stratégie se fracasse sur le vote de mardi. Pour mesurer l’étendue de l’échec, il faut se rappeler le destin des « lignes rouges » que les socialistes avaient fixées au premier ministre en échange de leur non-censure le 14 octobre : elles n’ont cessé de bouger depuis, rendant leur stratégie des plus illisibles et faisant basculer leurs menaces dans le domaine du comique de répétition.

Une lente rétraction

Dès le moment où les « négociations » avec Sébastien Lecornu se sont ouvertes, les exigences du PS ont commencé à fondreouvrant une brèche à l’intérieur même de la gauche non mélenchoniste qui tentait de s’unir pour la présidentielle de 2027. De la taxe Zucman (rejetée le 31 octobre) à l’abrogation de la réforme des retraites, il ne reste plus rien de ces marqueurs dans le PLFSS ni dans le budget. La « négociation » a ainsi tout eu d’une rétrocession ; le « compromis », d’une reddition. 

Une simple « suspension » de la réforme d’Élisabeth Borne « jusqu’à l’élection présidentielle », répondant explicitement à la demande de la CFDT, a suffi à lever les menaces des socialistes. Ces derniers ont alors rivalisé d’assurance pour revendiquerla « plus grande victoire d’un mouvement social depuis le CPE ». Autant dire que le PS avait sorti la Grosse Bertha et consciencieusement visé ses pieds. La députée macroniste Agnès Pannier-Runacher s’est encore dite « très à l’aise » avec cette« victoire » le 6 décembre : « Ce qui comptait pour nous, c’est-à-dire qu’on aille à 64 ans et qu’on aille jusqu’au bout de cette réforme, est toujours là dans le texte. C’est un décalage d’une génération. » 

En outre, le parti d’Olivier Faure, trop occupé à se satisfaire des miracles du « compromis », n’avait pas balisé le chemin institutionnel pour garantir cette suspension ni la manière dont celle-ci serait financée. Devrait-il avaler son chapeau en s’abstenant sur un budget de la « Sécu » austère par ailleurs ? Le 19 octobre, dans un entretien à Mediapart, Olivier Faure évacuait la possibilité d’un vote « pour » mais n’écartait pas l’abstention : « C’est une option pour tous ceux qui auront accepté l’idée que, dans un Parlement sans majorité absolue, il faudra bien qu’on trouve le moyen d’avancer si le budget n’est pas un musée des horreurs et que nous y avons obtenu toute une série d’évolutions. »

Le PS semble volontaire dans la dilapidation du capital de réputation qu’il avait enfin réussi à reconstituer à gauche depuis 2022.

Un mois et demi plus tard, c’est donc le vote « pour » qui est devenu acceptable. Ce n’est pourtant pas comme si la copie budgétaire avait été révolutionnée entre-temps. Certes la proposition socialiste d’augmentation de la CSG sur le capital a été reprise in extremis la semaine dernière (en étant divisée par deux), certes le gouvernement a renoncé au doublement des franchises médicales, mais le budget de l’assurance-maladie implique encore des économies sans précédent. Tout participe à donner la sensation que le PS se contente donc de miettes et assume de tourner le dos au reste de la gauche.

Pire encore : selon le récit du Monde, le député socialiste Jérôme Guedj a vanté jeudi 4 décembre le compromis à l’ex-première ministre Élisabeth Borne, aujourd’hui députée macroniste, et à son ancien directeur de cabinet à Matignon, Aurélien Rousseau, désormais membre du groupe socialiste à l’Assemblée. « On aurait dû commencer en 2022 », leur a-t-il dit, comme si cette méthode était amenée à perdurer et comme s’il regrettait que le PS se soit engagé dans la Nouvelle Union populaire écologique et sociale (Nupes). Un aveu là encore révélateur.

Le PS semble donc volontaire dans la dilapidation du capital de réputation qu’il avait enfin réussi à reconstituer à gauche depuis 2022. Après le fiasco du mandat de François Hollande, la vague macroniste qui l’avait laissé exsangue et le crash de la candidature d’Anne Hidalgo à la présidentielle de 2022, le parti d’Olivier Faure avait opportunément rejoint l’alliance constituée sous l’impulsion de LFI. Ce n’est que grâce à celle-ci qu’il a pu maintenir un groupe à l’Assemblée – groupe qu’il a encore renforcé en 2024 grâce au NFP.

À LIRE AUSSIDans la circonscription d’Olivier Faure, la guerre des gauches a recommencé 9 novembre 2025

Olivier Faure : « Je ne veux ni le chaos ni la confusion » 19 octobre 2025

Après y avoir intégré les ex-macronistes Aurélien Rousseau, Sacha Houlié et Belkhir Belhaddad, ainsi que Martine Froger, qui siégeait au sein du groupe centriste Libertés, indépendants, outre-mer et territoires (Liot), voilà que les socialistes veulent accréditer l’idée qu’une aile gauche du gouvernement est possible – les premiers à avoir tenté l’expérience peuvent pourtant témoigner de son impossibilité.

Les dirigeant·es du PS tentent maintenant de convaincre les écologistes de s’abstenir et de les suivre dans cette aventure hasardeuse. Une démarche qui pourrait prêter à sourire, si le profit que le Rassemblement national (RN) pouvait tirer de cette situation n’était pas si énorme.

« Il faut donner un budget de la Sécurité sociale aux Français », martèle désormais Olivier Faure, reprenant l’argument éculé du camp présidentiel depuis 2022. S’il pense qu’il y aura une prime à la « responsabilité », l’électorat risque de lui rappeler son manque de colonne vertébrale. Et combien il a révisé à la baisse son ambition première, d’être la gauche au gouvernement.

Mathieu Dejean

Politique

Budget de la Sécu : entre Faure et Lecornu, un mariage en trois actes, avant l’enterrement ?

Alors qu’Olivier Faure a ouvertement appelé ses troupes à voter en faveur du projet de loi de financement de la Sécurité sociale mardi, le suspense reste total quant à l’issue du scrutin. Retour sur des semaines de rebondissements durant lesquelles s’est scellé l’accord entre le PS et les macronistes.

Pauline Graulle

8 décembre 2025 à 19h59 https://www.mediapart.fr/journal/politique/081225/budget-de-la-secu-entre-faure-et-lecornu-un-mariage-en-trois-actes-avant-l-enterrement?utm_source=quotidienne-20251208-195836&utm_medium=email&utm_campaign=QUOTIDIENNE&utm_content=&utm_term=&xtor=EREC-83-[QUOTIDIENNE]-quotidienne-20251208-195836&M_BT=115359655566

Sourire aux lèvres, Hannibal Smith, héros de la série L’Agence tous risques, place un gros cigare entre ses dents, avant de lancer : « J’adore quand un plan se déroule sans accroc. » L’image animée a été envoyée mercredi 12 novembre par Jérôme Guedj, chef de file du Parti socialiste (PS) sur le projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS), sur la boucle des députés de son groupe à l’Assemblée nationale. Et le post a fait rire plus d’un de ses collègues.

Ce jour-là, tout se passe encore comme prévu pour les socialistes. L’Assemblée vient d’adopter largement la « suspension » de la réforme des retraites (à 255 voix pour et 146 contre) en première lecture. Une « première victoire » du PS contre un « totem macroniste », se félicite Olivier Faure à la sortie de l’hémicycle, tandis que la CFDT s’enthousiasme, elle aussi, de cette « excellente nouvelle pour les travailleurs et les travailleuses ».

Mais un mois plus tard, l’ambiance n’est plus à l’optimisme. Et c’est peu dire que le « plan » ne se déroule plus comme prévu. Alors qu’il avait répété durant des mois que le vote « pour » du PLFSS n’était « pas une option », voilà Olivier Faure contraint de se dédire. « Je plaiderai devant mon groupe pour que nous votions pour ce projet de loi de financement de la Sécurité sociale », a-t-il indiqué lundi 8 décembre sur BFMTV.

Pour la première fois de son histoire, un groupe d’opposition s’apprête à entrer – de manière temporaire – dans la « majorité » présidentielle en votant en faveur de son budget de la Sécurité sociale. Et ce, pour pallier la désertion d’une partie du « bloc central » qui a explosé cette semaine sur une des mesures clés du texte : la CSG patrimoine.

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Olivier Faure et Sébastien Lecornu.  © Photos Raphaël Lafargue / Abaca

Vendredi 5 décembre, la partie « recettes » du PLFSS a été certes adoptée à une dizaine de voix près, mais l’absence de nombreux députés, notamment dans les rangs du Rassemblement national (RN), a sans doute fait pencher la balance favorablement. C’est donc un scrutin à très haut risque qui s’annonce mardi 9 décembre, sur l’ensemble du texte « de compromis » sur le budget de la Sécurité sociale. Retour sur cinq mois de montagnes russes qui ont vu naître un accord brinquebalant entre les socialistes et le chef du gouvernement.

Acte 1 : de la non-censure à la « suspension » de la réforme des retraites

Le début de l’histoire remonte au 11 juillet, lorsque le PS organise son premier séminaire interne sur le budget. François Bayrou est encore à Matignon et les socialistes entendent déjà mener le bras de fer sur la prochaine loi de finances. Plus question cette fois de se faire rouler dans la farine comme au printemps dernier. Les caciques du parti travaillent tout l’été : « Au lieu de se planquer, on a enfin fait ce que Faure refusait de faire », souligne alors le vice-président de la commission des finances, Philippe Brun. À savoir : jouer le rapport de force avec l’Élysée.

Les choses s’accélèrent après le 25 août et l’annonce par le premier ministre d’un vote de confiance le 8 septembre, vote que tout le monde sait perdant. Fin août, les socialistes réunis à Blois (Loir-et-Cher) pour leurs universités d’été s’imaginent encore accéder à Matignon. Lors d’une dernière réunion à huis clos, ils mettent la dernière touche à leur contre-budget axé sur le pouvoir d’achat, un plan de relance à 10 milliards d’euros, ou encore la taxe Zucman.

La suspension de la réforme des retraites, qui n’était plus vraiment une priorité, est finalement réintégrée comme une mesure clé. « C’est Boris [Vallaud] et Olivier [Faure], poussés par l’intersyndicale, qui nous l’ont imposée car ils voulaient une mesure symbolique », racontera plus tard un socialiste qui aurait préféré « grappiller davantage sur le pouvoir d’achat, qui est déterminant pour les électeurs du RN ».

En cette fin d’été, les espoirs du PS de s’installer à Matignon ont fait long feu. Mais après avoir menacé de censurer à nouveau, le parti renonce finalement à renverser le futur gouvernement, en échange d’un « compromis » sur le budget. Autour de Sébastien Lecornu, on commence à plancher sur une copie qui pourrait satisfaire les socialistes sans trop hérisser l’aile la plus libérale du camp présidentiel. Mais pas question de suspendre la réforme des retraites. « [La suspension] ne réglerait aucun des problèmes », affirme le 26 septembre au Parisien le premier ministre, qui en profite également pour balayer la taxe Zucman.

« À ce moment-là, Lecornu a peur des marchés financiers, il est cramponné », raconte Jérôme Guedj. « C’est déjà tendu dans sa majorité, il ne propose rien et renvoie tout aux aléas des discussions parlementaires », abonde un de ses collègues. Dans les rangs du PS, les divisions se creusent aussi. Deux lignes s’opposent : celle d’Olivier Faure qui, sur les conseils de Laurent Baumel, refuse tout recours au 49-3 ; et celle de Boris Vallaud, François Hollande et Jérôme Guedj, qui veulent un « accord formalisé », avec recours éventuel à cet article controversé de la Constitution. « L’essentiel, c’est la fin, pas le moyen », juge ainsi le chef du groupe à l’Assemblée.

C’est Marylise Léon qui a plié le “game”.

Un socialiste

Le 3 octobre, le premier « bougé » a lieu : Sébastien Lecornu « décid[e] de renoncer à l’article 49-3 ». Pour la première fois sous la VRépublique, un gouvernement sans majorité met son avenir entre les mains du Parlement. « Une commodité du point de vue du premier ministre qui est pris dans des difficultés insondables dues aux rivalités en vue de 2027 : plutôt que de cheffer son propre camp, il fait donc le pari d’une gestion spontanée », relate un socialiste aux premières loges des négociations.

Au lendemain de la démission surprise du premier ministre, après un embrouillamini autour de Bruno Retailleau et de Bruno Le Maire, la panique s’est emparée des macronistes et la menace de dissolution s’est remise à planer au-dessus des têtes. Plusieurs élus du camp présidentiel plaident désormais, à bas bruit, pour la « suspension » de la réforme des retraites. Gabriel Attal exhorte ses troupes « à aller au compromis ». Et le 7 octobre, Élisabeth Borne appelle elle-même dans Le Parisienà revenir sur la réforme qui lui a tant coûté en 2023.

Dont acte le 14 octobre. Lors de sa déclaration de politique générale, Sébastien Lecornu rend les armes et annonce « la suspension » de la réforme des retraites. L’élément déclencheur ? Juste avant son intervention dans l’hémicycle, une rencontre secrète a eu lieu à l’Élysée entre le président de la République et la secrétaire de la CFDT Marylise Léon. Contactée par Mediapart, la CFDT confirme un « échange » où Emmanuel Macron a évoqué un « décalage »« C’est elle qui a plié le game », convient-on dans les rangs du PS, qui refuse alors de voter la censure sous les « Vendus ! » lancés depuis les bancs du RN et les protestations de La France insoumise (LFI).

Acte 2 : la romance Faure-Lecornu

Au PS, où l’on savoure cette première avancée, l’ambiance s’est tendue. Peu à peu, deux réalités parallèles cohabitent. D’un côté, les réunions techniques entre chefs de file de tous les groupes parlementaires avec les ministres et les directeurs de cabinet. De l’autre, les échanges informels entre Olivier Faure et Sébastien Lecornu.

Les rapports entre les deux hommes s’intensifient jusqu’à devenir presque exclusifs, au grand dam du reste du groupe, qui se sent parfois exclu des discussions. « Lecornu m’a dit : “Olivier Faure, je le traite tous les jours, je me mets un reminderpour penser à l’appeler” », relate en riant un député socialiste, qui assure qu’« Olivier est devenu l’interlocuteur préféré du premier ministre ».

Sébastien Lecornu et Olivier Faure, qui se tutoient, partagent une certaine intelligence tactique, mais surtout des intérêts communs. Chacun dans son couloir, ils jouent à quitte ou double leur avenir politique sur les débats budgétaires. Pour le premier, l’enjeu est son maintien à Matignon, envisagé comme une rampe de lancement pour 2027. Le second entend quant à lui asseoir son magistère sur le PS, après un congrès catastrophique, condition sine qua non pour lui aussi d’une possible ambition présidentielle.

Si tous deux savent l’accord impossible sur le projet de loi de finances (PLF), ils veulent fonder leur légitimité respective sur une victoire parlementaire lors du PLFSS. En cette fin octobre, les négociations entrent donc dans le dur. LFI hausse le ton contre le PS : seul un « miracle » lui permettrait de réussir son « pari », fustige la députée insoumise Gabrielle Cathala, qui soupçonne les socialistes de « prendre les gens pour des imbéciles »« L’important, ce n’est pas la chute, c’est l’atterrissage », répète à l’envi Manuel Bompard.

Une partie du groupe de Boris Vallaud commence elle aussi à douter. Il faut dire que le renoncement à la censure a été, à certains égards, mal vécu. Des pressions ont été exercées sur les récalcitrants par la direction du groupe. « Tu quittes le PS ? », demande publiquement la sénatrice socialiste Marie-Pierre de La Gontrie à Paul Christophle, un des sept à avoir voté pour renverser le gouvernement le 16 octobre.

Début novembre, nouveau coup dur : la taxe Zucman, y compris sa version « allégée », est dégagée du PLF. La déprime s’empare des troupes et plusieurs députés se mettent à réclamer le retour du 49-3 (dont l’abandon a été qualifié de « vraie connerie » par François Hollande et Boris Vallaud), pour faire passer un budget de « compromis », alors que l’aile la plus droitière du « socle commun » menace de lâcher Sébastien Lecornu. « Il ne faut jamais se priver d’une disposition constitutionnelle », déclare l’ancien président de la République sur BFMTV, appelant à mi-mot au 49-3 pour sortir du blocage.

Sur la période, Faure a eu une détermination et une clarté remarquables.

Philippe Brun, député socialiste

En ce soir d’hiver, attablé autour d’un Perrier, le député PS Pierrick Courbon fait part de ses doutes : « Plus personne n’y comprend rien. Dans sa version finale, le PLFSS sera mieux que sa version initiale et pas aussi inacceptable que le PLF. Mais ce n’est pas les trois clopinettes qu’on a obtenues qui le rendent “votable” par les socialistes », souligne-t-il, redoutant que son parti finisse par « bascule[r] d’un désir de compromis qui n’a rien de honteux à une exigence de compromis à tout prix ».

Pris en tenailles, Olivier Faure reste pourtant de marbre, passant les réunions houleuses à tirer compulsivement sur sa cigarette électronique, retranché dans un silence d’encre. « Sur la période, il a eu une détermination et une clarté remarquables. C’est comme s’il n’avait jamais douté », lui reconnaît son ancien opposant du congrès Philippe Brun.

Acte 3 : dans la seringue

Fin novembre, au retour du Sénat qui a dépecé le texte des députés, les choses sont encore sous contrôle. Comme il en a été convenu en coulisses, les parlementaires ont fait échouer la commission mixte paritaire, ce qui laisse les mains libres à l’Assemblée pour réécrire le texte en deuxième lecture. Dès lors, « tout est possible, le déraillement comme l’arrivée en gare », résume Boris Vallaud.

C’était sans compter l’attitude du groupe d’Édouard Philippe. Mardi 2 décembre, stupeur dans les rangs du camp présidentiel : l’ancien premier ministre annonce que ses troupes refuseront de soutenir le texte final, au risque de faire capoter les plus de 125 heures de débats en séance.

Au PS, on s’étrangle : « On avait réfléchi à tous les bordels possibles, mais personne n’avait pensé à Édouard Philippe », s’agace Philippe Brun, qui souligne que« normalement, dans un débat budgétaire, ça se crispe au moment de la première lecture, pas à la dernière minute ». Sur LCP, Jérôme Guedj, qui connaît de longue date son « pote de droite » avec lequel il révisait le concours d’entrée à l’École nationale d’administration (ENA), s’étonne d’une décision « un peu punk ». La saillie fera « bien marrer » le maire du Havre (Seine-Maritime).

Celui-ci serait-il le grand « bordéliseur » des débats ? Dans les couloirs du Palais-Bourbon, les langues se délient, notamment au MoDem, qui s’est illustré comme le bon élève de la coalition présidentielle. « Je ne comprends pas ce qui arrive à Horizons. Ça sent trop la stratégie présidentielle, mais je rappelle que si Philippe veut être au cœur de la majorité pour 2027, il faudrait peut-être éviter de la mettre en péril. Qui va soutenir un mec qui ne fait pas preuve de solidarité ? », lâche le député centriste Bruno Fuchs.

Dans les négos, c’est toujours nous qui reculons et eux qui avancent.

Cyrielle Chatelain, présidente du groupe Écologiste et social

La révolte d’Horizons s’est cristallisée sur la mesure de la CSG sur le patrimoine. Dans les couloirs, les conciliabules se multiplient pour trouver une porte de sortie. Les présidents des groupes de l’ancien « socle commun » se rassemblent dans le bureau de Gabriel Attal pour une réunion de la dernière chance. Pour apaiser Laurent Wauquiez, Sébastien Lecornu accepte de diviser le rendement de la CSG par deux, qui passe de 2,8 milliards à 1,5 milliard.

Une nouvelle douche froide pour le PS. « On fait comment maintenant ? », s’inquiète Boris Vallaud. Jérôme Guedj repart à l’abordage, propose de réduire l’assiette mais d’augmenter le taux. Le gouvernement finit par promettre à la gauche de ne pas « passer en force » sur le doublement des franchises médicales et un rehaussement de l’objectif national de dépenses d’assurance-maladie (Ondam) à 2,5 %. Un accord « potable », finit par trancher Jérôme Guedj.

Pas assez pour convaincre les Écologistes. Alors qu’Olivier Faure assurait mordicusque ceux-ci finiraient par s’abstenir, les voilà qui refusent de jouer le jeu du « compromis »« On a répété pendant des semaines à Lecornu de traiter les Verts, mais il les a reçus entre deux portes trop vite et trop tard », déplore un député PS. Quant aux petits coups de pression des socialistes sur les écologistes dans les salons bordant l’hémicycle – « On dirait des frelons asiatiques ! », raconte un député écolo –, ils ont passablement agacé la direction du groupe, où l’on regrette d’avoir tout du long été tenu à l’écart.

Budget de la « Sécu » : Sébastien Lecornu et Olivier Faure jouent à quitte ou double avant le vote solennel

L’Assemblée nationale est appelée à se prononcer, mardi 9 décembre, sur le projet de loi de financement de la Sécurité sociale. Le premier secrétaire du Parti socialiste appelle les députés à voter pour. Un rejet du texte aurait de lourdes conséquences pour le pays, et pour le premier ministre. 

Par Sandrine Cassini et Nathalie Segaunes

Publié aujourd’hui à 05h00, modifié à 15h30 https://www.lemonde.fr/politique/article/2025/12/08/budget-de-la-secu-sebastien-lecornu-et-olivier-faure-jouent-a-quitte-ou-double-avant-le-vote-solennel_6656417_823448.html?lmd_medium=email&lmd_campaign=trf_newsletters_lmfr&lmd_creation=a_la_une&lmd_send_date=20251208&lmd_link&&M_BT=53496897516380#x3D;tempsforts-title-_titre_2

Le premier ministre, Sébastien Lecornu, à l’Assemblée nationale, à Paris, le 5 décembre 2025.
Le premier ministre, Sébastien Lecornu, à l’Assemblée nationale, à Paris, le 5 décembre 2025.  JULIEN MUGUET POUR « LE MONDE »

C’est ici que les Athéniens s’atteignirent. Les députés auront la lourde responsabilité, mardi 9 décembre, de se prononcer sur le projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS), pour la première fois depuis 2022. Le premier ministre, Sébastien Lecornu, qui a voulu « partager le pouvoir entre le gouvernement et l’Assemblée nationale » en se privant de l’article 49.3 de la Constitution, joue gros lui aussi.

Car un rejet du budget de la « Sécu » entraînerait sans doute un vote négatif sur le projet de loi de finances (PLF) dans les prochaines semaines. Et donc l’absence de budget au 31 décembre, pour la deuxième année consécutive depuis la dissolution de l’Assemblée nationale de juin 2024. « Ne pas avoir de budget serait dangereux, pour notre protection sociale, nos comptes publics et pour le rôle du Parlement », a écrit Sébastien Lecornu sur X dans la nuit de vendredi à samedi.

L’incertitude est totale sur l’issue du vote prévu mardi. Certes, le volet recettes du projet du PLFSS a été adopté, vendredi, grâce à de nombreux compromis, le premier ministre ayant fait le choix d’une négociation « au fil de l’eau ». La réduction de l’assiette de la hausse de la contribution sociale généralisée (CSG) sur le patrimoine (avec un rendement passé de 2,8 milliards d’euros à 1,5 milliard) a visiblement aidé quelques députés Les Républicains (LR) et Horizons à s’abstenir au lieu de voter contre. Tandis que l’abandon du doublement des franchises médicales a facilité le vote positif des socialistes.

Lire aussi |    Budget de la « Sécu » : après le vote des recettes, une issue encore incertaine à l’Assemblée nationale

Mais ce sont surtout les obsèques d’un compagnon de route de Jean-Marie Le Pen, Alain Jamet, auquel assistaient de nombreux députés du Rassemblement national (RN), qui ont permis l’adoption du volet recettes. « Nous serons parfaitement nombreux et totalement présents » pour voter contre l’ensemble du projet de loi, a averti, dimanche, le député (RN) de la Somme Jean-Philippe Tanguy, invité au « Grand Jury » RTL-Public Sénat-Le Figaro-M6.

Aussi l’adoption du volet dépenses du PLFSS, mardi, qui prévoit notamment l’emblématique suspension de la réforme des retraites, s’annonce-t-elle beaucoup plus aléatoire. D’autant que la fragile coalition censée soutenir le premier ministre s’est désunie ces derniers jours. L’ancien ministre de l’intérieur et président du parti Les Républicains (LR), Bruno Retailleau, a encouragé les députés de sa formation à ne pas voter le budget de la « Sécu ». Tout comme l’ancien premier ministre Edouard Philippe, à l’intention des députés Horizons.

Pression maximale

« On décidera mardi entre le vote contre ou l’abstention, affirme Frédéric Valletoux, président (Horizons) de la commission des affaires sociales à l’Assemblée nationale, mais on ne souhaite pas que le budget échoue. » Pierre-Yves Bournazel, membre du bureau politique d’Horizons, a appelé Sébastien Lecornu, dimanche, à recourir à l’article 49.3. Mais le premier ministre a fait depuis longtemps le calcul qu’il avait davantage à perdre qu’à gagner en engageant la responsabilité de son gouvernement, fût-ce dans la dernière ligne droite. « Ce qu’il y a de plus précieux en politique, c’est le respect de la parole donnée », rappelle le député (Renaissance) des Hauts-de-Seine Pierre Cazeneuve.

La pression sera maximale, mardi, au moment du vote, notamment celle des électeurs. « Ce week-end, les députés ont tous fait les cérémonies de Sainte-Barbe, le Téléthon, les marchés de Noël, et ont pu constater que les Français veulent un budget et que le bazar s’arrête », témoigne le député (divers centre) d’Eure-et-Loir Harold Huwart.

A propos de « bazar », une petite bronca a éclaté vendredi soir dans l’Hémicycle, opposant la députée (Parti socialiste, PS) du Rhône Sandrine Runel à des collègues macronistes à cran. « Cette “année blanche” [le gel des pensions de retraite et des prestations sociales prévu dans le texte initial du gouvernement] est une honte sans nom, ou plutôt une honte qui a un nom, c’est celle de votre gouvernement », leur a-t-elle lancé. Vent de protestation sur les bancs. Une autre escarmouche a ensuite opposé la même élue au camp présidentiel.

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Alors, quand, à minuit passé, la ministre de la santé, Stéphanie Rist, a annoncé qu’elle allait déposer un amendement du gouvernement pour rehausser à 3 % le niveau de l’Objectif national de dépenses d’assurance-maladie (Ondam), la colère a gagné le camp présidentiel.

Censée durer quelques minutes, la suspension de séance s’étire en longueur. Les députés du groupe Ensemble pour la République (EPR), qui ont le sentiment de se « faire marcher dessus » par les socialistes, protestent. « Ça suffit », glissent certains d’entre eux, dans les couloirs du Palais-Bourbon, fatigués des « cadeaux faits aux socialistes ». D’autant qu’en raison de l’heure avancée les présidents de groupe Gabriel Attal (EPR) et Marc Fesneau (MoDem) n’ont pas pu se concerter avec le gouvernement.

Face au courroux général, Stéphanie Rist a retiré son amendement. « Le gouvernement fera une dernière proposition, transparente et responsable, qui devra être financée par des mesures structurelles », annonçait Sébastien Lecornu sur X, à 3 heures du matin samedi. Sur le papier, la ministre entendait simplement mettre à jour les dépenses de santé, en tenant compte du renoncement au doublement des franchises médicales, qui correspond de facto à un manque à gagner pour les caisses de la Sécurité sociale. Une demande « transpartisane » à l’Assemblée nationale, rappelle, de son côté, la présidente du groupe écologiste, Cyrielle Chatelain.

Tango gouvernemental

Mais le gouvernement voulait également envoyer un signal aux Ecologistes, dont la consigne de vote sera cruciale, mardi. Ceux-ci ont soufflé le chaud et le froid ces dernières semaines, s’abstenant sur la partie recettes du PLFSS en première lecture, mais votant contre, vendredi. « Ce qui va nous guider, ce sont les moyens accordés aux soignants, que ce soit à l’hôpital ou dans les soins de ville », martèle Cyrielle Chatelain. Les Verts se décideront mardi en réunion de groupe. En attendant, le premier secrétaire du PS, Olivier Faure, tente matin, midi et soir de les convaincre de laisser passer le budget de la « Sécu ».

Chez les socialistes, une autre révolution copernicienne a été opérée, et la consigne est désormais claire : « Aujourd’hui, la copie est passable et c’est la raison pour laquelle [mardi], devant mon groupe, je plaiderai pour que nous votions pour », a affirmé sur BFM-TV, lundi matin, Olivier Faure. Pensant que leur abstention suffirait, les socialistes n’avaient encore jamais mis sur la table l’éventualité d’un vote « pour », une décision inimaginable sur un texte budgétaire pour un parti d’opposition.

Mais l’équation a changé le 2 décembre, quand le président d’Horizons, Edouard Philippe, a exprimé son opposition au PLFSS. Depuis, certains élus du PS font entendre une petite musique. Les socialistes « prendront leurs responsabilités », répète ainsi Laurent Baumel (Indre-et-Loire), proche d’Olivier Faure. « Ce travail s’est fait progressivement. Les esprits s’y sont préparés », assure le député (PS) de l’Essonne Jérôme Guedj, très impliqué dans l’élaboration de ce compromis avec la ministre chargée des comptes publics, Amélie de Montchalin.

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Lui se félicite de ce tango gouvernemental. « Cela n’a jamais existé un débat comme ça dans l’Hémicycle », observe-t-il. Le socialiste apprécie la relation de travail qui s’est nouée avec la ministre, dont il avait raflé la circonscription de l’Essonne en 2022. Jeudi, à l’heure du déjeuner, il a livré son enthousiasme à l’ex-première ministre Elisabeth Borne, députée (Renaissance) du Calvados, et à Aurélien Rousseau (Yvelines), ancien membre du gouvernement, désormais membre du groupe socialiste. « On aurait dû commencer en 2022 », leur a dit Jérôme Guedj. « Vous vous cramponniez à la Nupes [Nouvelle Union populaire écologique et sociale, l’alliance formée par la gauche en 2022] », lui a reproché Aurélien Rousseau. « Vous n’avez pas cherché à nous décrocher », a rétorqué l’élu de l’Essonne. De fait, à l’époque, s’est souvenu le trio, ni Emmanuel Macron ni Renaissance n’étaient prêts à des compromis.

Un rejet du texte, mardi, déclencherait une « crise politique »« économique » et « sociale », a mis en garde, dimanche, le ministre du travail, Jean-Pierre Farandou. Les oppositions appelleraient sans surprise à la démission du premier ministre, une possibilité que la porte-parole du gouvernement, Maud Bregeon, a exclue dimanche.

La pression monte avant le vote solennel, mais Sébastien Lecornu a encore le temps, jusqu’à mardi soir, d’abattre ses dernières cartes. Tandis qu’Olivier Faure doit encore convaincre son groupe de voter le budget. L’un comme l’autre, au bord de la falaise, affichent le plus grand calme. Il y a quelques jours, le premier ministre semblait ne rien regretter : « Au moins, on se sera donné la chance que ça fonctionne. » Tous deux savent qu’en cas d’échec ils seront politiquement perdants.

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Mise à jour du 8 décembre à 9 heures : ajout de la déclaration d’Olivier Faure sur BFM-TV.

Publié par jscheffer81

Cardiologue ancien chef de service au CH d'Albi et ancien administrateur Ancien membre de Conseil de Faculté Toulouse-Purpan et du bureau de la fédération des internes de région sanitaire Cofondateur de syndicats de praticiens hospitaliers et d'associations sur l'hôpital public et l'accès au soins - Comité de Défense de l'Hopital et de la Santé d'Albi Auteur du pacte écologique pour l'Albigeois en 2007 Candidat aux municipales sur les listes des verts et d'EELV avant 2020 Membre du Collectif Citoyen Albi

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