Le grand âge, le cadeau empoisonné

Comment le « grand âge » revient dans le débat politique

Le sujet s’est invité de nouveau dans le débat national à l’occasion des tractations de Sébastien Lecornu sur le projet de loi de financement de la Sécurité sociale. 

Par Publié hier à 11h00, modifié hier à 11h23 https://www.lemonde.fr/societe/article/2025/12/06/comment-le-grand-age-revient-dans-le-debat-politique_6656248_3224.html

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Pour « répondre aux défis du vieillissement », Emmanuel Macron avait promis, en 2018 et en 2020, une grande « loi ». Le dessein présidentiel est enterré. Depuis, les gouvernements successifs éludent la question du financement de l’accompagnement du grand âge. Le sujet s’est pourtant invité de nouveau dans le débat national à l’occasion des tractations de Sébastien Lecornu sur le projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS). Il a aussi resurgi dans les discussions que le premier ministre vient de lancer, avec les départements, dans le cadre d’un projet de loi sur la décentralisation qu’il compte présenter début 2026.

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L’opération a été rondement menée. Jeudi, dans l’Hémicyle, le gouvernement présentait un amendement décisif pour espérer trouver une majorité, le 9 décembre, lors du vote solennel sur le PLFSS. La disposition avait été ciselée par l’exécutif pour qu’elle agrée aussi bien le parti Les Républicains que le Parti socialiste (PS). Elle instaure une hausse de la contribution sociale généralisée (CSG) de 9,2 % à 10,6 % sur certains revenus du capital, une mesure susceptible de dégager 1,5 milliard d’euros de recettes. Le compromis n’a pas seulement porté sur la liste des placements financiers soumis à une majoration de la CSG. Il fallait une autre clé : le député (LR) de la Meurthe-et-Moselle Thibault Bazin, rapporteur général sur le texte, a ainsi proposé que cette manne de 1,5 milliard soit affectée à la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie (CNSA), qui finance les politiques en faveur des personnes âgées et handicapées. L’instance voyait ainsi son déficit, anticipé à 1,7 milliard d’euros en 2026, en grande partie renfloué.

Sébastien Lecornu savait que le fléchage de ce produit de la CSG sur le capital vers la CNSA était nécessaire pour arriver à ses fins. L’accord a été validé avant la séance entre les chefs de file du bloc central, le premier ministre et Amélie de Montchalin, la ministre de l’action et des comptes publics. Paul Christophe, patron des députés Horizons, lui en avait soufflé l’idée comme une des deux conditions pour que ses troupes et celles du groupe Droite républicaine ne votent pas contre une hausse de cette taxe sur le capital, farouchement réclamée par ailleurs par le PS.

Député du Nord, Paul Christophe n’en est pas à son coup d’essai dans la défense des financements de la perte d’autonomie. En 2020, il avait convaincu Edouard Philippe, alors premier ministre, de créer une cinquième branche de la Sécurité sociale, pilotée par la CNSA. Avec en prime un bonus de 0,15 point de CSG programmé pour lui être versé en 2024, soit 2,4 milliards d’euros supplémentaires pour un budget qui dépasse les 43 milliards en 2025. Ministre des solidarités dans le gouvernement de Michel Barnier, Paul Christophe avait obtenu dans le PLFSS pour 2025 une hausse des moyens de la CNSA. « Pour la première fois, on est en train d’affecter de manière claire une recette (…) sur quelque chose d’absolument clé pour l’avenir, qui est le financement de la dépendance », s’est félicité Sébastien Lecornu, jeudi dans l’Hémicycle.

Equations budgétaires insolubles

Le chef du gouvernement a ouvert un autre chantier fiscal affectant les politiques du grand âge. Lors du congrès de l’Assemblée des départements de France, le 14 novembre à Albi, le premier ministre a esquissé les grandes lignes d’un projet de loi sur la décentralisation, au sujet duquel il devrait s’exprimer, le 17 décembre, au conseil des ministres. Sébastien Lecornu souhaite transférer de nouvelles compétences aux conseils départementaux, qui doivent devenir « la collectivité des solidarités, du médico-social et (…) du sanitaire », a-t-il expliqué. Dès lors, « il est logique que les conseils départementaux perçoivent une part de la CSG. C’est une évidence. »

Infographie : Le Monde

Dans un courrier qu’il a adressé, le 24 novembre, aux présidents de département, le premier ministre est plus précis : « Le gouvernement envisage de vous confier pleinement la planification, l’organisation et la responsabilité du maintien à domicile des personnes en perte d’autonomie. » A cet effet, il s’engage dans sa lettre à mettre en place « un groupe de travail » sur le transfert d’une part de la CSG.

Par cette annonce, le premier ministre cherche à rassurer les départements, en proie à des équations budgétaires insolubles du fait de leurs dépenses sociales qui augmentent et de leurs recettes fiscales qui diminuent. « On ne peut plus financer les solidarités et la protection sociale avec les seules recettes issues du marché immobilier ou de la consommation, confie auMonde Jean-Luc Gleyze, le président (PS) de la Gironde. Nous sommes au bout de l’exercice. Aujourd’hui, il nous faut une ressource nouvelle pérenne. Le transfert d’une part de la CSG est un impératif », plaide le président du groupe des départements de gauche au sein de l’Assemblée des départements de France.

Mais comment affecter une part de la CSG aux départements, si ce n’est en la prélevant sur le budget de la CNSA, financée à près de 90 % par cette taxe ? Inspirés par l’Assemblée des départements de France, quelques députés de plusieurs groupes avaient défendu, le 8 novembre, en première lecture du PLFSS un amendement qui visait à ponctionner sur le budget de la CNSA 1,4 milliard d’euros de la CSG sur deux ans pour distribuer directement cette somme aux départements. La mesure a été adoptée à l’Assemblée. Mais le Sénat l’a supprimée, lors de l’examen du PLFSS, le 22 novembre, considérant que la CSG avait vocation à financer uniquement la Sécurité sociale.

« Cadeau empoisonné »

Paradoxalement, les pistes tracées à Albi par le premier ministre ont provoqué une levée de boucliers des professionnels du secteur du soutien à domicile. Ainsi, 18 fédérations d’employeurs lui ont adressé une lettre ouverte, le 27 novembre, lui demandant de « renoncer » à un « transfert de compétences » aux départements « qui risque d’aggraver une prise en charge [déjà] très inégalitaire » d’un territoire à l’autre.

« Ce qui nous inquiète, explique Jean-Pierre Riso, président de la Fédération nationale des associations de directeurs d’établissements et services pour personnes âgées, l’une des fédérations signataires de la lettre à Matignon, c’est d’abord le projet de verser directement aux conseils départementaux une part de la CSG qui ne transiterait plus par la CNSA. » Les professionnels s’alarment : qui contrôlerait que cette taxe est bien affectée par les départements aux financements des prestations versées aux personnes âgées ou aux handicapées ? « Les départements ne sont pas en position d’assurer à eux seuls la montée en charge financière de l’accompagnement des personnes âgées, qui va exploser à partir de 2030. Leur promettre une part de la CSG en échange de cette mission pourrait relever du cadeau empoisonné », prévient Marc Bourquin, conseiller stratégie à la Fédération hospitalière de France.

Les 18 fédérations du secteur seront reçues lundi par Charlotte Parmentier-Lecocq, ministre déléguée aux personnes âgées et handicapées. A l’ordre du jour : le projet de loi de décentralisation sur lequel la ministre doit faire des propositions à Matignon. « Compte tenu du vieillissement de la population, l’évolution exponentielle des besoins nécessitera quoi qu’il arrive une recette dédiée, car on ne peut accepter que la branche autonomie puisse être déficitaire », précise-t-elle au Monde.

Le transfert de 1,5 milliard d’euros de la CSG à la CNSA voté jeudi a toutefois contribué à rassurer le secteur. Certes, la mesure a été décidée « sans stratégie d’ensemble pour le grand âge », déplore Franck Nataf, président de la Fédération française des services à la personne et de proximité, une des deux grandes fédérations du domicile, mais, se félicite-t-il, « c’est Noël avant l’heure ».

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Publié par jscheffer81

Cardiologue ancien chef de service au CH d'Albi et ancien administrateur Ancien membre de Conseil de Faculté Toulouse-Purpan et du bureau de la fédération des internes de région sanitaire Cofondateur de syndicats de praticiens hospitaliers et d'associations sur l'hôpital public et l'accès au soins - Comité de Défense de l'Hopital et de la Santé d'Albi Auteur du pacte écologique pour l'Albigeois en 2007 Candidat aux municipales sur les listes des verts et d'EELV avant 2020 Membre du Collectif Citoyen Albi

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