Enquête : difficile équilibre entre vie professionnelle et vie personnelle chez les médecins européens
Christophe Gattuso
Si une petite majorité de médecins européens se considèrent satisfaits de leur vie professionnelle, une part non négligeable se disent épuisés et souhaiteraient disposer de plus de temps libre pour prendre soin d’eux et de leur famille, selon les résultats d’une vaste enquête internationale menée par Medscape auprès de 5 722 praticiens de six pays européens*.
C’est une photographie à l’instant T qui confirme en effet un certain mal-être du corps médical en Europe. Medscape a interrogé des médecins exerçant à temps plein en France, mais aussi en Allemagne, en Italie, au Portugal, en Espagne et au Royaume-Uni, afin d’étudier comment ils priorisent leur santé personnelle, gèrent l’épuisement professionnel et évaluent leur bien-être. Il en ressort qu’une part non négligeable de médecins ne sont pas satisfaits de leur vie professionnelle et que cette dernière a un impact considérable sur leur bien-être.
Si les médecins britanniques et espagnols se distinguent de leurs collègues européens par des niveaux de satisfaction plus élevés concernant leur travail et leur bien-être mental, les médecins italiens semblent en revanche les plus insatisfaits.
Un impact considérable du travail sur le bien-être
Une part importante de médecins interrogés dans cette enquête s’estiment en burn-out : 40% en Espagne, plus de 20% en Allemagne et en Grande-Bretagne, tandis que les Français se sentent moins concernés.

Une majorité de médecins ayant déclaré souffrir d’épuisement imputent ce ressenti à leur métier. Le Royaume-Uni arrive en tête avec 31 % d’entre eux l’attribuant « entièrement » au travail, tandis qu’en Espagne 56 % estiment que leur travail est responsable entièrement ou en partie de leur burn-out. Ils sont en revanche beaucoup moins nombreux à incriminer leur vie personnelle dans leur mal-être : le Portugal se distingue avec 24 % d’entre eux affirmant qu’elle en est la cause principale, tandis que les médecins espagnols (39 %) et britanniques (40 %) sont les plus nombreux à déclarer que leur vie personnelle n’est pas du tout la cause de leur détresse psychologique.
Prêts à travailler moins pour aller mieux
Les médecins européens sont conscients de leur mal-être et déclarent être attentifs à leur santé. Les praticiens français semblent les plus impliqués puisque 9 sur 10 considèrent leur bien-être comme une priorité absolue. À l’inverse, plus de la moitié des médecins allemands et espagnols déclarent que leur santé n’est pas au centre de leur attention.
Les médecins britanniques ayant répondu à l’enquête semblent mal vivre les pressions qu’ils ressentent en lien avec leur travail. Ils seraient davantage disposés que leurs confrères européens à accepter une moindre rémunération en échange de plus de temps libre et d’un meilleur équilibre entre vie professionnelle et vie privée.

les médecins français sont ceux qui prennent le plus de vacances
Cela s’explique peut-être par le fait que les médecins britanniques sont ceux qui prennent le moins de vacances. Environ un médecin sur six — surtout au Royaume-Uni — estime que les vacances sont « assez » ou « pas du tout » importantes. Les 7 % d’entre eux les plus « workaholics » déclarent prendre moins d’une semaine de congés par an. À l’inverse, les médecins français sont ceux qui prennent le plus de vacances : 75 % d’entre eux déclarent prendre au moins 5 semaines de congés par an.
Plus de la moitié des médecins italiens et portugais ayant répondu à l’enquête ont déclaré que leur droit légal dans leur pays, de 4 semaines et 22 jours, respectivement, est insuffisant pour une véritable convalescence et une productivité optimale.
Les médecins, cordonniers mal chaussés ?
Partout en Europe, une majorité de médecins déclarent miser sur l’exercice physique, les loisirs et les moments passés en famille et entre amis pour préserver leur santé mentale. Les praticiens espagnols sont les plus nombreux à mettre en avant l’importance des moments en famille (72 %), tandis que 65% des médecins allemands privilégient le sommeil. Les Allemands étaient également plus enclins que leurs collègues d’autres pays à faire du bénévolat (17 %)… Mais ils sont aussi 16 % à concéder consommer de l’alcool. Une part non négligeable de médecins européens (entre 10 % et 20 % selon le pays) indiquent se prescrire des médicaments pour faire face à ce mal-être.
S’ils ont conscience de l’importance et des bienfaits de l’activité physique, rares sont les médecins ayant répondu à notre enquête qui ont déclaré faire de l’exercice plus de trois fois par semaine. Un médecin italien sur quatre déclare ne pas pratiquer d’activité physique du tout.
Une majorité de praticiens affirme faire attention à avoir une alimentation équilibrée. C’est le cas tout particulièrement en Espagne où 91% pensent avoir une alimentation très saine ou plutôt saine, mais aussi en Grande-Bretagne (88%). À l’inverse, en France et en Italie, pays à forte tradition gastronomique, près d’un médecin sur cinq qualifie son propre régime alimentaire de déséquilibré.
Un travail prenant qui malmène les relations sociales
Conséquence de la prédominance de leur activité professionnelle, environ la moitié des médecins européens ayant répondu à l’enquête de Medscape déclarent que le manque de temps complique le maintien d’amitiés étroites. C’est le cas pour 58 % des praticiens au Portugal. En Allemagne (23 %) et au Royaume-Uni (21 %), beaucoup estiment qu’entretenir leurs relations amicales demande tout simplement trop d’énergie.
Les médecins allemands et britanniques figurent parmi les plus grands utilisateurs d’Internet à titre personnel
À une époque d’hyperconnexion, les médecins déclarent passer beaucoup de temps en ligne ou derrière un écran, tant au travail qu’à la maison. Les médecins allemands et britanniques figurent parmi les plus grands utilisateurs d’Internet à titre personnel , 16 % d’entre eux y consacrant plus de 4 heures par jour. Un médecin français sur trois passe moins de deux heures par jour en ligne pour un usage personnel. Pour se détendre, 84 % des médecins portugais et 76 % des médecins britanniques trouvent l’utilisation d’Internet après le travail utile, tandis que de nombreux Français (43 %) et Italiens (46 %) affirment que cela ne les aide jamais à se relaxer.
Les résultats de cette enquête confirment la nécessité de trouver des solutions pour venir en aide aux médecins européens. En 2023, le Comité permanent des médecins européens avait publié des recommandations visant à améliorer le bien-être des médecins en Europe. Parmi celles-ci, l’instance défendait la mise en place de normes pour recruter des effectifs minimaux dans le secteur de la santé afin de garantir des niveaux de personnel suffisants, la garantie d’un financement adéquat pour le secteur médical, la réduction de la charge administrative et l’intégration de la promotion du bien-être dans les cursus de formation médicale.
* Enquête menée entre le 4 décembre 2024 et le 28 mars 2025 par réponse à un questionnaire en ligne auquel ont répondu 5 722 médecins européens dont 1 055 praticiens français, 1 059 allemands, 1 229 italiens 1 036 espagnols, 903 britanniques et 440 portugais.