Le développement de l’esprit critique et la formation à la démarche scientifique (pour aider par exemple à distinguer les études en fonction de leur force probante) sont primordiaux.

Transmission de l’information scientifique : le meilleur des labels est l’esprit critique

Aurélie Haroche | 05 Décembre 2025 https://www.jim.fr/viewarticle/transmission-linformation-scientifique-meilleur-des-labels-2025a1000y4w?ecd=wnl_all_251206_jim_jim-plus_

Toute la semaine, les déclarations du Président de la République concernant les dangers représentés par les algorithmes des réseaux sociaux (sans parler des groupes de presse détenus par des intérêts privés) pour la transmission d’une information fondée sur la raison ont suscité de nombreux commentaires – y compris outranciers.

La volonté affichée d’Emmanuel Macron « pour que soit mis en place un label » a notamment été largement raillée, certains n’hésitant pas à comparer cette initiative à la « Pravda », choisissant d’user de la caricature qu’on leur reproche pourtant. Cependant, alerter les citoyens sur les enjeux des algorithmes, signaler l’existence de différents niveaux de lecture (afin de mettre à jour l’écart entre présentation de faits et présentation d’opinions qui bien que légitimes doivent être énoncées comme telles) est évidement utile pour renforcer l’éclairage des lecteurs sur les dépêches qu’ils reçoivent. Alors que la circulation des fausses informations est souvent largement accélérée par rapport aux données fondées sur les faits ou la science et que la confiscation par certains des espaces de parole ne peut qu’alerter, cette préoccupation d’Emmanuel Macron marque une prise de conscience louable. En outre, on remarquera que le Président de la République a immédiatement écarté l’idée que ce label puisse être dispensé par l’Etat, préférant plutôt le confier à une ONG et à des professionnels. 

« La guerre contre la désinformation »

Dans le domaine de la santé et des sciences, cette question de la « labellisation » de l’information est évoquée depuis de nombreuses années. L’écho accordé aux antivaccins, la prévalence des dérives sectaires et plus généralement la place des discours complotistes dans le domaine de la santé semblent inviter au sursaut. D’autant plus que les conséquences peuvent être fatales : errances diagnostiques et abandon de traitement ne sont pas si rares, tandis que l’hésitation vaccinale est plus marquée encore. Ainsi, au mois de juin, à l’occasion d’un colloque sur « l’obscurantisme et la désinformation en santé », le ministre de l’époque, Yannick Neuder, avait déclaré « la guerre contre la désinformation ». Et parmi ses armes, il préconisait la mise en place d’un label (déjà) visant les soignants influenceurs afin que les citoyens puissent déterminer les personnes « habilitées à produire des informations sur les sujets de santé dont les propos sont vérifiés ». 

Le label, une censure déguisée ? 

Si l’on ne peut que gager de la sincérité de Yannick Neuder et même d’Emmanuel Macron et sans tomber dans les extrémités de leurs détracteurs, on se doit néanmoins de s’interroger sur l’efficacité et sur la pertinence de ces labels. Bien sûr, un label ne saurait être assimilé à une censure. Néanmoins, d’aucuns rappelleront la phrase de Jean-François Revel dans le Régime des passions qui écrivait : « une idée n’a pas besoin d’être vraie pour être exprimée. La censure idéologique présume toujours de son propre monopole sur la vérité, et c’est là que réside son crime contre la pensée ». 

Comment seront contrôlés les émetteurs de ces labels, même s’ils s’affichent comme des ONG indépendantes et des professionnels ? Qui pourra déterminer qu’ils ne sont la proie d’aucune influence (même les mieux intentionnées) ? 


Comment savoir ce qu’est la désinformation ? 

Dans l’histoire récente, on peut se demander quelles sont les informations et les médias qui auraient bénéficié du fameux label. Les articles évoquant la possibilité que SARS-Cov-2 se soit échappé d’un laboratoire n’auraient probablement pas reçu ce sésame (leur diffusion a d’ailleurs été restreinte sur certains réseaux sociaux car considérés comme colportant des thèses complotistes) alors qu’aujourd’hui des doutes sérieux demeurent sur l’existence d’une fuite accidentelle. Ou aurait-il fallu enlever leur label aux journaux de référence, dont le sérieux journalistique n’est plus à démontrer, quand ils ont mené une lutte contre la loi Duplomb en choisissant d’infirmer les conclusions de l’Agence européenne de sécurité sanitaire (EFSA) ou de l’Agence nationale de sécurité (ANSES). Pourrait-on discuter la pertinence de ce label face à la diffusion d’informations non fondées sur les sciences sur les OGM ou quand un ton catastrophiste est employé à propos de certains herbicides ou édulcorants ? Sur ces différents points liés à l’écologie et à ses enjeux sanitaires, plusieurs députés et journalistes ont récemment mis en garde contre la volonté de certains de légiférer contre la « désinformation climatique ». Une tribune avait en effet été signée dans ce sens par quarante-quatre parlementaires il y a quelques semaines à l’initiative de l’ONG Quota Climat. « Sous le couvert de « protéger le droit à l’information », ce texte menace en réalité deux piliers de notre démocratie : la liberté de la presse et le pluralisme du débat public » avaient écrit les opposants à ce texte. « Sous le couvert de lutter contre la désinformation, la tribune de Quota Climat et de 44 parlementaires entend contraindre la presse à trier les différentes études scientifiques : celles qui vont dans le sens d’une idéologie qui prône la décroissance et les autres, qui devraient être systématiquement écartées. Elle traduit une scandaleuse tentative d’atteinte à la liberté de penser et d’informer », s’indignaient-ils encore. 

Non contents d’être impuissants à décerner « la vérité » à tous les coups et potentiellement dangereux pour la liberté d’expression (indispensable à la démocratie), les labels ne paraissent en outre pas toujours parfaitement efficaces, tendant parfois à accroître la défiance des citoyens, peu désireux de se voir ainsi « dirigés » (exerçant ainsi pour une fois leur esprit critique !). 

Les armes existent déjà ! 

Faut-il pour autant laisser totalement faire et se satisfaire que certaines informations inaudibles sur les vaccins ou sur un médicament recueillent bien plus d’audience que des discours raisonnés ? Certainement pas. Mais les armes existent déjà, notamment à travers la loi sur la liberté de la presse de 1881. Ainsi, la journaliste du Point, Géraldine Woessner, spécialisée dans les questions écologiques, répète : « La désinformation, OUI, est l’un des maux du siècle. Les réseaux sociaux l’amplifient considérablement, c’est une réalité. On ne s’en protègera pas – jamais – en assénant des « vérités » officielles, un biais écrasant un autre, mais en renforçant l’esprit critique, en garantissant le pluralisme, et en appliquant les lois existantes, déjà très complètes. A commencer par celle de 1881, dont l’article 27 punit la diffusion de fausse nouvelle ».

L’esprit critique plutôt que le contrôle

Par ailleurs, et Yannick Neuder insistait également déjà lui aussi sur ce point, le développement de l’esprit critique et la formation à la démarche scientifique (pour aider par exemple à distinguer les études en fonction de leur force probante) est primordial. Yannick Neuder avait ainsi annoncé vouloir élaborer, en partenariat avec le ministère de l’Education Nationale, « un programme d’éducation à la pensée critique en matière d’informations médicales » mais aussi « proposer des formations citoyennes gratuites ». « La question d’une dérégulation du marché de l’attention, de plus en plus capté par les GAfam, est une réalité. Il y a un énorme travail d’éducation à faire la dessus. Mais ce n’est pas avec une surveillance permanente des opinions qu’on y parviendra. On ne résoudra pas la crise de confiance profonde qui affecte le monde politique, les médias, et dernièrement les scientifiques, par davantage de contrôle, mais par davantage de crédibilité, et d’efficacité. Je crois qu’il faut faire confiance au débat démocratique », défendait déjà il y a plusieurs années l’éditorialiste du Figaro Eugénie Bastié alors qu’une commission sur le complotisme avait été missionnée sur le sujet. 

Ne pas confondre audience et adhésion 

Confiance dans le débat démocratique et rappel également du fait qu’audience ne signifie pas nécessairement adhésion. Certes, les messages outranciers, les idées complotistes, les signaux catastrophistes se partagent bien plus largement que les informations mesurées, les pensées nuancées et les dialectiques pesées. Si le recours à l’émotion capte forcément l’attention, une partie des partages tient aussi de la moquerie, du décalage, de l’indignation. Les discours antivaccins n’ont jamais été aussi nombreux (et cette semaine l’Ordre des médecins remarquait le relatif échec des réseaux comme Meta à les limiter malgré leurs promesses). Pourtant, les Français sont majoritairement favorables à la vaccination et les résistances paraissent s’amenuiser. Grâce à un label ? Sans doute bien plus grâce au travail sans relâche de ceux dont le premier objectif est d’informer avant de décréter. 

 

Publié par jscheffer81

Cardiologue ancien chef de service au CH d'Albi et ancien administrateur Ancien membre de Conseil de Faculté Toulouse-Purpan et du bureau de la fédération des internes de région sanitaire Cofondateur de syndicats de praticiens hospitaliers et d'associations sur l'hôpital public et l'accès au soins - Comité de Défense de l'Hopital et de la Santé d'Albi Auteur du pacte écologique pour l'Albigeois en 2007 Candidat aux municipales sur les listes des verts et d'EELV avant 2020 Membre du Collectif Citoyen Albi

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