Donations, héritages, taxe foncière : le rapport qui propose un big bang fiscal
Le Conseil des prélèvements obligatoires dénonce une fiscalité du patrimoine complexe et inégalitaire. Il propose de nombreux changements, en commençant par une réforme des impôts sur les successions et les donations.
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Attention, sujet sensible ! L’affaire de la taxe foncière vient de le montrer. En toute discrétion, le ministère de l’économie avait prévu de réviser la base de calcul de cet impôt, le plus ancien et le plus important de tous ceux visant le patrimoine. La facture risquait de grimper pour des millions de propriétaires. Tollé immédiat. Et rétropédalage express du gouvernement.
« J’ai demandé aux ministres concernés de dilater » le calendrier prévu, a annoncé le premier ministre, Sébastien Lecornu, le 26 novembre. La hausse est suspendue jusqu’en « mai ou juin », le temps de revoir le projet. Sur le papier, une réforme paraît justifiée. Non seulement la base de calcul paraît obsolète, mais la taxe est devenue un impôt régressif qui pèse davantage sur les plus petits propriétaires. Pour autant, est-il politiquement possible d’y toucher ?
La question dépasse la taxe foncière. En France, toute la fiscalité du patrimoine aurait besoin d’une remise à plat. C’est ce que montre un rapport très riche du Conseil des prélèvements obligatoires (CPO) publié lundi 1er décembre. L’imposition du patrimoine est à la fois « complexe », « inégalitaire », « source de distorsions économiques », et « peu efficace au regard des objectifs de politique publique », cingle le CPO, une institution indépendante associée à la Cour des comptes, composée de magistrats, de hauts fonctionnaires et de personnalités qualifiées. Son rapport préconise de nombreux changements, en commençant par une refonte des impôts sur les transmissions (successions, donations, etc.).
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Remanier cet édifice branlant se heurte cependant à des obstacles techniques et politiques majeurs, tant un tel chantier remue d’enjeux symboliques autant que financiers : la propriété, les inégalités, la famille, la mort… Au sein même du CPO, deux des quatorze membres (Pierre-Louis Bras, inspecteur général des affaires sociales, et Jacques Creyssel, délégué national de la Fédération des entreprises du commerce et de la distribution) ont d’ailleurs voté contre le rapport. Deux autres se sont abstenus.
Poids des impôts
Que dit ce rapport ? Il souligne pour commencer le poids des divers impôts frappant le patrimoine en France. Tout est taxé : la détention, la transmission, de même que les revenus du patrimoine, que celui-ci soit mobilier (comme les actions) ou immobilier. De la taxe foncière à l’impôt sur la fortune immobilière, des droits de succession à la contribution sociale généralisée (CSG), en passant par les mal nommés « frais de notaire » sur les transactions immobilières, l’ensemble a fait rentrer 113,2 milliards d’euros dans les caisses publiques en 2024. Un total rondelet, même s’il reste inférieur aux sommes tirées de la TVA ou des prélèvements sur le revenu.
La France présente ainsi « une structure de prélèvements dans laquelle le capital est plus imposé que dans les pays de puissance économique comparable », note le CPO. Elle prélève à ce titre 3,7 % du produit intérieur brut (PIB) du pays. Soit moins qu’Israël, le Royaume-Uni et la Corée du Sud, mais deux fois plus que la moyenne des pays de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE).
Le problème est que cette taxation ne produit pas les effets désirés. Elle aide l’Etat à financer une partie des services publics, mais « entraîne des distorsions importantes dans l’allocation de l’épargne ». Le rapport vise en particulier les taxes sur les transactions immobilières, qui « renchérissent le prix de vente des biens, réduisent la liquidité du marché immobilier, en freinant la mobilité résidentielle et professionnelle ». Il cible aussi les faveurs fiscales accordées à l’assurance-vie, qui orientent exagérément l’épargne vers ce type de placement.
Surtout, le rendement des taxes sur le patrimoine a beau avoir été multiplié par 4,5 depuis 1995, cela n’a pas empêché les inégalités de se creuser. Le rapport reprend ici les études convergentes de nombreux économistes : en France comme ailleurs, « le patrimoine se concentre et la part de la richesse héritée croît ». Le phénomène en faveur des 1 % les plus riches est très net depuis 2009. Si bien qu’une société de riches héritiers s’installe, un peu comme au temps de Balzac. Le dixième de la population le plus favorisé détient aujourd’hui 60 % de la richesse nationale et le 1 % le plus riche en possède 27 %.
Trous de mite
La fiscalité peut-elle corriger ce mouvement ? Oui, dans l’absolu. Mais ce n’est pas le cas actuellement, en raison en particulier de toutes les niches fiscales et autres dérogations qui percent comme des trous de mite dans le dispositif.
« Le mitage de l’assiette des prélèvements sur le patrimoine ne permet d’appréhender correctement ni les plus hauts revenus, ni les plus hauts patrimoines par l’impôt, ce qui concourt à renforcer les inégalités de détention patrimoniale en dépit de taux facialement élevés », relève le CPO. Différentes techniques d’« optimisation » aboutissent en effet à rendre dégressif l’impôt « pour les ménages cumulant très hauts revenus et très hauts patrimoines ».
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A partir de ce diagnostic, les experts réunis sous la présidence de Pierre Moscovici préconisent une sorte de big bang de la fiscalité du patrimoine. A rendement égal, il s’agirait d’aboutir à un système « plus neutre, plus simple et mieux accepté »,plus adapté aussi au transfert massif de richesses qui se profile avec la fin de vie de la génération du baby-boom. A peu près tous les dispositifs actuels pourraient être modifiés, notamment ceux sur les transactions immobilières et l’assurance-vie.
Mais pour le CPO, la priorité consiste à lancer une réforme de l’imposition des successions et des donations. « Emblématique des dérives de la fiscalité française – des taux élevés, une assiette mitée, une impopularité avérée en dépit de son intérêt économique, une inadaptation aux évolutions démographiques et sociétales –, cet impôt doit être revu », affirme le rapport.
Le CPO recommande globalement de réduire ou de supprimer les exemptions en cause, pour élargir l’assiette « en contrepartie de taux réduits, en ligne directe comme en ligne indirecte ». Plusieurs options sont évoquées, notamment un encadrement plus strict du régime de l’apport-cession, la création d’un impôt sur les revenus logés durablement dans des holdings personnelles, celle d’un impôt différentiel sur la fortune personnelle, ou encore d’une contribution différentielle sur les hauts patrimoines pour les successions et donations. Le CPO suggère aussi de restreindre le champ du « pacte Dutreil », une niche fiscale prisée des patrons et très coûteuse pour l’Etat.
Autant de pistes en débat dans le cadre du budget 2026. A ce stade, cependant, aucun compromis ne semble émerger sur une telle réforme de fond. S’ils ont un peu resserré le « pacte Dutreil », les députés ont souhaité créer de nouvelles niches en matière de succession. Et vendredi, les sénateurs ont voté pour dispenser d’impôt sur la fortune immobilière la majorité de ceux qui devraient y être assujettis.