Doctolib: l’innovation et la régulation d’un côté, la souveraineté et la transparence de l’autre.

EDITORIAL. Doctolib : santé et souveraineté

Philippe Rioux
  • Philippe Rioux DDM

   L’édito du jour,  Santé

Publié le 06/12/2025 à 06:31

Derrière l’amende record infligée à Doctolib par l’Autorité de la concurrence le mois dernier pour des pratiques anticoncurrentielles qui remontent à 2018 émergent deux sujets d’importance, l’innovation et la régulation d’un côté, la souveraineté et la transparence de l’autre. Deux enjeux qui dépassent le cadre français et sont stratégiques pour l’Europe.

Certes, nul n’est au-dessus de la loi et si Doctolib a enfreint des règles en développant ses innovations, il est logique qu’il en paie les conséquences. On peut toutefois s’étonner que la décision de l’Autorité tombe sept ans après les faits, autant dire une éternité à l’échelle du numérique. Car entre-temps, le marché de la prise de rendez-vous médicaux et de la téléconsultation a évidemment évolué, bouleversé par la pandémie de Covid. En sept ans, la start-up Doctolib s’est développée, a lancé de nouveaux services, s’est déployée à l’étranger et, en France, est devenue quasi incontournable. Si elle n’a pas un monopole, elle occupe une position hégémonique qui peut être légitimement questionnée quant à son impact sur le fonctionnement du système de santé.

Mais il convient aussi de regarder honnêtement à quoi est dû son succès : Doctolib a répondu à une forte attente des Français et des praticiens en leur proposant un outil simple et efficace pour leur faciliter la vie. Les services de l’État, entravés par leur lourdeur administrative, ont été incapables d’en faire autant et on l’a encore vu lors de la campagne de vaccination Covid où c’est une initiative privée – ViteMaDose – qui est venue au secours des Français inquiets pour organiser leurs rendez-vous vaccinaux. Idem pour les médecins qui ont beau jeu de s’offusquer des tarifs élevés ou des contrats de Doctolib, mais qui ont souvent été rétifs à la moindre modernisation – on l’a vu au moment de la mise en place de la carte Vitale, on le voit encore lorsque certains ne prennent toujours pas la carte bancaire… Alors oui, une société privée a répondu intelligemment à un besoin que les acteurs historiques de la santé ont été incapables de fournir. On devrait par ailleurs se réjouir qu’elle soit française et que son savoir-faire s’exporte. Ce qui ne veut évidemment pas dire qu’il ne faille pas encadrer ses pratiques, ni lui imposer des règles claires notamment en ce qui concerne la gestion des données des Français.

Doctolib sanctionné pour abus de position dominante : rendez-vous, téléconsultations… qui peut encore lui résister ?

   

Santé,  Vie pratique – conso,  France – Monde

Publié le 06/12/2025 à 06:41 https://www.ladepeche.fr/2025/12/06/doctolib-sanctionne-pour-abus-de-position-dominante-rendez-vous-teleconsultations-qui-peut-encore-lui-resister-13090806.php

Philippe Salvador

L’Autorité de la concurrence a infligé à Doctolib une amende de 4,66 millions d’euros pour abus de position dominante sur la prise de rendez-vous en ligne et la téléconsultation. Derrière ce géant devenu réflexe pour des millions de patients, quelques concurrents tentent encore d’exister sur un marché très verrouillé.

Mardi 6 novembre, la décision de l’Autorité tombe : Doctolib a profité de sa position ultra-dominante, notamment lors du rachat de MonDocteur en 2018, pour réduire la concurrence. Sept ans plus tard, la plateforme reste le passage quasi obligé, pendant que ses rivaux tentent de survivre dans des niches très limitées.

À lire aussi : Pourquoi Doctolib a-t-il été condamné à 4,6 millions d’euros d’amende ?

Des concurrents très minoritaires

Sur la prise de rendez-vous médicaux, Doctolib est devenu la porte d’entrée quasi unique pour le grand public. En face, ne subsistent qu’une poignée d’acteurs, bien moins visibles et souvent fragilisés.

Parmi eux, Maiia (groupe Cegedim), ClickDoc (groupe CompuGroup Medical) ou Vitodoc continuent d’opérer, mais avec une notoriété sans commune mesure. D’autres ont disparu ou changé de mains, notent Les Echos : KelDoc a cessé son activité fin 2019, et June30 (marque Maddie) est passée par une procédure collective avant d’être reprise à l’été 2025 par Hellosanté (Medicalib).

Le paradoxe, c’est que cette activité qui fait la notoriété de Doctolib ne représente presque rien dans ses comptes : 99 % de ses revenus viennent de la vente de sa suite logicielle professionnelle aux soignants.

Sur ce segment des logiciels métiers, en revanche, Doctolib n’est pas seul. Il affronte des mastodontes comme CompuGroup (éditeur de HelloDoc, 1,19 milliard d’euros de chiffre d’affaires en 2023), Dedalus (très présent à l’hôpital), Cegedim Santé ou la coopérative Equasens. Tous se disputent un marché lui-même fragmenté entre cabinets libéraux et établissements de santé.

Téléconsultation : un marché plus encadré

C’est le troisième terrain de jeu de Doctolib : la téléconsultation. Là encore, la plateforme propose ce service à ses utilisateurs, mais la donne est différente. Après des abus constatés durant la crise du Covid-19, l’État a instauré un agrément préalable pour les plateformes qui veulent travailler avec l’Assurance maladie.

Résultat : en 2024, 13,9 millions de téléconsultations ont été remboursées, mais seulement via sept plateformes agréées… parmi lesquelles Doctolib ne figure pas. Sont certifiées Medadom (cabines de téléconsultation en pharmacie ou chez l’opticien), Tessan Med, Qare, Medaviz, Livi, MedecinDirect et EOS Care.

Ce n’est donc pas sa domination directe sur la téléconsultation qui vaut à Doctolib une sanction, mais une pratique jugée anticoncurrentielle : l’Autorité reproche à l’entreprise de conditionner l’accès à sa téléconsultation au fait d’utiliser aussi son logiciel de gestion de patientèle. Une pratique dite de « ventes liées », qui verrouille encore un peu plus les soignants dans son écosystème.

Une amende qui envoie un signal

Avec l’amende qu’elle a infligée au leader du marché, l’Autorité de la concurrence pose noir sur blanc ce que beaucoup d’acteurs du secteur dénonçaient en coulisses : une stratégie de croissance qui a transformé un service pratique en quasi-monopole sur la prise de rendez-vous médicaux en ligne.

Reste à voir si cette sanction permettra à ses concurrents de regagner un peu de terrain, et si les règles encadrant les ventes liées seront réellement appliquées. En attendant, pour la plupart des patients, un réflexe demeure solidement installé : pour voir un médecin, on commence toujours par ouvrir Doctolib.

DÉCRYPTAGE. Doctolib : de la success-story à l’amende record… comment le champion français est devenu incontournable

   

Santé,  Innovation – High Tech,  Vie pratique – conso

Publié le 06/12/2025 à 06:31 , mis à jour à 07:06 https://www.ladepeche.fr/2025/12/06/decryptage-doctolib-de-la-success-story-a-lamende-record-comment-le-champion-francais-est-devenu-incontournable-13091413.php

Philippe Rioux

La sanction de 4,665 millions d’euros infligée pour pratiques jugées anticoncurrentielles marque un tournant pour Doctolib. Derrière la croissance fulgurante d’une plateforme devenue incontournable, la décision – contestée – ouvre un débat sur son influence, ses responsabilités et la place d’un acteur privé dans l’architecture numérique du système de santé.

La sanction infligée à Doctolib par l’Autorité de la concurrence marque un tournant pour la figure de proue de la santé numérique française. L’amende de 4,665 millions d’euros vise des pratiques jugées anticoncurrentielles, accusées d’avoir verrouillé les marchés de la prise de rendez-vous médicaux et de la téléconsultation grâce à une stratégie « globale, structurée et cohérente ».

À lire aussi : ENTRETIEN. Doctolib sanctionné pour abus de position dominante : « Le plus grave c’est qu’il détient les données de tous les patients »

Mais cette ascension rapide suscite aussi des inquiétudes. Les controverses techniques – incidents de sécurité, erreurs de facturation, rendez-vous fantômes, perte de données pour 2 500 médecins en 2023 – ont alimenté de la défiance. Les critiques sur la présence passée de praticiens non qualifiés – la plateforme a finalement décidé en octobre 2022 de déréférencer 5 700 praticiens du bien-être non reconnus par les autorités de santé – sur la confidentialité ou sur l’import de données RPPS (Répertoire Partagé des Professionnels de Santé) sans consentement posent la question de la capacité d’un acteur privé à assumer un rôle quasi systémique. Doctolib a toutefois toujours réagi pour corriger les problèmes et renforcer les vérifications.

La décision de l’Autorité de la concurrence rappelle que la réussite ne soustrait pas à la régulation et pose une question centrale : dans un système de santé en tension, qui doit définir et maîtriser l’architecture numérique, et avec quelles ga

L’institution reproche notamment des clauses d’exclusivité, des mécanismes de vente liée et l’acquisition de MonDocteur en 2018, présentée comme un levier ayant facilité des hausses régulières de tarifs. Les documents internes évoquant la volonté de « killer le produit » (tuer le produit) ont renforcé les griefs. Doctolib, qui conteste vigoureusement et a fait appel, estime que la décision repose sur « une lecture erronée » de son activité et rappelle ne représenter que 30 % des soignants équipés.

Une icône de la French Tech

Cette procédure concerne un acteur devenu, en une décennie, une icône de la French Tech et un symbole de la réussite industrielle dans un secteur longtemps considéré comme peu propice à l’innovation. Fondée en 2013 par Stanislas Niox-Chateau, Jessy Bernal, Ivan Schneider et Steve Abou-Rjeily autour d’une idée simple – fluidifier la prise de rendez-vous médicaux –, la start-up a multiplié sans fautes les étapes décisives : adoption précoce par une clinique dès 2014, ralliement de l’AP-HP en 2016, puis rôle central pendant la crise sanitaire avec la gestion de 90 % des rendez-vous de vaccination Covid.

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À chaque phase, l’entreprise a consolidé un modèle combinant simplicité d’usage, disponibilité 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7 et capacité à absorber des millions d’interactions quotidiennes. Les levées de fonds successives, culminant à 500 millions d’euros en 2022, ont permis une expansion vers l’Allemagne, l’Italie et les Pays-Bas, ainsi que l’intégration de solutions complémentaires. Téléconsultation, messagerie sécurisée, agenda partagé, stockage de documents et outils d’aide à la consultation figurent parmi ce qu’offre une plateforme appréciée par les Français pour sa simplicité, son ergonomie et ses services. En 2024, Doctolib a affiché 348 millions d’euros de chiffre d’affaires récurrent, réduit sa perte opérationnelle à 53,8 millions. « Doctolib est rentable depuis quelques semaines », a annoncé fin octobre Stanislas Niox-Chateau, l’emblématique PDG de l’entreprise.

La dynamique de la licorne tricolore nourrit une visibilité exceptionnelle : quelque 60 millions de visites mensuelles, équivalent à un « Amazon médical » selon plusieurs observateurs. Pour les professionnels, la plateforme promet un gain de temps administratif, une réduction des rendez-vous non honorés grâce aux rappels automatisés et une meilleure gestion des flux de patients. Pour le grand public, elle offre un accès simplifié aux soignants, avec une forte proportion de rendez-vous pris en dehors des horaires ouvrés.

Inquiétudes et critiques

Doctolib renforce également son positionnement en investissant le champ de la prévention et de l’intelligence artificielle : assistant téléphonique automatisé, génération de courriers, dictée médicale, outils de consultation adoptés dans plusieurs millions d’actes. L’entreprise se veut désormais un acteur engagé contre la désinformation en santé avec son initiative « Santé sans idées reçues ».

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Les concurrents, eux, dénoncent un modèle premium, plus coûteux, et soupçonnent une orientation de la demande vers les abonnés. Dans un marché européen fragmenté où GPS Santé, Maiia, Docplanner ou Kry défendent des approches plus spécialisées ou plus flexibles, la domination – mais pas le monopole – de Doctolib nourrit forcément un débat légitime sur l’équilibre concurrentiel.

Quelle architecture de santé ?

Mais l’enjeu dépasse désormais l’entreprise elle-même. Le succès de Doctolib doit-il être vu comme une ubérisation de la santé, confiant à une plateforme privée la structuration de l’accès aux soins, ou comme la conséquence directe de l’incapacité de l’État à développer des outils numériques efficaces et adoptés massivement ?

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Données de santé : comment sont vraiment stockées les informations des Français et pourquoi Microsoft relance la polémique

Données de santé : comment sont vraiment stockées les informations des Français et pourquoi Microsoft relance la polémique
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Santé,  Innovation – High Tech,  France – Monde

Publié le 06/12/2025 à 06:31

Philippe Rioux

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by ETX Majelan

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À l’heure où le gouvernement pousse l’usage de « Mon espace santé », la question n’est plus seulement de savoir qui consulte les données médicales des Français, mais surtout où et sous quelle loi elles sont hébergées. Entre stockage en France chez des hébergeurs certifiés et dépendance persistante au cloud de Microsoft pour le Health Data Hub, la controverse sur le risque d’extraterritorialité américaine, ravivée au Sénat, met en lumière un paysage de stockage fragmenté et juridiquement fragile.

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Les données de santé des Français ne sont pas rassemblées dans un unique coffre-fort numérique, mais dispersées dans plusieurs systèmes : bases de l’Assurance maladie, dossier médical numérique Mon espace santé, entrepôts de données hospitaliers et plateforme de réutilisation Health Data Hub. Tous ont un point commun : lorsqu’elles sont hébergées par des prestataires externes, ces données doivent l’être chez des « hébergeurs de données de santé » (HDS) certifiés, pour l’essentiel situés en France ou dans l’Union européenne.

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Des infrastructures certifiées

Les données de Mon espace santé, siuccesseur du dossier médial partagé (DMP) sont hébergées en France, sur des infrastructures dédiées de l’Assurance maladie, certifiées HDS. Le DMP historique reste confié à Santeos, filiale d’Atos. La messagerie sécurisée repose, elle, sur Atos Infogérance, également certifiée HDS. Pour cet outil appelé à devenir universel, l’hébergement demeure ainsi assuré par des opérateurs de droit français, dans des centres de données situés sur le territoire national.

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Donald Trump : L’âge et la santé du président américain en question

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En amont, les systèmes d’assurance maladie – notamment le Système national des données de santé (SNDS) et les bases de remboursements – s’appuient eux aussi sur des infrastructures certifiées HDS lorsqu’ils sont externalisés. Les hôpitaux publics, cliniques privées et professionnels de ville disposent par ailleurs de leurs propres systèmes. Là encore, le recours à un prestataire impose la certification HDS, tandis que certains groupements hospitaliers de territoire (GHT) peuvent assurer eux-mêmes l’hébergement, sans certification formelle, à condition de respecter des exigences de sécurité équivalentes définies par l’Agence du numérique en santé.

La rupture intervient avec le Health Data Hub (HDH), plateforme publique qui centralise des données issues du SNDS, d’entrepôts hospitaliers et d’autres sources pour des projets de recherche et d’intelligence artificielle. L’État a choisi en 2019 le cloud Microsoft Azure comme infrastructure. Juridiquement, la légalité de cette architecture a été confirmée par le Conseil d’État, qui a validé la décision de la CNIL (autorisant l’entrepôt EMC2 exploité sur Azure). Techniquement, les données sont hébergées par Microsoft Ireland sur des régions Azure situées en Europe, en pratique en France, la plateforme étant certifiée HDS.

La polémique sur Microsoft

Mais la localisation des serveurs n’épuise pas le débat. Celui-ci s’est ravivé en juin dernier lors de l’audition de responsables de Microsoft devant la commission d’enquête sénatoriale sur la commande publique. Anton Carniaux, directeur des affaires publiques et juridiques de Microsoft France, y a rappelé un point central : en tant qu’entreprise américaine, Microsoft peut être visée par une demande du Département de la Justice fondée sur le Cloud Act de 2018, et contrainte de fournir des données, même lorsque celles-ci sont stockées en Europe. Cette possibilité découle de l’appartenance de Microsoft Ireland au groupe Microsoft, soumis au droit américain, et du champ extraterritorial du Cloud Act.

Dans le cas du Health Data Hub, une telle injonction pourrait donc théoriquement viser des données de santé des Français, malgré les garanties prévues par le RGPD européen et les clauses contractuelles. La CNIL a, à plusieurs reprises, alerté sur ce risque : elle considère l’hébergement acceptable sous conditions strictes, tout en recommandant, à terme, un hébergeur non exposé à des législations extraterritoriales.

La loi SREN, adoptée en 2024, impose désormais que la Plateforme des données de santé (ex-Health Data Hub) bascule vers un hébergement dit « souverain », c’est-à-dire opéré par un prestataire certifié SecNumCloud et non soumis à un droit extraterritorial. Cette migration a pris du retard, mais un appel d’offres a finalement été lancé début juillet 2025 par le ministère de la Santé pour mettre en place une solution « intercalaire », opérée par un acteur français ou européen, en vue d’une mise en service à l’été 2026.

Un ENTRETIEN. Doctolib sanctionné pour abus de position dominante : « Le plus grave c’est qu’il détient les données de tous les patients »

   

Santé,  Justice,  France – Monde

Publié le 06/12/2025 à 06:48 , mis à jour à 07:07 https://www.ladepeche.fr/2025/12/06/entretien-doctolib-sanctionne-pour-abus-de-position-dominante-le-plus-grave-cest-quil-detient-les-donnees-de-tous-les-patients-13091563.php

Philippe Salvador

Le Dr Jérôme Marty, médecin généraliste en Haute-Garonne et président du syndicat des médecins libéraux UFML, dénonce l’hégémonie de Doctolib, alors que la plateforme vient de se faire épingler pour abus de position dominante.

Pourquoi parlez-vous d’“hégémonie” à propos de Doctolib ?

La vraie question, c’est : pourquoi le gouvernement a des yeux de Chimène pour des sociétés qui gravitent autour de la santé et se réjouit qu’elles fassent des milliards, alors qu’il cherche en permanence à ratiboiser les coûts pour ceux qui soignent ? Pour les soignants, il faut toujours baisser les tarifs. Pour ces plateformes, il faut toujours plus d’argent. Or, sans médecin, Doctolib n’existe pas. Sans Doctolib, les médecins, eux, existent très bien.

Comment expliquez-vous cette bienveillance ?

Depuis le début, le macronisme s’est glorifié d’être la start-up nation et de pousser l’essor d’entreprises françaises du numérique. En soi, pourquoi pas. Mais quand on laisse ces entreprises devenir hégémoniques dans un secteur aussi sensible que la santé, il y a un problème.

Et, en l’occurence, vous connaissez très bien Doctolib…

Oui, j’ai rencontré Stanislas Niox-Chateau, le cofondateur, au tout début, quand il lançait son outil. Je m’y suis inscrit pour voir comment ça fonctionnait de l’intérieur. Et je l’ai toujours dit : le problème n’est pas l’existence de Doctolib, c’est la place qu’on lui a laissée prendre.

Jérôme Marty, généraliste près de Toulouse et président du syndicat Union française pour une médecine libre (UFML)

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Peut-on encore s’en passer aujourd’hui ?

Clairement non. Dans une période où les Français cherchent désespérément un médecin, les systèmes de notification sont devenus indispensables. J’ai des patients qui n’ont pas vu de médecin depuis deux ou trois ans. Quand j’ouvre des créneaux de 21 heures à minuit, à la dernière minute, ce sont souvent des gens sans médecin traitant qui les prennent, parfois en venant de 80 km. Sans Doctolib, ils n’auraient même pas connaissance de ces plages.

En quoi la plateforme a aussi “tué le système” des rendez-vous ?

Avant, il y avait moins de déserts médicaux, on fonctionnait sans rendez-vous, les salles d’attente débordaient mais tout le monde finissait par passer. Doctolib est arrivé en promettant : « Nous allons remplir vos plages. » Résultat : les agendas sont pleins, et on a vu apparaître en médecine générale ce qui existait chez les infirmières depuis longtemps : « Nous ne prenons plus de nouveaux patients. », même avec un médecin traitant, un enfant à 40 de fièvre peut se retrouver sans créneau possible… et ça finit aux urgences.

Vous avez aussi dénoncé leurs pratiques et le risque autour des données…

Au début, Doctolib apparaissait en tête sur Google avec des médecins qui n’étaient même pas clients, et redirigeait vers ceux qui l’étaient : c’était du parasitisme, on a fait casser ça. On a aussi obtenu la sortie de milliers de profils qui n’avaient rien à voir avec la médecine scientifique.
Mais le plus grave, ce sont les données. Les serveurs sont chez Amazon, donc soumis au Patriot Act américain. On peut dire ce qu’on veut sur le RGPD : si un gouvernement américain demande l’accès, l’hébergeur ne pourra pas dire non. Doctolib est valorisé autour d’un milliard : ce n’est pas le prix d’un agenda, c’est le prix de la donnée médicale, vos données, les miennes, celles de tous les patients.

Que devrait faire l’État face à cette situation ?

Dans un pays aussi administré que le nôtre, c’est hallucinant de laisser filer une richesse pareille. On voit déjà des amendements qui ouvrent l’accès aux données de santé pour les mutuelles : c’est le Graal pour elles. Qu’on ne s’étonne pas si les primes explosent demain. Les données des patients, c’est la prunelle de nos yeux. Elles ne devraient jamais quitter les frontières. Aujourd’hui, celui qui a les données, c’est le roi. Et pour l’instant, ce n’est pas la puissance publique.

Publié par jscheffer81

Cardiologue ancien chef de service au CH d'Albi et ancien administrateur Ancien membre de Conseil de Faculté Toulouse-Purpan et du bureau de la fédération des internes de région sanitaire Cofondateur de syndicats de praticiens hospitaliers et d'associations sur l'hôpital public et l'accès au soins - Comité de Défense de l'Hopital et de la Santé d'Albi Auteur du pacte écologique pour l'Albigeois en 2007 Candidat aux municipales sur les listes des verts et d'EELV avant 2020 Membre du Collectif Citoyen Albi

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