L’Anses préconise de surveiller de nouveaux PFAS dans les eaux brutes et potables
La dernière campagne de recherche des polluants émergents de l’Anses a mis l’accent sur les PFAS. L’état des lieux de la contamination permettra d’aiguiller la surveillance réglementaire. Retour sur les principaux résultats.
Eau | 03.12.2025 | https://www.actu-environnement.com/ae/news/anses-campagne-recherche-polluants-emergents-laboratoire-nancy-eaux-brutes-potables-pfas-surveillance-ultrashort-47186.php4#ntrack=cXVvdGlkaWVubmV8MzkwNA%3D%3D%5BNDExMDgz%5D

© SecondSidePrès de 620 échantillons de couples eau brute-eau distribuée ont été étudiés.
Il était très attendu, et pour cause : le dernier rapport (1) de l’Agence nationale de sécurité sanitaire (Anses) sur les PFAS (2) va étayer la construction réglementaire de la surveillance et du contrôle de ces polluants dits éternels. « Le rapport publié en octobre et cette expertise vont contribuer à l’élaboration du texte pris en application de la loi Thierry pour étendre la surveillance », a illustré Matthieu Schuler, directeur général adjoint au pôle sciences pour l’expertise de l’Anses à l’occasion d’un point presse organisé mercredi 3 décembre.
Lors de sa dernière campagne de recherche de polluants émergents (2023-2025), le laboratoire d’hydrologie de Nancy de l’Anses a en effet réalisé un focus particulier sur ces substances, à la demande du ministère de la Santé. Plus précisément, les scientifiques ont sélectionné pour leur suivi 35 PFAS (3) : les 20 substances de la liste établie par la directive-cadre sur l’eau et 15 PFAS choisis en fonction de critères scientifiques (affinité pour l’eau, persistance et mobilité, sources ou émissions connues, sous-produits d’autres PFAS ou permettant de consolider des études réalisées en France ou à l’international), mais également de faisabilité. Parmi ces derniers figurent 10 PFAS dits « conventionnels », composés d’une chaîne carbonée de plus de trois atomes de carbone, mais également cinq substances « ultrashort » (ultra-courtes) qui comprennent d’un à trois atomes de carbone, dont le TFA.
Ils ont ensuite recherchés ces molécules à la fois dans l’eau brute et dans celle distribuée dans l’ensemble des départements pour les ressources fournissant le plus gros débit d’eau distribuée, des sites d’intérêt, par exemple avec une source potentielle, et des points tirés au sort. Au final, près de 620 échantillons de couples eau brute-eau distribuée ont été étudiés.“ Le paramètre somme des 20 PFAS reste un bon indicateur global de la présence d’autres PFAS dans le cas des eaux potables, à l’exclusion des ultrashorts PFAS ”Xavier Dauchy, Anses
Résultats ? Quinze PFAS n’ont jamais été quantifiés dans les eaux brutes, dont neuf inscrists sur la liste de la directive Eau potable. « Ces PFAS présentent au moins neuf carbones ; ils sont hydrophobes, c’est donc logique que nous ne les retrouvions pas », explique Xavier Dauchy, adjoint au chef de l’unité chimie des eaux du laboratoire d’hydrologie de Nancy de l’Anses. L’agence considère toutefois que ces neuf PFAS restent importants à suivre. « Ce n’est pas parce que nous ne les retrouvons pas qu’il n’y a pas un intérêt à les surveiller, complète Sophie Lardy-Fontan, directrice du laboratoire. La surveillance harmonisée permet de comprendre les dynamiques et les occurrences. Elle est pertinente en regardant de manière globale les milieux aquatiques. »
Par ailleurs, six autres PFAS dit conventionnels (4) n’ont jamais été retrouvés non plus. Parmi les pistes d’explications avancées par l’Anses figure le fait que ces substances ne sont ni synthétisées ni utilisées sur le territoire ou que leur usage reste minoritaire.
Pour celles que l’Anses a retrouvées, les fréquences de quantification restent inférieures à 20 %. « Sauf pour le PFOS (24 %), le PFHxS (26,6 %) et le TFA, à 92 % », développe Xavier Dauchy.
L’agence a réalisé un classement des cinq substances les plus retrouvées, mais également selon leurs concentrations (moyenne ou maximale). « Le TFA se trouve sur la première marche, avec une fréquence de quantification de 92 %, une concentration moyenne de 1,15 µg/L et maximale de 20 µg/L », précise Xavier Dauchy. Les PFHxS, le PFOS, le PFHxA, le PFBS, le TFMSA, PFPeA et PFBA figurent également dans le palmarès, leur place variant selon que l’Anses prenne en compte la concentration ou la fréquence.
Les PFAS ultra-courts et le 6:2 FTSA à intégrer dans la surveillance
Les scientifiques se sont également intéressés au niveau de contamination selon que la ressource provienne de nappes souterraines ou d’eau de surface. Ils ont constaté que les PFAS de la liste de la directive-cadre se retrouvent plus fréquemment dans les eaux souterraines. « Nous pouvons avancer l’hypothèse que le sol constitue un compartiment potentiellement contaminé par la dispersion de PFAS, par exemple lors d’épandage ou de projection de mousses anti-incendie… Ils s’infiltrent et atteignent les aquifères et s’accumulent. Nous retrouvons également des métabolites issus de précurseurs ou des produits industriels. » Le TFA est quasiment tout le temps retrouvé, quel que soit l’origine de la ressource (dans 89,7 % des échantillons d’eau souterraine et dans 97,8 % de ceux d’eau de surface).
Pesticides et TFA : une réévaluation des dossiers d’autorisation à conduire
« Les produits phytosanitaires sont susceptibles de produire du TFA, a rappelé Charlotte Grastilleur, directrice générale déléguée chargée du pôle « Produits réglementés » de l’Anses. La question qui se pose : pouvons garantir le respect des limites de qualité en utilisant ces substances ? Il faut réévaluer les autorisations de mise sur le marché pour estimer les risques de contamination des eaux souterraines ». Un premier pas dans ce sens a été réalisé en mars dernier avec l’interdiction du flufénacet. D’autres dossiers sont désormais à réouvrir.
« Pour les eaux distribuées, nous retrouvons la même distribution de la fréquence de quantification que pour les eaux brutes », note Xavier Dauchy. Dans le top 5 réalisé par l’Anses, la première place est toujours occupée par le TFA. À noter : le TFMSA, autre PFAS à chaine courte, est plus fréquemment retrouvé que dans les eaux brutes.
L’Anses a également évalué la pertinence de la liste de surveillance prévue par la directive Eau potable. Elle en déduit que ce choix est pertinent. « Le paramètre somme des 20 PFAS reste un bon indicateur global de la présence d’autres PFAS dans le cas des eaux potables, à l’exclusion des ultrashorts PFAS », souligne Xavier Dauchy. Point mis en avance par l’Anses : la valeur provisoire de gestion pour le TFA de 60 µg/L n’a jamais été dépassée, sauf en aval du site industriel de Salindres, dans le Gard (18 et 25 µg/L).
Les PFAS à chaine courte devront toutefois être pris en compte à l’avenir. « Les ultrashorts sont une catégorie à intégrer à la surveillance des eaux prélevées », estime Sophie Lardy-Fontan, directrice du laboratoire d’hydrologie de Nancy de l’Anses.
Ces résultats suivent les mêmes tendances que lors de l’état des lieux réalisé à partir de la littérature de la contamination des milieux présenté par l’Anses, en octobre dernier. « Même s’il ne fait pas partie du top 5, les résultats d’occurrence confirme la tendance de contamination des milieux par le 6:2 FTSA, indique Éléonore Ney, chef de l’unité d’évaluation des risques liés à l’eau à la direction de l’évaluation des risques de l’Anses. Cette substance est intégrée dans nos propositions de surveillance pérenne. »
Des valeurs de gestion à venir
Pour ce qui concerne les valeurs permettant de prendre des décisions en cas de présence de PFAS dans la ressource, les travaux sont toujours en cours. En octobre dernier, l’agence avait en effet rendu publiques les valeurs guides sanitaires pour trois PFAS figurant sur une liste initiale de 21 substances : le PFBA (114 µ/L), le PFHxA (114 µ/L) et le 6:2 FTSA (1,7 µ/L). « Une concertation est engagée avec les ministères pour hiérarchiser les molécules », précise Éléonore Ney. Au regard des substances d’intérêt, un point noir reste le PFPeA. »
Pour le TFA, l’avis de l’Efsa sur la valeur toxicologique de référence initialement attendu fin 2025 devrait être rendu courant 2026. « Le rapport de l’Efsa a été mis en consultation. Il a généré beaucoup de commentaires, ce qui explique son retard », indique Matthieu Schuler, directeur général adjoint au pôle sciences pour l’expertise de l’Anses. Une fois cette valeur connue, l’Anses pourra ensuite établir une valeur sanitaire définitive dans l’eau
.1. Télécharger le rapport « Campagne nationale de mesure de l’occurrence de composés émergents dans les eaux destinées à la consommation humaine – PFAS et US-PFAS »
https://www.actu-environnement.com/media/pdf/news-47186-campagne-nationale-mesure-polluants-emergents-eaux-potables-brutes-anses-2025-pfas.pdf
2. Lire « PFAS : une pollution qui redevient visible »
https://www.actu-environnement.com/dossier-actu/PFAS-eau-industries-villes-reach-polluants-eternels-mousses-anti-incendie-vallee-chimie-95#:~:text=PFAS%20(1%2F3)%20%3A,d’un%20encadrement%20plus%20strict
3. Acide perfluorobutanoïque PFBA Acide Perfluoropentanoïque PFPeA Acide Perfluorohexanoïque PFHxA Acide Perfluoroheptanoïque PFHpA Acide Perfluorooctanoïque PFOA Acide Perfluorononanoïque PFNA Acide Perfluorodécanoïque PFDA Acide Perfluoroundécanoïque PFUnDA Acide Perfluorododecanoïque PFDoDA Acide Perfluorotridecanoïque PFTrDA Acide Perfluorobutanesulfonique PFBS Acide Perfluoropentanesulfonique PFPeS Acide Perfluorohexanesulfonique (linéaire et ramifiés)
Acide perfluoroheptanesulfonique PFHpS Acide Perfluorooctanesulfonique (linéaire et ramifiés) PFOS Acide Perfluorononanesulfonique PFNS Acide Perfluorodecanesulfonique
Acide Perfluoroundécanesulfonique PFUnDS Acid Perfluorododécane sulfonique PFDoDS
Acide Perfluorotridecane sulfonique PFTrDS 6:2 Fluorotelomer sulfonamide betaine 6:2 FTAB 5:1:2 Fluorotelomer betaine 5:1:2 FTB 5:3 Fluorotelomer betaine 5:3 FTB Acide perfluorohexanesulfonamide FHxSA Acide 4:2 Fluorotelomère sulfonique
Acide 6:2 Fluorotelomère sulfonique
6:2 FTSA Acide 8:2 Fluorotelomère sulfonique
8:2 FTSA Acide Hexafluoropropylene oxide dimer HFPO-DA Acide 4,8-Dioxa-3H-perfluorononanoîque ADONA Acide Perfluoro-3-méthoxypropanoïque PFMOPrA Acide trifluoroacétique TFA Acide Pentafluoropropanoïque PFPrA Acide Trifluoromethanesulfonique TFMSA Acide triméthane sulfinique TFSH Acide perfluoropropanesulfonique PFPrS 423-41-6 8
4. 4 :2 FTSA, 5:1:2 FTB ; 5:3 FTB ; HFPO-DA ; ADONA et PFMOPrA.
Dorothée Laperche, journaliste
Cheffe de rubrique eau / santé environnement
PFAS : l’Anses dévoile les résultats de la campagne de mesure dans l’eau destinée a la consommation humaine
(Document Anses)
03/12/2025
Émis par : Anses
L’Anses publie aujourd’hui les résultats de la campagne nationale de mesure des PFAS dans l’eau destinée à la consommation, menée par l’Anses entre 2023 et 2025.
Cette campagne visait à améliorer la connaissance de la présence de ces composés émergents dans les eaux brutes et distribuées au robinet, en amont de l’échéance de la Directive européenne qui impose, d’ici janvier 2026, la surveillance de 20 PFAS dans l’eau du robinet.
En effet, la présence de substances appartenant à ce vaste groupe restait jusqu’à présent insuffisamment documentée dans l’eau destinée à la consommation humaine. Sur les 35 PFAS recherchés, 20 ont été détectés dans des échantillons d’eau brute et 19 dans les échantillons d’eau distribuée au robinet.
Certains ne sont présents que dans un seul prélèvement, tandis que d’autres sont plus fréquemment retrouvés, notamment le TFA, détecté dans 92 % des prélèvements d’eau distribuée comme d’eau brute.
Consulter les liens vers l’actualité* ainsi que le rapport d’appui scientifique et technique.**
**https://www.anses.fr/system/files/LABORATOIRE2024-AST-0045.pdf
*PFAS : les résultats de la campagne nationale de mesure dans l’eau destinée à la consommation
La campagne nationale de mesure des composés émergents dans l’eau potable menée par l’Anses de 2023 à 2025 s’est intéressée aux PFAS. La présence de substances appartenant à ce vaste groupe restait en effet jusqu’à présent insuffisamment documentée dans l’eau destinée à la consommation humaine. Sur les 35 PFAS recherchés, 20 ont été détectés dans des échantillons d’eau brute et 19 dans les échantillons d’eau distribuée au robinet. Certains ne sont présents que dans un seul prélèvement, tandis que d’autres sont plus fréquemment retrouvés, notamment le TFA, détecté dans 92 % des prélèvements d’eau distribuée comme d’eau brute. Les résultats de la campagne montrent que les concentrations des substances PFAS mesurées dans la grande majorité des prélèvements analysés sont inférieures aux limites règlementaires lorsqu’elles leur sont applicables.
Mieux connaitre la contamination de l’eau destinée à la consommation humaine
L’Anses mène régulièrement des campagnes pour mesurer la présence de composés émergents dans l’eau. L’objectif est d’améliorer la connaissance de la contamination des eaux brute et distribuée au robinet en France. Les composés ciblés lors de ces campagnes sont sélectionnés soit parce qu’ils ne font pas partie de la surveillance règlementaire de l’eau, soit parce que les données disponibles sur leur présence sont parcellaires. La campagne débutée en 2023 a porté sur des substances du groupe des PFAS (composés per- et polyfluoroalkylés).
Ces dernières années, ces substances ont fait l’objet de nombreux travaux menés notamment par l’Anses pour améliorer leur détection, connaître leur présence dans l’environnement et évaluer leur toxicité potentielle. Pour autant, la présence des PFAS dans l’eau de consommation est encore insuffisamment connue. Seules quelques-unes de ces substances font l’objet d’une surveillance.
La Directive européenne relative à la qualité des eaux destinées à la consommation humaine a fixé une première liste de 20 PFAS à surveiller dans l’eau distribuée en France au plus tard au 12 janvier 2026. Ainsi, cette campagne de mesure de l’Anses visait à disposer d’un état des lieux de leur présence avant cette échéance et à identifier d’autres substances PFAS susceptibles d’être surveillées en complément.
35 PFAS recherchés dans l’eau du robinet
En plus des 20 PFAS de la Directive, 15 autres PFAS ont également été recherchés lors de cette campagne. Ils ont été sélectionnés selon plusieurs critères tels que leurs propriétés physico-chimiques (notamment leur affinité pour l’eau) ou encore l’existence de données mentionnant leur présence dans l’eau, en France ou à l’étranger.
La campagne de prélèvements s’est déroulée sur tout le territoire français, y compris les Outre-mers. Plus de 600 échantillons d’eau brute et autant d’eau distribuéeont été analysés, soit deux fois plus que lors des campagnes précédentes. Les échantillons proviennent de points de captage représentant au total environ 20 % de l’eau distribuée en France. Deux tiers des prélèvements ont été faits au niveau de points pour lesquels un risque potentiel de contamination par les PFAS était identifié par les Agences régionales de santé (ARS).
Certains PFAS sont plus fréquents que d’autres
Sur les 35 PFAS recherchés, 20 ont été détectés dans au moins un prélèvement d’eau brute et 19 dans l’eau distribuée.
Onze PFAS de la Directive européenne pour l’eau du robinet font partie de ces PFAS détectés, dont trois sont plus fréquemment retrouvés : le PFHxS (21,7 % des échantillons d’eau distribuée), le PFOS (19,1 %) et le PFHxA (16,1 %). La Directive fixe, pour la somme des concentrations des 20 PFAS qu’elle considère, une limite de qualité à 100 ng/L. Seule une faible proportion des prélèvements dépasse cette valeur.
Parmi les autres PFAS détectés, quatre sont dits conventionnels. Cette dénomination désigne des PFAS qui sont composés de chaînes de plus de trois atomes de carbone. Ces PFAS, notamment le 6:2 FTSA, ont généralement été détectés dans des échantillons où se trouvait également au moins l’un des PFAS inclus dans la Directive. Cela montre que les PFAS inclus dans la Directive sont de bons indicateurs de la présence de PFAS conventionnels.
Cinq PFAS à chaîne ultra-courte, c’est à dire des molécules avec un à trois atomes de carbone, ont également été recherchés. Ces PFAS ont fait l’objet d’une attention particulière car cette catégorie n’est pas représentée dans les 20 PFAS dont la surveillance est prévue par la Directive. Leur présence semble indépendante de celle des PFAS conventionnels. Trois d’entre eux sont présents dans plusieurs prélèvements. Le plus fréquent, le TFA (acide trifluoroacétique) a été retrouvé dans 92 % des échantillons d’eau brute comme distribuée. Sa concentration varie fortement d’un échantillon à l’autre, la médiane étant de 780 ng/L dans l’eau distribuée. Par ailleurs, l’étude identifie, pour la première fois en France, la présence significative de TFMSA (acide trifluorométhanesulfonique), dans 13 % des échantillons, avec une concentration médiane de 28,5 ng/L dans l’eau distribuée.
Des résultats indispensables pour renforcer la surveillance des PFAS dans l’eau
Les résultats de cette campagne complètent l’expertise de l’Anses publiée en octobre 2025, dans laquelle l’Agence a formulé des recommandations pour améliorer la surveillance des PFAS dans différents compartiments, dont l’eau. Certains PFAS détectés lors de la campagne de mesure pourraient être intégrés dans le plan pérenne de surveillance de l’eau, comme le recommande l’expertise. C’est notamment, parmi les PFAS à chaîne ultra-courte du TFA et, parmi les PFAS conventionnels, du 6:2 FTSA, plus fréquent parmi ceux non inclus dans la directive.
En savoir plus
PFAS : une contamination généralisée de l’eau potable par le TFA, le plus répandu des polluants éternels
L’Anses a analysé plus de 600 prélèvements d’eau potable à travers le pays : 92 % contiennent des traces d’acide trifluoroacétique (TFA), le plus petit des PFAS, soupçonné d’être toxique pour la santé.
Temps de Lecture 5 min.

Nouvelle alerte sur la qualité de l’eau potable en France. Après les organisations non gouvernementales (ONG), l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses) révèle une contamination quasi généralisée de l’eau potable en France par l’acide trifluoroacétique (TFA), le plus répandu des polluants éternels, dans un rapport publié mercredi 3 décembre. Ce PFAS, le plus petit de la famille des substances per- et polyfluoroalkylées, a été retrouvé dans plus de 92 % des échantillons d’eau distribuée au robinet prélevés dans le cadre de la plus vaste campagne nationale d’évaluation menée par l’Anses.
Entre 2023 et 2025, plus de 600 échantillons d’eau du robinet – et autant d’eau brute (eau potable avant traitement) – ont été analysés. Ils proviennent de points de captage répartis sur l’ensemble du territoire représentant environ 20 % de l’eau distribuée en France. La campagne de l’Anses ne concerne pas les eaux en bouteille : des analyses réalisées en 2024 par le réseau Pesticide Action Network Europe ont mis en évidence que les eaux minérales étaient aussi contaminées par le TFA.
A mesure qu’il s’accumule dans l’environnement, le TFA représente une menace grandissante en matière de santé publique : il est aujourd’hui en passe d’être classé toxique pour la reproduction dans l’Union européenne (UE) et présente également des indices de toxicité pour le foie.
Les résultats de la campagne de détection menée en France dans l’eau potable (qui représente environ 20 % de l’exposition aux PFAS) montrent une concentration moyenne de TFA légèrement supérieure à 1 000 nanogrammes par litre (ng/l), avec une valeur maximale à 25 000 ng/l pour un échantillon d’eau provenant d’une usine de potabilisation située en aval d’une usine produisant du TFA, preuve que les traitements sont aujourd’hui inefficaces.
Lire aussi | PFAS : l’eau potable en France est massivement contaminée par les « polluants éternels », notamment à Paris
Jusqu’ici, le record en France était de 13 000 ng/l, pour un échantillon prélevé au robinet de la commune de Moussac (Gard), située près d’une usine du groupe Solvay qui produisait du TFA jusqu’en septembre 2024. « Je n’ai jamais vu de tels niveaux de concentration de TFA dans l’eau potable, commente le chimiste de l’environnement Hans Peter Arp, un des meilleurs spécialistes mondiaux du TFA. Et ces concentrations vont continuer à augmenter en raison de la hausse attendue de celles des précurseurs du TFA [gaz fluorés, pesticides…] dans les écosystèmes. »
Un métabolite de plusieurs pesticides
Cependant, l’Anses indique que les concentrations en TFA sont inférieures à la « valeur sanitaire indicative » retenue par la direction générale de la santé (DGS), dans l’attente d’une clarification de la réglementation européenne.
Dans une note publiée en toute discrétion le 23 décembre 2024, la DGS s’est en effet alignée sur la valeur provisoire de l’Allemagne, 60 000 ng/l, au-dessous de laquelle le risque est présumé nul. Les autorités sanitaires retiennent toutefois « une trajectoire de réduction vers une concentration inférieure à 10 microgrammes par litre [soit 10 000 ng/l] ». Deux échantillons prélevés dans le cadre de la campagne de l’Anses présentent des concentrations supérieures à cette valeur cible de 10 000 ng/l. D’autres pays, comme les Pays-Bas, ont retenu une valeur sanitaire près de cinq fois plus basse : 2 200 ng/l.
Ces valeurs indicatives, provisoires, seront harmonisées lorsque l’Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA) aura établi une valeur de référence, c’est-à-dire une dose journalière tolérable de TFA toutes sources d’exposition confondues. Ses conclusions étaient attendues pour la fin de l’année, mais ont été reportées à juillet 2026. L’EFSA a déjà proposé un tel seuil pour le TFA et finalise son expertise en fonction des commentaires qu’elle a reçus des parties prenantes – industriels, ONG, scientifiques indépendants, etc. « Le seuil proposé par l’EFSA ne remet pas en cause la valeur provisoire [de 60 000 ng/l] utilisée en France », explique Matthieu Schuler, directeur délégué de l’Anses.
Mais, du strict point de vue de la réglementation européenne, un autre seuil devrait s’appliquer au TFA : celui desmétabolites de pesticides dits « pertinents » (potentiellement toxiques), fixé à seulement 100 ng/l par mesure de précaution. Le TFA est en effet issu de la dégradation de multiples polluants éternels utilisés par de nombreux secteurs industriels, mais il est aussi un métabolite de plusieurs pesticides massivement épandus dans les champs. La Commission européenne elle-même considère le TFA comme « un métabolite pertinent » en raison de sa « toxicité préoccupante » pour le développement. Jusqu’à présent, le ministère de la santé n’a jamais saisi l’Anses d’une demande d’avis sur la « pertinence » du TFA : celui-ci n’est donc pas formellement traité, en France, comme un produit de dégradation de pesticides.
L’ensemble des échantillons prélevés par l’Anses dépasse ce seuil réglementaire de 100 ng/l, et de 10 fois en moyenne. Ce qui signifie que l’eau du robinet devrait être déclarée « non conforme » pour la grande majorité des Français si le TFA était considéré comme un métabolite de pesticide pertinent. La campagne d’analyses de l’Anses montre, en outre, le caractère singulier du TFA : sa présence n’est pas statistiquement associée à celle des autres PFAS. Une caractéristique qui révèle d’autres voies de contamination de l’environnement, par retombées atmosphériques, relève Xavier Dauchy (laboratoire d’hydrologie de Nancy), qui a copiloté la campagne d’analyses.
La redevance « pollueur-payeur » repoussée
Cent nanogrammes par litre, c’est également le seuil qui doit s’appliquer à partir de 2026 à la somme des 20 PFAS jugés « prioritaires » dans l’UE, mais dont le TFA ne fait pas partie. La campagne exploratoire menée par l’Anses a mis en évidence la présence de 11 de ces 20 polluants éternels. Parmi les plus retrouvés (19 % des échantillons), le PFOS, classé « cancérogène possible » par le Centre international de recherche sur le cancer. Pour une faible proportion d’échantillons (neuf), les concentrations dépassent la valeur réglementaire de 100 ng/l. La proportion monte à près de 17 % (106 échantillons) si l’on se réfère à la valeur indicative retenue par l’EFSA pour la somme des quatre molécules considérées comme les plus toxiques (PFOS, PFOA, PFNA et PFHxS), fixée à 4 ng/l.
Outre le TFA et les 20 PFAS « prioritaires » de la directive européenne, la campagne menée par l’Anses a permis d’identifier d’autres polluants éternels dans l’eau du robinet. Ainsi, pour la première fois en France, les autorités sanitaires ont détecté la « présence significative » de TFMSA (acide trifluorométhanesulfonique) dans 13 % des échantillons, avec une concentration médiane de 28,5 ng/l et maximale de 4 900 ng/l. A l’instar du TFA, il s’agit d’un PFAS à chaîne ultracourte, c’est-à-dire des molécules avec un à trois atomes de carbone. L’Anses propose de l’intégrer également dans un plan pérenne de surveillance de l’eau.
Dans un premier état des lieux général publié en octobre, l’autorité sanitaire rappelle la priorité de « réduire les émissions de PFAS à la source ». Mesure phare de la loi PFAS votée en février, une redevance « pollueur-payeur » devait s’appliquer à partir de la fin de l’année pour inciter les industriels à cesser leurs rejets de PFAS dans l’eau. Dans le cadre de l’examen du projet de loi de finances, les sénateurs, après les députés, ont reporté sa mise en place à 2027. « Ce vote protège les industriels plutôt que l’eau potable, déplore le député Nicolas Thierry (Gironde, Les Ecologistes), auteur de la loi PFAS. En repoussant d’un an la taxe PFAS, la droite sénatoriale tourne le dos aux communes qui vont devoir dépolluer sans moyens et offre un cadeau aux grands pollueurs. » Le coût de la dépollution en France a été estimé à 12 milliards d’euros par an par Le Monde et ses partenaires dans le cadre de l’enquête Forever Lobbying Project.
Stéphane Mandard et Stéphane Foucart
PFAS : les aliments à base de céréales, surtout de blé, sont aussi massivement contaminés par le TFA
Une étude inédite publiée jeudi 4 décembre par le réseau PAN Europe révèle que les céréales du petit-déjeuner, le pain ou encore les pâtes constituent une importante source d’exposition au plus petit des PFAS.
Temps de Lecture 3 min.

Céréales du petit déjeuner, pain, viennoiseries, pâtes, farines… Les aliments à base de céréales – en particulier de blé – sont massivement contaminés par l’acide trifluoroacétique (TFA), le plus répandu des polluants éternels. Une étude inédite publiée jeudi 4 décembre par le Réseau d’action contre les pesticides (PAN Europe) révèle que ces aliments dont sont friands les Européens constituent une importante source d’exposition au plus petit des PFAS (substances per- et polyfluoroalkylées). Cette publication intervient au lendemain de la publication d’un rapport de l’Agence nationale de sécurité sanitaire (Anses) alertant sur une contamination généralisée de l’eau potable en France par le TFA.
A mesure qu’il s’accumule dans l’environnement, le TFA représente une menace grandissante en termes de santé publique : il est aujourd’hui en passe d’être classé toxique pour la reproduction dans l’Union européenne et présente également des indices de toxicité hépatique. Pourtant, jusqu’ici, aucune autorité de sécurité alimentaire ne s’est penchée sur sa présence dans les produits à base de céréales, alors que l’alimentation constitue la première voie d’exposition au TFA devant l’eau potable. L’étude conduite par PAN Europe et ses associations membres comble ce vide.
Soixante-six produits conventionnels à base de céréales achetés dans 16 pays européens ont été analysés par un laboratoire indépendant autrichien. Les résultats révèlent une contamination quasi généralisée. Des traces de TFA ont été détectées dans plus de 81 % des échantillons (54 sur 66) avec des niveaux de concentration importants. La teneur moyenne en TFA atteint 78 900 nanogrammes par kilogramme (ng/kg).
Lire aussi | PFAS : une contamination généralisée de l’eau potable par le TFA, le plus répandu des polluants éternels
C’est 100 fois plus que le niveau moyen retrouvé dans l’eau du robinet lors d’une campagne menée par PAN Europe dans 11 pays européens en 2024. C’est également très supérieur au niveau moyen (1 000 nanogrammes par litre, ng/l) mis en évidence par la campagne nationale de l’Anses. Avec une concentration de 360 000 ng/kg, le record est détenu par des céréales du petit déjeuner achetées en Irlande. A titre de comparaison, le plus haut niveau de concentration retrouvé dans l’eau potable par l’Anses s’élève à 25 000 ng/l.
De nombreux aliments provenant de différents pays européens présentent des niveaux élevés de TFA. Du pain complet acheté en Belgique affiche une concentration de 340 000 ng/kg ; une farine de blé allemande, 210 000 ng/kg ; une baguette et un croissant français respectivement 200 000 ng/kg et 130 000 ng/kg ; un pain d’épices néerlandais très prisé des enfants à la Saint-Nicolas, 120 000 ng/kg ; des spaghettis italiens, 26 000 ng/kg…
« Urgence d’une action immédiate »
L’Union européenne n’a pas – encore – arrêté de limite maximale de résidus pour le TFA dans les aliments. Une limite par défaut est fixée à 10 000 ng/kg. Si elle était appliquée, l’ensemble des échantillons relevant la présence du TFA dépasserait ce seuil.
« Nos résultats soulignent l’urgence d’une action immédiate. Nous ne pouvons pas exposer la population et encore moins les enfants à des substances reprotoxiques », réagit François Veillerette, porte-parole de Générations futures, qui a piloté la partie française de l’étude. Outre la surveillance du TFA dans les aliments, PAN Europe demande l’interdiction des pesticides à base de PFAS. Ces derniers représentent environ 12 % des substances actives des pesticides de synthèse autorisées dans l’Union européenne. En se dégradant, ils se transforment en TFA et polluent les sols et l’eau. Avec les gaz fluorés, ils sont la principale source d’émission de TFA.
Le rapport de PAN Europe révèle que les produits à base de blé sont nettement plus contaminés que ceux composés à partir d’autres céréales (avoine, seigle, maïs ou riz) : ils présentent une concentration moyenne de 92 000 ng/kg contre 12 000 ng/kg pour les autres. Deux hypothèses sont privilégiées pour expliquer cette particularité du blé : il est davantage traité avec des pesticides à base de PFAS que les autres céréales, il a une capacité physiologique supérieure aux autres céréales à absorber le TFA présent dans l’environnement.
« La découverte que le blé présente des concentrations plus élevées que les autres céréales mérite un suivi plus approfondi de la part des scientifiques et des autorités chargées de la sécurité alimentaire, commente le chimiste de l’environnement Hans Peter Arp, un des meilleurs spécialistes mondiaux du TFA. Mais nous devons nous préoccuper des nombreuses autres sources alimentaires qui n’ont pas encore été identifiées, telles que certains types de légumes, de fruits ou de haricots, qui, ensemble, augmentent notre exposition au TFA. » Avant de s’intéresser aux céréales, PAN Europe avait mis en évidence des concentrations importantes de TFA dans l’eau (du robinet et en bouteille) et le vin.
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