Un Pape bien trop prudent et absence du patriarche de Moscou

Léon XIV, en visite en Turquie et au Liban, s’illustre par sa retenue et sa prudence

Après trois jours en Turquie, le pape est arrivé dimanche au Liban, pour la deuxième étape de son premier voyage à l’étranger depuis son élection. Comme à Istanbul, il a observé une certaine réserve dans ses paroles, afin d’éviter les faux pas dans un pays traversé par les tensions religieuses. 

Par  (Beyrouth – envoyée spéciale )Publié le 30 novembre 2025 à 20h08, modifié hier à 10h50

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Le pape Léon XIV rencontre le président libanais, Joseph Aoun, au palais présidentiel de Baabda, à Beyrouth, le 30 novembre 2025.
Le pape Léon XIV rencontre le président libanais, Joseph Aoun, au palais présidentiel de Baabda, à Beyrouth, le 30 novembre 2025.  ALESSANDRO DI MEO/AFP

L’avion bleu transportant le pape se préparait à atterrir sur le port de Beyrouth, quand deux avions de chasse se sont approchés de la carlingue pour l’escorter dans sa descente. Après trois jours en Turquie dans une atmosphère relativement indifférente, Léon XIV a été accueilli chaleureusement au Liban, dimanche 30 novembre, deuxième étape de son premier voyage en dehors de l’Italie depuis son élection, en mai. Partout, sur la route, dans les rues, sur les ponts, des panneaux le représentant saluant la foule ont été accrochés.

Après avoir rendu une visite de courtoisie au président libanais, Joseph Aoun, et s’être entretenu avec le président de la Chambre des députés, Nabih Berri, et le premier ministre, Nawaf Salam, Léon XIV s’est adressé aux autorités, à la société civile et au corps diplomatique. Comme en Turquie, il a donné à voir sa méthode : une forme de réserve, des mots pesés au trébuchet et des messages à lire en filigrane.

Louant les dirigeants du pays du Cèdre, qu’il a soigneusement évité de froisser, le pape les a qualifiés d’« artisans de la paix, dans des circonstances très complexes, conflictuelles et incertaines ».

Le « courage de rester »

Dans un Liban traversé de tensions religieuses permanentes et particulièrement perméables aux convulsions géopolitiques du Proche-Orient, Léon XIV a enjoint à tous ceux qui l’écoutaient de ne jamais négliger le travail de mémoire indispensable au « rapprochement entre ceux qui ont subi des torts et des injustices ». Un effort nécessaire, selon lui, à la « paix ».

Deux avions militaires libanais escortent l’avion du pape Léon XIV avant son atterrissage, à Beyrouth, le 30 novembre 2025.
Deux avions militaires libanais escortent l’avion du pape Léon XIV avant son atterrissage, à Beyrouth, le 30 novembre 2025.  ANDREAS SOLARO VIA REUTERS

A destination des jeunes du pays, devant lesquels il s’exprimera, lundi, à Bkerké, au nord de Beyrouth, Léon XIV a vanté ceux qui « osent rester »« Il arrive parfois qu’il soit plus facile de fuir ou, tout simplement, plus pratique d’aller ailleurs », a-t-il regretté, ajoutant qu’il faut « vraiment du courage et de la clairvoyance pour rester ou revenir » dans un pays où les « conditions » sont « difficiles ». Un appel également adressé aux chrétiens de la région, notamment de Syrie, qui ont massivement quitté leur pays depuis 2011.

Pour que cela puisse être possible, le chef des catholiques a mis en garde les dirigeants libanais, expliquant que les situations ne s’améliorent pas uniquement grâce à « la disponibilité et au courage de certains ». La réconciliation, a-t-il insisté, « a besoin d’autorités et d’institutions qui reconnaissent que le bien commun est supérieur à celui d’une partie ». Quelques minutes plus tôt, il leur avait « demandé de ne jamais [se] séparer des gens » et de « se mettre au service de [leur] peuple ».

Le convoi escortant le pape Léon XIV à Beyrouth, le 30 novembre 2025.
Le convoi escortant le pape Léon XIV à Beyrouth, le 30 novembre 2025.  MOHAMMED ZAATARI/AP
Des scouts du Hezbollah accueillent le pape Léon XIV dans la banlieue sud de Beyrouth, le 30 novembre 2025.
Des scouts du Hezbollah accueillent le pape Léon XIV dans la banlieue sud de Beyrouth, le 30 novembre 2025.  GIUSEPPE CACACE/AFP

Depuis le début de son voyage, comme c’est le cas depuis son élection, Léon fait passer ses messages avec subtilité, calme et retenue, sans jamais tancer ses interlocuteurs. Ses trois jours et demi passés en Turquie, qui l’ont vu rencontrer le président Recep Tayyip Erdogan, des autorités musulmanes ou les Arméniens de Turquie, ont été en permanence teintés de cette prudence, aussi bien dans les paroles que dans les gestes. Une différence avec son prédécesseur, François, qui pouvait parfois morigéner ses interlocuteurs à l’étranger.

Dans son discours prononcé à Beyrouth, dimanche, Léon n’a ainsi pas répondu au message qui lui avait été adressé la veille au soir par le Hezbollah, l’exhortant à rejeter « l’injustice et l’agression d’Israël » contre le Liban.

Inclination pour une solution à deux Etats

En Turquie, les circonstances exigeaient cette prudence autant qu’au Liban, notamment sur certains sujets sensibles, comme celui du génocide des Arméniens, en 1915. Dimanche, avant un ultime déjeuner avec le patriarche de Constantinople, Bartholomée, à l’invitation duquel il est venu en Turquie fêter le 1700e anniversaire du concile de Nicée (qui a défini le Credo, soit l’essentiel de la profession de foi partagée par les catholiques, les protestants et les orthodoxes), Léon XIV s’est justement rendu à la cathédrale arménienne. Là il a soigneusement évité d’utiliser le mot « génocide », faisant montre une fois encore de sobriété : « Cette visite m’offre l’occasion de remercier Dieu pour le courageux témoignage chrétien du peuple arménien au cours des siècles, souvent lors de circonstances tragiques », a-t-il simplement déclaré, avant d’insister sur des

Le pape Léon XIV et le président turc, Recep Tayyip Erdogan, à Ankara, le 27 novembre 2025.
Le pape Léon XIV et le président turc, Recep Tayyip Erdogan, à Ankara, le 27 novembre 2025.  MURAT KULA/PPO VIA REUTERS
Le pape Léon XIV, accompagné de responsables musulmans et du ministre turc de la culture et du tourisme, à la Mosquée bleue, à Istanbul, le 29 novembre 2025.
Le pape Léon XIV, accompagné de responsables musulmans et du ministre turc de la culture et du tourisme, à la Mosquée bleue, à Istanbul, le 29 novembre 2025.  DOMENICO STINELLIS/AP

Dans l’avion qui le conduisait à Beyrouth, le pape a répondu, lors d’une conférence de presse improvisée, à deux questions de journalistes turcs sur le rôle du président Erdogan dans les conflits qui embrasent la région, en Ukraine et à Gaza. Evoquant les thèmes de son voyage, « paix et unité », Léon XIV a simplement redit son inclination pour une solution à deux Etats pour mettre fin au conflit israélo-palestinien. Il a aussi répété son espoir que le président Erdogan puisse aider à arrêter la guerre en Ukraine en jouant les intermédiaires entre Moscou et Kiev.

Lire aussi |  En Turquie, sur les vestiges de l’ancienne Nicée, le pape appelle les chrétiens à « éviter le scandale des divisions »

Samedi, lors de sa visite à la Mosquée bleue d’Istanbul, le pape s’était déjà illustré par sa pondération. Après s’être déchaussé et avoir laissé apercevoir des chaussettes blanches – clin d’œil à son équipe préférée de base-ball, les White Sox de Chicago –, il s’est promené sous les magnifiques voûtes du monument.

Accompagné du grand mufti d’Istanbul et d’autres responsables musulmans de la ville, Léon XIV a fait le choix de ne pas s’arrêter pour se recueillir ou prier, comme il était pourtant indiqué dans le livret de description du voyage. Ce faisant, le pape des Amériques s’est distingué de ses prédécesseurs, Benoit XVI et François, qui s’étaient tous deux recueillis à la Mosquée bleue, en 2006 et en 2014. Il a montré son désir de dialogue avec les musulmans sans pour autant offenser ceux d’entre eux à qui un tel geste n’aurait pas plu, ni ceux, parmi les catholiques, qui auraient pu le lui reprocher.

EN DIRECT, visite du pape au Liban : Léon XIV « cherche à éviter à tout prix que ses mots puissent être instrumentalisés »

Le pape Léon XIV a appelé mardi, devant 150.000 personnes réunies pour une messe en plein air à Beyrouth, à « de nouvelles approches au Moyen-Orient » meurtri par les conflits, pour y faire prévaloir la paix.

Live animé par Gaétan Supertino

Mis à jour aujourd’hui à 12h24 https://www.lemonde.fr/international/live/2025/12/02/en-direct-visite-du-pape-au-liban-en-francais-leon-xiv-appelle-au-desarmement-des-coeurs-et-a-combattre-l-idolatrie-de-l-argent_6655653_3210.html?lmd_medium=email&lmd_campaign=trf_newsletters_lmfr&lmd_creation=a_la_une&lmd_send_date=20251202&lmd_link&&M_BT=53496897516380#x3D;tempsforts-title-_titre_5

Le pape Léon XIV célèbre une messe sur le front de mer de Beyrouth, dans le cadre de son voyage apostolique au Liban, le 2 décembre 2025. - ANDREAS SOLARO / AFP
Le pape Léon XIV célèbre une messe sur le front de mer de Beyrouth, dans le cadre de son voyage apostolique au Liban, le 2 décembre 2025. ANDREAS SOLARO / AFP

12:15

Le pape « démontre un réalisme politique » 

En définitive, que retenir de ces cinq jours du pape au Moyen-Orient ?

Au terme de ce premier voyage pontifical de Léon XIV, les observateurs saluent largement le message de paix diffusé par le souverain pontife, tout en soulignant sa prudence.

Le pape « cherche à éviter à tout prix que ses mots puissent être instrumentalisés par n’importe qui, décrypte au Monde le vaticaniste Giovanni Maria Vian. Ça peut paraître un peu banal mais démontre un réalisme politique confiant dans l’efficacité des médiations, tout en dénonçant les horreurs de la guerre et l’injustice, en Ukraine comme au Proche Orient ou ailleurs ».

Se dessine également quelques lignes directrices du pontificat : l’attention aux plus démunis et l’importance de la vie contemplative. « La visite du pape au Liban dépasse le simple déplacement pastoral et politique : elle rappelle l’importance d’une vie enracinée dans la prière et la contemplation, tout en honorant ceux qui servent les plus fragiles»,analyse, dans l’Orient Le Jour, Gaby Khairallah, professeur à Science Po Paris. À travers le choix des lieux et des rencontres, elle interpelle sur la valeur de l’humain, de la mémoire et de la justice, offrant un message universel de compassion et de responsabilité ».

Le pape Léon XIV visite la mosquée Sultan Ahmed (ou Mosquée bleue), datant de l’époque ottomane, à Istanbul, en Turquie, le samedi 29 novembre 2025.
Le pape Léon XIV visite la mosquée Sultan Ahmed (ou Mosquée bleue), datant de l’époque ottomane, à Istanbul, en Turquie, le samedi 29 novembre 2025. EMRAH GUREL / AP

Ce premier voyage international a enfin « révélé un pape soucieux de replacer l’histoire et la symbolique chrétienne au cœur de son pontificat, et d’inscrire chacune de ses prises de position éthiques dans un cadre juridique clair », renchérit le politiste François Mabille, au Monde. Dès son arrivée à Ankara, il s’est rendu au mausolée d’Atatürk, manière de rappeler que la Turquie moderne repose sur une architecture juridique laïque.

Le geste le plus commenté reste toutefois son choix de ne pas prier à la Mosquée bleue. En visitant le monument sans y accomplir un acte liturgique, « Léon XIV a ainsi tracé une frontière interreligieuse précise : le respect mutuel n’implique pas la confusion des rites. Là encore, il s’appuie sur un principe de droit – celui de la liberté de conscience et du respect des pratiques de chaque religion, qui fonde la possibilité même du dialogue interreligieux », conclut le politiste.

11:39

Le pape Léon XIV appelle à « de nouvelles approches » au Moyen-Orient 

ANDREAS SOLARO / AFP

Dans une ultime allocution en anglais à l’issue de la cérémonie, Léon XIV a appelé la communauté internationale à « de nouvelles approches » au Moyen-Orient et à ce qu’un « nouveau chapitre de conciliation et de paix soit ouvert ».

« Le Moyen-Orient a besoin de nouvelles approches afin de rejeter la mentalité de vengeance et de violence, de surmonter les divisions politiques, sociales et religieuses, et d’ouvrir de nouveaux chapitres au nom de la réconciliation et de la paix », a déclaré le chef de l’Eglise catholique, qui achève ainsi sa visite au Liban.

Léon XIV a également appelé les dirigeants « dans tous les pays marqués par la guerre et la violence » à « écouter le cri » des « peuples qui appellent à la paix ». S’adressant enfin aux « chrétiens du Levant, citoyens à part entière de ces terres », le pape leur a dit : « Ayez du courage. Toute l’Eglise vous regarde avec affection et admiration. »

11:13

L’intégralité de l’homélie du pape publiée 

« Liban, relève-toi ! Sois une maison de justice et de fraternité ! Sois une prophétie de paix pour tout le Levant ! », a conclu Léon XIV à l’issue de son homélie, point d’orgue de son premier voyage pontifical international. Alors que la cérémonie touche à sa fin et que le souverain pontife s’apprête à regagner Rome, le Vatican a publié l’intégralité du texte prononcé sur le font de mer de Beyrouth, que vous pouvez retrouver en suivant ce lien.

11:00

Bonjour et merci pour ce direct ! Quelle est la situation des chrétiens au Liban ? Sont-ils aussi nombreux qu’il y a quelques années ?

Jo

Bonjour Jo,

Il n’existe pas de chiffres officiels sur le nombre total de chrétiens au Liban, estimé autour de 30 % de la population. Ce chiffre est l’objet de débats passionnés, certains l’abaissant à moins de 20 %, d’autres à plus de 40 %, en dessous, en tout cas, des 50 % recensés à la fin du mandat français (1943).

L’enjeu est de taille, car la Constitution prévoit, à ce stade, que la présidence de la République doit revenir à un chrétien, celle du Parlement à un musulman chiite et celle du gouvernement à un sunnite. Le commandant en chef de l’armée libanaise, le général Rodolphe Haykal, est également chrétien maronite. Mais cet équilibre reste fragile et contesté, notamment par le Hezbollah, milice chiite qui refuse de se voir désarmer depuis la fin de la guerre civile en 1990.

Dans le détail, les maronites forment la communauté chrétienne la plus importante au Liban, devant les orthodoxes, les catholiques d’autres rites et une poignée de protestants.

Léon XIV appelle au « désarmement des cœurs » dans un Liban fracturé 

Pope Leo XIV presides over the Holy Mass at the Waterfront, during his first apostolic journey, in Beirut, Lebanon December 2, 2025. REUTERS/Mohamed Azakir
Pope Leo XIV presides over the Holy Mass at the Waterfront, during his first apostolic journey, in Beirut, Lebanon December 2, 2025. REUTERS/Mohamed Azakir MOHAMED AZAKIR / REUTERS

Comme à son habitude, le pape Léon XIV n’a pas délivré de message catégorique, soucieux de rester diplomate. Mais lors de son homélie, il a tout de même multiplié les allusions et références à la crise que subissent le Liban et sa région, en proie aux divisions et où nombre d’habitants manifestent leur lassitude face aux conflits et à la corruption.

Après avoir remercié les acteurs, religieux ou non, qui participent à la reconstruction du pays, le souverain pontife a mis en garde : « Cette gratitude ne doit pas être une consolation intimiste et illusoire. » Alors que les plaies de la guerre civile, qui s’est déroulée de 1975 à 1990, faisant s’affronter différentes confessions du pays, restent loin d’être pansées, le chef spirituel des catholiques a tenté d’appeler à la concorde :

« Nous sommes tous appelés à ne pas céder à la logique de la violence et à l’idolâtrie de l’argent, à ne pas nous résigner face au mal qui se répand. (…) Nous n’avons qu’un seul moyen de le faire : désarmons nos cœurs, faisons tomber les armures de nos fermetures ethniques et politiques, ouvrons nos confessions religieuses à la rencontre réciproque, réveillons au plus profond de nous-mêmes le rêve d’un Liban uni, où triomphent la paix et la justice, où tous puissent se reconnaître frères et sœurs. »

Cette exhortation au « désarmement des cœurs » fait particulièrement sens, dans un pays qui lutte pour le désarmement de certaines milices depuis la fin de la guerre civile, à commencer par celui du Hezbollah.

Lire aussi :

Au Liban, le plan de désarmement du Hezbollah pourrait rapidement se retrouver dans une impasse 

Publié le 06 septembre 2025 à 11h00

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Avec une citation biblique choisie pour l’occasion, Léon XIV conclut avec le prophète Isaïe : « Le loup habitera avec l’agneau, le léopard se couchera près du chevreau, le veau et le lionceau seront nourris ensemble » (Is 11, 6).

10:22  Urgent

Le pape Léon XIV prononce une homélie, en français, sur le front de mer de Beyrouth, devant 150 000 personnes 

Le pape Léon XIV durant la messe, à Beyrouth, sur le front de mer, le 2 décembre 2025.  (Photo by Andreas SOLARO / AFP)
Le pape Léon XIV durant la messe, à Beyrouth, sur le front de mer, le 2 décembre 2025. (Photo by Andreas SOLARO / AFP) ANDREAS SOLARO / AFP

A l’issue d’une messe sur le front de mer de Beyrouth et après une lecture de l’Evangile en arabe, le pape Léon XIV a prononcé une homélie en français, délaissant le traditionnel italien ou l’anglais, dans un pays en partie francophone. « Depuis cette esplanade qui surplombe la mer, je peux contempler la beauté du Liban chantée dans les Écritures », a-t-il déclaré. Avant de revenir amplement sur la crise qui frappe le pays.

« Cette beauté est assombrie par la pauvreté et les souffrances, par les blessures qui ont marqué votre histoire – je viens de me rendre sur le lieu de l’explosion, au port, pour prier – ; elle est assombrie par les nombreux problèmes qui vous affligent, par un contexte politique fragile et souvent instable, par la crise économique dramatique qui vous oppresse, par la violence et les conflits qui ont réveillé d’anciennes peurs », a poursuivi le souverain pontife.

Le pape Léon XIV embrasse l’autel lors de la messe qu’il célèbre sur le front de mer, à Beyrouth.
Le pape Léon XIV embrasse l’autel lors de la messe qu’il célèbre sur le front de mer, à Beyrouth. YARA NARDI / REUTERS
Le pape Léon XIV assiste à la messe célébrée sur les quais de Beyrouth, au Liban, le 2 décembre 2025.
Le pape Léon XIV assiste à la messe célébrée sur les quais de Beyrouth, au Liban, le 2 décembre 2025. YARA NARDI / REUTERS

Devant 150 000 personnes recensées par les organisateurs (plus qu’annoncé), il a regretté que « dans un tel contexte, la gratitude cède facilement la place au désenchantement (…), la source de l’espérance est asséchée par l’incertitude et la désorientation », appelant à « trouver de petites lumières qui brillent au cœur de la nuit ».

09:52  

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Comment les chrétiens ont adopté le Credo, il y a 1 700 ans, au concile de Nicée 

Ce voyage du pape avait initialement pour but de célébrer les 1 700 ans du concile de Nicée. En 325, l’une des assemblées d’évêques les plus décisives de l’histoire du christianisme s’est en effet réunit dans l’ouest de l’actuelle Turquie. C’est à cette occasion qu’est voté l’essentiel de la profession de foi partagée par les catholiques, les protestants et les orthodoxes. On vous raconte tout dans cet article :

En 325, l’une des assemblées d’évêques les plus décisives de l’histoire du christianisme se réunit dans l’ouest de l’actuelle Turquie. C’est à cette occasion qu’est voté l’essentiel de la profession de foi partagée par les catholiques, les protestants et les orthodoxes. 

Par Cyprien MycinskiPublié le 20 juillet 2025 à 06h30, modifié le 15 septembre 2025 à 16h28 https://www.lemonde.fr/le-monde-des-religions/article/2025/07/20/comment-les-chretiens-ont-adopte-le-credo-il-y-a-1-700-ans-au-concile-de-nicee_6622337_6038514.html

Temps de Lecture 6 min

Représentation de l’empereur Constantin et des évêques lors du premier concile de Nicée (aujourd’hui en Turquie), en 325.
Représentation de l’empereur Constantin et des évêques lors du premier concile de Nicée (aujourd’hui en Turquie), en 325.  AURIMAGES

Ce devrait être le premier voyage de Léon XIV. Le 12 mai, à peine élu, le pape a expliqué projeter de se rendre à Iznik, l’antique Nicée, aujourd’hui petite ville de Turquie célèbre pour ses céramiques située et à une centaine de kilomètres d’Istanbul. Si aucun détail n’a, pour le moment, été donné, le souverain pontife pourrait y retrouver le patriarche de Constantinople Bartholomée Ier, lequel y avait invité le pape François.

Cette visite sera l’occasion de célébrer un anniversaire : il y a 1 700 ans, cette bourgade a été le théâtre d’un événement décisif de l’histoire du christianisme. C’est là qu’est adopté l’essentiel d’une profession de foi commune à tous les chrétiens : le Credo. A Nicée, en 325, les croyances fondamentales de la religion chrétienne ont ainsi été fixées.

Au sein de l’Empire romain, les chrétiens ne représentent alors qu’une petite minorité de la population, 10 % tout au plus. Mais, depuis peu, ils peuvent compter sur un allié de poids : l’empereur lui-même. En 312, la victoire que Constantin remporte au pont Milvius serait à l’origine de sa conversion au christianisme : la veille du combat, il voit en songe un homme en blanc lui montrer une croix, affirmant : « Par ce signe, tu vaincras. » Ce succès lui permet d’imposer son autorité sur la moitié occidentale de l’empire. Douze ans plus tard, après avoir vaincu son coempereur Licinius, il met la main sur l’Orient. Lorsque s’ouvre l’année 325, l’Empire romain est donc réunifié et, pour la première fois, il a à sa tête un promoteur de la foi chrétienne.

Pour l’unité de l’Eglise

Dans cet Orient dont il est désormais souverain, Constantin découvre une Eglise divisée. Une controverse doctrinale y a, en effet, éclaté, quelques années plus tôt. Un prêtre d’Alexandrie, Arius (vers 250-336), en est à l’origine. Il considère que le Fils – c’est-à-dire le Christ – est inférieur au Père« Puisque le Fils a vécu une existence humaine, Arius estime qu’il ne saurait être de même nature que le Père », explique le théologien Michel Fédou, spécialiste de la christologie dans l’Antiquité.

« Dans son esprit, seul le Père est absolument transcendant. Le Fils, lui, est une créature, une créature supérieure aux êtres humains certes, mais une créature tout de même », précise encore ce prêtre jésuite. Arius estime, en outre, qu’à la différence du Père le Christ n’a pas existé de toute éternité. « Il y eut un temps où le Fils n’était pas », défend le clerc alexandrin. Condamné par son évêque, Arius refuse de se soumettre. Il fuit Alexandrie pour gagner la Syrie, où il parvient à faire de nombreux adeptes.

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Afin de sortir de la crise, l’empereur décide de convoquer un concile, c’est-à-dire une réunion des évêques. Pour la première fois, celui-ci sera « œcuménique » – un terme qu’il faut entendre en son sens originel d’« universel ». Tous les évêques de l’empire, et même au-delà, y sont en effet invités. De mai à juillet 325, plus de 200 prélats – 318, dit symboliquement la tradition, soit le nombre des serviteurs d’Abraham d’après la Bible – sont rassemblés dans le palais impérial de Nicée, à une centaine de kilomètres de Constantinople. Jamais autant d’évêques, provenant de tant de provinces différentes, ne s’étaient ainsi retrouvés.

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Restaurer l’unité des chrétiens, voilà l’objectif du concile. Pour Constantin, le Dieu unique doit être servi par une Eglise une. Celle-ci ne peut abriter en son sein une variété de courants aux croyances divergentes. Il s’agit donc d’établir une orthodoxie qui permettra de déterminer qui fait partie de l’Eglise et qui est hérétique. Outre cette finalité strictement religieuse, le concile de Nicée fait aussi passer un message politique. « Constantin a bataillé pour réunir les deux parties de l’empire sous sa coupe, et il veut que l’unité retrouvée du monde romain soit manifestée, relève l’historienne Claire Reggio, autrice de Nicée. 1 700 ans d’histoire (Cerf, 176 p., 20 €). Grâce au concile, on montrera que l’Eglise est une, mais aussi que l’empire est un. »

« Broutilles infimes »

Sur le fond de la controverse, l’empereur ne semble pas avoir d’opinion arrêtée. « Constantin n’a pas la tête théologique. Pour lui, on ferait simplement mieux de ne pas discuter de choses aussi compliquées », relate Claire Sotinel, professeure d’histoire ancienne à l’université Paris-Est-Créteil. Il qualifie d’ailleurs ces controverses théologiques de « broutilles tout à fait infimes ». Et la chercheuse de préciser : « Lui n’était pas horrifié par ce que disait Arius, et il se serait sans doute volontiers satisfait d’un compromis. »

Les évêques ne sont cependant pas de son avis : rapidement, une nette majorité se dégage pour réprouver les thèses d’Arius. « Les évêques se sont fondés en particulier sur le début de l’Evangile de saint Jean, décrypte Michel Fédou. On y lit : “Au commencement était le Verbe, et le Verbe était auprès de Dieu et le Verbe était Dieu” (Jn 1, 1). Ce “Verbe qui s’est fait chair”, c’est le Christ, et l’évangéliste dit bien qu’il n’est pas une créature mais qu’il est Dieu », précise le théologien.

D’accord pour condamner l’arianisme, les évêques peuvent s’atteler à l’élaboration d’une formule de foi exprimant les croyances essentielles de l’Eglise. « Jusque-là, il existait plusieurs de ces formules, toutes assez proches les unes des autres, mais qui restaient assez sommaires dans leur contenu et qui variaient légèrement selon les lieux, analyse Claire Sotinel. A Nicée, l’enjeu est donc d’adopter un texte unique. Pour ce faire, on a repris un certain nombre de points déjà présents dans les formules de foi existantes, tout en y ajoutant des éléments contre Arius, comme lorsqu’il est dit du Christ qu’il est “vrai Dieu, né du vrai Dieu”. »

L’hellénisation du christianisme

Un terme en particulier a été choisi avec soin par les pères conciliaires. Pour contrer la thèse d’une différence de nature entre le Fils et le Père, ils écrivent que le Fils est « consubstantiel » au Père – homousios, en grec. Dans L’Eglise de l’Antiquité tardive (Seuil, 1963), l’historien Henri-Irénée Marrou observait que « l’adoption de ce mot homousios (…)marque une date mémorable dans l’histoire doctrinale du christianisme ».

Pourquoi ? « Car le terme ne provient pas de la Bible, mais de la pensée grecque. Son insertion dans le Credo manifeste donc l’hellénisation du christianisme », souligne Michel Fédou. « A Nicée, les évêques ont voulu exprimer la foi chrétienne dans des termes qui satisfont à la pensée philosophique, ce qui témoigne d’une grande ambition intellectuelle. On comprend ainsi que le christianisme se sent vocation à devenir la religion des élites de tout l’empire », ajoute Claire Sotinel.

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Si elle est diserte sur le Père et le Fils, la formule de foi élaborée à Nicée se montre beaucoup plus succincte à propos du Saint-Esprit. Un autre concile, celui de Constantinople en 381, viendra donc préciser les croyances chrétiennes à propos de la troisième personne de la Trinité. Le texte issu de ces deux conciles sera désigné comme le symbole – un terme qui s’entend ici au sens de profession de foi – de Nicée-Constantinople, ou plus simplement comme le Credo (« je crois », en latin)Malgré les divisions qu’a connues le christianisme dans les siècles qui suivirent, ce Credo est resté une référence commune à tous les chrétiens. Catholiques, orthodoxes et protestants l’ont en partage.

Œcuménisme

Il existe toutefois une très légère différence entre deux versions du symbole de Nicée-Constantinople, celle des catholiques et des protestants, d’une part, et celle des orthodoxes, d’autre part. En effet, dans la chrétienté latine du haut Moyen Age, l’habitude est prise de confesser que le Saint-Esprit « procède du Père et du Fils » – filioque, en latin. Au sein du monde byzantin, on resta fidèle au texte originel et cet ajout fut condamné. Cette querelle du filioque sera l’une des raisons du schisme de 1054 entre les Eglises catholique et orthodoxe.

Hormis cette divergence, les 2,5 milliards de chrétiens se réfèrent donc à une même profession de foi. « Le symbole de Nicée-Constantinople appartient au patrimoine commun de toutes les Eglises, ce qui lui donne une grande portée œcuménique », remarque Michel Fédou. Le Credo et le concile de Nicée sont, en effet, régulièrement mobilisés par tous ceux qui défendent le rapprochement entre les différentes traditions chrétiennes.

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Récemment, Léon XIV s’en est, lui aussi, emparé. Le 7 juin, recevant des représentants des Eglises orthodoxes, le nouveau pape a fait du concile de Nicée une « boussole qui doit continuer à nous guider vers la pleine unité visible de tous les chrétiens », avant d’exprimer le souhait que la commémoration commune de son anniversaire soit « une occasion providentielle d’approfondir et de professer ensemble notre foi ». Et le souverain pontife d’ajouter : « Ce que nous avons en commun est beaucoup plus fort, quantitativement et qualitativement, que ce qui nous divise. » Dix-sept siècles après sa réunion, le concile de Nicée apparaît ainsi comme un trait d’union fondamental entre les chrétiens.

Le symbole de Nicée-Constantinople

« Je crois en un seul Dieu, le Père tout-puissant,
créateur du ciel et de la Terre, de l’univers visible et invisible,
Je crois en un seul Seigneur, Jésus-Christ,
le Fils unique de Dieu, né du Père avant tous les siècles :
Il est Dieu, né de Dieu,
lumière, née de la lumière,
vrai Dieu, né du vrai Dieu
Engendré non pas créé,
consubstantiel au Père ;
et par lui tout a été fait.
Pour nous les hommes, et pour notre salut,
il descendit du ciel ;
Par l’Esprit saint, il a pris chair de la Vierge Marie, et s’est fait homme.
Crucifié pour nous sous Ponce Pilate,
Il souffrit sa passion et fut mis au tombeau.
Il ressuscita le troisième jour,
conformément aux Ecritures, et il monta au ciel ;
il est assis à la droite du Père.
Il reviendra dans la gloire, pour juger les vivants et les morts
et son règne n’aura pas de fin.
Je crois en l’Esprit saint, qui est Seigneur et qui donne la vie ;
il procède du Père et du Fils. [Les orthodoxes s’en tiennent à « il procède du Père »]
Avec le Père et le Fils, il reçoit même adoration et même gloire ;
il a parlé par les prophètes.

Je crois en l’Eglise, une, sainte, catholique [ou « universelle », signification première de « catholique »] et apostolique.
Je reconnais un seul baptême pour le pardon des péchés.
J’attends la résurrection des morts, et la vie du monde à venir.

Amen. »

L’autre Credo : le Symbole des apôtres

A côté du symbole de Nicée-Constantinople, les catholiques et les protestants se réfèrent également à une autre profession de foi, plus courte et théologiquement moins complexe : le Symbole des apôtres.

« Je crois en Dieu, le Père tout-puissant,
Créateur du ciel et de la Terre.
Et en Jésus-Christ, son Fils unique, notre Seigneur ;
qui a été conçu du Saint-Esprit, est né de la Vierge Marie,
a souffert sous Ponce Pilate, a été crucifié,
est mort et a été enseveli, est descendu aux enfers ;
le troisième jour est ressuscité des morts,
est monté aux cieux, est assis à la droite de Dieu le Père tout-puissant,
d’où il viendra juger les vivants et les morts.
Je crois en l’Esprit saint, à la Sainte Eglise catholique/universelle, à la communion des saints,
à la rémission des péchés, à la résurrection de la chair, à la vie éternelle.

Amen. »

Cyprien Mycinski

Publié par jscheffer81

Cardiologue ancien chef de service au CH d'Albi et ancien administrateur Ancien membre de Conseil de Faculté Toulouse-Purpan et du bureau de la fédération des internes de région sanitaire Cofondateur de syndicats de praticiens hospitaliers et d'associations sur l'hôpital public et l'accès au soins - Comité de Défense de l'Hopital et de la Santé d'Albi Auteur du pacte écologique pour l'Albigeois en 2007 Candidat aux municipales sur les listes des verts et d'EELV avant 2020 Membre du Collectif Citoyen Albi

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