L’éolien offshore subit de plein fouet l’inflation, les tensions sur les chaînes d’approvisionnement et l’animosité de Donald Trump à l’égard des énergies renouvelables.

Eolien en mer : la grande désillusion d’une filière à la rentabilité incertaine

L’éolien offshore subit de plein fouet l’inflation, les tensions sur les chaînes d’approvisionnement et l’animosité de Donald Trump à l’égard des énergies renouvelables. Les annulations, désistements et appels d’offres infructueux se multiplient dans plusieurs pays. 

Par Adrien Pécout

Publié le 29 novembre 2025 à 05h00 https://www.lemonde.fr/economie/article/2025/11/29/eolien-en-mer-la-grande-desillusion-d-une-filiere-a-la-rentabilite-incertaine_6655314_3234.html

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Près du parc éolien offshore de Goto, dans la préfecture de Nagasaki (Japon), le 6 août 2025.
Près du parc éolien offshore de Goto, dans la préfecture de Nagasaki (Japon), le 6 août 2025.  PHILIP FONG/AFP

Qui veut encore développer des projets d’éolien en mer ? La question peut sembler provocante, sinon exagérée, mais elle mérite d’être posée. Inflation du coût des matières premières, taux d’intérêt en hausse, doutes sur la rentabilité des projets, complexité logistique de chantiers XXL, voire, dans le cas du président américain, Donald Trump, hostilité de principe… En France comme à l’étranger, il a beau produire de l’électricité bas carbone, le secteur de l’éolien offshore fait face à des vents mauvais.

L’Agence internationale de l’énergie (AIE) s’attend désormais à ce que la croissance des éoliennes marines ralentisse significativement. Dans son rapport annuel sur le marché des énergies renouvelables, publié en octobre, elle a révisé à la baisse de 27 % ses prévisions de nouvelles capacités attendues d’ici à 2030.

Pêle-mêle explicatif : il faut y voir l’effet d’un « changement de politique aux Etats-Unis », mais la tendance s’explique aussi par « les annulations et les retards de projets en Europe, au Japon et en Inde, en raison de la hausse des coûts et des difficultés d’approvisionnement », synthétise l’AIE. D’après ses dernières prévisions, le marché annuel de l’éolien en mer passera tout de même de 9 gigawatts (GW) installés au cours de la seule année 2024 à plus de 37 en 2030, et les Chinois contribueront « à près de 50 % de cette croissance », si ralentie soit-elle.

Le secteur de l’éolien offshore est celui qui traverse le plus de remous, comparé au solaire, et même comparé à l’éolien terrestre. Plus imposants en taille et en puissance, les projets au large nécessitent des coûts structurels plus élevés que ceux sur la terre ferme, et davantage de capitaux à investir. Ainsi, « des facteurs exogènes comme l’augmentation du coût des matières premières » – notamment l’acier pour les fondations – et « la hausse des taux d’intérêt affectent en particulier l’éolien en mer, qui est une filière extrêmement capitalistique », souligne Matteo Bernard, responsable du suivi de cette filière pour l’organisation professionnelle France renouvelables (ex-France énergie éolienne).

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A l’heure où les métaux font l’objet d’une vive demande, notamment en vue de l’électrification des usages, « la hausse des prix du cuivre renchérit le coût des câbles sous-marins et des équipements de réseau pour l’éolien offshore », complète Petra Manuel, analyste pour le cabinet Rystad Energy. Et pour ne rien arranger, le germano-espagnol Siemens Gamesa et le danois Vestas ont profité d’un oligopole en Europe pour augmenter le prix de vente de leurs turbines, après avoir dû réduire leurs marges au temps de la pandémie due au Covid-19.

Facture difficile à anticiper

Tout cela cumulé peut avoir un impact sur le financement de nouveaux chantiers en mer, compromettre leur rentabilité à terme, et donc dissuader, tôt ou tard, les développeurs de se lancer dans l’aventure. « Après une décennie de baisse continue, le coût moyen de l’électricité issue de l’éolien offshore est reparti à la hausse en 2024 », documente par ailleurs un rapport, publié le dimanche 23 novembre, par le cabinet Global Sovereign Advisory.

Conséquence, en France : fin septembre, à peine après avoir remporté l’appel d’offres pour le plus gros projet d’énergie renouvelable dans le pays, l’allemand RWE a fait savoir sa volonté de s’en désengager. Lâché en cours de route, TotalEnergies assure qu’il lancera bien le chantier à 4,5 milliards d’euros, avec ou sans nouveau partenaire : soit au moins sept dizaines de mâts à faire surgir des flots, à quelque 40 kilomètres des côtes de Ouistreham (Calvados), pour un ensemble de 1,5 GW.

Et s’agissant d’un autre appel d’offres, celui au large de l’île d’Oléron (Charente-Maritime), en eau très profonde, c’est pis encore : sur les neuf candidats présélectionnés en 2023, aucun n’a jugé préférable de formuler une offre. « Les TPE, PME et ETI de nos réseaux sont mises en danger par un “creux de la vague” qui touche l’ensemble de la chaîne de la valeur de l’éolien offshore et des énergies marines renouvelables », a réagi l’organisation France Offshore Renewables, le 31 octobre, tirant des « signaux de détresse ». Ailleurs aussi, comme au Danemark et en Allemagne, des appels d’offres infructueux ont témoigné de cette perte d’attractivité.

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Difficile d’anticiper la facture à régler d’un chantier, quand il peut s’écouler huit ans entre l’attribution d’un projet à un lauréat et le début des travaux, puis deux années supplémentaires jusqu’à la mise en service d’un site. Plus coûteux, les projets en mer sont aussi plus ardus d’un point de vue logistique. « Les éoliennes offshore sont plus grandes, leurs composants sont extrêmement lourds et encombrants, ce qui rend leur transport difficile », souligne Hunor Papolczi, analyste pour l’AIE. Et son collègue Piotr Bojek d’ajouter que « l’obtention des permis, l’installation, le raccordement au réseau, ainsi que l’exploitation et la maintenance des parcs éoliens offshore sont plus complexes, ce qui entraîne un risque accru de coûts pour les promoteurs ».

Tout chantier au large nécessite aussi des infrastructures portuaires à la bonne échelle, et des bateaux suffisamment dimensionnés pour assurer le va-et-vient depuis les quais. Symbole de « cette course au gigantisme », comme l’appelle Colette Lewiner, référente énergie du cabinet Capgemini : dans la province du Shandong, le constructeur chinois Dongfang Electric teste en ce moment même un prototype hors norme. D’une pale à une autre, le diamètre de son rotor mesure 310 mètres, soit la hauteur d’une quasi-tour Eiffel, pour une puissance de 26 mégawatts, l’équivalent de huit éoliennes terrestres!

Duopole sino-européen

Autre facteur, et pas des moindres : l’impact des politiques publiques. Sitôt revenu à la Maison Blanche, le 20 janvier, Donald Trump publiait un texte décrétant un moratoire sur un tout nouveau parc éolien dans les eaux des Etats-Unis. Il ne faisait là qu’exécuter une promesse de campagne, après avoir continuellement reproché aux éoliennes, sans s’embarrasser de nuance, d’être « laides » et de « [bousiller] le paysage ». Par ricochet, la situation fragilise aussi les industriels européens. Qu’ils soient fabricants de turbines ou développeurs de projets, bon nombre comptaient sur le développement du secteur outre-Atlantique. En octobre, l’énergéticien danois Orsted a annoncé la suppression de quelque 2 000 postes, d’ici à 2027, c’est-à-dire un quart de ses effectifs.

Pour l’heure, le marché de l’éolien en mer correspond surtout à un duopole sino-européen. Fin 2024, sa capacité totale était de 83 GW déjà installés, selon la dernière édition en date du Global Wind Report, publiée en avril. C’est presque treize fois moins que l’éolien terrestre, qui est, certes, implanté depuis plus longtemps, et plus mature technologiquement.

Porte-voix international des industriels, le Global Wind Energy Council se veut positif : il déclare recenser à ce jour « environ 100 GW de projets éoliens offshore ayant fait l’objet d’appels d’offres et en cours de développement ». Pourquoi persévérer en mer ? Plus les éoliennes sont éloignées du rivage, plus elles peuvent exploiter des vents puissants et réguliers, et ainsi tirer davantage parti des turbines.

Entre autres motifs d’optimisme aperçus ces derniers temps, l’organisme cite des « mesures politiques positives concernant le financement des appels d’offres sur de nouveaux marchés tels que les Philippines, le Vietnam et la Corée du Sud, ainsi que l’adoption d’une législation au Brésil ». Comme pour appeler de ses vœux un nouveau souffle.

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Adrien Pécout

Publié par jscheffer81

Cardiologue ancien chef de service au CH d'Albi et ancien administrateur Ancien membre de Conseil de Faculté Toulouse-Purpan et du bureau de la fédération des internes de région sanitaire Cofondateur de syndicats de praticiens hospitaliers et d'associations sur l'hôpital public et l'accès au soins - Comité de Défense de l'Hopital et de la Santé d'Albi Auteur du pacte écologique pour l'Albigeois en 2007 Candidat aux municipales sur les listes des verts et d'EELV avant 2020 Membre du Collectif Citoyen Albi

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