« Les symptômes du Covid long ne prennent sens que lorsqu’ils sont reliés à leur cause »
Tribune
Cinq ans après l’épidémie, un débat oppose patients, chercheurs et médecins sur la nature du Covid long. Alors que certains travaux lui dénient le statut de maladie, un collectif réuni autour de Solenn Tanguy, présidente de Winslow Santé publique, récuse cette position dans une tribune au « Monde »
Publié le 28 novembre 2025 à 15h00, modifié à 12h28 https://www.lemonde.fr/idees/article/2025/11/28/les-symptomes-du-covid-long-ne-prennent-sens-que-lorsqu-ils-sont-relies-a-leur-cause_6655250_3232.html
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Quand le Covid long quittera-t-il son statut de maladie contestée en France ? Tandis qu’à l’international, associations et chercheurs dont nous faisons partie appellent dans une déclaration commune à une réponse biomédicale urgente fondée sur la recherche, une tribune sur le même thème est parue dans Le Monde, le 4 novembre (« Parallèlement à la “science des maladies”, nous plaidons la “science des symptômes” »). Celle-ci ressuscite une vision psychosomatique que nous espérions dépassée face à l’accumulation de publications scientifiques qui montrent la réalité des lésions dues au Covid long.
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Ce texte affirme qu’un doute « continue de hanter les débats autour du Covid long ». Mais nous savons les présupposés qui entourent ces débats, étant donné que les signataires de la première tribune ont cosigné l’un des articles les plus orientés sur le sujet. Les auteurs font mine de déstigmatiser l’imputation des symptômes à l’autosuggestion, pour réappliquer cette interprétation psychosomatique aux patients qui demandent à être soignés pour leur maladie. Ils ne réparent pas l’erreur, ils la rebaptisent.
Cette tribune débute par une déclaration d’empathie envers les patients, dont « le diagnostic ne repose que sur les symptômes ». Pourtant, des techniques d’imagerie variées (TEP-IRM, imagerie nucléaire, TEP-scan) montrent déjà des anomalies liées à la symptomatologie du Covid long. Mais les simples patients n’y ont, pour la plupart d’entre eux, toujours pas accès, et la démarche proposée par les auteurs risque d’organiser l’impasse thérapeutique de patients dont les anomalies somatiques ne correspondent pas aux tests médicaux de routine. Nous sommes à un moment charnière où les biomarqueurs candidats et les imageries doivent pouvoir être validés et déployés, mais les auteurs de la tribune choisissent d’ignorer ces avancées. Ce retour en arrière pourrait les réduire à néant.
Empathie suspecte
Nous demandons précisément l’inverse d’une « science des symptômes » qui deviendrait « un pilier de la recherche et de la formation médicale ». Les symptômes du Covid long ne prennent sens que lorsqu’ils sont reliés à leur cause : virus à tropisme vasculaire, dérégulation immunitaire, persistance virale, atteinte des vaisseaux sanguins, avec des conséquences multisystémiques – neurologiques, cardiaques, métaboliques, etc. Améliorons au plus vite la prise en charge des patients, accélérons les essais cliniques vers des traitements modificateurs de la maladie. Comme le rappelle notre déclaration : « Aucun délai supplémentaire ne saurait être acceptable. »
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Par ailleurs, l’empathie affichée dans la tribune pour le vécu des patients nous semble suspecte. Ils ne sont pas seulement en souffrance, ils peuvent avoir développé une compréhension de ce dont ils souffrent, et donc adresser aux soignants une demande précise et sourcée de médicalisation située sur le plan somatique. Ne serait-ce pas ce qui pose problème ? La théorie du trouble somatoforme cumule deux formes de déni : celui des causes somatiques et pandémiques de maux en progression, et celui du savoir produit par les collectifs de patients engagés dans la lecture critique de la littérature scientifique et la défense de leurs droits, dont celui, fondamental, à la prévention des réinfections.
Une « prise en charge véritablement biopsychosociale » n’est appelée que par les vœux des auteurs de la tribune – elle correspond surtout à leurs propres travaux, dont la méthodologie comme la finalité sont, selon nous, pour le moins contestables. Cette tribune paraît alors que ses premiers signataires ouvrent une unité à l’AP-HP : le projet Créatif, destiné à la prise en charge des troubles somatiques dits inexpliqués ou fonctionnels. Le Covid long n’est ni l’un ni l’autre. Quant aux thérapies comportementales et cognitives et à la méditation pleine conscience proposées dans ces unités, elles échouent tout simplement faute de traitement de la cause organique : la méditation ne guérit ni la persistance virale, ni l’auto-immunité, ni l’hypercoagulation.
Lenteur d’adaptation
La physiopathologie du Covid long ne semble pas intéresser les auteurs, ce qui pose un problème en soi. Mais plus grave encore, les théories des troubles somatoformes peuvent être concrètement dangereuses pour la santé des patients Covid long, dont les risques de complications sont niés. Ne pas les reconnaître peut signifier des pertes de chance.
Nous sommes profondément inquiets de la lenteur d’adaptation du corps médical, alors que des signaux, comme les risques augmentés de thrombose, sont documentés depuis 2020. Cette inertie offre un boulevard aux dérives pseudoscientifiques par le vide médical qu’elle crée. Mais nous sommes également inquiets de ce glissement dangereux pour les autres patients chroniques, auxquels les auteurs veulent étendre leurs théories, dans un contexte de faible investissement public dans la recherche médicale. Les interventions non médicamenteuses ne devraient jamais être proposées sans preuves solides de leur efficacité.
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Ce paradigme que les auteurs défendent pourrait nuire à tous les patients, en particulier ceux souffrant de maladies complexes ou rares. Cela viendrait couronner l’incapacité ou le refus du système médical français à faire face au Covid-19 après la levée de l’urgence sanitaire. Nous appelons au contraire à sortir de cette impasse. Refusons ce déni de réalité et concentrons-nous sur la prise en charge et la prévention des fardeaux liés à cette maladie. Ces controverses françaises freinent l’accès à des soins adaptés et compromettent notre capacité à préparer l’avenir.
Signataires : Thierry Amouroux, porte-parole du Syndicat national des professionnels infirmiers ; Dominique Costagliola, directrice de recherches émérite, membre de l’Académie des sciences ; Céline Extenso, militante handi-féministe, cofondatrice du collectif Les Dévalideuses ; Gwen Fauchois, ex-vice-présidente d’Act Up Paris ; Michela Frigiolini, ancienne membre d’Act Up Paris (1992-1996) ; Nicolas Huot, chercheur ; Jérôme Lamy, historien et sociologue des sciences, CNRS ; Christian Lehmann, médecin généraliste ; Alexandre Monnin, philosophe, enseignant-chercheur ; Solenn Tanguy, présidente de l’association Winslow Santé publique. Retrouvez la liste complète des signataires ici.