Cocaïne : les raisons qui expliquent l’augmentation de la consommation en France
La cocaïne est en plein essor, résultat d’une production en hausse, des prix qui baissent et de la pureté qui augmente. Le point en graphiques.
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Assassinat de Mehdi Kessaci, montée des violences, saisies record… L’actualité ne cesse de replacer le trafic de drogue au cœur du débat public. Après avoir longtemps concentré ses discours sur les moyens policiers, le président, Emmanuel Macron, a déclaré le 18 novembre qu’« acheter de la cocaïne [ou] du cannabis (…) c’est de fait être complice et donner du financement à des réseaux de criminalité organisée ». Une façon d’insister sur la responsabilité des consommateurs, notamment sur la cocaïne, deuxième drogue la plus consommée après le cannabis, et qui est en plein essor dans l’Hexagone.
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Pas moins de 1,1 million de Français ont en effet pris au moins une fois de la cocaïne en 2023, soit quasiment deux fois plus qu’en 2017, selon une enquête de l’Observatoire français des drogues et des tendances addictives (OFDT). Cette augmentation se ressent également au travers des quantités de cocaïne interceptées par les autorités, qui ont battu un nouveau record en 2024, avec 53,5 tonnes, selon l’Office antistupéfiants (Ofast). Et la tendance se poursuit en 2025, avec déjà plus de 29 tonnes de poudre blanche saisies sur les quatre premiers mois de l’année, soit deux fois plus que sur la même période l’année dernière.

Pourquoi le marché de la cocaïne est-il si florissant ? Comment rencontre-t-il son public ? Réponse en graphiques.
La production explose
La production mondiale de cocaïne était estimée par l’Ofast à 4 000 tonnes en 2024, soit deux fois plus qu’en 2020. Ivana Obradovic, directrice adjointe de l’OFDT, explique cette hausse par « l’augmentation des surfaces de culture et des rendements » des trois principaux pays producteurs de feuilles de coca, le Pérou, la Bolivie et la Colombie. Rien que dans ce dernier pays, la production a augmenté de 53 %. En parallèle, « le cercle des pays producteurs s’est élargi » avec des pays proches comme « le Honduras, le Venezuela, l’Equateur, le Guatemala, le Mexique ou le Panama », poursuit-elle.

Avec la saturation du marché américain, les trafiquants ont trouvé « un nouveau débouché » en Europe et en France, avec « une demande solvable », analyse Christian Ben Lakhdar, professeur d’économie à l’université de Lille et spécialiste du marché des stupéfiants. Malgré une offre de cocaïne supérieure à la demande, celle-ci a trouvé son public. Pour Ivana Obradovic, l’offre est désormais si « abondante qu’elle va au-devant des consommateurs et contribue à attirer de nouvelles clientèles ».
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La France, disposant du deuxième plus grand domaine maritime mondial, est particulièrement exposée à la hausse du trafic de cocaïne. Ses régions d’outre-mer, dont certaines se situent à proximité des zones de production, agissent comme zones de transit vers le marché hexagonal. Selon l’OFDT, les trois quarts du trafic transitent par la mer, tandis que le quart restant passe par voie aérienne.
La cocaïne, c’est quoi ?
Extraite des feuilles de cocaïer — petit arbuste cultivé en Amérique du Sud —, la cocaïne est un puissant stimulant présenté sous forme de poudre blanche. La cocaïne base — communément appelée « crack » — est un dérivé de la cocaïne qui prend la forme de cristaux ou petits cailloux. Sa consommation, quelle qu’en soit la manière, peut entraîner des complications sévères pouvant provoquer la mort.
Les prix baissent, la pureté augmente
Alors que le prix moyen du gramme de cocaïne oscillait entre 65 et 70 euros depuis 2014, il est tombé à 58 euros en 2024. « Pour la première fois, on est passé en dessous de la barre symbolique des 60 euros, même si de fortes variations persistent entre les régions », relève Ivana Obradovic.
Si ce rabais de quelques euros peut sembler anodin, il se conjugue à une augmentation du taux moyen de pureté de la cocaïne, qui a grimpé de 22 % en dix ans, atteignant 75 % en 2024, selon les chiffres du Service national de police scientifique. « Il y a une telle surproduction que les revendeurs ne prennent même plus la peine de la couper », explique Christian Ben Lakhdar. Par ailleurs, « la concurrence conduit à proposer un produit de plus en plus pur pour se différencier », complète Ivana Obradovic. Le prix de la cocaïne « pure » devient donc une aubaine pour les consommateurs. Davantage concentrée en principes actifs, celle-ci devient toutefois mécaniquement plus dangereuse.
Le prix du gramme de cocaïne a baissé de 12 % par rapport à 2023
Evolution du prix du gramme de cocaïne, la courbe indique son taux de pureté.

Dans le même temps, le développement des ventes fractionnées (selon la quantité souhaitée) rend la cocaïne accessible à une plus large clientèle, qui n’a pas forcément les moyens d’acheter un gramme entier ou qui souhaite consommer occasionnellement. « On peut désormais acheter le volume que l’on souhaite avec, en plus, des tarifs dégressifs », détaille Mme Obradovic. Ces évolutions s’inscrivent dans un contexte où les pratiques de vente facilitent l’accessibilité de la cocaïne.
Les pratiques de vente se perfectionnent
Avec la généralisation de l’utilisation des réseaux sociaux, s’approvisionner en cocaïne est devenu beaucoup plus simple qu’auparavant. Nul besoin de se déplacer, il suffit de quelques clics pour se faire livrer à domicile. Ces livraisons,« extrêmement difficiles à contrôler », « ont pris le pas sur l’achat en points de deal et contribuent à expliquer l’élargissement du bassin de consommateurs, y compris dans les territoires ruraux et semi-ruraux », constate Ivana Obradovic.
En plus de faciliter l’accessibilité à la poudre blanche, le recours au numérique limite les risques d’intervention policière en point de deal et permet de promouvoir son produit « dans un contexte fortement concurrentiel où le maintien de la relation avec la clientèle constitue un enjeu central », pointe un rapport de l’OFDT sorti le 27 novembre.
La vente de cocaïne s’est aussi démocratisée en points de deal, où les vendeurs restaient auparavant cantonnés à la vente de cannabis. Pour Ivana Obradovic, les vendeurs déploient des « stratégies d’adaptation » leur permettant de « contourner les mesures de contrôle et de sécurité ».
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Les profils d’usagers se diversifient
En parallèle de l’évolution de la représentation de la cocaïne auprès des consommateurs, souvent vue comme présentant « des risques minimisés » selon l’OFDT, les contextes de consommation se sont aussi étendus.
Auparavant cantonnée à une clientèle issue de milieux sociaux favorisés et dans un cadre plutôt festif, la cocaïne est désormais consommée « au sein de nombreuses catégories de la population active (occupée ou non) », note un rapport de l’OFDT. Outre la recherche de plaisir, Ivana Obradovic désigne « une série de motivations alternatives assimilables à du dopage, consistant à booster ses performances en misant sur les effets psychostimulants ». Ce dernier motif d’usage concerne particulièrement les secteurs professionnels exposés à des conditions de travail difficiles, comme la restauration et les métiers de la mer.
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