Faut-il réformer ou supprimer les ARS ?
Frédéric Bizard
il y a 1 jour https://www.fredericbizard.com/faut-il-reformer-ou-supprimer-les-ars/
Tribune publiée dans La Tribune
Onze anciens ministres de la Santé ont publié une Tribune dans Le Monde le 18 novembre dernier* pour dénoncer la volonté du Premier Ministre de démembrer les ARS au risque de « mettre en cause la cohérence des politiques de santé et d’accès aux soins ».
Pourtant, quinze ans après leur création, le bilan objectif des ARS conduit à un constat d’échec.
D’abord pour les usagers du système de santé, qui ont vu sur la période une sensible dégradation de l’accès aux soins en ville et à l’hôpital, une émergence inédite de pénurie de médicaments et une faiblesse de la prévention qui plafonne l’espérance de vie en bonne santé.
Ensuite, la greffe des ARS a peu pris avec les professionnels de santé et les élus locaux, qui les jugent globalement trop technocratiques et pas assez réactives.
Enfin, le stress-test de la crise Covid a été révélateur : les Préfectures ont dû reprendre la main sur la gestion de crise, reléguant les ARS au second plan et révélant leurs limites en santé publique.
Il est donc indispensable d’analyser les raisons de cet échec et de proposer des solutions pour les rendre plus performantes, ou pour trouver une alternative plus efficace.
La pari manqué de l’agencification
La France a intensifié dans les années 2000 (LOLF, 2001 ; RGPP, 2007) la création d’agences et opérateurs publics autonomes, inspirée par les modèles anglo-saxons. Les objectifs étaient de dépolitiser certaines missions, d’améliorer l’efficience, la technicité et la réactivité de l’action politique.
Ce mouvement s’est accompagné d’une prolifération d’organismes (103 agences et 434 opérateurs), au point de créer un véritable millefeuille technocratique, coûteux et peu lisible.
La santé, dont le budget public structurellement déficitaire représente l’essentiel du déficit de la sécurité sociale, et dont le service rendu à la population décline, est naturellement au cœur de cette remise en cause de l’agencification de l’État.
La création des ARS en 2009 n’a manifestement pas amélioré la maitrise budgétaire ni la performance du système.
Pas vraiment indépendante, disposant d’un coût de fonctionnement élevé (> 800 M€ par an), les ARS ont renforcé la centralisation des décisions et l’interventionnisme de l’État.
En réalité, le fonctionnement centralisé et stratifié de l’ administration française, théorisé par Michel Crozier, est peu compatible avec une délégation réelle du pouvoir. Les ARS ont ainsi peu d’autonomie, prises dans des relations opaques avec un État central piloté par un secrétariat général dont les modes de relations sont peu lisibles.
Dans le même temps, l’État n’a pas su se transformer en véritable « État stratège » en santé, capable d’anticiper les changements démographique, épidémiologique, technologique, et les risques sanitaires. Les acteurs locaux, pourtant détenteurs de l’expertise opérationnelle, ont été dépossédés de leur capacité d’innovation et d’action, générant une perte de sens de leurs rôles dans le système.
Un frein à la réforme systémique
La direction des ARS a été majoritairement confiée à des profils technocratiques, hospitalo-centrés, peu sensibles à la prévention et à la médecine ambulatoire.
Leur vision comptable et court-termiste est incompatible avec le geste réformateur. Les indispensables virages ambulatoire et préventif, clef de voute de la transformation de tout système de santé au XXIème siècle, ont été freinés. La valorisation du rôle du secteur privé ambulatoire, incontournable en France, est restée marginale et suspecte.
Cet angle mort explique en partie le déclin français : notre système reste hospitalo-centré, axé sur le soin curatif plutôt que sur la santé globale, fragmenté entre ville et hôpital, entre public et privé, et en retard sur l’usage stratégique des innovations technologiques.
L’erreur de 2009 a été de croire qu’une réforme institutionnelle suffirait sans repenser le système dans son ensemble.
En renforçant le poids opérationnel de l’État, on a rigidifié le système au lieu de le transformer. La tribune des anciens ministres ignore cette réalité pourtant ressentie par la population : nous sommes face à une crise structurelle (pas à un simple problème d’organisation) d’un système qui n’a pas su s’adapter au nouvel environnement.
Pour un Parlement départemental de la santé
L’échec des ARS est aussi l’échec de la territorialisation de la santé ces quinze dernières années.
Malgré la multiplication des structures territoriales (les Groupements hospitaliers de territoire, les Communautés professionnelles de territoires de santé, entre autres), les citoyens ne les connaissent pas, n’en perçoivent ni l’utilité ni les bénéfices.
Le cloisonnement demeure, les responsabilités se diluent, et aucun pilote clairement identifié n’émerge au niveau local.
Le débat ouvert par Matignon sur le rôle du département est donc nécessaire.
Mais il faut distinguer le département en tant qu’entité géographique et le département en tant qu’entité politique (le Conseil départemental).
Le département géographique est le seul territoire connu par tous les Français et la base de pilotage de plusieurs politiques sociales (petite enfance, autonomie des personnes âgées, RSA). Faire du département l’échelon territorial de référence en santé aurait donc du sens.
On pourrait y créer des Parlements départementaux de la santé – composés d’élus et de représentants des acteurs sanitaires -, chargés du pilotage opérationnel coordonné de la politique de santé.
L’État deviendrait stratège : garant de l’équité républicaine, régulateur et soutien technique via la HAS et Santé publique France. Ce rôle d’arbitre et de garant des normes nationales est un rôle naturellement rempli par les Préfectures.
L’avenir des ARS repose sur deux options : une transformation des agences existantes, pour corriger les failles susmentionnées, ou la réintégration des services de l’État dans les Préfectures. Cette deuxième option ne serait en rien un retour à la situation d’avant 2009, avec une fragmentation institutionnelle, mais se ferait dans un élan de bascule vers le futur système de santé.
Le principe énoncé par Talleyrand il y a plus de 200 ans selon lequel « un ministère qu’on soutient est ministère qui tombe » s’est quasiment toujours vérifié dans la vie politique française.
Ainsi, ce soutien de tous les ex-ministres de la santé depuis leur création n’est probablement pas un bon présage pour que la première option se réalise !
Tribune publiée dans La Tribune
Voir aussi:
* 11 anciens ministres de la santé et 24 organisations volent au secours des ARS
https://environnementsantepolitique.fr/2025/11/19/11-anciens-ministres-de-la-sante-volent-au-secours-des-ars/
Dernière trouvaille des sénateurs: le transfert des attributions des agences régionales de santé (ARS) aux services régionaux et départementaux, sous l’autorité des préfets. https://environnementsantepolitique.fr/2025/07/04/63612/
Gilbert HANGARD • Abonné Président, Élus Santé Publique et Territoires 2 sem.
Démanteler les ARS ? Avant de tout casser, posons enfin un vrai diagnostic.
https://www.linkedin.com/in/gilbert-hangard-7b95b7162/recent-activity/all/
Alors que certains proposent de supprimer ou de placer les ARS sous tutelle, une question s’impose : comment peut-on prétendre réformer la santé… en s’attaquant à ceux qui la structurent ?
Depuis des années, le système de santé souffre : manque de médecins, services saturés, inégalités territoriales qui explosent, prévention sacrifiée, santé environnementale sous-financée. Et la réponse serait de fragiliser encore davantage le pilotage territorial ?
Soyons clairs : Subordonner les ARS aux préfets, ce n’est pas moderniser. C’est transformer la santé publique en outil d’ordre public.
Transférer les compétences au département, ce n’est pas simplifier. C’est créer un patchwork inégalitaire où la qualité des soins dépendra de la richesse locale.
Les affaiblir, ce n’est pas réformer. C’est prendre le risque d’un effondrement silencieux de la cohérence sanitaire nationale.
Pendant ce temps, les questions essentielles restent sans réponse :
– Comment réduire les inégalités de santé ?
– Comment renforcer la prévention, pourtant vitale ?
– Comment faire face au vieillissement, aux crises sanitaires, aux enjeux climatiques ?
– Comment garantir les mêmes droits en santé partout, du rural à l’ultramarin ?
On ne soigne pas un système malade en cassant ses os porteurs.
Les ARS ne sont pas parfaites — aucune institution ne l’est. Mais elles sont aujourd’hui le seul espace où se rencontrent soin, médico-social, prévention, santé environnementale et réponse aux crises. Les affaiblir, c’est casser la colonne vertébrale sans savoir comment on fera tenir le corps.
Ce qu’il faut ?
– Une refondation réfléchie, pas un mikado institutionnel improvisé.
– Une vision à long terme, pas une réaction politique à court terme.
– Une loi de programmation solide, ambitieuse, concertée.
– Et surtout : de la cohérence.
Parce qu’on ne joue pas avec la santé publique.
Parce qu’on ne laisse pas les territoires fragiles devenir les oubliés de demain.
Parce que la santé n’est pas un domaine où l’on expérimente “pour voir”.
Avant de toucher aux ARS, posons-nous la seule question qui vaille : voulons-nous un système de santé plus juste, plus fort, plus résilient — ou simplement un système plus facile à contrôler ?
Olivier CAS • 3e et +
Chirurgien viscéral et digestif, (Cabinet de Chirurgie digestive) https://www.linkedin.com/in/olivier-cas-324113172/recent-activity/comments/
J’ai rien contre l’idée, mais comment faire ?
On nomme une mission d’enquête ?
On analyse l’efficience sur quels critères ? Le nombre de commissions, la durée des réunions, ou comme la HAS le volume de café consommé (ce n’est ironique, c’est une analogie au volume de solution hydroalcoolique pour évaluer la prévention des infections liées aux soins en établissements de santé…).
Quand on vit les méandres administratifs préalables aux autorisations d’activités et les justificatifs fumeux pour expliquer aux établissements que bien qu’ils satisfassent aux seuils d’activité et qu’ils aient les critères requis c’est un autre établissement situé à 200km qui sera autorisé et pas eux, et qu’on se rend compte que ça n’améliore en rien les délais et la qualité de la prise en charge des patients, il y a des doutes à avoir sur l’analyse des besoins réels.
Quand un deuxième scanner est refusé parce que l’établissement en dispose déjà d’un et de 2 IRM et que la « norme » est de 3 appareils radiologiques lourds, alors que les délais de scanner s’allongent au point que s’écoule un mois entre une échographie de ville et un RV de scanner pour une cholécystite aiguë.
Est-ce qu’on parle d’un raisonnement ou d’un « résonnement » administratif ?